J'ai accepté volontiers de partager avec vous quelques remarques sur la Syrie et l'Irak.
Je reviens d'un déplacement en Irak et dans le Kurdistan irakien qui avait d'abord pour objectifs de marquer publiquement le soutien de la France à l'Irak, rapidement, car c'est le pays dans lequel le risque d'une résurgence de Daech est le plus élevé, et d'évoquer la situation des Kurdes avec les autorités du Kurdistan autonome.
Cette démarche a été très appréciée par mes interlocuteurs : le président irakien, M. Saleh, le Premier ministre M. Abdel-Mehdi et le ministre des affaires étrangères, ainsi que, au Kurdistan, le président en exercice, M. Netchirvan Barzani, son Premier ministre, M. Masrour Barzani et le patriarche, Massoud Barzani.
J'ai ressenti une inquiétude légitime chez mes interlocuteurs, parce que l'Irak traverse une crise politique qui n'est pas encore réglée et qui a donné lieu à des affrontements début octobre, lesquels ont fait des victimes. Cette crise a bousculé le gouvernement, d'autant que ces manifestations - comme celles qui se déroulent en ce moment même au Liban - ne coïncident pas avec les lignes de fractures ethniques et religieuses.
Le pays est donc fragilisé. Je vous rappelle que son Premier ministre est un ami de la France, qu'il est francophone et qu'il a engagé un rapprochement avec les autorités kurdes, ce qui permet une relation « déconflictée » entre le Kurdistan et les autorités irakiennes.
Je n'ai pu que constater que tous les acteurs étaient en train d'assumer le changement de posture des États-Unis. La donne a changé. La France reste toutefois un interlocuteur essentiel.
En outre, les acteurs que j'ai rencontrés considèrent tous que la guerre contre Daech peut reprendre. L'état de clandestinité du mouvement en Irak lui permet de monter une organisation souterraine en particulier dans les régions sunnites, qui alimente sa résurgence.
S'agissant des djihadistes emprisonnés, l'erreur serait de ne parler que des étrangers. Des milliers de combattants sont détenus dans l'est du Nord-Est syrien, parmi lesquels des combattants étrangers originaires de 72 pays différents, dont des Français. Ils sont donc syriens et, très majoritairement, irakiens. Ces combattants ont lutté jusqu'à la fin, dans les dernières batailles contre la coalition.
Damas et les Kurdes syriens se sont rencontrés et se sont entendus. Le régime syrien a déployé des soldats dans la partie ouest du Nord-Est, afin d'éviter aux Forces démocratiques syriennes (FDS), de se trouver sous le feu turc. Ils ont passé un accord. Ce n'est pas un accord politique pour l'instant, c'est un accord de protection et de sécurité.
Ceci me fait dire qu'on assiste au début de la récupération, par le régime de Damas, de la zone que l'on appelle le NES - pour nord-est syrien -, à la suite du retrait américain.
Les Kurdes syriens sont en relation avec les Kurdes d'Irak, d'autant que 3 000 personnes environ ont déjà gagné le Kurdistan irakien depuis la Syrie et se sont installées dans des camps mis en place par les autorités de la province autonome.
Nous sommes, quant à nous, toujours en relation avec les FDS, malgré la nouvelle donne que constitue l'accord conclu avec le régime syrien.
S'agissant de la reconstruction de l'Irak après la chute de Daech, elle avance lentement. Le Premier ministre a décidé de prendre le taureau par les cornes pour accélérer le retour à la vie normale en matière d'eau et d'électricité. C'est important, car, faute d'un retour à une vie normale, les populations sont particulièrement sensibilisées aux messages qu'envoie Daech à ce sujet.
L'Irak fait face au risque, que le Gouvernement craint beaucoup, d'une connexion entre l'organisation clandestine de Daech en Irak et les djihadistes combattants emprisonnés, auxquels s'ajoutent les 30 000 ou 40 000 déplacés qui se trouvent dans des camps, y compris des familles de combattants, les femmes venues de tous horizons dont de France. Pour les Irakiens, la priorité n'est pas les Français, mais bien ces milliers de combattants et le risque d'un lien avec les sympathisants. Ils essaient donc de trouver les voies d'une sécurisation de leur situation.
Je n'ai pas d'information sur le résultat des discussions que tiennent actuellement MM. Poutine et Erdogan à Sotchi. L'accord entre MM. Pence et Erdogan ne porte que sur une zone de 30 kilomètres de profondeur au nord de la route nationale 4, et de 130 à 150 kilomètres de long. On ne sait pas ce qu'il en sera, d'autant que le cessez-le-feu arrive à son terme ce soir. Les FDS, quant à elles, se sont repliées, mais annoncent leur volonté de poursuivre le combat.
La situation est donc grave et la donne a beaucoup changé.