Monsieur le ministre, vous revenez d'Irak et j'ai souhaité que la commission puisse vous entendre au sujet des djihadistes détenus dans les camps kurdes et de votre proposition de les faire juger en Irak, si besoin par des instances internationales. Sur ce plan, quel a été le résultat de votre visite ?
Le coordonnateur des juges antiterroristes a, quant à lui, appelé à judiciariser ces criminels en France. Quelle est la position du Gouvernement à ce sujet ?
J'ai accepté volontiers de partager avec vous quelques remarques sur la Syrie et l'Irak.
Je reviens d'un déplacement en Irak et dans le Kurdistan irakien qui avait d'abord pour objectifs de marquer publiquement le soutien de la France à l'Irak, rapidement, car c'est le pays dans lequel le risque d'une résurgence de Daech est le plus élevé, et d'évoquer la situation des Kurdes avec les autorités du Kurdistan autonome.
Cette démarche a été très appréciée par mes interlocuteurs : le président irakien, M. Saleh, le Premier ministre M. Abdel-Mehdi et le ministre des affaires étrangères, ainsi que, au Kurdistan, le président en exercice, M. Netchirvan Barzani, son Premier ministre, M. Masrour Barzani et le patriarche, Massoud Barzani.
J'ai ressenti une inquiétude légitime chez mes interlocuteurs, parce que l'Irak traverse une crise politique qui n'est pas encore réglée et qui a donné lieu à des affrontements début octobre, lesquels ont fait des victimes. Cette crise a bousculé le gouvernement, d'autant que ces manifestations - comme celles qui se déroulent en ce moment même au Liban - ne coïncident pas avec les lignes de fractures ethniques et religieuses.
Le pays est donc fragilisé. Je vous rappelle que son Premier ministre est un ami de la France, qu'il est francophone et qu'il a engagé un rapprochement avec les autorités kurdes, ce qui permet une relation « déconflictée » entre le Kurdistan et les autorités irakiennes.
Je n'ai pu que constater que tous les acteurs étaient en train d'assumer le changement de posture des États-Unis. La donne a changé. La France reste toutefois un interlocuteur essentiel.
En outre, les acteurs que j'ai rencontrés considèrent tous que la guerre contre Daech peut reprendre. L'état de clandestinité du mouvement en Irak lui permet de monter une organisation souterraine en particulier dans les régions sunnites, qui alimente sa résurgence.
S'agissant des djihadistes emprisonnés, l'erreur serait de ne parler que des étrangers. Des milliers de combattants sont détenus dans l'est du Nord-Est syrien, parmi lesquels des combattants étrangers originaires de 72 pays différents, dont des Français. Ils sont donc syriens et, très majoritairement, irakiens. Ces combattants ont lutté jusqu'à la fin, dans les dernières batailles contre la coalition.
Damas et les Kurdes syriens se sont rencontrés et se sont entendus. Le régime syrien a déployé des soldats dans la partie ouest du Nord-Est, afin d'éviter aux Forces démocratiques syriennes (FDS), de se trouver sous le feu turc. Ils ont passé un accord. Ce n'est pas un accord politique pour l'instant, c'est un accord de protection et de sécurité.
Ceci me fait dire qu'on assiste au début de la récupération, par le régime de Damas, de la zone que l'on appelle le NES - pour nord-est syrien -, à la suite du retrait américain.
Les Kurdes syriens sont en relation avec les Kurdes d'Irak, d'autant que 3 000 personnes environ ont déjà gagné le Kurdistan irakien depuis la Syrie et se sont installées dans des camps mis en place par les autorités de la province autonome.
Nous sommes, quant à nous, toujours en relation avec les FDS, malgré la nouvelle donne que constitue l'accord conclu avec le régime syrien.
S'agissant de la reconstruction de l'Irak après la chute de Daech, elle avance lentement. Le Premier ministre a décidé de prendre le taureau par les cornes pour accélérer le retour à la vie normale en matière d'eau et d'électricité. C'est important, car, faute d'un retour à une vie normale, les populations sont particulièrement sensibilisées aux messages qu'envoie Daech à ce sujet.
L'Irak fait face au risque, que le Gouvernement craint beaucoup, d'une connexion entre l'organisation clandestine de Daech en Irak et les djihadistes combattants emprisonnés, auxquels s'ajoutent les 30 000 ou 40 000 déplacés qui se trouvent dans des camps, y compris des familles de combattants, les femmes venues de tous horizons dont de France. Pour les Irakiens, la priorité n'est pas les Français, mais bien ces milliers de combattants et le risque d'un lien avec les sympathisants. Ils essaient donc de trouver les voies d'une sécurisation de leur situation.
Je n'ai pas d'information sur le résultat des discussions que tiennent actuellement MM. Poutine et Erdogan à Sotchi. L'accord entre MM. Pence et Erdogan ne porte que sur une zone de 30 kilomètres de profondeur au nord de la route nationale 4, et de 130 à 150 kilomètres de long. On ne sait pas ce qu'il en sera, d'autant que le cessez-le-feu arrive à son terme ce soir. Les FDS, quant à elles, se sont repliées, mais annoncent leur volonté de poursuivre le combat.
La situation est donc grave et la donne a beaucoup changé.
Nous avons assuré les Kurdes de notre soutien, mais qu'en sera-t-il si ceux-ci se tournent vers Bachar al-Assad ?
Avec cet accord, ils garantissent seulement le minimum sécuritaire, avec la complicité du régime syrien et des Russes, en prenant bien soin de préciser qu'il ne s'agit pas d'un accord politique, car ils doivent se protéger face à la rupture que constitue la décision américaine de retirer leurs forces,. Il ne s'agit en aucune manière d'un accord politique. Nous continuons donc à entretenir des relations avec les FDS, ainsi qu'avec les autorités kurdes d'Irak.
Je m'inquiète de la situation des djihadistes emprisonnés. Sommes-nous certains que le déploiement des forces syriennes sera suffisant pour les maintenir en prison ?
S'agissant de leur jugement, nous avons voté une proposition de résolution défendue par Bruno Retailleau visant le renforcement de la justice irakienne afin de les juger sur place. Vous-même avez proposé qu'ils soient jugés sur place. Est-ce réalisable ? Ce transfert lourd est-il possible vers ce pays qui, si j'en crois mes propres observations, n'est pas encore très solide ? La fragilité des institutions que vous décrivez est, à ce titre, inquiétante.
On dit que Daech a été défait, mais, à mon sens, tant que l'on n'a pas arrêté le chef ennemi, le danger existe toujours !
Sur les combattants, j'ai une position qui paraîtra peut-être provocatrice : ils ont combattu la France au nom de Daech, ils ont donc à mes yeux quitté la nationalité française et ne sont que des ressortissants de l'État islamique. À mon sens, ces gens ne sont pas français.
Nous avions perçu l'instabilité du pouvoir irakien dans les difficultés que le Premier ministre avait rencontrées pour former son gouvernement. Ces dernières semaines, des troubles importants se sont produits, dont vous dites qu'ils n'avaient pas de motifs religieux. S'agissait-il de crimes déguisés ? On a parlé, par exemple, de snipers. Y avait-il la volonté de déstabiliser un gouvernement qui n'aurait pas de majorité suffisante ?
Peut-on espérer une réaction européenne ? Qu'en est-il, sur ce plan, de vos contacts avec vos homologues européens ? L'Europe peut-elle peser dans l'OTAN et préparer une réaction plus forte que celle qui a été exprimée à Londres il y a une dizaine de jours ? M. Macron est certes très actif, mais l'Europe pèse d'un poids plus lourd que la seule France.
Vous avez évoqué la nouvelle donne en matière d'alliances après l'offensive turque. A-t-il été question, au cours de vos contacts, de la pérennisation du Rojava ? Ce territoire restera-t-il l'axe principal de notre défense des Kurdes ? Je crains qu'avec la mise en place de la zone de sécurité, les Kurdes soient pris en étau et que ce territoire leur soit subtilisé.
Il y a 60 combattants français incarcérés. Avez-vous plus d'informations à leur sujet ? Dans les camps dont vous parlez, combien y a-t-il de femmes et d'enfants ? Il semble que certaines personnes se soient déjà échappées, avez-vous des informations sur ce point ? Avez-vous engagé des contacts avec vos homologues pour envisager un effort de protection des Français contre d'éventuelles représailles ?
Ma question est simple, monsieur le ministre : à quoi sert encore l'OTAN ?
L'Irak assume donc le changement américain, mais peut-on envisager une nouvelle guerre contre Daech sans les Américains ? Les prémisses du désengagement américain remontent à la décision de M. Obama de ne pas agir après les bombardements chimiques menés par Damas. La France et l'Europe vont-elles rester spectatrices ou adopter une autre posture ? L'Europe représente tout de même le troisième ensemble démographique et la deuxième puissance économique au monde, peut-on imaginer, indépendamment du Brexit, un rapprochement entre la Grande-Bretagne et la France pour peser dans ce nouvel ordre mondial ?
Vous décrivez un Premier ministre fragilisé et vous affirmez que le changement d'attitude américaine chamboule tout et entraîne des bouleversements d'alliances. Comment avez-vous perçu ce changement d'alliance ?
S'agissant de Daech, pouvez-vous nous indiquer comment la France anticipe les évolutions à venir ?
Quelles sont, d'après vous, les conséquences de ce revirement d'alliances inédit en ce qui concerne la confiance envers l'occident après le retournement américain et une certaine forme d'impuissance européenne ?
Tout d'abord, je reste prudent : je ne vous communique que mes impressions à l'instant T, mais la situation peut évoluer d'un jour à l'autre.
S'agissant du problème géographique, la partie sud du Nes n'appartient pas au Rojava qui ne se limite pas à la partie occupée par les Turcs ; le territoire kurde syrien continue à exister, même amputé de 30 km de profondeur, et même si la volonté du président Erdogan est d'y installer les réfugiés syriens arabes, ce qui pose d'autres problèmes.
Vous m'avez interrogé sur l'OTAN. Même si la Turquie en est membre, ce n'est pas un sujet qui concerne directement l'Alliance.
En revanche, nous avons demandé la réunion de la coalition contre Daech, dont le principe a été adopté le lundi suivant par les 28. Aujourd'hui, tout le monde la demande, comme en témoignent les déclarations des Irakiens, des Saoudiens ou des Émiratis. Les États-Unis ont admis le principe d'une telle réunion. La France joue dans ce processus, un rôle de pilotage et d'incitation.
Il reste toutefois qu'un trouble s'est fait jour dans la relation transatlantique, Un sommet de l'OTAN prendra place à Bruxelles dans les semaines qui viennent, qui permettra d'évoquer l'état de cette relation en présence de M. Trump.
De ce point de vue, monsieur Yannick Vaugrenard, il me semble en effet que nous devons mobiliser l'Europe, et j'en discute avec le Président de la République. Ce trouble dans la relation transatlantique nous interroge tous et impose un sursaut de la solidarité.
Si nous ne nous prenons pas en main, quelle crédibilité nous restera-t-il ? Mes interlocuteurs me disent : « que voulez-vous que nous fassions ? Nous devons penser avant tout à notre sécurité. » C'est compréhensible. L'Irak a beaucoup donné ces dernières années.
C'est un moment majeur dans la relation entre les puissances, qui introduit une rupture de l'ordre international issu de 1945. L'Europe doit prendre conscience de ces enjeux et s'organiser, car la France seule ne le peut pas. Nous avons adopté une posture très ferme vis-à-vis des Turcs, mais nous devons conserver un moyen de leur parler et être attentifs à ce qu'ils veulent faire.
M. Joël Guerriau, je n'ai, quant à moi, jamais dit que Daech était mort. J'ai pu évoquer la défaite du califat territorial, après les dernières batailles du mois de mars, mais M. Baghdadi n'a pas été arrêté et Daech n'a pas disparu.
S'agissant des détenus, l'essentiel est pour l'instant resté sous contrôle. La sécurité des zones sensibles est assurée, sauf à Aïn Issa où un camp est séparé en deux, avec des femmes et des enfants de djihadistes d'un côté et des réfugiés de l'autre. Dans ce camp, des mouvements se sont produits il y a trois jours, des femmes sont parties, certaines sont ensuite revenues, je n'ai pas d'information plus complète. Avec l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark et la Suède, nous discutons de manière approfondie avec l'Irak du traitement des combattants. Nous sommes ainsi en contact avec les autorités politiques, judiciaires, pénitentiaires pour élaborer un dispositif de judiciarisation.
Cela ne se produira pas dans l'immédiat, mais nous avons l'expérience de mécanismes antérieurs et nous travaillons sur cette hypothèse. Les Irakiens sont compréhensifs et coopératifs, mais leur préoccupation majeure reste les milliers de djihadistes. Quoi qu'il en soit, du fait de l'histoire et de la confiance que nous avons construite, nous sommes en bonne position. Certains mouvements locaux ne sont toutefois pas favorables à ce processus, mais cela relève de questions internes au gouvernement irakien.
Les manifestations récentes, qui ont fait des morts, n'opposaient pas simplement les Chiites aux Sunnites. Il s'agissait plutôt d'un soulèvement populaire contre le Gouvernement en général, et la corruption.
Le coordinateur du pôle anti-terroriste en France a déclaré qu'il vaudrait mieux que chaque pays rapatrie ses ressortissants pour les juger, y compris pour des raisons de sécurité.
Je vous suggère de l'interroger sur ce sujet et de lui demander comment il ferait. J'ai été surpris de cette déclaration.
La Belgique, d'après M. Trump, souhaite récupérer les siens. Si chacun agit en ordre dispersé...
Ce n'est pas simple. Nous avions sorti dix-sept enfants dans le passé. Je ne me hasarderais pas à envoyer des diplomates traiter ces questions, tant le terrain est devenu dangereux. La confiance envers la France n'est pas touchée, au contraire. L'Europe sera-t-elle à même de relever ce défi ? On peut être optimiste. Peut-être un prochain accord va-t-il permettre la sécurisation de la zone. Il n'empêche que des actes ont été posés, ce qui posera à l'avenir un problème de crédibilité. Il y a aussi des invraisemblances. M. Trump a dit qu'il n'irait pas séparer Turcs et Syriens à 11 000 kilomètres des États-Unis. Après le 11 septembre, l'article 5 de l'OTAN a été mobilisé pour la seule fois de l'histoire de l'Alliance. Nous étions là, nous avons franchi les 11 000 km pour intervenir en Afghanistan. Et nous avons eu des morts.
Nous entendons l'exposé du ministre aujourd'hui, et remettons les questions à une réunion ultérieure.
Le budget de mon ministère pour 2020 passe pour la première fois le seuil des 5 milliards d'euros, en hausse de 138,5 millions d'euros, soit 3 %, par rapport à la loi de finances initiale de 2019. Il se décompose en deux parties : 2,87 milliards d'euros pour la mission « Action extérieure de l'État », dont les crédits augmentent de 2,3 millions d'euros, et 2,14 milliards d'euros pour le programme 209 « Aide publique au développement », en hausse de 136 millions d'euros.
Nous menons une réforme des réseaux de l'État à l'étranger dans le cadre du programme « Action publique 2022 » pour améliorer l'efficacité de notre action. Cette réorganisation place le Quai d'Orsay au centre du jeu, puisque la gestion des emplois de soutien et des crédits de fonctionnement de tous les réseaux internationaux de l'État est désormais unifiée sous sa seule responsabilité. Cela met un terme à une gestion en silo des ressources humaines. Très concrètement, nous mutualisons les chauffeurs, les secrétariats, etc. Cette réforme s'est traduite par le transfert sous le plafond d'emplois du ministère, au 1er janvier 2019, de 387 emplois et de leur masse salariale.
Nous unifions également la gestion des crédits de l'État à l'étranger. Mon ministère est affectataire depuis cette année de l'ensemble du parc immobilier de l'État à l'étranger, et gère également les parcs de véhicules. Les frais de fonctionnement correspondant sont d'environ 15 millions d'euros. Cette réorganisation renforce la cohérence de l'action interministérielle de nos ambassadrices et nos ambassadeurs, et nous aide à maîtriser l'évolution de notre budget. Mon ministère a travaillé avec sérieux et loyauté pour dégager les économies prévues dans le cadre de cette réforme. Son plafond d'emplois se trouve ainsi ramené à 13 524 emplois l'an prochain, soit une économie de 15 millions d'euros sur la masse salariale.
L'année dernière, j'avais été interpellé sur l'éventualité d'une cible initiale de 10 %. Grâce à votre détermination, nous avons pu réduire cette cible à 5,5 % de la masse salariale. Au total, les crédits de personnel s'élèveront à 977 millions d'euros en 2020, soit moins d'un cinquième du budget du ministère des affaires étrangères. Leur hausse de 1,6 % peut surprendre, alors que le nombre d'emplois diminue. Ce phénomène n'est pas propre à mon ministère, puisque le nombre d'emplois de l'État a diminué de plus de 10 % en dix ans quand la masse salariale a augmenté dans le même temps de 10 %. Or, sur la période 2008-2018, la masse salariale de mon ministère n'a progressé que de 8,7 %, en raison de diverses mesures catégorielles et du GVT.
Un autre élément doit être pris en compte : les trois quarts des agents du ministère sont en poste à l'étranger, où ils sont exposés aux effets d'une inflation supérieure à celle que nous connaissons en France : entre 2008 et 2018, l'inflation mondiale a dépassé 48 %, contre 15 % chez nous. La dépréciation de l'euro a également gonflé notre masse salariale. Il s'agit de facteurs exogènes sur lesquels nous n'avons guère prise.
Toutefois, nous avons intégré l'inflation dans les chiffres de la masse salariale qui vous seront présentés, et nous allons constituer une provision reflétant les sommes que nous estimons nécessaires pour préserver le pouvoir d'achat des agents du ministère compte tenu de l'inflation. J'aurais pu repousser la concertation à la fin de l'année, mais il me semble de bonne gestion d'inscrire ces sommes, que nous estimons à 15 millions d'euros, dans le budget initial que je vous présente aujourd'hui. Deuxième élément nouveau, confirmé par le Premier ministre dans sa lettre-plafond : le risque d'une perte de change en gestion sera couvert en fin d'année par la mobilisation de notre réserve de précaution. Nous avons passé un accord avec le ministère des comptes publics. S'il y a une perte, nous serons couverts ; un gain, nous rembourserons ! C'était une revendication que nous avions depuis très longtemps.
Les crédits du programme 105, consacré à l'action de la France en Europe et dans le monde, sont maintenus à 1,13 milliard d'euros. Ceux du programme 151, consacré aux Français à l'étranger et aux affaires consulaires, se maintiennent également, avec 136 millions d'euros hors dépenses de personnel. Ceux du programme 185, consacré à la diplomatie culturelle et d'influence, augmentent, hors dépenses de personnel, de 18 millions d'euros pour atteindre 643 millions d'euros. Si les moyens de notre réseau diplomatique et consulaire sont stabilisés, ceux de notre politique d'influence sont en hausse.
Les crédits de fonctionnement des services centraux et des postes dans le programme 105, de 354 millions d'euros, sont en légère hausse de 1,3 %. La réforme des réseaux de l'État nous permet de dégager une économie de 3 millions d'euros sur les moyens de fonctionnement, notamment grâce à la renégociation des contrats de prestation de service, désormais unifiée par nos ambassades, ce qui fait par exemple baisser le coût de nos factures de téléphone, ou grâce à la rationalisation du parc automobile. Nous avons aussi intégré dans ces crédits la compensation du différentiel d'inflation entre la France et le reste du monde, au bénéfice du fonctionnement des postes à l'étranger. Cette mesure a été établie très rigoureusement sur la base des anticipations d'inflation du FMI. Il s'agit d'une mesure complémentaire à la couverture des risques de change.
Comme vous me l'aviez demandé l'an dernier, j'ai veillé à augmenter les moyens de l'entretien de notre patrimoine exceptionnel à l'étranger. Le budget immobilier passe de 72 à 80 millions d'euros, soit une augmentation de 9 %. Cette mesure nous permettra d'agir face à la dégradation de nos biens immobiliers et au ralentissement des cessions immobilières à l'étranger qui réduit l'abondement de crédits au profit du programme 723 correspondant au compte d'affectation spéciale. Comme je m'y étais engagé, nous avons stoppé l'hémorragie de nos biens immobiliers à l'étranger, dont je considère qu'ils constituent des outils de travail majeurs, jouant un rôle indéniable en termes d'influence et d'attractivité. Le plan de sécurisation de nos ambassades et de nos lycées sera poursuivi en 2020. Pour mémoire, 100 millions d'euros ont été rendus disponible à cette fin en 2019 et 2020 sur des crédits non budgétaire du compte d'affectation spéciale 723 de la direction de l'immobilier de l'État. Nous avons dégagé des moyens pour achever la sécurisation de nos implantations à l'étranger qui devrait être achevée en 2020, 2021 au plus tard.
En 2020, nous prévoyons de vendre pour 30 millions de biens immobiliers à l'étranger, ce qui devrait nous permettre de poursuivre les investissements nécessaires par le biais de ce compte d'affectation spéciale. Cela dit, nous devons réfléchir au financement de notre politique immobilière après 2021 : nous ne pouvons pas vendre indéfiniment nos emprises majeures à l'étranger. La sécurisation sera financée, mais il faudra bien entretenir ce patrimoine à l'étranger, sans plus vendre. Si le Sénat a des suggestions.
C'est un sujet que j'ai trouvé en arrivant. La méthode consistant à vendre les bijoux de famille n'est plus acceptable, et je me suis opposé à certaines ventes. Il faudra trouver d'autres solutions.
Les crédits de la diplomatie culturelle et d'influence sont en hausse de 3 %. J'ai fait stopper leur baisse continue et je les ai fait remonter depuis ma prise de fonction. En effet, dans un contexte de concurrence exacerbée au plan international, la diplomatie culturelle devient une diplomatie stratégique. Nous voulons donc continuer l'enseignement et la diffusion de notre langue et de notre vision de la culture, et défendre nos industries culturelles et créatives. Je sais l'attention que vous portez chaque année aux moyens alloués à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE). Ils ont augmenté de 24,6 millions d'euros, et notre subvention à l'opérateur atteindra 408 millions d'euros. J'avais dû subir 33 millions d'euros de réduction en 2017 : nous revenons à une meilleure situation. J'ai présenté avec Jean-Michel Blanquer un plan de développement de l'enseignement français à l'étranger, qui a pour objectif d'accueillir davantage d'élèves en élargissant le cercle des partenaires, et d'alléger les procédures d'homologation, même si elles resteront exigeantes. Nous disposerons de 1 000 titulaires supplémentaires, qui vont être rapidement détachés, et pourrons mobiliser des ressources locales. Le Président de la République souhaite que nous doublions le nombre d'élèves dans ces établissements d'ici à 2030. C'est un enjeu considérable.
Le montant des bourses au bénéfice des étudiants étrangers sera maintenu au même niveau que l'an passé, et nous consacrerons les deux tiers des crédits du programme 105 aux contributions européennes et internationales. La réduction du coût des opérations de maintien de la paix, avec la fermeture de celles déployées à Haïti et dans le Darfour, compensera la hausse de nos contributions aux organisations internationales, européennes - comme le Conseil de l'Europe - ou d'influence - comme le soutien de nos compatriotes et des jeunes experts associés dans les organisations internationales.
Nos Français résidents ou de passage à l'étranger constituent aussi un vecteur d'influence et d'attractivité considérable. Nous poursuivrons la modernisation de notre action consulaire pour leur assurer un meilleur service public, grâce à une dématérialisation accrue de leurs démarches administratives. Nous avons quatre projets emblématiques : le vote par Internet, France visas, qui sera pleinement opérationnel fin 2021, le registre d'état civil électronique, qui sera opérationnel fin 2022, et le centre de réponse téléphonique et courriel unique. La numérisation des actes d'état civil dégagera des économies et permettra un meilleur service, en évitant aux Français d'avoir à effectuer parfois plusieurs centaines de kilomètres pour venir chercher tel ou tel acte d'état civil.
Je vous confirme que l'enveloppe des bourses scolaires sera préservée à hauteur de 105 millions d'euros. En cas de besoin, la soulte accumulée par l'AEFE grâce à la sous-consommation de ses lignes les années passées permettra de couvrir les besoins. J'avais évoqué cette question que je sais sensible l'année dernière et je reste attentif à ce sujet.
Je rappelle enfin que les agents de mon ministère rapportent au budget de l'État des recettes grâce aux droits de visa. Celles-ci s'élevaient à 139 millions d'euros l'an passé, dont 3 % sont utilisés pour financer le recrutement des vacataires dans les services de visas et la promotion des destinations françaises à l'étranger via Atout France.
La seconde mission budgétaire de mon ministère a trait à notre aide publique au développement (APD). L'APD correspond à l'agrégation de dépenses très diverses, dont le recensement obéit à des standards précis de l'OCDE. Parmi ces dépenses figurent celles relatives aux réfugiés, à la recherche dans le domaine du développement, d'autres programmes budgétaires ministériels, des flux financiers, les prêts de la France, des dépenses relevant d'autres entités publiques que l'État - par exemple la part française du financement transitant par l'Union européenne, par la coopération décentralisée, par les agences de l'eau... Les programmes 110 et 209 représentent environ un tiers des crédits du total de l'APD.
Le programme 110 « Aide économique et financière au développement » est géré par le ministère de l'économie et des finances. Ses autorisations d'engagement (AE) s'élèvent à 4,48 milliards d'euros, et ses crédits de paiements (CP) à 1,14 milliard d'euros. Le programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement » est sous ma responsabilité. Hors dépenses de personnel, il représente 2,68 milliards d'euros d'AE et 1,98 milliard d'euros de CP, soit plus de 50 % de notre budget. Les CP sont en hausse de 128 millions d'euros par rapport à 2019, soit 7 %. Cette progression nous permettra de poursuivre une trajectoire ascendante de l'APD, avec pour objectif d'y consacrer 0,55 % de notre richesse nationale en 2022, conformément à l'engagement du Président de la République rappelé encore fin août lors de la conférence des ambassadeurs. Nous avons déjà redressé notre trajectoire, qui avait atteint son niveau le plus bas en 2016, avec 8,6 milliards d'euros. En 2018, nous avons réalisé 10,3 milliards d'euros, soit 0,43 % de notre PIB.
Les priorités de 2020 seront fixées par le comité interministériel de la coopération internationale du développement. Y figureront en bonne place le climat, la santé, l'éducation, la prévention des crises et l'égalité entre les femmes et les hommes. Nous conservons les mêmes choix géographiques, l'Afrique, notamment, qui compte que dix-neuf pays prioritaires, mais aussi les pays en crise. Comme je m'y étais engagé l'année dernière, nous procéderons en 2020 à un rééquilibrage des grands thèmes, des acteurs, des bénéficiaires et des instruments de notre APD pour rendre notre action de solidarité plus cohérente avec nos priorités politiques : d'une part, à travers un effort conséquent en faveur des organisations internationales et des ONG ; d'autre part, grâce au recours privilégié aux instruments directement disponibles pour le réseau diplomatique, avec une augmentation de l'aide humanitaire et des Fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI), qui sont à la main des ambassadeurs.
L'action que nous menons grâce au programme 209 repose sur une logique triple. Notre action bilatérale nous permet de projeter dans le monde nos priorités géographiques et sectorielles et de peser sur les décisions de nos partenaires. Pour rétablir les leviers d'action directe de la France sur nos priorités géographiques et sectorielles, nous poursuivons cette année la dynamique que j'avais déjà exposée l'année dernière qui consiste à renforcer la composante bilatérale de notre APD d'ici 2022. Nous maintenons l'objectif d'allouer les deux tiers de la hausse des AE de la mission APD à des objets bilatéraux, et un tiers à la coopération multilatérale. En effet, j'ai constaté en arrivant que l'essentiel allait au système multilatéral et que nous n'avions plus la maîtrise de notre propre action ! J'ai donc inversé cette logique.
Nous augmentons les moyens consacrés aux projets directement initiés par les ambassades, qu'on appelle les FSPI, qui vont atteindre 60 millions d'euros, soit 36 millions de plus qu'en 2019. Cela permet aux ambassadeurs d'engager tout de suite des fonds, qui sont ensuite relayés par l'AFD.
Par exemple, à Madagascar, nous contribuons au renforcement de la formation professionnelle par la professionnalisation de l'offre de formation immédiate - qui bénéficie du FSPI - et par la création d'une école d'ingénieurs utilisant l'alternance - financée par l'AFD - ce qui crée un cheminement beaucoup plus efficace et rapide. Vous savez en effet que la mise en oeuvre des moyens de l'AFD prend du temps, qui correspond au délai d'ouverture des autorisations d'engagement, soit deux à trois ans parfois. L'articulation FSPI-AFD permet de gagner en réactivité.
Deuxième inflexion importante à notre aide bilatérale : l'aide humanitaire va bénéficier d'un effort budgétaire de 100 millions d'euros supplémentaires, comme l'a souhaité le Président de la République, et transitera par divers canaux, qui ne sont pas uniquement bilatéraux, comme le fonds d'urgence humanitaire, qui dépend du centre de crise, ou les contributions au volant multilatéral de l'aide alimentaire européenne. Ses crédits sont en hausse de 100 millions d'euros, et atteignent ainsi 155 millions d'euros.
Enfin, la priorité à l'aide bilatérale se traduit par une nouvelle augmentation, mais à un rythme moins soutenu, des moyens alloués à l'AFD au titre de l'aide-projet, qui reste notre ligne centrale d'aide bilatérale. Ceux-ci atteignent un milliard d'AE, soit un doublement par rapport à 2018, mais un niveau plus faible qu'en 2019. Je vous rappelle que la progression à surveiller est celle des CP. Ils atteindront 475 millions d'euros en 2020, auxquels s'ajouteront les 186 millions d'euros de crédits extrabudgétaires imputé sur le fond de solidarité pour le développement, soit une hausse de 148 millions d'euros.
Je me suis engagé à ce que les subventions aux ONG augmentent. Elles dépasseront pour la première fois les 100 millions d'euros. Enfin, les crédits relatifs à la coopération décentralisée augmenteront de 24 %, conformément aux engagements que j'avais pris devant les élus : j'avais proposé un doublement d'ici à 2022, je suis cette trajectoire. Les collectivités territoriales sont particulièrement engagées dans le Sahel.
Le rapprochement entre l'Agence française de développement (AFD) et Expertise France sera inscrit dans le projet de loi de programmation sur le développement, qui en précisera les modalités. Je souhaite rendre le pilotage de l'AFD plus efficace, comme vous l'aviez réclamé avec force l'an dernier. C'est pour moi une priorité. Nos actions doivent servir nos priorités géographiques ou thématiques. Cela passe par une chaîne de pilotage renouvelée, depuis Paris jusqu'au terrain où la France met en oeuvre sa politique. Les ambassadeurs auront pleine responsabilité pour piloter l'équipe France : l'articulation doit se faire autour d'eux. Il n'y a pas les ambassadeurs d'une part et l'AFD d'autre part. Il y a « les ambassadeurs dont l'AFD ». Je vais mettre en place un comité de pilotage qui fera régulièrement le point sur notre politique de développement et l'activité de l'AFD.
Par ailleurs, je vais mettre en place sous mon autorité un comité de pilotage qui fera régulièrement le point sur notre politique de développement et l'activité de l'AFD. C'est une mesure importante qui vient, en partie, de vos propres recommandations. En matière de développement, il y a aussi la logique multilatérale. Nous sommes mobilisés pour renforcer le multilatéralisme : c'est l'un de mes thèmes politiques de référence. En 2020, notre soutien aux organisations internationales atteindra 292 millions d'euros en CP, soit 97 millions de plus que l'an passé. Il en va de la crédibilité internationale de la France. Ces crédits vont en soutien aux agences des Nations-Unies, en particulier celles qui sont engagées dans l'action humanitaire. Nous renforçons le financement du Haut-commissariat aux réfugiés et de l'Organisation internationale pour les migrations. Nous poursuivons nos efforts en faveur de l'éducation en accroissant notre contribution à l'Unesco, et nous augmentons notre appui à la nouvelle académie de l'Organisation mondiale de la santé lancée à Lyon lors de la mobilisation pour le Fonds mondial contre le Sida, avec l'ambition d'accueillir les professionnels mondiaux de la santé sur notre territoire à Lyon. Cette rencontre à Lyon a été très stimulante. Nous devons retrouver une diplomatie du développement de la santé. La France avait dans le passé une expertise reconnue dans ce domaine. Elle avait déclinée mais nous sommes en passe de retrouver cette influence grâce au Fonds mondial. Ce sera pour moi un thème majeur dans les mois à venir.
L'enveloppe consacrée aux autres contributions volontaires hors Nations Unies concerne les engagements dans différents forums : Partenariat mondial pour l'éducation, conférence de Pékin+25, et d'autres engagements, dont la francophonie, avec une contribution qui demeure à un niveau élevé de près de 48 millions d'euros. Plusieurs de nos contributions multilatérales dans le domaine de la santé, de l'éducation et du climat resteront, comme les années précédentes, financées partiellement ou totalement par le Fonds de solidarité pour le développement, qui est alimenté par deux taxes affectées : la taxe sur les transactions financières et la taxe sur la solidarité des billets d'avion. Ce sera en particulier le cas du Fonds vert pour le climat, dont la prochaine conférence de reconstitution se tient à Paris à la fin de cette semaine. Le Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme est accru. Le Président de la République avait souhaité que soit atteint le chiffre de 14 milliards d'euros. C'est chose faite, après un combat auquel notre diplomatie a largement participé - la France augmentera sa part de 20 %. Nous participons aussi au Fonds européen de développement pour 842 millions d'euros. C'est un montant important, qui fait de nous le deuxième contributeur, ce qui nous permet de vérifier que nos priorités - l'Afrique, les pays les moins avancés ou la lutte contre le changement climatique - soient bien prises en compte dans le futur cadre financier pluriannuel.
Merci de cette présentation. Les chiffres sont assez encourageants, notamment pour l'APD.
Nous nous reverrons avant le débat budgétaire. J'ai essayé de mettre en lumière les points les plus significatifs, notamment ceux sur lesquels votre commission m'avait interpellé l'année dernière.
On voit que certains sujets avancent, notamment sur l'aide au développement. Quand la loi cadre nous sera-t-elle présentée ?
Elle devrait passer prochainement au conseil des ministres et arriver au Parlement au début de l'année prochaine.
La réunion est close à 18 h 45.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.