Intervention de Sonia de La Provôté

Réunion du 5 décembre 2019 à 14h30
Loi de finances pour 2020 — Culture

Photo de Sonia de La ProvôtéSonia de La Provôté :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme la rapporteure pour avis Sylvie Robert et Alain Schmitz l’ont justement exprimé, le budget pour 2020 de la culture et du patrimoine est un budget de transition et de paradoxes, allant de points positifs en points de vigilance.

Tout d’abord, reposons ce postulat : une politique culturelle nationale ne saurait se faire au détriment des politiques locales et, inversement, les politiques locales ne sauraient exister sans une politique nationale portant une véritable vision.

Même constat à propos de la politique patrimoniale. Tout patrimoine, classé, inscrit ou non, grand monument historique ou petit patrimoine vernaculaire, participe d’un ensemble cohérent, méritant une égale attention de l’État.

Ainsi, le budget pour 2020 nous conduit à nous interroger sur ce souci de maintenir un équilibre entre territoires et ministère.

Les crédits de la mission « Culture » sont en hausse : c’est un soulagement dans un contexte de resserrement budgétaire. Si, bien évidemment, nous saluons cette évolution globale, certains sujets nous alertent.

À propos du programme 224, « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », une part inédite des crédits est concentrée sur des priorités identifiées par le Gouvernement : le pass culture et les Micro-folies. Ces actions doivent encore faire leurs preuves.

Les premiers résultats de l’expérimentation du pass culture n’en font pas l’outil véritable de démocratisation attendu. Une hausse des crédits de 10 millions d’euros est prévue. Mais seuls 19 millions d’euros, sur les 29 millions d’euros budgétés, ont été consommés en 2019. L’augmentation, qui se fait au détriment d’autres projets structurels du ministère, a de quoi interroger.

Quant aux Micro-folies, si là où elles sont installées les bénéfices sont visibles, leur modèle reste aussi fragile, car fonctionnement et médiation sont à la charge des collectivités. Pour une commune rurale, c’est extrêmement lourd…

Hormis ces deux projets, assez budgétivores, les autres lignes budgétaires stagnent ou diminuent, notamment celles qui irriguent les territoires.

La baisse de crédits subie par les écoles d’art territoriales et nationales s’établit respectivement à 14 % et 6 %. La question du statut des enseignants n’est pas réglée ; la fonction de recherche n’est toujours pas une priorité.

Le plan Conservatoires, bien qu’annoncé depuis deux ans, n’a toujours pas abouti.

Quant aux crédits déconcentrés, leur déclinaison locale reste encore l’objet de fortes disparités. Nous attendons les propositions du ministère pour une répartition plus juste et adaptée aux besoins sur le territoire national.

Sans critères véritablement formalisés et sans orientations claires, les collectivités locales, pour le moment, ne voient pas venir cette liberté tant attendue.

Les DRAC ont peu de souplesse. Une fois les obligations budgétaires assumées, difficile de trouver des reliquats de crédits en soutien aux initiatives locales, certes atypiques !

Enfin, l’écrêtement des crédits destinés à l’éducation artistique et culturelle est une mauvaise nouvelle. L’application de l’Objectif 100 % éducation artistique et culturelle, bel objectif, garde des contours flous, tant sur le plan des moyens que sur le plan qualitatif.

Ces actions reposent beaucoup sur la bonne volonté de l’établissement scolaire et des collectivités, qui en sont les grands financeurs.

Monsieur le ministre, nous attendons vraiment le contenu du travail interministériel entre l’éducation nationale et la culture. Cet Objectif 100 % éducation artistique et culturelle, qu’est-il réellement, et quel en est le coût ?

Pour ce qui concerne le programme 131, « Création », nous faisons le même constat d’une répartition inégale des crédits sur le territoire.

Même attendus, les projets du Centre national de la musique – 7, 5 millions d’euros – et de la Cité du théâtre – 7 millions d’euros – pèsent dans le budget.

Pour les crédits territoriaux, si on peut noter l’effort pour les résidences d’artistes, offre par excellence destinée aux innovations et pratiquée notamment dans les communes rurales, a contrario, l’accompagnement du spectacle vivant et des arts visuels est à la peine dans ce budget pour 2020. Pourtant, ces deux domaines sont de grands pourvoyeurs de l’offre et de la dynamique culturelles à l’échelon local.

Les crédits baissent pour le spectacle vivant, alors que les équipes artistiques, ultra présentes et actives quelles que soient les disciplines, devraient faire l’objet d’un soutien plus offensif. De même, les arts visuels restent en retrait des priorités. L’accompagnement des scènes publiques locales, hors label, n’est toujours pas clarifié.

Pour le budget du patrimoine, nous pouvons faire le même constat, celui d’un délicat équilibre entre le national et le local.

Le budget pour 2020 est en légère hausse, c’est une très bonne nouvelle. Mais, dans sa déclinaison territoriale, cette augmentation est inégalement répartie. Vous le savez, une forte injustice est ressentie entre les grands travaux parisiens et la province.

Si l’effort réel consenti en direction du patrimoine monumental est présenté comme le fruit d’économies sur le musée du Louvre, il y a aussi, en réalité, des redéploiements de crédits.

En particulier, notons une diminution de l’ordre de 5 % des subventions d’investissement accordées aux collectivités territoriales et aux propriétaires privés en vue de la restauration de monuments historiques. Ces derniers disposent pourtant du plus grand nombre de monuments en péril. La question de la conservation de ceux-ci est de nouveau posée.

Nous soutiendrons donc l’amendement de la commission des finances sur le sujet.

Le patrimoine vernaculaire, certes moins spectaculaire, se voit attribuer une mince partie du budget. Répétons qu’il fait l’âme des territoires et que les Français y sont attachés, comme l’a montré la mission Bern.

Le patrimoine est un tout. Monument historique ou petit patrimoine, inscrit, classé ou non, l’État doit y veiller et avoir le souci de considérer chaque entité.

À ce titre, la non-compensation des taxes du loto du patrimoine est à mettre au compte des mauvais signaux.

La réforme, à l’article 50 du PLF, de l’avantage fiscal au bénéfice du grand mécénat fragilise cette ressource essentielle aux territoires. Ajoutons cette autre menace fiscale portant sur le dispositif Malraux. Ces messages sont déstabilisants.

L’écosystème du patrimoine est délicat, avec une répartition, toujours sur une logique de crête, des financements entre le privé et le public. Il est fragilisé actuellement avec ces contradictions permanentes.

Preuve en est, quand l’État, particulièrement le ministère de la culture, affirme son rôle de pilote des politiques patrimoniales, aux côtés des collectivités, cela marche ! Ainsi, le fonds incitatif et partenarial pour la restauration des monuments historiques des petites communes à faibles ressources connaît un véritable succès. Son augmentation est positive, mais c’est encore insuffisant !

Enfin, hors la question des moyens, celles des besoins organisationnels, techniques et en termes d’expertise se posent.

C’est pourquoi les DRAC doivent rester disponibles, auprès des territoires, pour le patrimoine. Reposons la question de la compétence de l’État en matière d’assistance à maîtrise d’ouvrage. Elle fait cruellement défaut !

Monsieur le ministre, je terminerai en insistant sur le rôle majeur joué pas les collectivités territoriales, qui, en France, restent les premiers financeurs de la culture et, pour une grande partie, du patrimoine.

La perte de plus en plus grande de l’autonomie financière des collectivités a une forte incidence.

Les acteurs du secteur sont inquiets, car, au fil des années, les budgets tendent vers d’impossibles équations et les dépenses culturelles et patrimoniales se réduisent déjà dans certaines collectivités.

Patrimoine ou culture, on le voit bien, la France a besoin d’une politique territoriale et d’une politique nationale qui s’unissent et se complètent. Décentraliser et déconcentrer plus, cela signifie, aussi, assurer la cohérence nationale.

L’État doit éviter les actions trop visibles ou communicantes et se consacrer surtout au travail laborieux et minutieux sur le terrain, aux côtés des collectivités, pour décliner avec justesse et justice l’accès à la culture, consacrant les droits culturels, d’une part, et la valorisation du patrimoine, de l’autre.

Monsieur le ministre, malgré ce souci de voir clarifié et conforté un pacte entre État et collectivités, pour lequel vous pourrez compter sur nous, nous soulignons l’effort global sur les masses budgétaires et voterons donc en faveur des crédits portant sur la culture et sur le patrimoine.

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