Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’examen des crédits de la mission « Outre-mer » du projet de loi de finances pour 2020 est l’occasion pour nous, élus ultramarins, d’insister sur les actions prioritaires à retenir pour nos territoires, et ce afin de réduire le retard persistant avec l’hexagone.
Mon intervention portera principalement sur le programme 123, « Conditions de vie outre-mer », et plus particulièrement le logement.
En préambule, madame la ministre, je tiens à saluer le travail que vous avez accompli sur cette thématique, qui a permis d’aboutir, au mois de juillet dernier, aux conclusions de la Conférence logement outre-mer. Les travaux menés lors de cette conférence ont défini quatre grands axes : mieux connaître les besoins et mieux planifier pour mieux construire ; adapter l’offre aux besoins des territoires ; maîtriser les coûts de construction ou de réhabilitation ; faciliter la mobilisation du foncier et les opérations d’aménagement.
Madame la ministre, comme vous le savez, mais nous aimons à le rappeler, les outre-mer, ce sont 2, 7 millions d’habitants, soit 4 % de la population française, une forte pression démographique, un foncier de plus en plus rare, un taux de chômage deux à quatre fois plus élevé, selon les territoires, que dans l’hexagone – les cinq DOM font partie des dix régions européennes les plus touchées par ce fléau – et de bas revenus. La conférence l’a confirmé : l’outre-mer, c’est surtout un besoin de 90 000 logements, ce sont 110 000 logements insalubres, soit 2 % du parc, un parc social vieillissant et 80 % des ménages éligibles au logement social.
Madame la ministre, je forme le vœu que les mesures énumérées dans ce rapport soient rapidement mises en place, car les besoins sont criants. Je salue particulièrement deux d’entre elles, issues de cette consultation et traduites dans la mission « Outre-mer » que nous examinons aujourd’hui : d’une part, la stabilisation de la ligne budgétaire unique (LBU) au-dessus de 200 millions d’euros de 2020 à 2022, d’autre part, la mise en place d’une aide à l’accession sociale et à la sortie de l’insalubrité spécifique à l’outre-mer. À cet égard, la suppression de l’APL accession il y a deux ans fut une erreur que je me réjouis de voir corrigée.
J’en arrive à l’examen des crédits de la mission pour 2020. Ils s’établissent à 2, 6 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et à 2, 4 milliards d’euros en crédits de paiement (CP), soit, à périmètre constant, une baisse de 3, 9 % en CP et de 1, 3 % en AE par rapport à 2019.
Les rapporteurs spéciaux de la mission l’ont parfaitement décrit : « Les outre-mer connaissent une situation économique et sociale très défavorable par rapport à la métropole. Le rattrapage de cet écart persistant constitue le défi majeur de la mission “Outre-mer” du budget général de l’État. »
À l’examen du budget, force est de constater, madame la ministre, que certains chiffres ne sont pas bons. Les crédits destinés à l’action n° 01, Logement, du programme 123, « Conditions de vie outre-mer », qui s’élèvent à 809 millions d’euros en AE et 659 millions d’euros en CP, sont en diminution de 13 % en CP et atteignent leur niveau le plus bas depuis les dix dernières années. La ligne budgétaire unique est, quant à elle, en baisse de 30 millions d’euros. Le démarrage du plan logement outre-mer 2019-2022 est bien trop timide et l’objectif de construire ou de réhabiliter 10 000 logements par an risque d’être très difficile à atteindre.
Si une partie de la baisse des CP peut s’expliquer par une diminution de l’évaluation de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), à hauteur de 34 millions d’euros, il n’en demeure pas moins que tout le secteur du bâtiment se voit privé d’environ 66 millions d’euros qui manqueront aux entreprises et, naturellement, aux familles. Permettez-moi de vous rappeler, madame la ministre, que certaines d’entre elles attendent depuis trois ans et que de nombreuses sociétés de construction ont mis la clé sous la porte, alors même que nous bénéficiions d’un programme logement outre-mer (PLOM).
Madame la ministre, il faut éviter que cette situation ne se reproduise, car, si l’erreur est humaine, perseverare diabolicum. §Aussi permettez-moi de vous poser deux questions. Cette budgétisation à la baisse ne risque-t-elle pas de porter préjudice aux territoires qui ont vu de très nombreuses entreprises du bâtiment faire faillite ? La suppression de l’APL accession, que nous déplorions au mois de décembre 2017, n’explique-t-elle pas en partie cette sous-consommation des crédits ?
Nous connaissons tous le parcours incertain d’une demande de financement pour des logements sociaux. De la prise en considération dans les programmes à l’ordre de service autorisant les travaux, les embuches et les renoncements peuvent être nombreux et les délais inacceptables. Cela s’explique par le fait que chaque dossier est traité en « tuyau d’orgue » sans qu’un comité de pilotage, rassemblant l’État, les maîtres d’ouvrage et les collectivités, valide globalement l’avancée du stock en gestation et reprogramme d’autres opérations pour remplacer celles qui ne peuvent aboutir. La rigidité des règles de procédure n’aide pas. Il faut la simplifier et mettre de l’huile dans les rouages.
Madame la ministre, il y a urgence. Je suis d’accord avec vous pour mettre fin à cette sous-consommation des crédits, dans l’intérêt de nos concitoyens. La création d’un groupe de travail sur ce sujet va dans le bon sens. Les freins doivent être levés dans les meilleurs délais. Notre devoir est de relancer la machine et de redonner confiance aux familles, aux entreprises, aux investisseurs. L’avenir des outre-mer est en jeu.
Au cours des débats, je défendrai plusieurs amendements. Reprenant l’une des conclusions de la Conférence logement outre-mer, ils visent, d’une part, à développer l’offre locative sociale et intermédiaire, en portant à 25 % les logements locatifs sociaux livrés sur la base de la moyenne des trois dernières années, d’autre part, à consolider et rendre pérenne la nouvelle aide à l’accession logement en outre-mer en intégrant dans le code de la construction et de l’habitation les dispositions de l’article 72 du projet de loi de finances pour 2020.
Madame la ministre, dans une interview accordée à un site d’information, vous avez déclaré : « Ces chiffres n’ont de sens que si nous répondons aux problématiques du quotidien des Ultramarins. Mon passé d’ancienne adjointe aux affaires sociales et de vice-présidente d’une caisse centrale d’activités sociales (CCAS) m’incite à vous parler d’une problématique concrète : celle des blocs sanitaires. Nous en avons déjà parlé. La population ultramarine, celle de La Réunion en particulier, vieillit très rapidement. À Saint-Pierre de La Réunion, la CCAS a dû construire au cours des six dernières années près de 500 blocs sanitaires au domicile de personnes âgées ou handicapées pour un coût total de 3 millions d’euros, main d’œuvre comprise. Malgré cela, la demande reste forte, et cela n’est pas propre à la capitale du sud.
Madame la ministre, les CCAS et le département sont à votre disposition pour étudier les possibilités de financement de ces travaux d’adaptation au vieillissement de notre population.