Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà déjà trois années que j’interviens à la tribune sur le budget de la mission de ladite « Outre-mer ».
J’aurais pu, comme les deux années précédentes, décortiquer ligne après ligne, remarquer, que dis-je souligner, que dis-je dénoncer des lignes budgétaires en baisse sur des sujets regroupés au sein du programme au nom hautement éloquent et évocateur « Conditions de vie outre-mer ». La logique, avouez-le, voudrait que l’on baisse un budget quand les choses vont mieux. J’aurais pu, comme les deux années précédentes, noter que, même sur le programme « Emploi outre-mer », la baisse est au rendez-vous, tant en autorisations d’engagement qu’en crédits de paiement.
Un programme finance également, entre autres, l’épineux problème du logement, singularité propre – n’est-ce pas, madame la présidente de la commission des affaires économiques ? – à ces pays, singularité pour laquelle il convient tous les jours d’inventer de nouvelles solutions. À ce sujet d’ailleurs, l’an dernier, un très vertueux dispositif de défiscalisation – le gros mot que l’on n’aime pas ! –, dit 199 undecies, a été brutalement arrêté, laissant en panne sèche sur le bord de la route plus de 150 familles en Martinique, alors qu’il avait pu en financer 750 en cinq ans.
J’aurais pu évoquer cette fameuse mesure du fonds exceptionnel d’investissement (FEI), à la philosophie inacceptable, qui exige des populations de payer elles-mêmes leur propre sous-développement en lieu et place d’une obligation légitime de solidarité de la République !
J’aurais pu également évoquer le démontage, pièce par pièce, de tout le système de rééquilibrage équitable qui s’appelait TVA non perçue récupérable (TVA NPR) ou crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). L’an dernier, ces mesures hallucinantes ont démontré, s’il en était encore besoin, le prisme, le regard tronqué, l’angle mort avec lequel on nous regarde, cet angle mort de la République envers ces pays dits « de l’outre-mer ».
J’aurais pu poursuivre sur la baisse manifeste de la LBU, qui acte en budget la politique du logement outre-mer. Oui, les crédits de paiement ont enregistré une baisse. S’est-on posé la question du pourquoi et du comment ? S’est-on posé la question de la souffrance des opérateurs sociaux agréés, qui croulent sous les difficultés, certains ayant même préféré mettre la clé sous le paillasson ?
J’aurais pu aussi vous dire que nous sommes loin du compte en matière d’exonération de charges sociales, très loin de l’écart creusé, et non rattrapé, par la suppression des mesures énoncées plus haut.
Finalement, tout cela est vain. Tout cela et tous les discours n’auraient servi à rien. Un philosophe disait avec justesse que la qualité de la relation que vous entretenez avec un peuple dépend du regard que vous portez sur lui. Eh oui, hélas, c’est de cela qu’il s’agit !
Quand les différents gouvernements, tous, ceux qui vous ont précédé, le vôtre, mais également ceux qui suivront, considèreront-ils, enfin, que ces territoires ne sont pas simplement destinés à assurer gloire, puissance et splendeur maritime à la France, héritage d’un certain passé ?
Quand les différents gouvernements comprendront-ils, enfin, que nous sommes aussi des peuples, assoiffés de jours meilleurs, en quête permanente de conditions d’épanouissement qui riment avec « lutte acharnée contre les dépendances », tendant vers l’autosuffisance aussi bien énergétique qu’alimentaire ?
Mais tout cela, avec quels outils ? Avec quel regard ? Avec quelle détermination ? Avec quelle ambition ? Rien ! Alors, me voilà pour la troisième fois devant vous, avec l’impression d’être complètement « à côté de la plaque », d’être égarée sur une piste sans issue, dans un labyrinthe inextricable d’impuissance renouvelée et de perception voilée.
J’y mettrai un bémol tout de même. Il sera pour vous, très personnellement, madame la ministre. Comme mon collègue Lurel, je salue votre courage. La situation aurait pu être pire si vous n’étiez pas là et si vous ne montriez pas, tous les jours, cette détermination. Peut-être aussi nous direz-vous où sont passés les montants des ventes des sociétés immobilières d’outre-mer (Sidom), qui devaient venir également alimenter les budgets logement.
Philosophiquement, le refus de l’héritage dans le langage notarié s’appelle « abstention » dans le nôtre. C’est pour signifier mon refus au fond de cet héritage de longues années de décennies tronquées, héritage fait d’iniquité et d’injustices, héritage de trop d’années d’indifférence, héritage de trop d’années de sous-estimation, héritage de trop d’années de mauvais calibrage, héritage de trop d’années à ne voir en nous que splendeur de l’empire, héritage de variables d’ajustements permanentes et quotidiennes.
Pour toutes ces raisons, comme un enfant convoqué chez le notaire, je vais refuser l’héritage. Pour le dire autrement et rester dans le lexique parlementaire, je m’abstiendrai sur la mission « Outre-mer » !