La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Philippe Dallier.
La séance est reprise.
Nous poursuivons, au sein de la seconde partie, l’examen des crédits de la mission « Outre-mer ».
Nous en sommes parvenus aux explications de vote sur les douze amendements faisant l’objet d’une discussion commune dont nous avons commencé l’examen avant la suspension.
La parole est à Mme Victoire Jasmin, pour explication de vote.
Madame la ministre, compte tenu de ce que j’ai entendu, tant de votre part que de celle du rapporteur, finalement, je me demande s’il est bien nécessaire d’avoir un ministère des outre-mer. Vous faites des propositions, que nous nous efforçons d’améliorer pour tenir compte de la réalité de nos territoires, mais nous ne recevons aucun avis favorable. Dans ces conditions, est-ce qu’il est bien utile de passer plus d’une matinée à traiter de la situation des outre-mer ?
Je veux répondre à Mme la ministre sur les crédits consacrés au logement.
Certes, il faudra bien faire un choix sur les douze amendements en discussion, mais, à mon sens, il est évident qu’il nous faut augmenter la ligne budgétaire unique.
En 2014, nous avions 272 millions d’euros en autorisations d’engagement et 245 millions d’euros en crédits de paiement ; en 2015, ces chiffres étaient respectivement de 247 millions et 244 millions ; en 2016, ils s’établissaient à 247 millions et 235 millions. Aujourd’hui, nous nous apprêtons à inscrire 215 millions d’euros en autorisations d’engagement et 190 millions en crédits de paiement, au motif d’un problème de consommation. J’ai toujours beaucoup de mal avec cet argument.
En plus, sur ces 215 millions d’euros en autorisations, 7 millions d’euros concernent l’ingénierie. C’est autant de moins pour la construction, la réhabilitation, les démolitions, le désamiantage dans nos territoires. Or il y a là un effort particulier à faire.
Pour le moment, la vente des Sidom ne figure pas dans le PLF, et Mme la ministre a été franche sur ce point. En 2018, elle affirmait pourtant que tout serait fait avant le mois de juin de cette même année. Les Sidom ont été valorisées à 190 millions d’euros ; la Société nationale immobilière (SNI) entre au capital à hauteur de 34 % ; 64 millions d’euros seront payés en deux temps, environ d’abord 40 millions d’euros, puis 20 millions d’euros.
Enfin, l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat (ANAH), et son programme Habiter mieux, ne fait rien dans les outre-mer, malgré les promesses de sa directrice.
Manifestement, je le répète, il y aurait des choses à faire au niveau de la LBU.
Enfin, le rapporteur spécial a bien voulu émettre un avis favorable sur les amendements n° II-894 rectifié ter et 891 rectifié ter, de Mme Jasmin, ainsi que sur l’amendement n° II-786 de M. Antiste. Je demande à mes collègues de suivre cet avis. Ensuite, nous procéderons aux redéploiements internes pour trouver un meilleur équilibre.
Dès ma première discussion budgétaire après mon arrivée au Sénat – il s’agissait du budget pour 2018 –, j’avais déclaré que je ne comprenais pas bien l’architecture budgétaire pour les outre-mer.
Au sein de la mission, il y a deux programmes, et toute volonté de les modifier revient à déshabiller Paul pour habiller Pierre et inversement. Nous sommes en effet dans un périmètre contraint. Or nous luttons pour améliorer en même temps les conditions de vie des populations et l’emploi, ce qui est incompatible avec cette architecture.
Les territoires d’outre-mer émargent à d’autres missions du budget général. Aussi, j’aimerais travailler en amont de la discussion budgétaire sur ces lignes de crédits afin qu’elles prennent en considération nos préoccupations. Ce serait un véritable budget participatif. Nos priorités ne sont pas forcément prises en compte dans le cadre des deux programmes de la mission « Outre-mer », mais l’emploi et les conditions de vie restent nos préoccupations essentielles.
Nous devons entrer dans une autre ère et décloisonner le budget des outre-mer. Il faut pouvoir élargir la discussion sur les outre-mer aux autres missions du budget global, car nous nous retrouvons avec des mesures qui ne sont pas forcément adaptées à nos territoires. En tant que ministre des outre-mer, vous êtes au plus près de notre réalité, madame la ministre, mais les autres ministères abordent l’outre-mer d’une façon trop administrative, éloignée du terrain. Il faut faire différemment.
Si l’on augmente une action de 10 millions d’euros, on doit enlever cette somme ailleurs pour rester dans le même périmètre. Dans les entreprises, où j’ai eu l’occasion de faire des budgets, on parlerait de version 1, version 2, etc. Cette architecture limite trop nos marges de manœuvre.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L’amendement n° II-796 rectifié, présenté par M. Lurel, Mme Conconne, M. Antiste, Mmes Jasmin et Artigalas, MM. M. Bourquin, Courteau, Daunis et Duran, Mme Guillemot, MM. Tissot, Montaugé, Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
En euros
Programmes
Autorisations d’engagement
Crédits de paiement
Emploi outre-mer
dont titre 2
Conditions de vie outre-mer
TOTAL
Il s’agit de conforter l’action n° 04 du programme 123, qui concerne, d’une part, le domaine sanitaire et social et, d’autre part, les politiques en matière culturelle, sportive et en faveur de la jeunesse. Cette action a perdu plus de 73 % en crédits de paiement et 71 % en autorisations d’engagement, soit à peu près 15, 5 millions d’euros.
Mme la ministre s’en est expliqué, et cette diminution paraît légitime. Elle résulte du transfert de l’allocation spéciale vieillesse à Saint-Pierre-et-Miquelon au Fonds de solidarité vieillesse, d’une mise en attente de l’avenir de la participation de l’État au financement du régime de solidarité de Polynésie française, pour 12 millions d’euros, et de la fin du financement du projet de restructuration du service oncologie de Papeete.
Si je comprends cette baisse, je ne m’explique pas pourquoi ces sommes ne sont pas conservées dans le budget de la mission pour financer d’autres actions sanitaires et sociales. Avec cet amendement, nous souhaitons rétablir ces crédits.
Avis défavorable, car il s’agit de prélèvements sur une action importante.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° II-586 rectifié bis est présenté par MM. Poadja et Laurey, Mme Tetuanui, MM. Delcros, Détraigne et Henno, Mme Joissains, MM. Lagourgue, Le Nay, Longeot et Louault et Mme Doineau.
L’amendement n° II-789 rectifié est présenté par M. Antiste, Mmes Conconne et Jasmin, M. Lurel, Mme Artigalas, MM. M. Bourquin, Courteau, Daunis et Duran, Mme Guillemot, MM. Tissot, Montaugé, Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
En euros
Programmes
Autorisations d’engagement
Crédits de paiement
Emploi outre-mer
dont titre 2
Conditions de vie outre-mer
TOTAL
SOLDE
La parole est M. Gérard Poadja, pour présenter l’amendement n° II-586 rectifié bis.
Le Fonds de secours pour l’outre-mer est utile à nos territoires en cas de catastrophe naturelle, mais, chaque année, il est insuffisant et ne reflète pas la réalité des risques. Comme l’avait souligné le rapport de la délégation sénatoriale aux outre-mer sur les risques naturels majeurs, il faut donner à ce fonds des moyens suffisants pour assumer sa mission de soutien d’urgence. Je propose donc de doubler les crédits qui lui sont alloués, afin de faire face aux aléas climatiques, qui sont de plus en plus fréquents.
La parole est à M. Maurice Antiste, pour présenter l’amendement n° II-789 rectifié.
Le Fonds de secours a été fortement réévalué depuis 2015. En effet, la dotation allouée en PLF les années antérieures s’élevait à 1, 6 million d’euros en autorisations d’engagement, contre 10 millions d’euros à compter du budget pour 2015. C’est la même somme qui figure dans le présent PLF.
Bien évidemment, ce niveau n’est pas suffisant en cas d’aléa majeur, mais on peut espérer que la solidarité interministérielle jouera en cas de besoin.
Il ne me paraît, en outre, pas souhaitable de réduire les crédits de la mission destinés à la formation professionnelle, notamment au service militaire adapté (SMA), comme le proposent les auteurs de ces amendements. L’avis de la commission est défavorable.
Connaissant la réalité des risques climatiques, je m’étais posé exactement la même question quand je suis arrivée au ministère, même si, en 2015, la dotation du Fonds est passée de 1, 6 million d’euros à 10 millions d’euros. Surtout après l’ouragan Irma en 2018, je me disais que cette dotation était insuffisante. Toutefois, il faut le savoir, sauf incident extrêmement grave, tel cet ouragan – et, nous le savons tous, nous allons connaître d’autres catastrophes naturelles de ce type –, en année pleine, on n’a jamais consommé plus de 9 millions d’euros. Je suis donc très prudente sur ce sujet.
À mon avis, il faut garder le mécanisme actuel, avec une somme fixe par année, aujourd’hui 10 millions d’euros. L’année de l’ouragan Irma, on a consommé 20 millions d’euros, que l’on a pu récupérer grâce à des ouvertures de crédits pour le ministère des outre-mer et des gels de crédits. Je pense qu’il faut continuer à fonctionner ainsi, sinon, lors des années sans cyclone ou intempérie qui justifierait l’utilisation du fonds – croisons les doigts ! –, celui-ci sera en situation de sous-consommation. Conservons donc le montant proposé dans le PLF, sachant qu’il y a la garantie du Gouvernement, qui pourra ouvrir des crédits si nécessaire.
C’est pourquoi j’émets un avis défavorable.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L’amendement n° II-791 rectifié, présenté par M. Antiste, Mmes Conconne et Jasmin, M. Lurel, Mme Artigalas, MM. M. Bourquin, Courteau, Daunis et Duran, Mme Guillemot, MM. Tissot, Montaugé, Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
I. – Créer le programme :
Fonds de lutte contre les violences conjugales
II. – En conséquence, modifier ainsi les crédits des programmes :
En euros
Programmes
Autorisations d’engagement
Crédits de paiement
Emploi outre-mer
dont titre 2
Conditions de vie outre-mer
Fonds de lutte contre les violences conjugales
TOTAL
SOLDE
La parole est à M. Maurice Antiste.
L’actuel projet de loi de finances fait l’impasse sur un problème majeur pour les outre-mer : les féminicides et les violences faites aux femmes.
À l’instar de l’enquête Violences et rapports de genre, l’enquête Virage, dans l’Hexagone, l’un des objectifs centraux de cette enquête dans les outre-mer est de mesurer les faits de violences verbales, psychologiques, physiques et sexuelles contre les femmes.
Cette étude englobe les violences vécues au sein de la sphère conjugale, familiale, au travail et dans les espaces publics, d’une part, au cours des douze derniers mois en outre-mer, et, d’autre part, au long de la vie. Il en ressort que les violences faites aux femmes sont plus nombreuses que dans l’Hexagone.
Cet amendement vise à créer un fonds spécifique aux territoires ultramarins pour lutter contre ces violences. Il serait doté de 5 millions d’euros et aurait pour vocation d’accompagner les femmes victimes en les aidant dans la poursuite de leurs activités scolaires, professionnelles, en leur assurant un logement et une aide pour leurs démarches administratives.
Le pilotage de ce fonds pourrait être confié aux associations qui collaborent déjà avec les préfectures.
Il est vrai que le problème des violences faites aux femmes se pose avec beaucoup plus d’acuité dans nos outre-mer. Mais, là encore, nous ne pouvons accepter un prélèvement sur l’action Aide à l’insertion et à la qualification professionnelle. L’avis de la commission est défavorable.
La lutte contre les violences sexistes et sexuelles est une grande cause du quinquennat. Le Premier ministre a lancé le Grenelle des violences conjugales le 3 septembre. La semaine dernière a été dévoilé le résultat de ce travail, qui a également été mis en route dans les territoires d’outre-mer.
J’ai insisté pour qu’il y ait deux niveaux de débat : dans les territoires, avec les acteurs locaux, et au plan national, avec un groupe spécifique dédié à l’outre-mer. C’est ce qui a été fait. Marlène Schiappa s’est d’ailleurs rendue à La Réunion, comme moi, pour parler de ce sujet, et a annoncé 1 million d’euros supplémentaires pour les territoires d’outre-mer.
À mon arrivée au ministère, les associations intervenant sur ce thème spécifique étaient financées sur la ligne « Subventions aux associations » de l’action n° 04 à hauteur de 148 000 euros ; j’ai triplé cette somme, puisque, en 2019, nous en sommes à 489 000 euros de soutien.
C’est vrai, les besoins sont importants, les victimes étant beaucoup plus nombreuses dans les territoires d’outre-mer. Aussi, des plans d’action seront mis en place, grâce aux crédits supplémentaires annoncés par Marlène Schiappa et au soutien des associations. Je reste très vigilante, et s’il s’avérait nécessaire d’augmenter le budget des associations, je le ferais directement en interne en redistribuant les crédits en fonction des priorités. Je sais que nous avons les mêmes. L’avis du Gouvernement est défavorable.
L ’ amendement est adopté.
L’amendement n° II-900 rectifié bis, présenté par MM. Laufoaulu, Chasseing, Fouché, Guerriau, Lagourgue, A. Marc, Wattebled et Bignon et Mme Mélot, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
En euros
Programmes
Autorisations d’engagement
Crédits de paiement
Emploi outre-mer
dont titre 2
Conditions de vie outre-mer
TOTAL
SOLDE
La parole est à M. Jean-Louis Lagourgue.
Cet amendement, dont le premier signataire, Robert Laufoaulu, est retenu à Wallis en raison de la session de l’assemblée territoriale, vise à rappeler l’État à ses obligations issues de la loi du 29 juillet 1961, conférant aux îles Wallis et Futuna le statut de territoire d’outre-mer
Des sommes considérables sont allouées dans le programme 123, sous forme de dotations spéciales, pour l’équipement scolaire en Guyane, et pour la construction et l’équipement des établissements scolaires en Guyane et à Mayotte. C’est une excellente chose, car cela répond à de réels besoins.
Cependant, le territoire de Wallis-et-Futuna est une fois encore oublié, alors même que le bâti scolaire est dans un état de délabrement indicible. Voilà quelque temps, un plafond s’est même écroulé dans une classe, mais heureusement en dehors des heures d’enseignement, ce qui a évité de déplorer des morts et des blessés. L’équipement scolaire est également très insuffisant : ainsi, les classes techniques ou professionnelles ne peuvent être assurées correctement, faute de matériel.
C’est d’autant plus inadmissible que l’État a la charge financière de l’éducation, tant dans son fonctionnement que dans l’équipement et le bâti, à Wallis-et-Futuna. Cet amendement vise donc à faire face à l’urgence de rénovation du bâti scolaire et du manque d’équipements dans ce territoire en tendant à prélever 4 millions d’euros en autorisations de programme et 1 million d’euros en crédits de paiement de l’action n° 04 du programme 138 pour augmenter l’action n° 04 du programme 123.
Cet amendement vise à augmenter les crédits finançant le bâti scolaire à Wallis-et-Futuna. Son adoption entraînerait toutefois une baisse de l’action n° 04 du programme 138, créée dans le cadre du PLF pour 2019, et qui soutient des dispositifs grâce aux ressources dégagées par les réformes fiscales. Ces mesures spécifiques de soutien aux entreprises et associations ultramarines ont pour objet d’accompagner le développement économique et l’attractivité des territoires ultramarins. Les dispositifs ainsi financés concernent le prêt de développement outre-mer – élargissement des bénéficiaires et des critères d’attribution –, les subventions d’investissement dans le cadre d’appels à projets outre-mer, et le soutien au microcrédit outre-mer.
Compte tenu de l’importance de ces actions, la commission des finances émet un avis défavorable.
Monsieur le sénateur, personne ne nie l’état de délabrement de certains bâtiments scolaires à Wallis-et-Futuna, et surtout pas moi, qui me suis rendue dans ces établissements lors de ma dernière visite.
Vous avez raison, c’est l’État qui y a la charge de l’éducation en matière de fonctionnement et d’investissement. C’est une particularité statutaire qui est bien prise en compte par l’État. Ainsi, je rappelle que 2, 2 millions d’euros de crédits d’État sont prévus dans le contrat de convergence et de transformation (CCT) 2019-2022, notamment pour des travaux de réhabilitation et de maintenance des établissements, de sécurité électrique, incendie et de repérage de l’amiante. Cette liste non exhaustive vous permet de comprendre qu’il y a nombre d’urgences à traiter.
Sachez aussi qu’au-delà du contrat de convergence et de transformation, deux subventions de 732 000 euros et de 220 000 euros ont été affectées en 2019 pour des travaux d’urgence.
Je dois reconnaître que le lycée nécessite de gros travaux, dont le coût va très certainement s’établir autour de 20 millions d’euros. Une estimation est en cours. Le périmètre « réhabilitation-rénovation » est prévu dans le CCT, ainsi que dans les crédits que je viens d’évoquer. C’est insuffisant, mais l’opération est importante.
Jean-Michel Blanquer et moi-même avons également missionné deux personnes à Wallis-et-Futuna pour évaluer exactement le coût de ce problème structurel sur le long terme, au-delà des urgences, qui, elles, sont prises en charge grâce aux sommes que j’ai détaillées.
Aussi, vous comprenez bien que ce n’est pas le vote de cet amendement qui donnera le souffle nécessaire.
Tous ces amendements expriment un besoin réel de faire comprendre au Gouvernement nos préoccupations légitimes, quel que soit notre territoire. À travers ces questions, nous nous interrogeons en fait sur l’existence même du ministère des outre-mer. Pour ma part, j’y suis attaché, mais, à vous entendre, madame la ministre, on a l’impression qu’un certain nombre de sujets doivent être traités par d’autres ministères, votre enveloppe étant limitée. Aussi, nous apprécierions que d’autres ministres participent à nos débats budgétaires pour qu’ils comprennent notre réalité. En effet, je n’ai pas le sentiment que les informations et les requêtes soient relayées dans ces ministères.
Madame la ministre, interprétez nos demandes comme notre souhait de voir ces informations transmises. Nous savons que votre voix porte, mais nous demandons qu’elle soit encore plus audible par vos collègues pour que nous soyons mieux entendus.
Je comprends votre réticence à voir Pierre déshabillé pour habiller Paul, mais nous n’avons que ce moyen à notre disposition, puisque nous ne pouvons pas sortir de cette enveloppe.
Je soutiens cet amendement. Moi aussi, j’ai eu l’occasion d’aller plusieurs fois à Wallis-et-Futuna. Je recommande à mes collègues de prendre le temps de lire le texte : en 1961, le général de Gaulle s’est engagé pour que le roi de l’époque accepte la protection française.
L’État est responsable et doit payer. L’hôpital a connu des problèmes ; aujourd’hui, ce sont les écoles. On nous dit que des crédits sont prévus dans les ministères de tutelle : ainsi, on nous parle de 27 millions d’euros, prélèvement sur recettes, pour la Guyane, mais, en même temps, on garde dans le budget des outre-mer des crédits pour construire des lycées et des collèges, notamment en Guyane, mais aussi en Nouvelle-Calédonie et à Mayotte. J’ai du mal à comprendre.
Il est vrai de relever que Wallis-et-Futuna a été oublié. Il faut aller sur place pour le constater. Pourtant, on retrouve beaucoup de Wallisiens dans l’armée, sur tous les théâtres d’opérations à l’étranger. Ce sont de vrais patriotes ! Aujourd’hui, on leur dit que ce budget ne peut pas être modifié. C’est un jeu à sommes nulles, comme disent les mathématiciens. Aussi, nous votons ce budget en ayant tout à fait conscience que c’est un exercice virtuel puisque l’on ne peut rien bouger.
Le président Sarkozy avait créé le conseil interministériel de l’outre-mer (CIOM). Le président Hollande, puis le président Macron l’ont maintenu. Cette structure a précisément pour objet de réaliser des arbitrages en amont, avec toutes les missions, tous les ministères. Elle ne sert en fait à rien du tout ! J’invite vraiment mes collègues à voter cet amendement.
On voit là, grandeur nature, les limites de l’exercice, avec cette façon de nous traiter dans un tiré à part. C’est un peu une tradition. C’est la raison pour laquelle j’ai dit que je ne partageais pas cet héritage, cette façon de faire.
On a besoin d’une vraie révolution au fond. Comment peut-on faire pour rééquilibrer les choses, pour rétablir l’équité entre territoires, afin de permettre un meilleur développement endogène, une plus grande autonomie alimentaire et énergétique ?
Mme la ministre se bat énormément – c’est tout à son honneur – pour arracher des crédits çà et là, et surtout pour se faire entendre. Mais dans l’organigramme du Gouvernement, comportant les photos des membres de ce dernier, son portrait est tout en bas, à droite au fond, tout petit. Il a traversé les océans des autres ministères pour se retrouver là !
Tout le monde doit faire un effort. Nous ne devons plus être traités à la manière des anciennes colonies avant 1946, quand on a transformé le ministère des colonies en ministère de l’outre-mer. Il faut passer à autre chose, avec une vraie révolution, une nouvelle philosophie. C’est ce que j’appelle de mes vœux, avant que nous soyons tous épuisés.
Gérard Poadja a défendu avec détermination son amendement. Faites-lui confiance, madame la ministre ; il connaît la réalité ! Or ce sont ses collègues, qui ne vivent pas dans son territoire, qui votent contre ! C’est à la limite du méprisant !
La place de ma photo dans l’organigramme du Gouvernement n’est pas ma première préoccupation. En revanche, faire entendre la voix des outre-mer est important pour moi.
J’ai fait en sorte que, comme le disait M. Magras, chacun ait le « réflexe outre-mer ». Sans doute n’est-ce qu’une partie du chemin, car vous avez raison, monsieur le rapporteur pour avis : il faudrait plutôt parler de « culture outre-mer ».
Cette culture, c’est aussi ce que nous faisons ici, mesdames, messieurs les sénateurs : échanger des informations à l’occasion de l’examen de vos amendements, mener ces échanges au fur et à mesure desquels chacun acquiert une meilleure compréhension de la situation des différents territoires ultramarins.
Pour ma part, je n’oppose jamais les territoires ultramarins aux autres. En effet, vous ne l’ignorez pas, ce n’est pas qu’outre-mer qu’on trouve aujourd’hui des territoires isolés ; il y en a bien d’autres, dans l’ensemble de la France.
C’est sans doute ainsi qu’on doit mener les différents combats, et c’est bien ce que veut le Gouvernement : apporter aux outre-mer une attention particulière et des réponses adaptées. Le Président de la République porte justement cette différenciation, qui est extrêmement importante et que l’on attendait depuis longtemps. Je suis précisément à mon poste pour que cette différenciation fournisse de réelles réponses aux territoires ultramarins.
Vous nous dites qu’il faudrait sans doute changer quelque chose à la manière dont le budget est organisé. Eh bien, avant d’occuper ce poste, j’ai été députée, à partir de 2007, et c’est à ce titre que je veux vous dire que nous aussi, parlementaires de l’outre-mer, pourrions peut-être accepter de venir défendre nos intérêts à l’occasion de l’examen de toutes les missions budgétaires, plutôt que de ne nous donner rendez-vous que pour cette mission-ci. Il conviendrait peut-être également que nous portions un regard différent sur l’ensemble des 22 milliards d’euros qui sont affectés aux outre-mer au sein des différentes missions.
Je peux vous garantir, monsieur Lurel, que tous les ministres sont aujourd’hui engagés aux côtés des territoires ultramarins comme jamais auparavant. Vous savez pertinemment que je combats depuis bien longtemps pour la reconnaissance des outre-mer et les problématiques qui les affectent, y compris, quelquefois, à vos côtés.
Sans doute, il faut que les choses bougent. Cela faisait dix ans que le comité interministériel des outre-mer, le CIOM, ne s’était pas réuni, qu’on n’avait pas mis tous les ministres concernés autour de la table et que le Premier ministre ne leur avait pas demandé où en était chaque dossier. Certes, le Livre bleu est important, mais il importe surtout que ses recommandations soient suivies. Et ce CIOM, nous l’avons réuni !
Certes, on n’avance pas assez vite par rapport aux énormes besoins des territoires d’outre-mer, mais on avance !
J’aurais aimé ne pas avoir à dire ce que je m’apprête à dire, car nos territoires connaissent suffisamment de difficultés pour qu’on n’y ajoute pas des querelles politiciennes.
Pardonnez-moi, mes chers collègues : je veux bien entendre tous les arguments de fond qu’on emploie pour soutenir nos collectivités et, en particulier, Wallis-et-Futuna ; ces arguments sont tous recevables. En revanche, quand j’entends Victorin Lurel, j’ai l’impression qu’il n’a jamais exercé de fonctions ministérielles, en tout cas aucune en rapport avec les outre-mer !
On ne découvre pas ces difficultés aujourd’hui ! Elles remontent à de nombreuses années. Aujourd’hui, au moins, on entreprend des démarches, on prend des initiatives pour s’en occuper : Mme la ministre s’en est expliqué.
On peut être d’accord ou non avec ces initiatives, mais je ne peux tolérer la mauvaise foi qui consiste à prétendre découvrir ces problèmes alors même qu’on était aux responsabilités il n’y a pas si longtemps ; je sature !
M. Sébastien Meurant applaudit.
Je ne peux m’empêcher d’intervenir. Depuis toujours – cela fait douze ans que je participe à ces discussions –, le débat sur les crédits de la mission « Outre-mer » est le moment où nous, sénateurs d’outre-mer, et nos collègues métropolitains, de plus en plus nombreux à s’intéresser à ces questions, avons l’occasion, probablement unique, de dire à notre ministre ce que nous pensons. Nous intervenons assez librement, ce que ne lui permet pas forcément le poste qu’elle occupe.
J’entends bien mes collègues, quand ils affirment que se pose réellement aujourd’hui la question de l’existence du ministère des outre-mer. Nous sommes bien conscients que les crédits destinés aux outre-mer émargent sur une vingtaine de missions, sur soixante-dix programmes, …
… alors que la mission « Outre-mer » n’a que deux programmes aux crédits fluctuants. Tous ceux qui ont occupé ce poste avant Mme la ministre savent bien qu’on fait dire ce qu’on veut à ce budget ; je l’ai moi-même dénoncé dix ans durant.
J’entends le malaise qui s’exprime et qui nous met dans une situation extrêmement difficile. Je suis très tenté d’inviter mes collègues à adopter tous les amendements qui nous sont proposés, mais ce serait détruire le budget de la mission « Outre-mer ». Or lorsqu’on détruit ce budget, que, en quelque sorte, on le rejette, qu’on se positionne contre, on prend position non pas contre l’État, mais bien contre le ministère des outre-mer et, par voie conséquence, contre les outre-mer, contre nous-mêmes !
En ce sens, le Sénat a toujours eu la sagesse de reconnaître qu’on ne peut pas faire autrement que de donner sa chance à cette mission à deux programmes.
Pour autant, madame la ministre, je ne partage pas votre position sur un point. J’ai entendu les interventions de mes collègues, mardi soir, au sujet de l’Odéadom, l’Office de développement de l’économie agricole d’outre-mer. Le Gouvernement a décidé de fusionner l’Odéadom avec FranceAgriMer et de ponctionner une partie des 5, 8 millions d’euros que recevait cet office, alors même que l’Odéadom gère de manière excellente – du moins, je n’ai jamais entendu de reproches à ce sujet – les fonds du Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité (Posei). Confiez donc ces fonds aux chambres de commerce et d’industrie de chaque territoire, vous verrez le résultat dans quelques années ! Qu’est-ce, en effet, que 5 millions d’euros quand on gère une enveloppe de 400 millions ?
Je suis vraiment face à une difficulté : j’aimerais soutenir mes collègues, mais je ne veux pas déséquilibrer le budget de la mission.
J’apprécie, monsieur le président, la grande mansuétude dont vous faites preuve en me donnant la possibilité de répondre à l’interpellation dont j’ai fait l’objet, ce qui est couvert par l’article 36 de notre règlement.
Je me suis peut-être mal exprimé : je ne m’oppose pas à ce qu’on finance des lycées, des collèges ou des classes à Mayotte. Je relève simplement l’étrangeté de l’écriture budgétaire : une partie de ces crédits figure dans la mission « Outre-mer », mais une autre dans d’autres missions.
Par ailleurs, Thani Mohamed Soilihi était membre de la majorité socialiste à l’époque où j’étais ministre ; il venait dans mon ministère pour plaider en faveur du plan Mayotte 2025, et nous avons lancé ce plan.
Quant à moi, je n’ai pas vendu mon âme pour un plat de lentilles ! Je reste campé sur mes convictions ; c’est très clair. Je ne m’oppose pas à ce que nous trouvions des solutions, mais je n’ai pas connu les difficultés que rencontre Mme la ministre, qui ne peut rien bouger dans son ministère, rien !
En vérité, il n’y a pas d’argent frais, et nous vous en demandons d’en trouver.
Nous n’avons jamais protesté quant à la fongibilité pratiquée par le Gouvernement à l’insu des parlementaires.
On prélève de l’argent sur les départements d’outre-mer, on en alloue aux autres collectivités d’outre-mer, ou encore à la Guyane. Nous n’avons jamais créé de polémiques ! Nous devrions être tous ensemble ! Je demande donc à mes collègues de voter pour cet amendement relatif à Wallis-et-Futuna.
Je vous donne acte de ce rappel au règlement, … qui n’en était d’ailleurs pas vraiment un, mon cher collègue. Je vous invite à respecter le règlement dans la suite de nos débats.
La parole est à M. Jean-Louis Lagourgue, pour explication de vote.
Je vous ai bien entendue, madame la ministre. Vous nous demandez un peu de patience, mais je voudrais quand même vous rappeler un élément de notre défense de cet amendement : il y a quelque temps, un plafond s’est écroulé dans une salle de classe, heureusement en dehors des heures de présence, sans quoi il y aurait eu des morts et des blessés. Cela me paraît très important !
L ’ amendement est adopté.
L’amendement n° II-551 rectifié bis, présenté par MM. Poadja et Laurey, Mme Tetuanui, MM. Delcros, Détraigne et Henno, Mme Joissains, MM. Lagourgue, Le Nay, Longeot et Louault et Mme Doineau, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
En euros
Programmes
Autorisations d’engagement
Crédits de paiement
Emploi outre-mer
dont titre 2
Conditions de vie outre-mer
TOTAL
SOLDE
La parole est à M. Gérard Poadja.
La Nouvelle-Calédonie connaît un problème majeur de continuité territoriale. Les plafonds de revenus qui conditionnent le bénéfice de l’aide majorée sont trop bas pour que cette aide bénéficie aux Calédoniens.
Or, si l’intégralité du billet d’avion n’est pas prise en charge, le dispositif n’est pas opérant, dans la mesure où les vols entre Nouméa et Paris sont tellement chers que les familles ne peuvent pas payer le complément.
Je demande, au travers de cet amendement, que les plafonds soient revus pour être en cohérence avec le coût de la vie dans le territoire.
Je comprends les motivations des auteurs de cet amendement. Il est nécessaire de prendre en compte la situation des archipels et l’enclavement interne de certains territoires ultramarins.
Nous ne pouvons toutefois émettre un avis favorable sur cet amendement, car il tend à retirer 2, 5 millions d’euros à l’action 02, Aide à l’insertion et à la qualification professionnelle, du programme 138.
Monsieur le sénateur Poadja, vous avez raison sur plusieurs points, notamment sur les plafonds de ressources. Cela fait exactement dix ans que ces plafonds n’ont pas été revus ; ils devront donc l’être.
Dans la mesure où ces plafonds ne relèvent pas du domaine législatif, comme je vous l’ai expliqué, nous avons décidé de lancer un groupe de travail sur ce sujet dans sa totalité, ce qui comprend la mobilité, la continuité territoriale et la réforme de Ladom.
Je vous demande donc, monsieur le sénateur, de bien vouloir retirer cet amendement dans l’attente de ces travaux, auxquels vous pourrez participer et qui, avant la fin de l’année, permettront de faire évoluer les plafonds de ressources selon les territoires. La Nouvelle-Calédonie n’est pas le seul territoire à se plaindre de ces plafonds, et ce à juste titre, puisqu’ils sont vieux de dix ans. Nous allons trouver des solutions ensemble, en dehors de cet hémicycle. J’ai bien entendu votre appel : nous y répondrons.
Je tiens à préciser que je parle non pas seulement de mon territoire, mais bien de tous les territoires affectés. Cela dit, je retire mon amendement, monsieur le président.
L’amendement n° II-551 rectifié bis est retiré.
L’amendement n° II-550 rectifié bis, présenté par MM. Poadja et Laurey, Mme Tetuanui, MM. Delcros, Détraigne et Henno, Mme Joissains, MM. Lagourgue, Le Nay, Longeot et Louault et Mme Doineau, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
En euros
Programmes
Autorisations d’engagement
Crédits de paiement
Emploi outre-mer
dont titre 2
Conditions de vie outre-mer
TOTAL
SOLDE
La parole est à M. Gérard Poadja.
Madame la ministre, les contours de la continuité territoriale doivent être modifiés pour mieux s’adapter aux besoins de nos territoires.
En effet, les liaisons entre les îles de l’archipel néo-calédonien ne sont pas prises en compte en matière de continuité territoriale, alors que les liaisons entre les îles de Wallis et Futuna sont subventionnées au titre de l’aide à la continuité territoriale. La situation doit être la même pour nos collègues polynésiens. Il serait urgent de pouvoir agir sur ce point.
De plus, le principe de continuité territoriale doit pouvoir s’appliquer pour les liaisons entre les îles d’un même bassin géographique, de manière à favoriser les échanges économiques. Vous l’avez étendu, lors des débats à l’Assemblée nationale, à la mobilité étudiante ; il faut désormais en faire bénéficier les acteurs économiques et les familles, qui vivent parfois dans des îles appartenant à des collectivités différentes.
Une nouvelle fois, au travers de cet amendement, nous vous proposons d’en revoir les contours pour mieux l’adapter aux réalités de nos territoires du Pacifique.
Il est défavorable, pour les raisons que j’ai exposées au sujet de l’amendement précédent.
Je n’ignore rien de ces doubles, triples et quelquefois quadruples problématiques de continuité, monsieur le sénateur. On imagine tous la signification de ces enjeux pour la Guyane, qui est grande comme le Portugal, ou encore pour la Polynésie, dans la mesure où la distance entre Papeete et les îles Marquises équivaut à celle qui sépare Paris de Moscou !
Mais le transport inter-îles et la continuité entre les différentes îles d’un même territoire ne sont pas de la compétence de l’État. Le problème se pose d’ailleurs aussi en Guadeloupe, notamment pour les liaisons avec Marie-Galante, ou encore la Désirade. Nous pouvons tout de même avoir ensemble une discussion, mais elle devrait porter sur les compétences des collectivités.
Quelques exceptions existent aujourd’hui à cette règle. Ainsi, si nous n’intervenions pas pour les liaisons entre Wallis-et-Futuna et la Nouvelle-Calédonie, au travers de la délégation de service public accordée à Air Calédonie International, il serait impossible aux habitants de Wallis-et-Futuna de quitter cette collectivité. De même, nous n’avons pas d’autre choix que de financer la liaison aérienne entre Saint-Pierre-et-Miquelon et le Canada ; si tel n’était pas le cas, les 7 000 habitants de cette collectivité n’en sortiraient jamais ! La question ne se pose même pas. Enfin, un dispositif d’aide à caractère social a été mis en place en Guyane ; il relève toutefois non pas de mon ministère, mais de celui des transports.
Je comprends cette problématique, comme tout le monde. Il s’agit de compétences. Peut-être pourrons-nous avoir ce débat dans les mois qui viennent – c’est d’ailleurs le souhait du Président de la République – au sein des travaux qui sont menés, plus largement, pour cerner la différenciation nécessaire et travailler sur la répartition des compétences entre État et collectivités.
Je vous demande donc, monsieur le sénateur, de bien vouloir retirer votre amendement.
L ’ amendement est adopté.
L’amendement n° II-792 rectifié, présenté par M. Antiste, Mmes Conconne et Jasmin, M. Lurel, Mme Artigalas, MM. M. Bourquin, Courteau, Daunis et Duran, Mme Guillemot, MM. Tissot, Montaugé, Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
I. – Créer le programme :
Fonds de lutte contre l’illettrisme, l’innumérisme et l’illectronisme
II. – En conséquence, modifier ainsi les crédits des programmes :
En euros
Programmes
Autorisations d’engagement
Crédits de paiement
Emploi outre-mer
dont titre 2
Conditions de vie outre-mer
Fonds de lutte contre l’illettrisme, l’innumérisme et l’illectronisme
TOTAL
SOLDE
La parole est à M. Maurice Antiste.
On peut encore relever dans ce projet de loi de finances un oubli concernant un problème majeur pour les outre-mer : l’illettrisme, l’innumérisme et l’illectronisme.
Ces maux, encore aujourd’hui, affectent de nombreux Français et entraînent de graves conséquences sociales, économiques et sanitaires, comme l’isolement et le chômage. Ils concernent au total 2, 5 millions de personnes en France ; ce chiffre grimpe dans les territoires ultramarins. La jeunesse de ces derniers territoires est massivement touchée : 20 % des jeunes y sont considérés comme illettrés, contre 3 % dans l’Hexagone.
Priorité nationale dès 1998, la lutte contre l’illettrisme s’est révélée jusqu’ici inefficace malgré l’action des services de l’État et des associations.
Dans les outre-mer, elle ne peut être un calque de la politique menée en métropole. Il faut l’adapter en fonction des territoires et des publics.
Aussi, cet amendement vise d’abord à agir à la source, en créant un fonds spécifique, à hauteur de 500 000 euros, afin de mettre à disposition des jeunes des moyens humains, matériels et financiers supplémentaires dans les établissements scolaires surchargés et de mettre en place un accompagnement périscolaire assuré par les adultes relais.
Concernant les adultes, ce fonds serait également dédié au financement des heures de formation centrées sur le cap lire-écrire-compter du compte personnel de formation (CPF) ou du conseil en évolution professionnelle (CEP) auquel tout salarié a droit.
Le pilotage de ce fonds pourrait être confié aux associations qui collaborent déjà avec les services des académies et Pôle emploi.
Il est d’autant plus défavorable que le dispositif de cet amendement présente une certaine incohérence : il vise à lutter contre l’illettrisme, mais tend à prélever sur des crédits dévolus au SMA, qui a justement pour mission de s’intéresser à ce problème.
Vous avez raison, monsieur le sénateur : la lutte contre l’illettrisme doit connaître une nouvelle dynamique dans les territoires ultramarins, où cinq fois plus de personnes âgées de 16 à 65 ans souffrent d’illettrisme que dans l’Hexagone.
Si l’on veut un véritable développement des territoires ultramarins, si l’on veut le monde meilleur, le monde plus juste pour lequel nous nous battons tous, il faut intervenir dans plusieurs domaines. Le Gouvernement l’a fait, par le biais de plusieurs mesures, certaines générales, d’autres spécifiques aux outre-mer.
Parmi ces mesures, on peut citer l’abaissement de l’âge de l’instruction obligatoire à 3 ans, dès la dernière rentrée ; le dédoublement des classes de CP et de CE1 dans les réseaux d’éducation prioritaire et dans 100 % des écoles de Mayotte, là encore dès la rentrée 2019 ; l’extension du dispositif Devoirs faits à tous les élèves du primaire et des programmes de réussite éducative à tous les quartiers prioritaires de la politique de la ville outre-mer ; les pactes régionaux d’investissement dans les compétences outre-mer, pour des actions de prévention de l’illettrisme tout au long de la vie ; enfin, un engagement fort et évident pour la construction ou la reconstruction de salles de classe, d’écoles, de collèges et de lycées dans les territoires ultramarins.
Néanmoins, cela ne suffit pas : c’est pourquoi j’ai demandé aux préfets, en coordination avec les recteurs et, surtout, les délégués régionaux à la lutte contre l’illettrisme, de me faire des propositions, et ce dans tous les territoires.
Monsieur le sénateur, alors que vous voulez l’instauration d’un fonds, je préfère une méthode qui commence par les projets. Nul besoin de créer un nouveau fonds ; nous pourrons soutenir l’ensemble des associations avec les moyens qui sont déjà effectifs sur la ligne qui est justement dédiée aux associations, dans la mesure où j’ai multiplié par trois ces moyens cette année.
Comptez sur moi pour vous aider et vous épauler dans vos territoires ! Je connais votre combat, je sais combien vous défendez ce sujet et je serai à vos côtés, je veux vous le redire en cet instant. Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement.
L ’ amendement est adopté.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° II-300 rectifié bis est présenté par MM. Poadja et Laurey, Mme Tetuanui, MM. Delcros, Détraigne et Henno, Mme Joissains, MM. Lagourgue, Le Nay, Longeot et Louault et Mme Doineau.
L’amendement n° II-787 est présenté par M. Antiste, Mmes Conconne et Jasmin, M. Lurel, Mme Artigalas, MM. M. Bourquin, Courteau, Daunis et Duran, Mme Guillemot, MM. Tissot, Montaugé, Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
En euros
Programmes
Autorisations d’engagement
Crédits de paiement
Emploi outre-mer
dont titre 2
Conditions de vie outre-mer
TOTAL
SOLDE
La parole est à M. Gérard Poadja, pour présenter l’amendement n° II-300 rectifié bis.
Le présent amendement vise à transférer certains crédits, afin d’élargir la prise en charge des déplacements des étudiants pour les besoins de leur formation, au titre du principe de continuité territoriale.
Madame la ministre, vous avez fait un effort, puisque vous avez élargi l’aide à la mobilité étudiante aux trajets effectués au sein d’un bassin géographique. Toutefois, en Nouvelle-Calédonie comme en Polynésie, on rencontre toujours le même problème : de nombreux étudiants sont exclus des bourses, car les revenus sont trop élevés dans ces territoires par rapport aux plafonds nationaux. Les Calédoniens ne sont pas plus riches pour autant : c’est simplement que la vie est très chère là-bas.
Je demande donc un transfert de crédits tendant à permettre la prise en charge intégrale des billets d’avion des étudiants qui ne sont pas boursiers pour les déplacements rendus nécessaires par les besoins de leur formation. Comme je l’ai indiqué, 600 étudiants en auraient besoin.
La parole est à M. Maurice Antiste, pour présenter l’amendement n° II-787.
Je comprends les motivations des auteurs de ces amendements. Il est peut-être nécessaire de prendre en compte la situation des étudiants qui paraissent trop riches pour être boursiers.
Néanmoins, l’adoption de ces amendements, qui ne portent que sur les crédits, ne modifierait pas les critères d’attribution des bourses, qui résultent de la loi et des règlements. En outre, ils tendent à diminuer les crédits de la ligne budgétaire unique, qui sont pourtant au strict minimum. L’avis de la commission est donc défavorable.
Il est lui aussi défavorable, pour les raisons que j’ai exposées au sujet d’un amendement précédent.
Je mets aux voix les amendements identiques n° II-300 rectifié bis et II-787.
Les amendements ne sont pas adoptés.
L’amendement n° II-901 rectifié ter, présenté par Mme Jasmin, M. Lurel, Mme Conconne, M. Antiste et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
En euros
Programmes
Autorisations d’engagement
Crédits de paiement
Emploi outre-mer
dont titre 2
Conditions de vie outre-mer
TOTAL
SOLDE
La parole est à Mme Victoire Jasmin.
Cet amendement porte sur le logement, qui a déjà été évoqué.
Du fait de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, la loi ÉLAN, l’ingénierie et l’expertise des architectes ont été écartées, éliminées, voire éradiquées. Mon amendement a pour objet la mise aux normes d’accessibilité et l’adaptation au vieillissement des logements, mais aussi la nécessité, rappelée par certains collègues, de privilégier les matériaux et les modes de construction qui permettent de faire face aux risques naturels majeurs.
Si vous le voulez bien, monsieur le président, je défendrai également l’amendement suivant.
Volontiers, ma chère collègue.
L’amendement n° II-908 rectifié ter, présenté par Mme Jasmin, M. Lurel, Mme Conconne, M. Antiste et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
En euros
Programmes
Autorisations d’engagement
Crédits de paiement
Emploi outre-mer
dont titre 2
Conditions de vie outre-mer
TOTAL
SOLDE
Veuillez poursuivre, ma chère collègue.
Cet amendement concerne les lignes budgétaires de l’action n° 04, Sanitaire, social, culture, jeunesse et sports du programme 123. Il vise à alimenter un compte à destination des sportifs de nos territoires, qui excellent dans bien des domaines de manière reconnue à l’échelon national, voire international.
Malheureusement, la plupart de nos clubs rencontrent de grosses difficultés pour se rendre à certaines compétitions et même pour venir représenter leur territoire dans l’Hexagone. Ils n’ont pas toujours les moyens d’effectuer les déplacements, parce que le coût des billets d’avion est très élevé. C’est vrai pour tous les sports, pour les clubs comme pour les sportifs individuels.
Je souhaite qu’une attention particulière soit apportée à ce problème, parce que les différents clubs sportifs de nos territoires, quels qu’ils soient, sont en très grande difficulté et ne disposent quelquefois même plus des fonds nécessaires pour les hébergements des joueurs pendant les déplacements.
Bien souvent, ce sont les familles elles-mêmes qui doivent contribuer financièrement, voire contracter des prêts bancaires pour permettre à leurs enfants de se déplacer pour pratiquer leur sport.
C’est pourquoi je voudrais vraiment que, après une série noire, si j’ose dire, d’avis défavorables, cet amendement important, qui tend à obtenir une meilleure reconnaissance du sport pratiqué dans les outre-mer et par les Ultramarins, reçoive un avis favorable de la commission comme du Gouvernement.
Je souscris aux préoccupations exprimées, mais l’adoption de ces deux amendements entraînerait une baisse de près d’un quart des crédits destinés au financement des dépenses de fonctionnement du cabinet de Mme la ministre, de la direction générale des outre-mer (DGOM) et de la délégation interministérielle pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer, ce qui paraît peu réaliste. L’avis de la commission est donc défavorable.
Concernant le premier amendement, qui a pour objet le logement, nous nous sommes largement exprimés sur le sujet ; le Gouvernement souhaite son retrait.
Quant au second, vous pouvez compter sur mon engagement en faveur du Fonds d’échanges à but éducatif, culturel et sportif (Febecs). Concernant la mobilité des jeunes, notamment les questions de loisirs, de sport et d’éducation, je suis favorable à ce que nous soyons encore davantage présents aux côtés des associations.
Dès mon arrivée au ministère, les sommes allouées à cette ambition ont été doublées, de 1 à 2 millions d’euros. J’ai fait vérifier par les préfectures que, d’ici au 31 décembre prochain, ces 2 millions d’euros auront été consommés. Cela dit, peu de projets sont en attente.
Je vous demande donc, madame la sénatrice, de bien vouloir retirer votre amendement et de compter sur mon engagement dans ce domaine, car je souhaite bien que nous allions plus loin sur les questions de mobilité.
Encore une fois, nous allons prendre quelques mois pour travailler ensemble sur cette problématique et y répondre plus globalement. Notez d’ores et déjà qu’une grande partie de l’objet de votre amendement est satisfaite dès cette année : même si vous ne l’avez peut-être pas encore ressenti sur le terrain, c’est bien le cas.
J’ai compris l’important effort qui est fait. Mais les résultats des sportifs ultramarins sont eux extraordinaires !
Il y a une dizaine ou une vingtaine d’années, quand un jeune de chez nous était champion de France, pratiquement toute la population allait l’accueillir à l’aéroport. Aujourd’hui, les champions d’Europe et les champions du monde sont monnaie courante chez nous, tant les parents, dans les outre-mer, notamment en Martinique et en Guadeloupe, s’efforcent de juguler les déviances et entraînent leurs enfants. Ils sont tous dans les stades, au bord des routes pour accompagner les jeunes quelle que soit la discipline que ceux-ci pratiquent. Celui qui vous parle a été quinze ans responsable des sports au conseil départemental : il en sait donc quelque chose. Les parents mettent la main à la poche !
Pourtant, nombre de nos jeunes ne parviennent pas à participer à certains championnats, à certains échanges, faute de financements. C’est pourquoi la Guadeloupe, terre de champions, tout comme la Martinique, la Guyane et les autres territoires ultramarins, nécessite un regard particulier.
Cet amendement tend à transférer moins d’un million d’euros de crédits seulement. Ce n’est qu’un petit dossier supplémentaire sur le bureau de Mme la ministre parmi des demandes exceptionnelles. En tout cas, dans la mesure où cet amendement ne vise pas à modifier sensiblement l’équilibre budgétaire, il peut être accepté !
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L ’ amendement est adopté.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° II-305 rectifié bis est présenté par MM. Poadja et Laurey, Mme Tetuanui, MM. Delcros, Détraigne et Henno, Mme Joissains, MM. Lagourgue, Le Nay, Longeot et Louault et Mme Doineau.
L’amendement n° II-788 est présenté par M. Antiste, Mmes Conconne et Jasmin, M. Lurel, Mme Artigalas, MM. M. Bourquin, Courteau, Daunis et Duran, Mme Guillemot, MM. Tissot, Montaugé, Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
En euros
Programmes
Autorisations d’engagement
Crédits de paiement
Emploi outre-mer
dont titre 2
Conditions de vie outre-mer
TOTAL
SOLDE
La parole est à M. Gérard Poadja, pour présenter l’amendement n° II-305 rectifié bis.
L’Initiative française pour les récifs coralliens (Ifrécor) joue un rôle important pour la préservation de nos récifs, qui sont menacés par le réchauffement climatique.
L’année 2020 sera une étape charnière : pour le vingtième anniversaire de sa création, l’Ifrécor doit préparer son cinquième programme d’action. Elle doit réaliser un bilan de l’état de santé des récifs et des écosystèmes associés. Elle devra aussi répondre à l’objectif ambitieux de protéger 100 % des récifs coralliens français en 2025.
Toutefois, les comités locaux font part d’un manque de moyens humains et financiers. C’est pourquoi je propose d’augmenter de 300 000 euros les crédits alloués à cet organisme. Il s’agit d’un effort modeste, mais nécessaire.
Je rappelle que, l’an dernier, notre assemblée avait adopté un amendement similaire, dont j’étais l’auteur. J’espère qu’il en sera de même cette année.
La parole est à M. Maurice Antiste, pour présenter l’amendement n° II-788.
La commission est défavorable à ces amendements qui tendent encore une fois à diminuer les crédits des services du ministère des outre-mer.
Je ne reviendrai pas sur le constat que vous avez fait, monsieur le sénateur, parce qu’il est juste et pertinent.
En revanche, je souhaite vous rappeler que ce sont au total 772 000 euros que le ministère des outre-mer a engagés en 2017 et 2018, au niveau tant central que local, pour financer les actions d’Ifrécor. La France est le quatrième pays corallien au monde : les territoires d’outre-mer abritent effectivement environ 10 % de la surface corallienne mondiale.
En 2019, il faut ajouter à ces actions l’initiative Pacifique, qui permet d’aller au-delà de ce que fait l’Ifrécor, et la Fondation de la mer qui renforce les initiatives pour sauver les récifs coralliens outre-mer. En outre, le Comité interministériel de la mer (CIMer), qui aura lieu lundi prochain, est spécifiquement consacré à la protection des récifs coralliens.
Messieurs les sénateurs, je pense que vos amendements sont satisfaits. C’est pourquoi je vous demande de bien vouloir les retirer, faute de quoi j’y serai défavorable.
Tout comme vous, madame la ministre, j’ai assisté mardi dernier aux Assises de l’économie de la mer. C’est vrai que l’on a entendu un beau discours du Président de la République en faveur de la protection de la biodiversité de nos océans.
Je soutiendrai ces amendements qui, à mon sens, sont des amendements d’appel. Je trouve que c’est une belle manière d’amorcer le processus qui devrait résulter des promesses du Président de la République et de mettre les paroles en accord avec les actes.
Je mets aux voix les amendements identiques n° II-305 rectifié bis et II-788.
Les amendements sont adoptés.
L’amendement n° II-790, présenté par M. Antiste, Mmes Conconne et Jasmin, M. Lurel, Mme Artigalas, MM. M. Bourquin, Courteau, Daunis et Duran, Mme Guillemot, MM. Tissot, Montaugé, Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
En euros
Programmes
Autorisations d’engagement
Crédits de paiement
Emploi outre-mer
dont titre 2
Conditions de vie outre-mer
TOTAL
SOLDE
La parole est à M. Maurice Antiste.
Les importations agricoles et les coûts d’approche inhérents ont une part de responsabilité non négligeable dans la vie chère. La part du fret dans les coûts d’approche est évaluée à 8 % si l’on considère le seul transport maritime, et à environ 15 % si l’on prend en compte les autres frais, dont ceux de manutention.
L’aide au fret permet donc de diminuer le coût des importations. En outre, réformée par l’article 24 de la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer, elle permet de développer le commerce inter-DOM.
Cet amendement vise à accroître les crédits permettant l’insertion économique des départements et des collectivités d’outre-mer dans leur environnement immédiat. Pour ce faire, nous proposons d’augmenter l’aide au fret pour les produits importés des pays tiers et des départements et collectivités ultramarines, via une hausse de 100 000 euros des crédits de l’action n° 04, Financement de l’économie, du programme 138, « Emploi outre-mer ».
Cette augmentation est gagée sur une diminution à due concurrence de l’enveloppe budgétaire de l’action n° 02 du programme 123, « Conditions de vie outre-mer », qui n’a d’autre objet que de garantir la recevabilité financière de l’amendement.
Compte tenu des engagements du Gouvernement, il semblerait normal que les crédits du programme 138 soient majorés sans que cet effort budgétaire repose sur le programme 123.
Le présent amendement vise à augmenter le montant de l’aide au fret.
Cette aide spécifique aux entreprises situées en Guadeloupe, à Mayotte, à La Réunion, en Martinique, en Guyane, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy et dans les îles de Wallis et Futuna, permet de favoriser le développement économique ultramarin, d’améliorer la compétitivité dans ces territoires et de faire baisser in fine les prix à la consommation.
Depuis le 1er janvier 2018, il faut noter une évolution positive puisque, conformément à l’article 71 de la loi ÉROM, la loi de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, cette aide a été élargie aux échanges inter-DOM, aux pays tiers, et s’applique désormais au transport des déchets.
Toutefois, cet amendement est gagé sur une diminution des crédits de l’action n° 02, Aménagement du territoire, du programme 123, qui finance notamment la politique contractuelle de l’État en outre-mer. C’est pourquoi la commission des finances a émis un avis défavorable sur l’amendement. En revanche, à titre personnel, je le voterai.
Cet amendement est satisfait, tout simplement parce que l’aide au fret a été majorée de 1, 8 million d’euros cette année, son montant passant de 6 à 7, 8 millions d’euros. Cette décision a été prise en accord avec le Président de la République. Lorsque ce dernier s’est rendu à La Réunion, ainsi que dans d’autres territoires ultramarins, il a réaffirmé sa volonté de lutter contre la vie chère en outre-mer.
Je regrette que cette hausse ne soit pas plus visible et que nous n’ayons pas donné davantage de détails au niveau du programme 138 dans lequel les crédits sont prélevés pour accompagner la montée en puissance de ce dispositif.
Je ferai en sorte que cela soit mieux détaillé l’année prochaine. En attendant, et même si vous avez eu raison de soulever cette question, je vous demande, monsieur le sénateur, de bien vouloir retirer votre amendement.
L’amendement n° II-790 est retiré.
Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Outre-mer », figurant à l’état B.
Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits, modifiés.
Les crédits sont adoptés.
J’appelle en discussion l’article 76 quindecies et l’amendement tendant à insérer un article additionnel après l’article 76 quindecies, qui sont rattachés pour leur examen aux crédits de la mission « Outre-mer ».
Outre-mer
Le titre préliminaire du livre VIII de la première partie du code des transports est ainsi modifié :
1° L’article L. 1803-10 est ainsi modifié :
a) Au 2°, après le mot : « territoriale », sont insérés les mots : « et à la mobilité internationale au titre de l’intégration régionale des collectivités d’outre-mer au sein de leur bassin géographique » ;
b) Le 3° est complété par les mots : « ainsi qu’au I de l’article L. 1804-2 » ;
2° Il est ajouté chapitre IV ainsi rédigé :
« CHAPITRE IV
« La mobilité internationale au titre de l’intégration régionale des collectivités d’outre-mer au sein de leur bassin géographique
« Art. L. 1804 -1. – En complément de la politique nationale de continuité territoriale définie à l’article L. 1803-1, les pouvoirs publics mettent en œuvre outre-mer, au profit des mêmes personnes, une politique nationale de soutien à la mobilité internationale afin de favoriser l’intégration régionale des collectivités au sein de leur bassin géographique.
« Art. L. 1804 -2. – Les aides appelées “passeport pour la mobilité en stage professionnel” et “passeport pour la mobilité de la formation professionnelle” prévues respectivement aux articles L. 1803-5-1 et L. 1803-6 peuvent être attribuées, dans les mêmes conditions, aux stagiaires effectuant une mobilité dans les États ou territoires appartenant au bassin géographique de la collectivité d’outre-mer où ils ont leur résidence habituelle. La liste des États ou territoires concernés est fixée par arrêté du ministre chargé des outre-mer et du ministre chargé du budget. »
L’article 76 quindecies est adopté.
L’amendement n° II-1090, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 76 quindecies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au premier alinéa de l’article 40 de la loi n° 2000-1207 du 13 décembre 2000 d’orientation pour l’outre-mer, après le mot « Saint-Martin », sont insérés les mots : «, de Wallis-et-Futuna, de Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française ».
La parole est à Mme la ministre.
Le Febecs a pour objet d’aider les jeunes des territoires d’outre-mer à se déplacer davantage au sein de leur bassin maritime ou vers l’Hexagone.
À l’Assemblée nationale, un débat, notamment avec la députée Nicole Sanquer, s’est engagé au sujet de ce fonds. Celle-ci souhaitait que la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie puissent bénéficier de droit du Febecs, dans la mesure où ces deux territoires n’y ont pas accès aujourd’hui.
Je précise que cela fait deux ans que j’alloue une enveloppe de 50 000 euros à chacun de ces territoires. Cette expérimentation a montré qu’il fallait aller beaucoup plus loin. C’est pourquoi nous avons décidé d’étendre le bénéfice de ce fonds à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française pour en faire un dispositif de droit commun. Nous l’avons également étendu à Wallis-et-Futuna, qui n’en était pas non plus bénéficiaire jusqu’alors. De ce fait, le Febecs verra de nouveau ses crédits augmenter.
Le présent amendement tend à élargir le Febecs aux trois collectivités de Wallis-et-Futuna, de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française. Cette mesure est considérée comme bienvenue par la commission des finances, qui y est favorable.
J’ai souvent très mauvaise conscience quand je vois l’indifférence absolue de la métropole vis-à-vis des problèmes spécifiques des territoires ultramarins.
Madame la ministre, vous nous avez dit à plusieurs reprises au cours de la discussion que vous compreniez les demandes, mais qu’il vous était impossible de modifier les crédits au sein de la mission. Or j’ai lu attentivement le dispositif de votre amendement et je me suis aperçu que les moyens supplémentaires que vous engagiez sont gagés au sein de la mission « Outre-mer ». J’ai compris que l’on ne pouvait pas toucher à ce budget. J’aimerais dès lors que vous m’indiquiez à qui vous allez enlever ces crédits.
Avant que nous n’achevions l’examen des crédits de la mission, puisque nous arrivons bientôt au terme de ce débat, je veux préciser à Mme la ministre que nous sommes très souvent présents dans cet hémicycle.
C’est le cas depuis le début de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du présent projet de loi de finances. Nous intervenons sur tous les chapitres du budget, sur toutes les missions, alors même que nos amendements subissent souvent le même sort : il n’est pas possible d’adopter celui-ci, celui-là est rejeté, etc.
Nous passons des nuits dans cet hémicycle, au point que les élus d’outre-mer sont parfois plus nombreux que ceux de l’Hexagone sur les travées de mon groupe.
Nous faisons cet effort, un effort qui est transversal, car aucune mission ou aucune section du budget ne nous fait peur. §Pas plus tard qu’hier, le sénateur Michel Magras a parlé de l’Odéadom. Nous sommes intervenus avec vigueur sur le budget de l’agriculture, mais, à chaque fois, nous avons droit aux mêmes réponses et aux mêmes postures.
C’est pourquoi j’en appelle à la révolution ! §J’en appelle à la révolution des postures, à la révolution de la pensée, à la révolution du regard ! Il faut une nouvelle manière de voir. Il ne faut plus nous considérer comme l’angle mort de la République. Il faut aussi une autre manière de faire. Il faut nous voir à travers un nouveau prisme du regard. C’est ce que j’appelle la révolution !
Nouveaux sourires.
Nous examinons un amendement du Gouvernement. Les sénateurs qui s’expriment sont donc censés le faire sur cet amendement !
Il faut admettre que le calendrier est serré. Je veux simplement me réjouir que l’amendement de ma collègue Victoire Jasmin, qui avait pour objet d’augmenter de 300 000 euros les crédits du Febecs, ait été adopté. Si l’on adopte l’amendement du Gouvernement, ce sont 150 000 euros supplémentaires au total que l’on octroiera à ces trois territoires ultramarins. Il s’agit d’un amendement bienvenu que nous voterons.
Puisque je ne prendrai plus la parole, je veux remercier nos collègues de l’Hexagone qui sont présents cet après-midi et qui nous font le plaisir de partager ce moment avec nous. Personnellement, madame la ministre, je serai là pour l’examen des autres missions et des articles rattachés, que ce soit aujourd’hui, demain, samedi, voire dimanche si le Sénat devait siéger !
Sourires.
L ’ amendement est adopté.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances, après l’article 76 quindecies.
Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Outre-mer ».
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à quinze heures quarante-cinq, est reprise à quinze heures cinquante.
Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Culture ».
La parole est à M. le rapporteur spécial.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2020, le montant des crédits de la mission « Culture » devraient s’élever à 2, 96 milliards d’euros en crédits de paiement. Cette somme ne reflète pas la totalité des crédits budgétaires affectés à la culture au sein du projet de loi de finances. Il convient en outre d’intégrer le montant de la dépense fiscale consacrée à la culture au travers de divers crédits d’impôt, que l’on évalue à 331 millions d’euros, hors mécénat.
En accord avec mon collègue rapporteur spécial Julien Bargeton, je concentrerai mon intervention sur le programme 175, qui concerne la protection des patrimoines. Celui-ci devrait être doté de 972 millions d’euros en crédits de paiement pour 2020.
L’examen de ces crédits fait apparaître une diminution de l’ordre de 5 % des subventions accordées aux collectivités territoriales et aux propriétaires privés en vue de la restauration des monuments historiques.
Les crédits de paiement sont ainsi minorés de 7 millions d’euros entre la loi de finances pour 2019 et le présent projet de loi de finances. Si 5 millions d’euros de crédits viennent financer le fonds incitatif et partenarial pour les monuments historiques des collectivités à faibles ressources, 2 millions d’euros vont, en revanche, alimenter le plan de mise en sécurité des cathédrales, qui a été lancé à la suite de l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Je rappelle que les cathédrales sont des monuments historiques appartenant à l’État. Aussi, un risque pesant sur l’État se trouve financé par des crédits destinés à d’autres monuments qui ne lui appartiennent pas. Une telle option traduit un réel manque d’ambition.
Cela étant, ce manque d’ambition s’inscrit dans le prolongement de la position adoptée par le Gouvernement concernant la cathédrale Notre-Dame de Paris, puisque ce plan ne donnera pas lieu à un geste budgétaire spécifique. Si la reconstruction de l’édifice est intégralement financée par le don privé, la sécurisation des cathédrales passera, quant à elle, par les collectivités territoriales et les propriétaires privés.
S’agissant de la cathédrale Notre-Dame de Paris, je m’interroge sur l’éventuelle réaffectation des fonds avancés pour les travaux de sécurisation, de déblaiement des gravois et d’enlèvement des échafaudages. Près de 40 millions d’euros auraient déjà été avancés à l’État avant le versement des premiers dons. Le projet annuel de performances pour 2020 n’indique pas la ligne de crédits sur laquelle cette somme a été prélevée ni les modalités de sa réaffectation vers d’autres projets. Je rappelle que 922 millions d’euros de promesses de dons ont été enregistrés, 67 millions d’euros ayant déjà été versés à l’État.
L’établissement public administratif chargé de la restauration et de la conservation de la cathédrale vient, quant à lui, d’entrer en fonction. L’intégralité de son budget serait couverte par les dons.
Or je vous rappelle, monsieur le ministre, que vous vous étiez engagé ici même au Sénat sur une participation de l’État. Vous aviez en effet indiqué que l’État devrait prendre sa part au financement de la restauration de Notre-Dame de Paris et qu’il y aurait, quoi qu’il en soit, des subventions budgétaires du ministère de la culture à l’établissement public. Quelques mois plus tard, il ne reste rien de cette volonté dans le présent projet de loi de finances.
Une telle évolution rend indispensable la recherche de financements alternatifs, qu’il s’agisse du loto du patrimoine ou de dispositifs fiscaux spécifiques.
La faiblesse des crédits budgétaires alloués à la restauration des centres-villes rend essentielle une rénovation du dispositif fiscal Malraux, qui présente l’avantage d’atteindre à la fois des objectifs de soutien au logement, de valorisation du patrimoine et de revitalisation des centres urbains. Ce dispositif représente environ 130 millions d’euros de travaux chaque année. Cette somme est à comparer aux 338 millions d’euros prévus dans le projet de loi de finances pour l’entretien et la restauration des monuments historiques.
Nous appuyons les conclusions de l’inspection générale des affaires culturelles et de l’inspection générale des finances qui vont dans ce sens. Nous invitons à proroger le mécanisme et à simplifier les conditions d’utilisation du dispositif Malraux. Sa révision est soutenue par le ministère de la culture. Elle pourrait constituer une première étape qui faciliterait sa conciliation avec le plan Action cœur de ville.
Je suis par ailleurs inquiet du mauvais signal envoyé au travers de la réforme du mécénat d’entreprise, prévue dans le présent projet de loi de finances. Cette réforme a suscité une inquiétude légitime dans le milieu associatif, mais aussi au sein des organismes culturels, dont une partie de l’activité dépend du mécénat.
Soyons clairs, le mécénat n’est pas une véritable niche fiscale. Le don vient parfois compléter, voire se substitue à l’action de l’État dans un contexte de réduction des marges de manœuvre budgétaires de celui-ci.
Le cas est particulièrement patent pour les opérateurs publics. L’État conditionne la reconduction ou une diminution minimale des subventions à des résultats sur divers critères d’ordre artistique, qualitatif, social ou sociétal, à propos de chantiers pour lesquels le soutien du mécénat est primordial. Les travaux d’ampleur menés pour le Grand Palais, la Cité du théâtre ou l’aménagement de l’Opéra Bastille s’appuient d’ailleurs sur le mécénat à la demande de l’État. Il existe donc une forme de schizophrénie de la part du Gouvernement dans le fait d’inciter les opérateurs publics à recourir au mécénat tout en limitant le plein et parfait développement de celui-ci.
Le seuil de 2 millions d’euros au-delà duquel le taux de réduction passerait de 60 à 40 % peut paraître tout à la fois contournable et fragilisant. Dans tous les cas, le signal négatif envoyé par une telle réforme est bien tangible. Celle-ci laisse en effet entendre que toute opération dont le coût est supérieur à 2 millions d’euros est assimilable à une forme d’optimisation fiscale. Elle pourrait donc brider les intentions des mécènes, qui prendraient un risque en termes d’image.
Nous savons que le Gouvernement a lancé une réflexion générale sur la philanthropie, qu’il a confiée à deux députées. Il aurait sans doute fallu attendre les conclusions de nos collègues sur les contreparties ou le régime juridique des fondations avant de procéder à un tel coup de rabot fiscal.
Cela étant, la commission des finances a proposé d’adopter les crédits de la mission « Culture ». Je voterai, pour ma part, en fonction du sort qui sera réservé à certains amendements que je soutiendrai.
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – Mme Sylvie Vermeillet et M. Pierre Ouzoulias applaudissent également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Vincent Éblé l’a dit, le montant des crédits de la mission « Culture » s’élèvera à près de 3 milliards d’euros en autorisations d’engagement en 2020 et à 2, 96 milliards d’euros en crédits de paiement, soit une augmentation de près de 1 % par rapport à 2019. Soulignons d’ores et déjà qu’il s’agit d’un budget en hausse dans un contexte de maîtrise de la dépense publique. Il faut s’en féliciter.
Cette augmentation des crédits représente une majoration de la dotation budgétaire d’environ 60 millions d’euros.
Les crédits de la mission ne résument pas l’effort de l’État en direction de la culture. Il faut notamment y ajouter les crédits dédiés au livre et aux bibliothèques, ainsi que le compte de concours financiers à l’audiovisuel public et l’ensemble des taxes affectées et des dépenses fiscales ayant trait au champ culturel. L’effort de l’État s’élèverait plutôt à 14, 2 milliards d’euros, soit un peu moins de 4, 5 % du budget de l’État.
La mission « Culture » a des spécificités. Je rappelle que la gestion de la majeure partie de ses crédits est soit déconcentrée, soit directement assurée par des opérateurs. Les sommes directement versées aux opérateurs atteignent ainsi 44, 3 % du total, quand le taux de déconcentration des crédits de paiement de la mission devrait s’élever à 38, 5 % en 2020. Il ne reste donc que 17 % de crédits gérés au niveau central.
La mission est composée de trois programmes.
Le premier, le programme 131, « Création », est doté de 817 millions d’euros. Il traduit, en 2020, un soutien renouvelé aux œuvres et aux artistes.
J’insiste sur les crédits consacrés au soutien à l’emploi culturel.
La priorité accordée à ceux-ci se traduit par une hausse de 8 millions d’euros des crédits destinés au Fonpeps, le Fonds national pour l’emploi pérenne dans le spectacle. Un débat a eu lieu à l’Assemblée nationale sur ce point, aboutissant à l’adoption d’un amendement minorant la dotation de ce fonds. Nous aurons de nouveau une discussion sur le sujet, puisque nous examinerons un amendement visant à rétablir ces crédits à leur niveau initial.
Le reste du programme ne laisse que peu de marges de manœuvre au niveau central. C’est une bonne chose du point de vue du Sénat que l’essentiel des crédits soient fléchés vers les territoires via les opérateurs ou les structures déconcentrées. Le projet de loi de finances table d’ailleurs sur une poursuite de cet effort de déconcentration, que nous ne pouvons que saluer. Il faut cependant noter que la marge de manœuvre au niveau central se réduit. Il faudra être vigilant à ce sujet dans les années à venir.
Autre point de vigilance que je veux soulever : les travaux, en particulier ceux qui concernent l’Opéra Bastille, le Centre national de la danse et la Cité du théâtre. La fin de la plupart de ces chantiers devrait intervenir en 2022 ou 2023. Là encore, la commission des finances suivra l’évolution des coûts face au risque d’inflation.
Au regard des montants en jeu – le coût du projet Bastille est évalué à 59 millions d’euros, celui de la Cité du théâtre à 86 millions d’euros –, il faudra la plus grande transparence en matière de choix de la maîtrise d’œuvre, de la maîtrise d’ouvrage et de la répartition des coûts entre acteurs publics.
La Cité du théâtre se situe dans le XVIIe arrondissement, mais n’est pas un projet parisien. Elle doit permettre de déployer les troupes en région, sur les territoires. L’idée est de multiplier les tournées pour que les grands théâtres nationaux puissent bénéficier des spectacles. Il s’agit d’un objectif que nous partageons tous.
J’en viens au deuxième programme, le programme 224, qui englobe des crédits transversaux, liés à ce que l’on appelle la démocratisation – l’accès à la culture, l’enseignement supérieur culture, la politique linguistique, la politique internationale –, et des crédits affectés aux fonctions de soutien.
Il s’agit donc d’un programme assez large, représentant 1, 27 milliard d’euros en autorisations d’engagement et 1, 17 milliard d’euros en crédits de paiement.
Il appelle à ce stade deux réflexions, qui ont évidemment nourri nos débats.
Ma première remarque concerne le pass culture.
Les crédits qui lui sont dédiés progressent de 5 millions d’euros pour atteindre 39 millions d’euros en 2020, auxquels s’ajouteront les 10 millions d’euros non consommés en 2019. Cela traduit une montée en charge de cet outil d’émancipation culturelle, pour l’heure expérimental, qui s’adresse à 150 000 jeunes dans 14 départements.
Une campagne de communication renforcée sera lancée dans les territoires concernés, en lien avec les directions régionales des affaires culturelles (DRAC)
Il faudra ensuite évaluer le dispositif, au plan à la fois quantitatif et qualitatif, tant du point de vue des jeunes que de celui des offreurs, avant d’envisager la généralisation du dispositif à l’horizon de 2022.
Le Sénat, à travers sa commission de la culture, a tenu à souligner que l’essor du pass culture ne devait pas faire oublier le reste des actions propres à l’irrigation culturelle du territoire, notamment tout ce qui concerne le programme Objectif 100 % éducation artistique et culturelle, programme auquel la Haute Assemblée est très attachée et qui, bien sûr, devra lui aussi être évalué.
Ma seconde remarque porte sur les programmes de modernisation du système informatique du ministère de la culture et, surtout, sur la réduction du nombre des sites parisiens de ce dernier.
Ces évolutions participent d’un effort de rationalisation de la dépense publique, qu’il convient de saluer. Cela permet de compenser les coûts liés à la nécessaire revalorisation de la grille indemnitaire des agents du ministère de la culture – un très beau ministère, mais dont les équipes ne bénéficient pas toujours des mêmes primes que celles des autres ministères. Il faut donc renforcer son attractivité et éviter les vacances de poste, ce qui passe par la poursuite de cette revalorisation de grille indemnitaire.
C’est ainsi, mes chers collègues, qu’un programme d’économies, d’un côté, peut permettre d’assumer le renforcement de certaines dépenses, de l’autre, et ce afin que le ministère de la culture reste, en cette année anniversaire, un ministère vibrant et vivant au service des territoires.
Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.
M. le président. La parole est à M. Alain Schmitz, au nom de la commission de la culture.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « le patrimoine doit être une grande cause nationale » :ce n’est pas seulement le vœu de la commission de la culture, et du Sénat dans son ensemble ; ce sont les mots du Président de la République, Emmanuel Macron, lors du lancement du loto du patrimoine le 31 mai 2018.
Saluons donc les efforts déployés depuis deux ans pour sanctuariser le niveau des crédits et développer de nouveaux instruments financiers en faveur du patrimoine monumental.
Je pense en particulier au loto du patrimoine, qui en est maintenant à sa deuxième édition, et au fonds incitatif et partenarial pour la restauration des monuments historiques des petites communes à faibles ressources, qui permet d’impliquer progressivement les régions dans l’exercice des compétences en matière patrimoniale.
Les ressources que procurent ces deux instruments restent, malgré tout, relativement modestes. Attention, dans ces conditions, à ne pas reprendre d’un côté ce qui est donné de l’autre !
Je ne vous le cache pas, monsieur le ministre, les signaux d’alarme ne manquent pas à cet égard, et j’en citerai deux.
D’abord, la réduction de 7 millions d’euros des crédits octroyés par l’État pour la restauration des monuments appartenant aux collectivités territoriales ou aux personnes privées, malgré leurs évidents besoins d’accompagnement.
Ensuite, et surtout, la réforme du dispositif du mécénat. Compte tenu des fortes contraintes budgétaires pesant sur l’État et les collectivités territoriales, prendre le risque de ralentir l’élan privé en faveur du patrimoine est incompréhensible. La suppression de la réserve parlementaire en 2017 a déjà eu des effets dramatiques. Imaginez que cette réforme vienne purement et simplement casser la dynamique positive lancée par la mission Bern !
J’ajoute qu’elle est assez contradictoire avec l’obligation imposée aux opérateurs d’accroître leurs ressources propres et avec la décision de relever exceptionnellement le taux de défiscalisation pour financer la restauration de Notre-Dame de Paris.
Notre-Dame, justement ! Vous ne serez pas surpris, monsieur le ministre, que nous déplorions que l’État ne dépense pas un euro pour sa restauration, alors que nous avions clairement indiqué, au printemps dernier, lors du débat dans cet hémicycle, qu’il n’était pas acceptable que les coûts de fonctionnement de l’établissement public soient couverts par le produit des dons.
Nous espérions au moins que l’élan de générosité aurait libéré des crédits en faveur des autres monuments, notamment de nos autres cathédrales.
Nous constatons à regret que tel n’est pas le cas. Vous avez même envisagé d’annuler plus de 20 millions d’euros dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2019. C’est la preuve que des efforts doivent être poursuivis, afin d’améliorer la consommation des crédits : il est clair qu’elle ne trouve pas son origine dans un manque de besoins !
Néanmoins, compte tenu de la légère hausse enregistrée par ceux-ci, la commission de la culture a donné un avis favorable à l’adoption des crédits du programme 175, « Patrimoines », et sera particulièrement attentive aux conséquences des évolutions envisagées sur la protection de notre patrimoine.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et SOCR.
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est difficile de porter un jugement tranché sur le budget pour 2020 pour deux des programmes de la mission « Culture » : les programmes 131 et 224.
Dans les grandes masses, les crédits d’intervention destinés à la création sont préservés, tout comme les crédits dédiés à l’accès à la culture et à l’enseignement supérieur placé sous la tutelle du ministère de la culture. Mais c’est non sans sacrifices ! Crédits d’investissement, fonds de roulement des établissements, tout y passe… au risque de voir bientôt disparaître toute marge de manœuvre !
Je ne vous cache pas, monsieur le ministre, que cette stratégie nous inquiète, car elle nous paraît difficilement soutenable. C’est la deuxième année consécutive que vous la mettez en œuvre et nous voyons mal comment vous parviendrez à la reconduire une troisième fois.
Sans compter qu’elle renforce la crainte d’un désengagement progressif de l’État vers les collectivités territoriales ou les acteurs privés. Nous aurons l’occasion d’en discuter dans quelques mois lors de l’examen du projet de loi « 3D », mais reconnaissez que les appels aux collectivités se multiplient pour qu’elles mettent en œuvre et, surtout, financent les grandes priorités nationales : le pass culture, les Micro-folies et l’éducation artistique et culturelle (EAC).
C’est sans doute la seconde difficulté de ce budget : comment juger, à ce stade, de la pertinence de certains outils captant une part croissante des crédits, au détriment des politiques jugées plus structurelles ?
Je pense, en particulier, au pass culture, qui pourrait être doté de 49 millions d’euros l’an prochain, alors que les crédits destinés à l’EAC, en tant que telle, sont en baisse et ne représentent même pas le double de ces crédits : 96 millions d’euros. Les premiers résultats de l’expérimentation, parus voilà deux semaines, sont mitigés et ne démontrent pas encore que le pass culture permettra de réduire les inégalités sociales et territoriales faisant obstacle à l’accès des jeunes à la culture, ou même de diversifier leurs pratiques culturelles.
Nous ne voudrions pas que le pass culture résume progressivement la politique de l’État en matière d’éducation artistique et culturelle, car il n’aura de sens, d’après nous, que s’il s’inscrit dans la continuité d’un parcours d’EAC déjà complet et abouti.
D’autres chantiers doivent encore être poursuivis : les droits culturels, la réforme du classement des conservatoires, celle du statut des enseignants des écoles d’art territoriales. À ce sujet, monsieur le ministre, nous devrons veiller, à l’occasion du prochain projet de loi de programmation, à ce que ces écoles aient les moyens de développer la recherche.
N’oublions pas non plus qu’à la base de toute politique culturelle il y a d’abord des artistes et des œuvres. Attention donc à ne point assécher les crédits destinés à la création et à la structuration de ce secteur, car l’ensemble des politiques culturelles en pâtirait.
Les conditions de travail des artistes doivent être propices à l’acte de création. C’est pourquoi la commission de la culture a déposé un amendement visant à rétablir les crédits du Fonpeps, supprimés à l’Assemblée nationale.
Sous ces réserves, elle a émis un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Culture ».
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.
Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps de l’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de vingt minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Pierre Ouzoulias.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà soixante ans était fondé le ministère de la culture. Créé pour et par André Malraux, son premier et seul ministre d’État, sa mission était, pour l’auteur de La Condition humaine et de L ’ Espoir, « de rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français ; d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel, et de favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent ».
L’année suivante, en 1960, était inaugurée la première maison de la culture à Béthune, puis celle du Havre, en 1961. À cette occasion, André Malraux rappelait que le IVe plan en prévoyait la constitution d’une vingtaine dans les quatre ans.
Il résumait ainsi son ambition : « Il s’agit de faire ce que la IIIe République avait réalisé, dans sa volonté républicaine, pour l’enseignement ; il s’agit de faire en sorte que chaque enfant de France puisse avoir droit aux tableaux, au théâtre, au cinéma, etc., comme il a droit à l’alphabet ». Défendant son budget devant le Parlement en octobre 1966, il ajoutait : « Religion en moins, les maisons de la culture sont les modernes cathédrales : le lieu où les gens se rencontrent pour rencontrer ce qu’il y a de meilleur en eux. Sachez que chaque fois que nous en bâtissons une dans une ville moyenne, nous changeons quelque chose d’essentiel en France. »
Soixante ans après, que reste-t-il de cette ambition ? Le pass culture ? Ce dispositif nous semble symptomatique de la perte de sens des politiques soutenues par le ministère de la culture. Les rares données disponibles pour l’expérimentation en cours laissent à penser que ce dispositif n’a pas favorisé la diversification des pratiques culturelles, mais, au contraire, qu’il a conforté les jeunes dans leurs choix actuels, échouant à intéresser à la culture les adolescents qui en sont les plus éloignés.
Avec la rapporteure pour avis, Sylvie Robert, nous considérons qu’une politique publique dans le domaine de la culture doit nécessairement mettre à profit et contribuer à développer le réseau des structures culturelles et, plus particulièrement, celles qui sont aidées ou gérées par les collectivités locales. À l’opposé, le pass culture, promu par une société privée, risque de renforcer encore davantage l’emprise des plateformes qui captent déjà une grande partie de l’offre culturelle. Les capacités d’intervention de l’État s’en trouveront réduites.
Enfin, nous regrettons vivement que la montée en puissance rapide et peu contrôlée du pass culture menace l’existence même de l’éducation artistique et culturelle. Il est encore temps de suspendre cette expérimentation pour délivrer aux jeunes un autre message : éteignez vos portables et, selon la formule d’André Malraux, allez à la rencontre des gens pour rencontrer ce qu’il y a de meilleur en vous !
Le choix politique de confier les missions de l’État à des entités constituées à l’extérieur du cadre de ses administrations a présidé, de la même façon, à l’organisation du chantier de sauvetage et de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
En juillet dernier, des engagements avaient été pris dans cet hémicycle pour que l’État contribue à son financement. Las ! Nous apprenons aujourd’hui que l’établissement chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale disposera d’un budget alimenté en totalité par les dons privés et que ses compétences exclusives en feront l’unique régisseur de toutes les interventions sur le monument.
Comme je le craignais, ce chantier bénéficie ainsi d’une forme d’extraterritorialité, le constituant de fait en une petite principauté insulaire placée sous la seule autorité d’un coprince et aux frontières martialement défendues !
M. Jean-Pierre Leleux s ’ exclame.
À la suite de l’incendie de la cathédrale Notre-Dame, le ministère de la culture a heureusement décidé d’un plan de rénovation des systèmes de protection contre l’incendie dans les 89 édifices de culte dont il est propriétaire.
Ce plan sera mis en œuvre par tous les acteurs du patrimoine – l’on regrette qu’une collaboration similaire n’ait pas été retenue à Paris. Il est doté d’un budget de 2 millions d’euros en 2020. Le rapporteur spécial vient de souligner, très justement, que cette mobilisation budgétaire a été réalisée aux dépens des crédits destinés aux opérations de restauration des monuments appartenant aux collectivités et aux propriétaires privés. Nous regrettons avec lui ce transfert, qui s’inscrit malheureusement dans un revirement majeur des choix politiques ministériels, dont témoignent aussi la faiblesse des moyens consacrés au patrimoine des centres anciens ou l’obsolescence programmée du dispositif fiscal dit Malraux.
Dans ce domaine aussi, le succès relatif du loto du patrimoine ne pourra remédier au désengagement de l’État dans des politiques patrimoniales structurantes conduites avec les collectivités.
De révision générale des politiques publiques en modernisation de l’action publique, les missions du ministère de la culture ont profondément évolué et votre proposition de budget pour l’année 2020, monsieur le ministre, s’inscrit dans ce renversement. Il devient urgent d’en tirer toutes les conséquences politiques et de procéder à un examen sincère de la place et du rôle du ministère de la culture, soixante ans après sa création.
Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC. – Mme la présidente de la commission de la culture, M. Vincent Éblé, rapporteur spécial, et M. Sébastien Meurant se joignent à ces applaudissements.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le ministère de la culture fêtait cette année son soixantième anniversaire. Depuis sa création sous l’égide d’André Malraux, le fil conducteur de son action n’a cessé d’être l’accessibilité de la culture pour tous.
En 2020, cette vocation sera poursuivie, à travers un budget s’élevant à 2, 96 milliards d’euros, en hausse de 1 % par rapport à la précédente loi de finances. Ce budget rassemble les crédits destinés à financer les trois priorités de notre politique culturelle : le patrimoine ; la création ; la transmission des savoirs et la démocratisation de la culture.
J’évoquerai en premier lieu le pass culture, qui bénéficiera de 10 millions d’euros supplémentaires pour financer son développement. L’initiative est heureuse eu égard à ses objectifs. Nous espérons qu’elle sera en mesure de s’adapter à l’ensemble des réalités territoriales.
Les territoires bénéficieront de la création d’un réseau de 1 000 Micro-folies à l’horizon de 2022. Ces nouveaux musées numériques de proximité, qui ont vocation à s’implanter dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville, mais également en milieu rural, représentent un investissement de 3 millions d’euros par an.
Dans mon département, la Seine-et-Marne, plus particulièrement à Melun-Val-de-Seine, j’ai pu constater l’enthousiasme suscité par ce projet, dont les populations et les établissements scolaires situés en quartier prioritaire de la politique de la ville bénéficient largement.
Le plan Bibliothèques, amorcé en 2018, sera doté de 4 millions d’euros supplémentaires. Ces nouveaux moyens permettront d’amplifier les aides accordées aux collectivités locales pour accompagner la création de nouvelles structures, diversifier leurs activités et étendre les horaires d’ouverture. Ce plan est également très apprécié dans les territoires.
Le projet Démos sera doté de 2 millions d’euros et contribuera à diffuser la pratique musicale en zone rurale et au sein des quartiers prioritaires. La musique n’est pas l’apanage d’une élite issue des grandes villes. Le grand compositeur et violoniste George Enesco était fils d’agriculteur. Je pourrais citer le jeune Mourad, prodige des quartiers nord de Marseille, découvert alors qu’il jouait sur le piano du hall d’attente de l’hôpital de la Timone. Favoriser l’accès à la musique classique par la pratique instrumentale en orchestre est une belle initiative qui doit se développer.
Enfin, nous saluons également la généralisation du dispositif d’éducation artistique et culturelle, doté l’an prochain d’un budget de 198 millions d’euros.
L’année 2020 sera aussi marquée par de grands chantiers culturels : la rénovation du château de Villers-Cotterêts, symbole historique et futur berceau de la langue française, suit son cours dans les Hauts-de-France.
La création d’une cité du théâtre représente un budget de 7 millions d’euros en 2020, sur un total de 86 millions d’euros d’investissement. Pour libérer les Ateliers Berthier, qui accueilleront cet espace, le Gouvernement prévoit la création d’une nouvelle salle modulable au sein de l’Opéra Bastille, dont le budget s’élève à 59 millions d’euros. Par ailleurs, le Centre national des arts plastiques se verra relocalisé sur le site de Pantin.
Si les travaux de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris seront entièrement financés par l’argent collecté lors de la campagne de souscription publique, le Gouvernement prévoit de consacrer 2 millions d’euros au plan d’action « sécurité cathédrales ». Le fonds incitatif et partenarial pour la restauration des monuments historiques des petites communes à faibles ressources bénéficiera de 10 millions d’euros l’année prochaine.
En contrepartie, un effort particulier sera demandé au musée du Louvre, dont la dotation accusera une baisse de 15 %.
L’autre versant, souvent négligé de nos politiques culturelles, et pourtant condition sine qua non de leur existence, consiste au soutien à la création artistique, au sein du programme 131. Les crédits soutenant le fonctionnement des labels et des structures hors labels seront légèrement revalorisés et le spectacle vivant bénéficiera d’un effort particulier.
Nous insistons sur la nécessité de sécuriser les parcours professionnels des artistes en développant les possibilités de résidence et en contrôlant davantage les rémunérations.
Plus globalement, ces trois programmes s’inscrivent dans un double mouvement de déconcentration et de décentralisation des politiques culturelles.
D’une part, l’administration centrale sera déchargée l’année prochaine de la gestion de 63 dispositifs au profit des DRAC. Pour accompagner ces transferts, nous saluons la création de 20 équivalents temps plein au sein de ces DRAC.
D’autre part, l’année 2020 sera marquée par l’affirmation du rôle des collectivités locales dans le développement des projets culturels locaux, invitant l’État à repenser les termes du dialogue avec la mise en place du Conseil des territoires pour la culture. Nous saluons également la création prochaine d’un nouveau volet culturel au sein des futurs contrats de plan État-région.
Nous sommes plus réservés sur l’article 50 du PLF prévoyant de diminuer le taux de réduction d’impôt en faveur du mécénat pour les plus grands donateurs. Nous soutenons fortement, en revanche, la disposition adoptée par l’Assemblée nationale en faveur du développement du mécénat de proximité, à savoir la relève de la franchise du plafond de 0, 5 % du chiffre d’affaires instaurée par la loi de finances pour 2019, avec un nouveau plafond de 20 000 euros. Cette mesure devrait contribuer à favoriser l’engagement des PME et TPE dans le financement de projets culturels locaux.
Mon groupe a déposé un amendement, que nous étudierons lors de l’examen des articles non rattachés aux crédits, visant à relever le seuil de versement entraînant une réduction d’impôt de 40 %, au lieu de 60 %, de 2 millions d’euros à 7, 5 millions d’euros.
Dans l’ensemble, nous soutenons cette mission et nous voterons en faveur des crédits présentés.
Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants. – M. Richard Yung se joint à ces applaudissements.
Applaudissements sur les travées du groupe UC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme la rapporteure pour avis Sylvie Robert et Alain Schmitz l’ont justement exprimé, le budget pour 2020 de la culture et du patrimoine est un budget de transition et de paradoxes, allant de points positifs en points de vigilance.
Tout d’abord, reposons ce postulat : une politique culturelle nationale ne saurait se faire au détriment des politiques locales et, inversement, les politiques locales ne sauraient exister sans une politique nationale portant une véritable vision.
Même constat à propos de la politique patrimoniale. Tout patrimoine, classé, inscrit ou non, grand monument historique ou petit patrimoine vernaculaire, participe d’un ensemble cohérent, méritant une égale attention de l’État.
Ainsi, le budget pour 2020 nous conduit à nous interroger sur ce souci de maintenir un équilibre entre territoires et ministère.
Les crédits de la mission « Culture » sont en hausse : c’est un soulagement dans un contexte de resserrement budgétaire. Si, bien évidemment, nous saluons cette évolution globale, certains sujets nous alertent.
À propos du programme 224, « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », une part inédite des crédits est concentrée sur des priorités identifiées par le Gouvernement : le pass culture et les Micro-folies. Ces actions doivent encore faire leurs preuves.
Les premiers résultats de l’expérimentation du pass culture n’en font pas l’outil véritable de démocratisation attendu. Une hausse des crédits de 10 millions d’euros est prévue. Mais seuls 19 millions d’euros, sur les 29 millions d’euros budgétés, ont été consommés en 2019. L’augmentation, qui se fait au détriment d’autres projets structurels du ministère, a de quoi interroger.
Quant aux Micro-folies, si là où elles sont installées les bénéfices sont visibles, leur modèle reste aussi fragile, car fonctionnement et médiation sont à la charge des collectivités. Pour une commune rurale, c’est extrêmement lourd…
Hormis ces deux projets, assez budgétivores, les autres lignes budgétaires stagnent ou diminuent, notamment celles qui irriguent les territoires.
La baisse de crédits subie par les écoles d’art territoriales et nationales s’établit respectivement à 14 % et 6 %. La question du statut des enseignants n’est pas réglée ; la fonction de recherche n’est toujours pas une priorité.
Le plan Conservatoires, bien qu’annoncé depuis deux ans, n’a toujours pas abouti.
Quant aux crédits déconcentrés, leur déclinaison locale reste encore l’objet de fortes disparités. Nous attendons les propositions du ministère pour une répartition plus juste et adaptée aux besoins sur le territoire national.
Sans critères véritablement formalisés et sans orientations claires, les collectivités locales, pour le moment, ne voient pas venir cette liberté tant attendue.
Les DRAC ont peu de souplesse. Une fois les obligations budgétaires assumées, difficile de trouver des reliquats de crédits en soutien aux initiatives locales, certes atypiques !
Enfin, l’écrêtement des crédits destinés à l’éducation artistique et culturelle est une mauvaise nouvelle. L’application de l’Objectif 100 % éducation artistique et culturelle, bel objectif, garde des contours flous, tant sur le plan des moyens que sur le plan qualitatif.
Ces actions reposent beaucoup sur la bonne volonté de l’établissement scolaire et des collectivités, qui en sont les grands financeurs.
Monsieur le ministre, nous attendons vraiment le contenu du travail interministériel entre l’éducation nationale et la culture. Cet Objectif 100 % éducation artistique et culturelle, qu’est-il réellement, et quel en est le coût ?
Pour ce qui concerne le programme 131, « Création », nous faisons le même constat d’une répartition inégale des crédits sur le territoire.
Même attendus, les projets du Centre national de la musique – 7, 5 millions d’euros – et de la Cité du théâtre – 7 millions d’euros – pèsent dans le budget.
Pour les crédits territoriaux, si on peut noter l’effort pour les résidences d’artistes, offre par excellence destinée aux innovations et pratiquée notamment dans les communes rurales, a contrario, l’accompagnement du spectacle vivant et des arts visuels est à la peine dans ce budget pour 2020. Pourtant, ces deux domaines sont de grands pourvoyeurs de l’offre et de la dynamique culturelles à l’échelon local.
Les crédits baissent pour le spectacle vivant, alors que les équipes artistiques, ultra présentes et actives quelles que soient les disciplines, devraient faire l’objet d’un soutien plus offensif. De même, les arts visuels restent en retrait des priorités. L’accompagnement des scènes publiques locales, hors label, n’est toujours pas clarifié.
Pour le budget du patrimoine, nous pouvons faire le même constat, celui d’un délicat équilibre entre le national et le local.
Le budget pour 2020 est en légère hausse, c’est une très bonne nouvelle. Mais, dans sa déclinaison territoriale, cette augmentation est inégalement répartie. Vous le savez, une forte injustice est ressentie entre les grands travaux parisiens et la province.
Si l’effort réel consenti en direction du patrimoine monumental est présenté comme le fruit d’économies sur le musée du Louvre, il y a aussi, en réalité, des redéploiements de crédits.
En particulier, notons une diminution de l’ordre de 5 % des subventions d’investissement accordées aux collectivités territoriales et aux propriétaires privés en vue de la restauration de monuments historiques. Ces derniers disposent pourtant du plus grand nombre de monuments en péril. La question de la conservation de ceux-ci est de nouveau posée.
Nous soutiendrons donc l’amendement de la commission des finances sur le sujet.
Le patrimoine vernaculaire, certes moins spectaculaire, se voit attribuer une mince partie du budget. Répétons qu’il fait l’âme des territoires et que les Français y sont attachés, comme l’a montré la mission Bern.
Le patrimoine est un tout. Monument historique ou petit patrimoine, inscrit, classé ou non, l’État doit y veiller et avoir le souci de considérer chaque entité.
À ce titre, la non-compensation des taxes du loto du patrimoine est à mettre au compte des mauvais signaux.
La réforme, à l’article 50 du PLF, de l’avantage fiscal au bénéfice du grand mécénat fragilise cette ressource essentielle aux territoires. Ajoutons cette autre menace fiscale portant sur le dispositif Malraux. Ces messages sont déstabilisants.
L’écosystème du patrimoine est délicat, avec une répartition, toujours sur une logique de crête, des financements entre le privé et le public. Il est fragilisé actuellement avec ces contradictions permanentes.
Preuve en est, quand l’État, particulièrement le ministère de la culture, affirme son rôle de pilote des politiques patrimoniales, aux côtés des collectivités, cela marche ! Ainsi, le fonds incitatif et partenarial pour la restauration des monuments historiques des petites communes à faibles ressources connaît un véritable succès. Son augmentation est positive, mais c’est encore insuffisant !
Enfin, hors la question des moyens, celles des besoins organisationnels, techniques et en termes d’expertise se posent.
C’est pourquoi les DRAC doivent rester disponibles, auprès des territoires, pour le patrimoine. Reposons la question de la compétence de l’État en matière d’assistance à maîtrise d’ouvrage. Elle fait cruellement défaut !
Monsieur le ministre, je terminerai en insistant sur le rôle majeur joué pas les collectivités territoriales, qui, en France, restent les premiers financeurs de la culture et, pour une grande partie, du patrimoine.
La perte de plus en plus grande de l’autonomie financière des collectivités a une forte incidence.
Les acteurs du secteur sont inquiets, car, au fil des années, les budgets tendent vers d’impossibles équations et les dépenses culturelles et patrimoniales se réduisent déjà dans certaines collectivités.
Patrimoine ou culture, on le voit bien, la France a besoin d’une politique territoriale et d’une politique nationale qui s’unissent et se complètent. Décentraliser et déconcentrer plus, cela signifie, aussi, assurer la cohérence nationale.
L’État doit éviter les actions trop visibles ou communicantes et se consacrer surtout au travail laborieux et minutieux sur le terrain, aux côtés des collectivités, pour décliner avec justesse et justice l’accès à la culture, consacrant les droits culturels, d’une part, et la valorisation du patrimoine, de l’autre.
Monsieur le ministre, malgré ce souci de voir clarifié et conforté un pacte entre État et collectivités, pour lequel vous pourrez compter sur nous, nous soulignons l’effort global sur les masses budgétaires et voterons donc en faveur des crédits portant sur la culture et sur le patrimoine.
Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les crédits dédiés à la culture dans le PLF pour 2020 doivent contribuer à faire vivre une politique culturelle ambitieuse pour notre pays, mais ils restent sous le seuil symbolique de 1 % du budget global.
La mission « Culture » est difficilement lisible, en raison de la nouvelle répartition des crédits au sein des programmes, comme l’ont souligné certains rapporteurs. Ce fait ne suffit pas à dissimuler un risque réel : voir le financement public perdre du terrain face au financement privé, phénomène qui s’accentue dans le PLF pour 2020. De plus, certaines actions s’appuient davantage sur les financements décentralisés des collectivités territoriales.
Je note un autre point frappant : des lignes budgétaires n’ont pas été totalement consommées en 2019. C’est le cas pour l’expérimentation du pass culture, j’y reviendrai.
En bref, le budget de la culture est cette année encore contrasté. Si une baisse de 3, 36 % des autorisations d’engagement de la mission est prévue, les crédits de paiement connaissent une légère hausse de 2, 93 à 2, 95 milliards d’euros. Ces chiffres traduisent une relative stabilité, qui cache des situations contrastées.
Les principaux axes de ce budget sont le soutien à l’emploi culturel, le développement de l’expérimentation du pass culture et la poursuite de grands travaux – Versailles, le Grand Palais, ou encore Villers-Cotterêts –, dotés de 30 millions d’euros, issus du programme d’investissements d’avenir et des crédits destinés aux monuments historiques, pour les grands projets.
Les faibles moyens alloués à la restauration des centres-villes dans le cadre du plan Action cœur de ville, soit seulement 8, 9 millions d’euros pour 880 sites patrimoniaux remarquables répertoriés, traduisent un manque d’ambition, unanimement regretté au sein du groupe RDSE, beaucoup restant une fois de plus à la charge des communes.
En outre, à la suite du dramatique incendie de Notre-Dame de Paris, de savants jeux d’écriture font passer des crédits prévus pour les subventions destinées aux collectivités territoriales vers le financement de la sécurisation des cathédrales, pour un montant de 2 millions d’euros, affectant injustement les collectivités.
En 2019, je faisais déjà part de mon scepticisme face au loto du patrimoine. Pour cette deuxième édition, étant donné son succès auprès de la population, cette opération devrait rapporter des gains prévisionnels estimés à 25 millions d’euros au moins. Je suis cependant perplexe : seulement 10 % des mises des contributeurs sont reversées à la Fondation du patrimoine, puisque sur un ticket de 15 euros seulement 1, 52 euro est reversé. La Fondation n’a recueilli que 20 des 200 millions d’euros investis par les Français en 2019. Ce faible retour sur investissement laisse dubitatif.
Ce type d’initiative laisse croire que l’on peut se satisfaire d’opérations ponctuelles pour mener des actions d’entretien du patrimoine, qui fait la richesse de notre pays. La multiplication d’opérations de cette nature ne peut se substituer à l’action publique sans avoir de conséquences à long terme. Pour atteindre le but visé, il aurait été plus efficace d’encourager nos concitoyens à effectuer des dons directement auprès des associations de gestion du patrimoine. Cette question reste entière, et je garde un avis personnel à ce sujet.
J’en viens au programme 224, « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », dédié notamment aux politiques transversales d’éducation artistique et culturelle, dont les crédits de paiement progressent, à périmètre constant, s’établissant à 1, 17 milliard d’euros en 2020. Ce programme englobe le déploiement, à l’horizon 2022, d’un millier de Micro-folies, mini-musées numériques de proximité, pour 3 millions d’euros. Ces structures sont censées faciliter l’accès de tous aux grandes œuvres de notre patrimoine. Toutefois, leurs coûts de fonctionnement et de maintenance seront, encore, à la charge des collectivités locales.
L’effort consacré à l’expérimentation du pass culture, en hausse de 35 %, atteignant 39 millions d’euros, semble se faire au détriment des crédits pour l’éducation artistique et culturelle qui, hors pass culture, sont en baisse, comme l’a relevé la rapporteure pour avis.
À plein régime, ce dispositif mobilisera 400 millions d’euros ; c’est autant d’argent public qui doit être utilisé à bon escient, et pas seulement dans l’intérêt économique des prestataires culturels. Permettra-t-il d’atteindre l’objectif affiché de pérenniser à long terme l’appétence culturelle de nos jeunes et leur accès à la culture ?
Nous aimerions disposer d’un bilan scientifique plus précis de l’incidence réelle de cet effort financier sur la réduction des barrières sociales et territoriales d’accès à la culture.
Présidente du groupe d’études Arts de la scène, arts de la rue et festivals en région, j’évoquerai encore deux points.
Tout d’abord, les problèmes de sécurisation des festivals n’ont pas disparu, au contraire, et les coûts ont augmenté depuis la publication de la circulaire Collomb.
Cette question nécessitera sans aucun doute une évaluation dans le cadre du nouveau fonds d’intervention pour la sécurité des manifestations culturelles et la sécurité des sites de presse, créé par le décret du 18 mars 2019. Monsieur le ministre, des précisions sur la consommation des crédits de ce fonds depuis sa mise en place seraient effectivement bienvenues, pour procéder à un état des lieux budgétaire.
En outre, je rappelle mon attachement à la pérennisation des crédits d’impôt dans le secteur culturel, car ils sont bénéfiques à la diversité et à la création d’emplois.
Enfin, je partage les craintes de la rapporteure pour avis, Sylvie Robert, sur le retard de publication du décret fixant la composition du Centre national de la musique, sur les moyens et la gouvernance de ce dernier. Je ne m’étendrai pas, faute de temps, sur la mise à l’écart de Catherine Ruggeri.
En conclusion, nous sommes favorables à la stabilisation du budget de la culture dans le PLF pour 2020, et malgré les quelques réserves exposées, que nous espérons voir lever par de plus amples précisions de votre part, monsieur le ministre, le groupe RDSE votera les crédits de la mission « Culture ».
Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes SOCR, Les Indépendants et UC
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si les crédits consacrés à la culture dans ce budget sont globalement stables, il faut rappeler qu’ils succèdent aux coupes sévères des années 2012 à 2014. En conséquence, nombre des moyens nouveaux n’opèrent qu’un retour en arrière et compensent simplement les baisses de ressources des années passées.
L’ensemble reste cependant satisfaisant dans le contexte actuel de maîtrise des dépenses publiques, comme l’ont souligné les rapporteurs. Je ne détaillerai pas l’ensemble des crédits, mais je souhaite évoquer plusieurs sujets d’inquiétude.
Je commencerai par le patrimoine. Le terrible incendie de Notre-Dame de Paris a mis en lumière le manque de moyens alloués à la préservation des monuments historiques, notamment de nos édifices religieux. Cette année, 2 millions d’euros sont inscrits au PLF pour sécuriser les 87 cathédrales dont l’État est propriétaire.
Or, comme l’a souligné Philippe Nachbar en commission, les besoins vont bien au-delà de cette somme. Ainsi, 23 % des immeubles protégés au titre des monuments historiques sont en mauvais état, et près de 5 % en situation de péril. Les annonces traduisent donc plus un affichage politique qu’un réel investissement.
Je veux également souligner le paradoxe que connaît cette année le mécénat. Au fil du temps, le mécénat est devenu le mode de financement naturel des institutions culturelles et de la rénovation de nos monuments historiques. En 2020, l’État compte plus que jamais sur lui, qu’il s’agisse de la rénovation de Notre-Dame de Paris, mais aussi d’autres grands chantiers, tels que celui du château de Villers-Cotterêts, où un apport de 25 millions d’euros est attendu, soit près d’un quart du budget total du projet. L’État encourage d’ailleurs ses grands opérateurs à attirer des mécènes, ce qu’ils font avec succès.
Toutefois, par l’article 50 du PLF que nous examinerons prochainement, le Gouvernement souhaite durcir la fiscalité du mécénat, en diminuant de 60 % à 40 % la réduction d’impôt pour les dons supérieurs à 2 millions d’euros. Aucune étude d’impact n’a été réalisée en amont. De plus, cette réforme intervient alors que le Premier ministre a confié à deux députées une mission visant au développement de la philanthropie française. Comment expliquer alors que le Gouvernement, au nom de la rigueur fiscale, prenne le risque de porter préjudice au mécénat ? Mon groupe soutiendra bien évidemment les initiatives revenant sur cette disposition.
Je souhaite dire également quelques mots sur l’objectif fixé par le Gouvernement d’un égal accès de 100 % des jeunes aux arts et à la culture. L’émiettement des crédits consacrés à l’éducation artistique et culturelle reflète les contours flous de ce projet. Les financements se concentrent surtout sur la mesure phare du pass culture, promesse de campagne, certes séduisante, du Président de la République. Cette enveloppe de 500 euros destinée aux jeunes de 18 ans, mise en place pour le moment dans 14 départements, vise à terme tous les jeunes résidant en France. Le PLF anticipe une montée en charge de ce dispositif, en augmentant les crédits qui lui sont dédiés de 34 à 39 millions d’euros. En revanche, l’action concernée diminue de plus de 4 millions d’euros.
Je partage donc l’inquiétude des rapporteurs et de nombreux collègues de la commission de la culture. Le pass culture ne saurait être le seul vecteur utilisé pour lutter contre les inégalités sociales et territoriales, et son développement ne doit pas s’opérer au détriment des actions traditionnelles.
Je crains surtout que ce projet ne soit peu réaliste.
La première expérience en la matière a en effet été un échec. Le Bonus Cultura italien a donné lieu à des trafics en tout genre : reventes de livres, émissions de fausses factures, achats de produits américains ou sud-coréens, etc. Le dispositif mis en place pourra-t-il éviter ces mêmes dérives ?
L’autre écueil serait que le pass culture manque son public. Le Bonus Cultura n’a profité qu’à la moitié des jeunes, précisément ceux qui avaient déjà accès à la culture. C’est dommage !
Les premières données de l’évaluation conduite sur le pass culture sont peu encourageantes, avec un taux d’activation de seulement 52 %, et un taux d’utilisation parmi les jeunes ayant créé un compte de 68 %. C’est surtout le profil exact des bénéficiaires qu’il faudrait connaître, avant d’envisager une généralisation du dispositif à toute la France.
Par ailleurs, il me semble que cet effort important de l’État serait plus utile s’il intervenait plus en amont dans la construction du jeune. Attendre l’âge de 18 ans est en effet bien tard pour sensibiliser un enfant à la culture. Je pense que cette ouverture pourrait et devrait d’abord se faire avec les instituteurs et les professeurs, au sein de l’école de la République, qui a pour mission l’éveil intellectuel de tous les élèves, sur l’ensemble du territoire. Nous serions ainsi certains de toucher tous les publics.
Pour conclure, hormis ces réserves, mon groupe constate l’évolution positive des crédits de la mission « Culture ». Il est donc favorable à leur adoption.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le ministère de la culture a célébré ses soixante ans. Comme l’a signalé, il y a quelques instants, Pierre Ouzoulias, de la première maison de la culture inaugurée en 1961 par André Malraux dans la belle ville du Havre à aujourd’hui, quel chemin parcouru ! Sans nul doute, le ministère de la culture peut être un motif de fierté. Cependant, sa tâche est encore immense.
Les défis que représentent l’accès à la culture pour toutes et tous, l’accès aux œuvres et aux artistes, mais aussi l’accès à la pratique et les conditions de son exercice, les droits d’auteur, le statut des intermittents du spectacle, le patrimoine et les archives constituent les fondements de l’action du ministère. Par son expertise, son expérience et la grande qualité de ses agents, celui-ci a un rôle prépondérant à jouer dans le rayonnement culturel de la France et de ses territoires.
Outre-mer, il existe un paradoxe surprenant : la culture, produit d’une histoire mouvementée, fondée sur les expériences douloureuses de l’esclavage et de la colonisation, est foisonnante et plurielle, mais nous constatons dans le même temps les manques d’une politique culturelle qui, trop longtemps, a traité les outre-mer en parents pauvres.
Comme le montrait en 2018 le rapport sur les zones blanches de la culture, il reste beaucoup à accomplir pour réduire les inégalités patentes qui demeurent entre les différents territoires de l’Hexagone, et entre l’Hexagone et les outre-mer. Trente-sept ans après le premier mouvement de décentralisation culturelle des lois Auroux, les chiffres révèlent un sous-équipement flagrant.
Pour les 2, 7 millions d’Ultramarins répartis dans une dizaine de territoires, nous comptons au total seulement deux conservatoires et deux scènes nationales, aucune salle de plus de 3 000 places, aucun musée d’art contemporain et un seul fonds régional d’art contemporain (FRAC) situé sur l’île de la Réunion.
Il faut le dire, longtemps le pouvoir jacobin a nié nos spécificités culturelles, craignant de nourrir des velléités indépendantistes. Néanmoins, l’inauguration en 2015 – je salue au passage mon collègue Victorin Lurel – du Mémorial ACTe est l’exemple même que les choses changent et que nos territoires peuvent être à l’avant-garde dans certains domaines.
Toutes ces missions appellent à renforcer les services déconcentrés de l’État, à associer les collectivités territoriales, à conforter les associations et à s’appuyer avec cohérence sur les groupes privés. Il faut les renforcer à travers une politique ambitieuse et ouverte à la création, une politique de soutien à toutes les actrices et à tous les acteurs de la culture.
Comme ces deux dernières années, les crédits de la mission « Culture » sont maintenus en 2020, avec une hausse de 1 % par rapport à la loi de finances pour 2019.
Le budget qui nous est présenté se veut d’abord au service de l’émancipation citoyenne. Pour cela, vous engagez, monsieur le ministre, la généralisation de l’éducation artistique et culturelle, afin d’en faire une réalité pour tous les enfants et jeunes de 3 à 18 ans. Telle est la finalité de l’Objectif 100 % éducation artistique et culturelle.
Cependant, l’EAC elle n’est pas circonscrite entre 3 et 18 ans. Aussi, la commission de la culture sera attentive aux conclusions de la mission confiée à la députée Aurore Bergé sur la politique d’émancipation artistique et culturelle pour tous les âges.
De même, ma collègue Sonia de la Provôté et moi-même présenterons dans quelques jours le fruit de notre travail sur les nouveaux territoires de la culture. Nous défendrons notamment l’urgence de combattre les inégalités territoriales – elle l’a signalé il y a quelques instants –, inégalités que j’ai décrites précédemment, au profit d’un nouveau modèle de démocratisation culturelle fondé sur la notion de droits culturels.
L’émancipation citoyenne passe également par le pass culture. Pour observer l’expérimentation à l’œuvre sur mon territoire et participer à son suivi au sein du groupe de travail présidé par Jean-Raymond Hugonet, je peux témoigner de l’investissement des services déconcentrés de l’État et des effets déjà bénéfiques de ce dispositif.
En 2019, une nouvelle étape a été franchie avec la poursuite de l’expérimentation et le lancement de la société du pass culture. L’an prochain, 10 millions d’euros supplémentaires, soit un total de près de 40 millions d’euros, nous permettront d’accroître le nombre de jeunes éligibles et d’ouvrir l’expérimentation à de nouveaux territoires.
Cela étant, les résultats de la première expérimentation montrent que 52 % des jeunes auraient activé leur compte. Peut-être pourrez-vous nous dire, monsieur le ministre, les moyens que votre ministère entend mettre en œuvre pour que les jeunes aient une meilleure connaissance du dispositif lors des expérimentations à venir.
Les crédits alloués au programme « Création » sont, eux aussi, en augmentation. Le spectacle vivant se trouve ainsi renforcé à travers, entre autres, les grands opérateurs, importants vecteurs culturels irriguant le territoire ; en cela, ils sont des acteurs essentiels qui participent à la transmission des savoirs au plus grand nombre.
Je salue l’initiative des Micro-folies, opportunités formidables de diffusion de la culture. En outre-mer, ce dispositif a été lancé avec succès, le 16 novembre dernier, en Guadeloupe, avec l’inauguration des deux premières Micro-folies, dont une itinérante sur l’ensemble du territoire.
Enfin, les crédits du programme 175, « Patrimoines », de la mission « Culture » progressent de 6, 8 %. Les 970 millions d’euros du programme sont, pour une large part, dévolus à l’entretien et à la restauration des monuments historiques et du patrimoine monumental, avec quelques chantiers particulièrement importants, comme le Grand Palais à Paris ou le château de Villers-Cotterêts. Ce château, méconnu de la plupart des Français, fait partie des hauts lieux de l’histoire de France. Il accueillera un projet francophone unique au monde, la cité internationale de la langue française, auquel nous adhérons tous – je suppose – sur ces travées.
Par ailleurs, l’année 2019 a été marquée par l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Le fonds dédié à la mise en œuvre du plan de sécurisation des cathédrales, doté de 2 millions d’euros, doit financer des audits qui nous permettront de nous assurer qu’une telle catastrophe ne frappe jamais l’une des 87 cathédrales classées appartenant à l’État.
Si ces chantiers sont évidemment indispensables, nous sommes heureux de constater que le budget alloué aux patrimoines de moindre ampleur est lui aussi en augmentation. Il est nécessaire d’envoyer, à l’adresse des collectivités, un signal pour montrer que l’État réinvestit dans ce patrimoine, qui est tout aussi important. Nous savons toutefois que les chantiers, en ce domaine, sont multiples et pratiquement inépuisables ; c’est pourquoi l’effort devra être prolongé.
Pour conclure, le budget de la présente mission progresse ; il va dans le sens d’une meilleure prise en compte de tous les territoires et privilégie les structures souples, qui s’adressent en priorité aux plus jeunes de nos concitoyens.
Pour toutes ces raisons, mon groupe votera les crédits de la mission « Culture ».
Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDSE.
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que nous célébrons les soixante ans du ministère de la culture, il paraît opportun de rappeler l’ampleur de la mission assignée par son décret fondateur : « rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français ; […] assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel, et […] favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent ». Le présent budget est-il à la hauteur de ces enjeux primordiaux ?
Vous vous félicitez, monsieur le ministre, de nous présenter un budget ambitieux, en hausse de 73 millions d’euros, marquant la volonté du Gouvernement en matière de politique culturelle. Sa lecture appelle toutefois la prudence, tant les transferts et les rectifications intervenus en cours d’exercice par rapport aux crédits qui ont été votés pour 2019 peuvent en fausser l’analyse. En réalité, hors transfert et en crédits de paiement, seuls les crédits dédiés au programme 224, « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » sont en augmentation de 5 %.
Au sein du programme « Création » a été créée l’action n° 06, Soutien à l’emploi et structurations des professions, par transfert de l’action n° 08 du programme 224. Dotée de 38 millions d’euros, elle bénéficiera notamment au Fonpeps. Celui-ci a fait l’objet d’une refonte, mise en œuvre le 1er octobre dernier : une aide unique à l’embauche en CDI ou en CDD se substitue aux quatre premières mesures du fonds initial. Nous souhaitons que cette restructuration permette une plus grande lisibilité et une meilleure efficacité du dispositif.
En outre, nous saluons le maintien de la compensation de la hausse de la contribution sociale généralisée (CSG), qui avait entraîné une baisse du pouvoir d’achat des artistes-auteurs. Nous resterons vigilants sur la mise en œuvre de la vaste réforme du statut social des professionnels du secteur.
Au sein du programme 224, l’action n° 01, Soutien aux établissements d’enseignement supérieur et insertion professionnelle, connaît cette année encore une baisse de 5 millions d’euros ; l’érosion des crédits de cette action se poursuit. Sans artiste, monsieur le ministre, pas de culture ! Un effort budgétaire plus important doit être consenti, afin de préserver la qualité des formations et de favoriser l’accompagnement des artistes vers la vie active : seuls 10 % des élèves diplômés parviennent à vivre exclusivement de leur pratique artistique ! De même, la révision du statut des professeurs des écoles d’art territoriales ne peut plus attendre.
L’action n° 02, qui finance le soutien à la démocratisation et à l’éducation artistique et culturelle, est en légère hausse ; elle est consacrée en réalité au pass culture, dont l’enveloppe est portée à 39 millions d’euros. L’expérimentation se poursuit, notamment dans ma région, où 18 000 jeunes sont inscrits.
Une mission d’évaluation est en cours et nous nous interrogeons au vu des premiers chiffres : le taux d’activation s’élève à 52 %, le taux d’utilisation parmi les jeunes ayant créé leur compte à 68 % et le taux de consommation à 60 %.
Lors de votre visite dans le Finistère, monsieur le ministre, les jeunes utilisateurs ont souligné des dysfonctionnements de l’application et l’insuffisance des offres locales, notamment dans les secteurs ruraux, dans lesquels la mobilité est une question cruciale.
Les professionnels s’inquiètent du manque de visibilité pour les petites structures. Nous demeurons vigilants à l’égard des déterminismes sociaux, géographiques et culturels, qui pourraient faire passer ce dispositif à côté de son objectif initial. La mise en œuvre d’une véritable médiation paraît plus que nécessaire.
Quant au mécénat, il a été évoqué à plusieurs reprises. Je n’y reviens pas.
Pour conclure, nous regrettons le peu de références aux droits culturels, introduits dans la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) et dans la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP). Ces droits culturels doivent pourtant constituer le fil directeur de l’ensemble des acteurs concourant aux politiques culturelles. Nous peinons également à dégager une cohérence d’ensemble aux politiques publiques soutenues par votre ministère. Ce dernier apparaît aujourd’hui comme affaibli, peinant à engager et piloter une politique culturelle structurée et structurante.
Affaibli, le ministère l’est d’abord par les coupes budgétaires imposées par Bercy ; il l’est aussi par la place toujours plus prépondérante du secteur privé, qui entraîne la culture dans une logique marchande et financière ; il l’est, enfin, en vertu de son propre désengagement.
Si la culture est bien une compétence partagée, si nous ne pouvons que saluer l’effort annoncé en faveur d’une plus large déconcentration, ainsi que le travail conjoint avec les collectivités, cet aspect ne doit pas constituer un prétexte au désengagement de l’État. Mon groupe vous accorde néanmoins sa confiance, monsieur le ministre, même si le présent budget peine à masquer son manque de souffle.
Applaudissements sur les travées d u groupe SOCR.
Sourires.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le patrimoine est le bien commun de tous les Français. Il est notre mémoire collective, notre trésor national.
Son entretien, sa sauvegarde, sa mise en valeur sont une nécessité, un enjeu culturel éminent auquel il ne faut déroger en aucune façon, qu’il s’agisse du majestueux château de Villers-Cotterêts, dans l’Aisne, ou de la petite église romane de Châteauneuf-de-Bordette, dans les Baronnies provençales.
Sourires.
Si cette année les crédits du programme 175 affichent une légère hausse en crédits de paiement – nous nous en réjouissons –, soulignons cependant que ce programme est « gonflé » de 63 millions d’euros supplémentaires provenant du programme 224. Hors transfert, le programme est en réalité en baisse de 1 % en crédits de paiement hors inflation. Ce budget, comme le soulignent les associations de protection du patrimoine, manque d’un certain élan, pourtant nécessaire pour concrétiser l’ambition que nous avons pour la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine dans tous les territoires.
Le budget alloué à l’entretien et à la restauration des monuments historiques s’élève à 338 millions d’euros en crédits de paiement. Si les crédits destinés aux monuments historiques, hors grands projets, sont en légère hausse, atteignant 300 millions d’euros, ils restent insuffisants au regard des besoins de restauration.
En effet, le Groupement des entreprises de restauration de monuments historiques estime, depuis déjà plus de dix ans, qu’un engagement de 400 millions d’euros en crédits de paiement et en autorisations d’engagement est nécessaire pour permettre la restauration et l’entretien des monuments historiques. Le compte n’y est pas !
Le compte n’y est pas non plus pour les directions régionales des affaires culturelles (DRAC), qui n’ont pas toujours les moyens d’aider les propriétaires à entretenir leur patrimoine.
Beaucoup de collectivités et de propriétaires privés ont pourtant cruellement besoin d’assistance à la maîtrise d’ouvrage (AMO). Nous pensons d’ailleurs qu’un meilleur fonctionnement de l’AMO – la situation est très inégale selon les régions – permettrait sans doute d’améliorer la consommation des crédits chaque année.
Il convient aussi, de la part du Gouvernement, de maintenir une certaine cohérence : on ne peut pas d’un côté afficher la protection du patrimoine comme un enjeu politique majeur en matière de culture, et d’un autre remettre en cause 25 millions d’euros de crédits en sa faveur dans le cadre du PLFR de 2019. Le Sénat – c’est tout à son honneur – a fort heureusement rétabli ces crédits.
Concernant le loto du patrimoine, en adoptant, contre l’avis du Gouvernement, l’exonération des contributions à l’État, comme l’année dernière, le Sénat a une nouvelle fois été le gardien de la protection du patrimoine. Notre position est constante : l’État n’a pas à récupérer de nouvelles recettes sur ce loto. La totalité de l’enveloppe doit revenir au patrimoine, et non à Bercy. Par ailleurs, cette opération devrait être pérennisée, au-delà de 2020, même si, rappelons-le, ce type d’action doit avoir pour vocation de compléter et non de remplacer les subventions publiques.
Il en va de même pour le mécénat. Le durcissement de la fiscalité que vous envisagez, monsieur le ministre, aura évidemment des répercussions sur le financement du patrimoine ; il risque de casser une dynamique positive en sa faveur. Mon groupe a déposé un amendement, afin que le dispositif incitatif fiscal dont bénéficie grandement notre patrimoine ne soit pas modifié. J’espère que le Sénat aura la sagesse de l’adopter.
Je ne peux parler de patrimoine sans évoquer le chantier de restauration de Notre-Dame de Paris. Aucune ligne budgétaire n’est prévue.
Le Gouvernement compte donc bien faire financer l’intégralité du chantier, y compris les coûts de fonctionnement de l’établissement public, par les donateurs privés, ce qui est pour le moins contradictoire avec vos propositions de réforme du mécénat, vous en conviendrez ! Voilà qui laisse un goût amer, face au désengagement de l’État vis-à-vis d’un chantier patrimonial emblématique.
Concernant l’archéologie préventive, si les crédits de cette action sont reconduits à l’identique, cette stagnation des moyens, sur trois exercices budgétaires, limite les marges de manœuvre de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) sur les missions de diagnostic, de recherche et de valorisation, qui sont en déficit chaque année dès l’automne. Une revalorisation aurait été bienvenue.
Enfin, je dirai quelques mots du petit patrimoine rural, lequel est vital pour le rayonnement et le dynamisme de nos territoires.
Je me réjouis de l’augmentation de 5 millions d’euros du fonds incitatif et partenarial pour la restauration des monuments historiques des petites communes à faibles ressources. Mais cette hausse est financée par un redéploiement de crédits initialement dédiés à des opérations de restauration des monuments historiques dans les territoires, ce qui ne nous paraît pas opportun. L’amendement déposé par Vincent Éblé, au nom de la commission des finances, vise précisément à compenser ce manque à gagner.
Pour conclure, nous ne nous opposerons pas à un budget globalement en hausse, même s’il s’agit, au moins en partie, d’une progression en trompe-l’œil. Mais nous examinerons avec vigilance les suites qui y seront données dans les prochains exercices budgétaires !
Applaudissements sur des travées du groupe SOCR. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, certains orateurs l’ont rappelé au cours de cette discussion générale : voilà soixante ans que le ministère de la culture existe ; soixante ans qu’il agit ; soixante ans que les ministres successifs viennent en présenter le budget dans cet hémicycle.
Depuis Malraux, l’ambition est la même : mettre la culture au centre de notre pacte social, en faire l’un des instruments privilégiés de la cohésion nationale, partout sur le territoire. En effet, la culture est ce qui nous rassemble, ce qui nous tient ensemble. Elle constitue, finalement, le ciment de notre société.
Voilà pourquoi nous devons faire en sorte que chacun puisse y avoir accès. Quels que soient son âge, sa situation et son lieu de vie, chacun doit pouvoir rencontrer les œuvres et les artistes, vivre les émotions que suscite l’art.
Telle est précisément l’ambition du budget de la culture pour 2020. L’an prochain, l’État consacrera 15 milliards d’euros aux politiques culturelles. Pour sa part, mon ministère bénéficiera de crédits budgétaires en hausse de 60 millions d’euros. La seule mission « Culture » recevra 21 millions d’euros supplémentaires : dans le contexte budgétaire actuel, marqué par la restauration des équilibres financiers, il s’agit là d’un véritable effort, qui nous impose des résultats. Or, pour obtenir des résultats, il faut établir des priorités.
Le budget que je vous présente en dénombre quatre. Il est au service de l’émancipation de tous, au service de la cohésion et de l’attractivité des territoires, au service des artistes et des créateurs et, bien entendu, au service de notre souveraineté culturelle.
La première priorité – l’émancipation des citoyennes et des citoyens – passe par la généralisation de l’éducation artistique et culturelle.
La culture, c’est nous retrouver autour de ce que nous trouvons beau. C’est partager ce qui nous plaît, au sens le plus noble du terme. Mais encore faut-il pouvoir aller au-delà de ce que nous connaissons ; découvrir ce que nous allons aimer sans même le savoir encore.
Faciliter la rencontre des plus jeunes avec les œuvres : tel est le sens de l’éducation artistique et culturelle et du label Objectif 100 % EAC. Tous les enfants et les jeunes de 3 à 18 ans doivent pouvoir en bénéficier, comme le Président de la République s’y est engagé.
Néanmoins, la rencontre avec les œuvres, comme la pratique d’une activité artistique, ne s’arrête pas à 18 ans. Elle s’étend tout au long de la vie. Chacun y a droit, quels que soient sa situation, son âge ou – j’y insiste – son lieu de vie.
C’est pour rendre ce droit effectif que sera créée, au sein du ministère de la culture, une nouvelle direction dédiée au pilotage de la politique de transmission et d’émancipation par les arts et la culture, au service de l’accès à la culture, au service de la démocratisation culturelle.
Cette émancipation pour et par la culture, nous l’encourageons aussi par le pass culture, que nous concevons, pour les jeunes, comme un instrument de liberté : liberté d’affirmer ses propres goûts, de tracer un chemin autonome vers la culture après avoir suivi le parcours d’éducation artistique et culturelle, dont certains ont parlé tout à l’heure.
À l’origine, le pass culture est une belle idée : 500 euros à 18 ans pour accéder à des offres culturelles. Cette belle idée, nous sommes en train d’en faire une réalité. Nous mettons au point une application géolocalisée qui permet à chaque jeune d’accéder à l’offre culturelle située à proximité du lieu où il vit ou, tout simplement, du lieu où il est.
En juin dernier, nous avons lancé une seconde vague d’expérimentation auprès de 150 000 jeunes. L’an prochain, 39 millions d’euros seront dédiés au pass culture, auxquels s’ajouteront 10 millions d’euros de reports de 2019 vers 2020, afin d’augmenter le nombre de jeunes éligibles – ils sont déjà plus de 35 000 –, d’ouvrir l’expérimentation à de nouveaux territoires et d’enrichir encore l’offre proposée.
Bien sûr, comme par le passé, je vous communiquerai les résultats de cette expérimentation avant de me prononcer sur la généralisation du pass. Je sais que le groupe de travail présidé par Jean-Raymond Hugonet suit l’évolution de cette politique de très près. De plus, nous mesurons constamment la mobilisation des jeunes et des acteurs culturels. Cette mobilisation est capitale : c’est grâce à elle que le pass culture deviendra un outil de valorisation de l’offre culturelle dans nos territoires.
La deuxième priorité de ce budget, c’est justement de renforcer la cohésion et l’attractivité de nos territoires. Nous les renforcerons d’abord par les services publics culturels de proximité. D’une certaine manière, il faut les conforter et les réinventer, en les adaptant aux nouvelles attentes de nos concitoyens dans un environnement marqué par l’irruption du numérique. Parmi tant d’autres initiatives, les Micro-folies sont emblématiques de cette ambition : nous allons accélérer leur déploiement pour atteindre 1 000 Micro-folies d’ici à 2022.
Une étude de l’inspection générale des affaires culturelles le démontre : dans notre pays, il n’existe pas de « déserts culturels » à proprement parler. Mais, ce qui est exact, c’est que certains territoires sont moins bien dotés en équipements culturels que d’autres : il faut donc corriger ces déséquilibres. Dans cette perspective, nous déploierons en priorité nos efforts vers les quartiers de la politique de la ville et vers les zones rurales.
Le ministère de la culture ne saurait se cantonner à la rue de Valois : d’ailleurs, cela n’a jamais été le cas. Il doit être partout, dans toutes les villes, dans tous les villages de France, en soutien à l’action des collectivités locales, des acteurs culturels, des associations et, bien sûr, des artistes.
Nos modes d’action doivent changer. Notre état d’esprit doit évoluer. En particulier, il faut déconcentrer les dispositifs de soutien déployés par le ministère. Une soixantaine d’entre eux seront concernés en 2020, dont la labellisation des centres culturels de rencontre et l’octroi des aides aux compagnies et aux festivals.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est dans nos territoires que doivent être prises les décisions, car c’est dans nos territoires que vit la culture. Je pense tout particulièrement à notre patrimoine : nombre d’entre vous l’ont rappelé au cours de la discussion. Je saisis cette occasion pour saluer votre décision de maintenir la totalité des crédits de 2019 en faveur des patrimoines, au titre du projet de loi de finances rectificative.
En 2020, près de 1 milliard d’euros seront consacrés aux politiques en faveur des patrimoines. J’ai le plaisir de vous confirmer que les moyens dédiés à l’entretien et à la restauration de nos monuments historiques augmenteront de 7 millions d’euros, pour atteindre 338 millions d’euros en crédits de paiement.
Nous soutiendrons les investissements du Centre des monuments nationaux (CMN), qui, vous le savez, est un puissant outil d’égalité entre les territoires. Nous poursuivrons la montée en puissance du fonds incitatif et partenarial (FIP) en faveur des communes à faibles ressources. Par ailleurs – je le confirme –, nous financerons un plan de sécurité incendie pour les cathédrales classées appartenant à l’État.
Pour ce qui concerne le mécénat, le Gouvernement a soutenu le relèvement du plafond d’investissement à 20 000 euros pour les PME.
Précédemment, ce plafond avait été fixé à 0, 5 % du chiffre d’affaires avant d’être porté à 10 000 euros. Cela étant, nous souhaitons rendre le mécénat plus transparent et plus équitable. Aussi, à partir de 2 millions d’euros par société et par an, la réduction d’impôt sera réduite de 60 % à 40 %.
Un certain nombre de sénateurs et de députés l’ont souligné, confirmant ainsi plusieurs rapports établis, notamment, par la Cour des comptes : le mécénat pourrait être mieux organisé. Or, à ce titre, la démarche des très grandes entreprises est bien souvent philanthropique. Il convient de la saluer : en pratiquant le mécénat, ces entreprises ne sont pas spécialement à la recherche d’avantages fiscaux.
Le plan de sécurité incendie pour les cathédrales, décidé sur mon initiative à la suite de l’incendie de Notre-Dame, sera mis en œuvre. Si les travaux de conservation et de restauration de cette cathédrale ne figurent pas dans le budget, c’est parce qu’ils seront financés par la souscription nationale dédiée, conformément au texte de loi que vous avez adopté.
Bien entendu – je l’ai déjà dit –, si des moyens complémentaires s’imposent, l’État sera au rendez-vous.
D’ailleurs, depuis des mois, l’État mobilise déjà toute son énergie pour sauvegarder Notre-Dame de Paris.
À ce titre, je salue le travail accompli par les rapporteurs du texte, Alain Schmitz et Albéric de Montgolfier : ce projet de loi a ainsi pu être adopté dans des délais très resserrés.
Je l’ai annoncé il y a quelques semaines : plus de 922 millions d’euros de promesses de dons nous sont parvenus, dont un peu plus de 110 millions d’euros sont déjà effectivement récoltés, et 72 millions d’euros ont été reversés à l’État.
Comptez sur mon entière détermination en faveur de ce chantier majeur. Dans les semaines qui viennent, j’aurai l’occasion de préciser la feuille de route, le contrat de performance de l’établissement public récemment créé. En effet, j’adresserai sa lettre de mission au général Georgelin, président de cet établissement public, qui est sous la tutelle du ministère de la culture.
Parmi les grands projets de restauration patrimoniale, j’évoquerai à mon tour le château de Villers-Cotterêts. Comme s’y est engagé le Président de la République, ce domaine retrouvera sa splendeur : nous ferons de Villers-Cotterêts une cité internationale de la langue française. À ce titre, je salue les sénateurs et les sénatrices engagés pour la francophonie.
Toutes ces mesures démontrent que la sauvegarde de notre patrimoine commun est une priorité.
La proposition de loi de Dominique Vérien relative à la Fondation du patrimoine, dont Jean-Pierre Leleux a été le rapporteur, va elle aussi dans ce sens. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement l’a soutenue, en se prononçant pour le rehaussement du seuil des communes concernées par le label de la Fondation du patrimoine de 2 000 à 20 000 habitants.
La troisième priorité de ce budget est de placer les artistes et les créateurs au cœur de nos politiques culturelles. Je veux que les intéressés soient mieux accompagnés tout au long de leur parcours.
Les dispositifs du Fonds national pour l’emploi pérenne dans le spectacle (Fonpeps) ont été simplifiés et rendus plus incitatifs. En outre, les moyens dévolus à ce fonds progresseront. Le dispositif de compensation de la hausse de la CSG pour les artistes-auteurs sera pérennisé. La politique de résidences sera réorientée et amplifiée.
Accompagner les créateurs tout au long de leur parcours implique également de lutter contre leur précarité. S’engager dans l’art, dans la création, c’est effectivement prendre un risque : mais, cette prise de risque, nous en avons besoin, et nous devons donc l’encourager. C’est le sens de la mission que j’ai confiée à Bruno Racine, qui me rendra ses propositions d’ici à la fin de l’année. Nous aurons évidemment l’occasion d’en reparler ensemble.
Accompagner les créateurs dans leur parcours suppose d’agir dès leur formation. En 2020, nous investirons par conséquent en faveur des établissements d’enseignement supérieur relevant du ministère de la culture, lesquels jouent un rôle essentiel à cet égard.
Accompagner les créateurs suppose également de mettre à leur disposition des équipements adaptés. Nous poursuivrons le projet de Cité du théâtre. Nous mènerons à bien le projet de relogement, à Pantin, des réserves du Centre national des arts plastiques (CNAP) et du Mobilier national.
Mme Maryvonne Blondin acquiesce.
Enfin, accompagner les artistes, c’est participer à la structuration des secteurs dans lesquels ils exercent. Là est tout l’enjeu de la création du Centre national de la musique. Cette maison commune de la musique verra le jour le 1er janvier prochain.
La quatrième et dernière priorité de ce budget est de réaffirmer notre souveraineté culturelle. C’est tout l’enjeu du projet de loi sur l’audiovisuel que j’ai présenté ce matin même en conseil des ministres : nous aurons l’occasion d’en reparler lors de l’examen des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles ».
Mesdames, messieurs les sénateurs, je le rappelais en préambule, le ministère de la culture fête cette année son soixantième anniversaire. Soyons à la hauteur de son histoire : elle est notre héritage commun. Agissons, avec ambition, au service de tous les Français. Ce budget pour 2020 – je veux le croire – nous permettra de favoriser leur émancipation, de soutenir la culture dans nos territoires, d’accompagner nos artistes et nos créateurs et, enfin, de réaffirmer notre souveraineté culturelle !
Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Colette Mélot et M. Jean-Claude Requier applaudissent également.
Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Culture », figurant à l’état B.
En euros
Mission
Autorisations d’engagement
Crédits de paiement
Culture
Patrimoines
Création
Transmission des savoirs et démocratisation de la culture
Dont titre 2
661 067 751
661 067 751
L’amendement n° II-9, présenté par M. Éblé, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
En euros
Programmes
Autorisations d’engagement
Crédits de paiement
Patrimoines
Création
Transmission des savoirs et démocratisation de la culture
dont titre 2
TOTAL
SOLDE
La parole est à M. le rapporteur spécial.
Nous proposons d’augmenter de 5 millions d’euros le programme 175, « Patrimoines », afin de compenser la baisse de crédits que plusieurs d’entre nous ont déplorée à la tribune.
Ces 5 millions d’euros seraient prélevés sur les crédits du pass culture. Nous ne sommes pas hostiles à ce dispositif, loin de là. Néanmoins, au titre de l’exercice 2019, qui s’achève, seuls 17 des 34 millions d’euros programmés ont été consommés, soit la moitié du total. Nous avons donc un peu de marge !
Monsieur le ministre, en vertu de vos propositions initiales, le budget du pass culture atteignait 39 millions d’euros. Par ailleurs, comme les représentants de votre administration l’ont indiqué à nos rapporteurs spéciaux, ce dispositif pourrait bénéficier de 10 millions d’euros supplémentaires au titre des crédits non consommés en 2019.
Compte tenu du faible recours à ce dispositif, qui, au demeurant, peut susciter des critiques et des interrogations – j’ai entendu les propos de Pierre Ouzoulias et de Maryvonne Blondin –, nous proposons d’en retrancher 5 millions d’euros au profit de l’exigence patrimoniale qui – nombre d’orateurs l’ont souligné – est extrêmement élevée.
L’enveloppe dédiée aux monuments historiques augmentera, l’an prochain, de 7 millions d’euros…
Elle passera de 331 à 338 millions d’euros. Cet effort significatif sera destiné aux communes à faibles ressources, à hauteur de 5 millions d’euros, via le FIP ; aux audits de sécurité dans les cathédrales, pour 2 millions d’euros ; à la restauration du château de Villers-Cotterêts, pour 3, 3 millions d’euros…
On prend ces fonds aux bénéficiaires habituels, alors qu’il s’agit de charges de l’État !
Monsieur le président de la commission, je vous ai écouté avec beaucoup d’attention…
Sourires.
Les investissements du CMN bénéficieront également de cet effort : il s’agit, là aussi, des territoires. Bref, le Gouvernement fait preuve d’un très grand volontarisme en faveur des monuments historiques.
Je comprends bien votre préoccupation : vous êtes, depuis longtemps, un défenseur du patrimoine. Mais nous devons répondre à toutes les priorités du budget en matière culturelle. Or l’éducation artistique et culturelle a toute son importance et le pass culture est l’une des priorités du Gouvernement. Il s’agit là d’une avancée importante : grâce à lui, nos plus jeunes concitoyens pourront dessiner leur propre chemin culturel.
Voilà pourquoi nous avons besoin des crédits aujourd’hui budgétés, pour 2020, en faveur de ce dispositif ! J’émets un avis défavorable sur cet amendement.
Monsieur le ministre, j’entends bien que les crédits dédiés au patrimoine sont en hausse. Mais, vous le savez, les besoins sont immenses. En outre, je tiens à revenir sur un sujet important, qui a fait débat dans cet hémicycle : les crédits que vous consacrez, au titre du programme « Patrimoines », à l’entretien du Palais de l’Élysée et des autres résidences présidentielles.
Il s’agit d’un débat récurrent. Vous avez pu le lire dans la presse : ce budget spécifique pose problème. Allez-vous, comme on vous le demande, transférer ces crédits à l’Élysée ?
On prétend que ces fonds sont destinés à l’entretien du patrimoine en général, mais, en réalité, ils sont dévolus à la présidence de la République. Or, en tant que monument historique, ce très beau bâtiment qu’est le Palais du Luxembourg mériterait tout autant d’égards que l’Élysée, à l’instar du Palais Bourbon…
Ces dernières années, les besoins n’ont cessé de croître, mais l’État n’a pas accordé l’argent nécessaire à cette politique. Pour ma part, je soutiens les crédits du patrimoine !
M. Franck Riester, ministre. Monsieur le sénateur, je n’entrerai pas dans cette polémique – restauration du Sénat ou restauration de l’Élysée. Ce qui est certain, c’est que le Palais de l’Élysée est un symbole de notre pays, un symbole de notre République. Le Président de la République y reçoit les chefs d’État du monde entier : en restaurant ce patrimoine, nous agissons au service de la France, et j’en suis fier !
M. André Gattolin applaudit.
M. Pierre Ouzoulias. Bien entendu, les élus de mon groupe voteront l’amendement de la commission des finances. Je regrette même de ne pas l’avoir sous-amendé, afin que la totalité des crédits destinés au pass culture soit attribuée aux monuments historiques !
Sourires et exclamations.
M. Vincent Éblé, rapporteur spécial. Vous voyez, monsieur le ministre, je suis un modéré !
Nouveaux sourires.
Monsieur le ministre, il faut savoir arrêter une expérimentation malheureuse – ne voyez là aucune allusion au mouvement de grève qui commence !
On nous avait expliqué que les crédits drainés par le loto du patrimoine viendraient renforcer les fonds de l’État. Et l’on s’aperçoit qu’au contraire – ce n’est pas une première ! – le Gouvernement en profite pour alléger le budget de la culture.
M. le ministre manifeste son désaccord.
Enfin, je regrette que les crédits dédiés à Notre-Dame ne soient pas gérés avec plus de clarté.
Une nouvelle fois, je rends hommage aux pompiers de Paris, dont la bravoure a permis de sauver la tour nord de Notre-Dame.
Monsieur le ministre, j’ai acheté leur calendrier…
Sourires.
M. Pierre Ouzoulias. Savez-vous ce qui m’a convaincu ? C’est la mention figurant à l’arrière : « 100 % de vos dons vont aux pompiers. » Eh bien, nous aurions souhaité que l’on raisonne de même pour le loto du patrimoine !
Applaudissements sur des travées du groupe SOCR, RDSE, UC et Les Républicains.
M. Franck Riester, ministre. Monsieur le sénateur, vous vous êtes livré à un amalgame un peu étonnant…
M. Pierre Ouzoulias brandit le calendrier des pompiers de Paris.
Sourires.
En effet, 100 % des dons destinés à Notre-Dame de Paris iront à Notre-Dame de Paris.
On en a suffisamment parlé ; on en a débattu longuement avec plusieurs représentants de la Fondation du patrimoine – hier encore, nous nous entretenions avec Guillaume Poitrinal – et il n’y a rien d’opaque. Celles et ceux qui ont donné ou vont donner pour Notre-Dame de Paris verront leurs dons utilisés pour Notre-Dame de Paris.
La mission Bern bénéficie évidemment de ces ressources : c’est tout à fait clair, tout à fait transparent, tout à fait vérifiable. Croyez-moi, les membres de la Fondation du patrimoine y veillent, à l’instar de Stéphane Bern.
Les chiffres du loto du patrimoine ont été cités ; les sommes que misent nos compatriotes, en achetant un ticket à gratter ou un billet du tirage, viennent en grande partie alimenter cette loterie. C’est précisément pour cela qu’elle constitue le cœur du dispositif ! Ensuite – on connaît ce débat par cœur –, une part des mises est prélevée au titre de la fiscalité.
Toutefois, la part la plus importante est destinée à la restauration du patrimoine : nous agissons en toute transparence !
Ce projet de loi de finances nous place décidément face à des choix cornéliens : on voudrait tout financer ! Mais, tôt ou tard, il faut faire des choix et privilégier telle action aux dépens de telle autre.
Dans ce contexte, je privilégie l’amendement de la commission des finances.
Pour les restaurations patrimoniales, la demande émanant des territoires est si forte ! On attend des solutions pour tant de monuments !
Au titre du projet de loi de finances rectificative, le Sénat a restitué 25 millions d’euros à la restauration du patrimoine.
Or, avant même que ce texte ne soit voté, les DRAC avaient reçu l’ordre de ne plus ouvrir de dossiers. À cet égard, je m’inquiète.
Quant au pass culture, nous le soutenons ; mais il en est encore à ses prémices. De nombreux points doivent être améliorés et le calendrier nous en laisse le temps. À l’inverse, pour le patrimoine, il est urgent d’agir dans les territoires !
Je ne sous-estime en rien les grands projets menés par l’État, notamment à Villers-Cotterêts : ils ont toute leur importance. Mais, dans les territoires, j’entends s’exprimer nombre d’attentes.
M. Jean-Pierre Leleux. Les collectivités territoriales s’inquiètent de la restauration de leur patrimoine !
M. Alain Schmitz applaudit.
L ’ amendement est adopté.
L’amendement n° II-575, présenté par Mme S. Robert, au nom de la commission de la culture, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
En euros
Programmes
Autorisations d’engagement
Crédits de paiement
Patrimoines
Création
Transmission des savoirs et démocratisation de la culture
dont titre 2
TOTAL
SOLDE
La parole est à Mme la rapporteure pour avis.
Mes chers collègues, l’Assemblée nationale a prélevé 5 millions d’euros sur le Fonpeps au profit des fanfares et harmonies. Notre amendement tend à revenir sur ce transfert de crédits.
Bien entendu, nous n’avons absolument rien contre les fanfares et harmonies.
Je me demande simplement si leur financement est bien du ressort du ministère de la culture. Surtout, prélever 5 millions d’euros sur le Fonpeps, c’est envoyer un très mauvais signal pour la structuration du secteur et, singulièrement, pour l’emploi culturel.
Monsieur le ministre, vous l’avez rappelé : le Fonpeps a été réformé il y a un mois. Désormais, il sera plus adapté au secteur. Ses critères seront mieux définis. Il est donc particulièrement malvenu de le priver d’une partie de ses crédits, alors même qu’il risque de manquer d’argent.
Mme Sonia de la Provôté opine.
Mes chers collègues, compte tenu de l’état actuel du secteur, le Fonpeps est tout à fait bienvenu. Voilà pourquoi nous vous demandons de revenir sur la décision de l’Assemblée nationale !
Après hésitation, la commission des finances a estimé qu’il existait bien une sous-exécution des crédits du Fonpeps. En conséquence, elle a considéré qu’il était possible d’admettre le souhait de nos collègues députés. Elle n’en a pas moins émis, formellement, et après débat, un avis favorable sur cet amendement.
Les 15 millions d’euros dont il s’agit nous semblent bien nécessaires au Fonpeps, au titre du budget pour 2020. Nous avons transformé ce fonds pour le rendre plus accessible aux entreprises du spectacle vivant, pour qu’un certain nombre d’emplois soient pérennisés et pour que la durée des contrats soit allongée.
Devant l’Assemblée nationale, nous avons beaucoup insisté sur ce point : il faut absolument éviter le risque de sous-budgétisation. Toutefois – Mme la rapporteure pour avis l’a souligné –, il n’est pas question de pénaliser les harmonies ou les fanfares, lesquelles sont suivies, notamment, par les DRAC.
Je le reconnais volontiers, les crédits que l’État consacre à ces ensembles peuvent aujourd’hui sembler assez faibles. Mais, avec le CNM, nous pourrons bâtir une véritable politique publique nationale d’accompagnement des fanfares et des harmonies.
Pour ces raisons, je suis favorable à cet amendement.
Bien sûr, nous sommes tous favorables aux fanfares. Moi-même, j’ai présidé un ensemble de cuivres : je sais ce dont je parle !
Il faut l’admettre, ces ensembles ne sont pas toujours bien accompagnés, que ce soit à l’échelle nationale ou à l’échelon local. Cela étant, pourquoi choisir d’épauler les fanfares plutôt que d’autres formations musicales ? C’est tout de même un mystère.
À mon sens, la direction générale de la création artistique (DGCA) doit engager un travail au sujet de nos formations musicales en général – orchestres permanents, orchestres en résidence, fanfares, etc.
Je l’ai déjà dit lorsque nous avons examiné la proposition de loi relative à la création du Centre national de la musique : dans son ensemble, ce volet a été quelque peu délaissé par le ministère au cours des dernières années. Il est indispensable de dresser un état des lieux et d’examiner les problématiques de ces orchestres, qui, dans la plupart des cas, sont plutôt financés par les collectivités territoriales d’hyper-proximité…
… que par le ministère de la culture.
Monsieur le ministre, le ministère et les collectivités territoriales doivent, conjointement, engager ce travail. Je le répète, au-delà du CNM, ce dossier relève sans doute de la DGCA !
L ’ amendement est adopté.
L’amendement n° II-892 rectifié, présenté par Mmes N. Delattre, Laborde et Jouve et M. Roux, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
En euros
Programmes
Autorisations d’engagement
Crédits de paiement
Patrimoines
Création
Transmission des savoirs et démocratisation de la culture
dont titre 2
TOTAL
SOLDE
La parole est à Mme Françoise Laborde.
Aujourd’hui, le montant des mesures de sécurité met en péril l’existence même de certains festivals.
Cet amendement a pour objet de transférer 2 millions d’euros vers le Fonds d’intervention pour la sécurité des manifestations culturelles et la sécurité des sites de presse, créé cette année par le décret du 18 mars.
Ce fonds, comme vous le savez, succède au fonds d’urgence pour le spectacle vivant, qui a pris fin en décembre 2018. Les montants affectés au fonds d’urgence puis au fonds pérennisé ont connu une chute brutale, passant en 2019 à 2 millions d’euros.
Cette somme, dont une partie est censée être utilisée pour la sécurité de certains acteurs de la presse, ne suffit pas. L’année dernière, déjà, le Syndicat national du théâtre privé estimait les besoins à 1 million d’euros par an pour le théâtre et à 1, 7 million d’euros pour le cabaret. Il faut ajouter à cela les besoins de tous les autres acteurs du spectacle vivant.
La mission flash de l’Assemblée nationale sur les nouvelles charges en matière de sécurité pour les salles de spectacles et les festivals du 20 février dernier confirme d’ailleurs cette insuffisance des crédits.
Nous vous proposons donc, par cet amendement, de rehausser le montant du Fonds d’intervention au son niveau du fonds de 2018, afin de protéger toutes les manifestations culturelles qui font la richesse de nos territoires.
J’ajoute que, à la commission de la culture, nous ne disons pas qu’il faut déshabiller Pierre pour habiller Paul ; nous parlons de « vases communicants ». Je forme le vœu, monsieur le ministre, que vous en trouviez un.
Cet amendement de crédit tendant à réduire le financement du programme 175, « Patrimoines », de 2 millions d’euros entre en contradiction avec notre volonté d’augmenter cette ligne. La commission des finances émet donc un avis défavorable.
Le fonds, qui avait été créé dans la foulée des attentats de 2015, a permis à un certain nombre d’acteurs de s’organiser et de s’équiper pour prendre en compte ces nouvelles contraintes de sécurité.
Il a été pérennisé cette année et les 2 millions d’euros budgétés suffiront à financer les besoins de sécurité concernant les dossiers qui nous sont remontés, madame la sénatrice.
Mme Françoise Laborde le conteste.
Nous reconduisons donc ce dispositif en 2020, en adéquation avec le niveau de mobilisation de 2019, en fléchant spécifiquement ces crédits vers les petits acteurs qui n’ont pas encore su, ou pu, s’organiser en conséquence. Ceux-ci continuent en effet d’avoir des besoins de financement pour s’équiper.
J’ajoute que vous proposez de prélever 2 millions d’euros sur le programme « Patrimoines ». Eu égard à ce que nous venons de dire collectivement, je ne suis pas certain que ce soit la bonne solution.
Je rejoins le ministre et mon collègue Vincent Éblé. Je comprends l’argumentation de Françoise Laborde, mais je ne suis pas d’accord, et mon groupe ne le sera certainement pas non plus, pour prendre cette somme sur le programme « Patrimoines », dont nous avons dit qu’il avait grandement besoin de tout le budget qui lui était alloué, voire d’un peu plus. Nous voterons contre cet amendement.
Nous ne sous-estimons pas la nécessité d’assurer de façon particulièrement attentive la sécurité des manifestations et des festivals.
Cependant, ma chère collègue Françoise Laborde, en général, il y a deux vases communicants ; ici, on en mobilise un troisième et on pourrait même en ajouter un quatrième.
Restant dans la logique que j’avais adoptée à l’égard de l’amendement de la commission des finances présenté par Vincent Éblé, je ne peux évidemment pas soutenir cet amendement, qui priverait le programme « Patrimoines » des financements que nous venons de lui accorder.
Le gage est toujours un vrai sujet. Il est vrai que nous venons de voter des crédits en faveur du patrimoine. Toutefois, je voudrais dire combien l’objet de cet amendement est important et alerter le ministre sur la sécurité et la sûreté des salles et des festivals.
Tout s’est bien passé cette année, mais l’on sait que la circulaire Collomb est une épée de Damoclès qui plane sur les festivals, notamment pour l’année 2020. Il est important qu’un véritable arbitrage intervienne entre les ministères de l’intérieur et de la culture, afin que les salles, comme les festivals, sachent à quelle sauce ils seront mangés l’an prochain. Cela commence dès mars.
Les préfets ont appliqué les instructions avec discernement, ce qui explique que tout se soit bien passé cette année, mais nous devons rester attentifs.
Vous devriez lever le gage, monsieur le ministre, à défaut, cette somme étant prise au programme « Patrimoines », nous ne pourrons pas voter cet amendement, au risque de nous trouver en contradiction avec ce que nous avons adopté précédemment.
Mme Françoise Laborde. Si M. le ministre levait le gage, ce serait le bonheur !
Sourires.
Ma collègue Nathalie Delattre a déposé cet amendement, que je soutenais pleinement, et opère un prélèvement sur les crédits du patrimoine, en contradiction, en effet, avec ce que j’ai moi-même voté. Les vases communicants sont toujours contradictoires ! Nous aurions pu évoquer le pass culture, sur lequel il y aurait beaucoup à dire.
Cela étant, cette période frisquette m’a conduite à anticiper gel et dégel, mais une levée de gage serait en effet préférable !
L’amendement n° II-892 rectifié est retiré.
L’amendement n° II-751, présenté par M. Leconte, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
En euros
Programmes
Autorisations d’engagement
Crédits de paiement
Patrimoines
Création
Transmission des savoirs et démocratisation de la culture
dont titre 2
TOTAL
SOLDE
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
L’activité des cirques et des forains a été très touchée par les attentats de 2015, qui ont fortement affecté leur trésorerie et ont imposé la mise en œuvre de nouvelles dispositions de sécurité pour accueillir le public.
Il en résulte des situations difficiles, voire dramatiques, avec des faillites de cirques familiaux.
Certains de ces cirques, qui ont des animaux, lesquels, la plupart du temps, vivent dans des conditions absolument dignes, sont victimes de harcèlement, d’injures, parfois de violences ou d’appels à la haine de la part des animalistes, sans que les pouvoirs publics réagissent.
L’itinérance est une des composantes des cirques et des forains, qui a structuré l’identité européenne. Elle relève à la fois de la culture populaire et du patrimoine et, à ce titre, mérite d’être préservée, même si elle doit évoluer.
Le cirque, c’est 13 millions de spectateurs par an, sans aucune subvention publique.
Compte tenu de la situation difficile des cirques familiaux dans notre pays, cet amendement vise à assurer, monsieur le ministre, que vous disposiez des moyens pour leur verser un minimum de subventions, afin qu’ils puissent à la fois survivre et évoluer.
Un certain nombre d’organisations représentatives ont déposé une telle requête cette année auprès du Président de la République, lequel l’a soutenue et a demandé à votre ministère d’y répondre.
Pour le moment, rien n’a été fait. Compte tenu de cette situation, et alors que cette demande correspond au plan Culture près de chez vous présenté en mars 2018 par Mme Françoise Nyssen, cet amendement tend à permettre la mise en place de moyens pour accompagner les cirques familiaux dans leur besoin de soutien et de développement.
Même si le montant visé est plus faible, le principe de cet amendement est le même que celui du précédent : un prélèvement sur le programme « Patrimoines », que le Sénat a souhaité augmenter.
Comme il entre, de ce fait, en contradiction avec le vote du Sénat, l’avis de la commission est défavorable.
Comme les autres activités du spectacle vivant, le cirque traditionnel est éligible à l’ensemble des aides de droit commun du ministère : aide au projet des DRAC, aide à la création ou Fonpeps.
Mon ministère porte une attention toute particulière aux difficultés actuelles du cirque traditionnel et le soutient spécifiquement, au titre de la structuration de la profession, avec des aides aux associations représentatives, par exemple, ou au titre de l’itinérance des cirques de famille, à hauteur de 100 000 euros.
En outre, une aide exceptionnelle de 900 000 euros a été octroyée en 2018 aux trois grandes compagnies de cirque traditionnel, un geste fort pour leur permettre d’entamer une transition vers un modèle de tournées plus soutenable.
Je rappelle, de surcroît, que le cirque bénéficie d’un taux réduit de TVA de 5, 5 %, qui lui permet de pratiquer des prix contenus sur l’ensemble du territoire, ainsi que d’une exonération de la taxe à l’essieu depuis 2018.
Enfin, le ministère de la culture accompagne également le cirque de création. Des pôles nationaux du cirque sont chargés d’accompagner le secteur en termes de diffusion, de production et d’action culturelle.
J’étais encore, il y a quelques mois, au Centre national des arts du cirque de Châlons-en-Champagne, qui assure la formation et l’insertion dans l’emploi des professionnels des arts du cirque.
Mon ministère mène donc une politique ambitieuse d’accompagnement du cirque dans sa diversité. C’est la raison pour laquelle j’émets un avis défavorable sur cet amendement.
Non, je le retire, monsieur le président, même s’il ne touche pas au budget du patrimoine.
Monsieur le ministre, les crédits tels qu’ils seront votés vous donneront les moyens de répondre aux besoins de ces cirques qui connaissent encore aujourd’hui de grandes difficultés et qui attendent une aide complémentaire. Ils l’espéraient cette année, mais ils ne l’ont pas reçue.
L’amendement n° II-751 est retiré.
Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Culture », figurant à l’état B.
Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits, modifiés.
Les crédits sont adoptés.
Avant que nous n’engagions l’examen de la mission « Médias, livre et industries culturelles », je rappelle aux membres de la commission des finances que nous nous réunirons à l’issue de cet examen, c’est-à-dire durant la suspension du dîner.
Nous devons étudier les quelque 600 amendements sur les articles non rattachés de la seconde partie du projet de loi de finances.
Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » (et article 76 quaterdecies) et du compte de concours financiers « Avances à l’audiovisuel public ».
La parole est à M. le rapporteur spécial.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais aller à l’essentiel ; si vous voulez prendre connaissance de tous les chiffres, vous pouvez consulter le rapport très intéressant dans lequel ils figurent !
Que peut-on retenir de ce budget, qui concerne en réalité deux secteurs, le premier comprenant le livre, les industries culturelles, le cinéma et la presse et le second, qui pèse le plus lourd, l’audiovisuel public ?
S’agissant du premier secteur, il n’y a pas grand-chose à critiquer, monsieur le ministre, vous avez de la chance.
En effet, cela me chagrine, parce qu’un peu d’émotion de temps en temps contribue à l’intérêt.
Pas de gros problèmes, donc : il est bon de consacrer 6 millions d’euros supplémentaires à l’Agence France Presse (AFP), alors qu’elle fait face à la concurrence d’un certain nombre d’agences internationales et qu’elle doit encore faire un effort de modernisation et de développement de la vidéo. L’AFP va dans le bon sens.
S’agissant de la presse, nous avons toujours la même inquiétude. Le principal problème est simple : la vente de journaux papier diminue sans cesse. La baisse des crédits relatifs au transport que certains critiquent répond donc à une logique qui ne peut être discutée.
La question des aides à la presse est un peu plus compliquée : faut-il conserver les mêmes critères existant depuis des décennies en matière d’aides à la diversité ? Ne faudra-t-il pas un jour revenir sur ce point ?
Des critiques émanent notamment de la presse professionnelle comme de la presse spécialisée, mais le sujet n’est guère d’ampleur. En revanche, il faut aider à la numérisation et à la modernisation de la presse.
En ce qui concerne le cinéma, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) va bien ; ses recettes vont dans le bon sens. Certes, quand nous recevons ses représentants, ceux-ci se plaignent, mais c’est normal : ils craignent que nous ne leur prenions leur argent.
La mise en place d’un taux moyen entre les différentes taxes permet de trouver un équilibre entre les contributions des télévisions et celles des géants que sont Netflix et compères. Toutefois, monsieur le ministre, il faudra un jour remettre tout sur la table.
Le CNC ne se plaint pas, il joue son rôle, il aide à la production en France, ce qui est essentiel, alors qu’au cours des vingt dernières années régnait une sorte d’émulation pour aller tourner en Europe de l’Est. Mais les choses peuvent encore progresser.
Je défendrai un amendement lors de l’examen des articles non rattachés. En effet, pourquoi les chaînes d’information en continu sont-elles parfois taxées comme si elles produisaient des reportages filmés, ce qui ne correspond pas à la réalité de leurs activités ? Nous devrons trouver un accord à ce sujet.
Concernant le livre, il s’agit essentiellement de crédits pour la Bibliothèque nationale de France (BNF).
Tout à l’heure, nous discuterons d’un amendement de l’excellent Pierre Ouzoulias, qu’il retirera naturellement après mes explications convaincantes, visant à créer une mission spécifique dédiée au livre.
Je n’en vois pas l’intérêt : cela n’ajoutera pas de crédits au secteur et la politique du livre du Gouvernement n’est pas entièrement contenue dans la mission « Médias, livre et industries culturelles ». Il ne me semble donc pas qu’une telle évolution permettrait aux libraires de bénéficier de plus de soutien.
Je traiterai maintenant, dans le peu de temps qui m’est imparti, l’audiovisuel public.
Monsieur le ministre, j’étais favorable à la redéfinition du périmètre du service public avant d’étudier le financement de celui-ci et de décider quels moyens lui consacrer. Vous avez choisi une autre stratégie, qui consiste à baisser de un euro la redevance. Je ne suis pas certain qu’avec 0, 8 % en moins, les ménages français aient le sentiment de bénéficier d’une baisse d’impôt.
Fallait-il prendre une telle décision avant même l’examen du projet de loi sur l’audiovisuel que vous allez présenter au printemps ? Nous aurions pu bénéficier d’une période de réflexion quant au périmètre de l’audiovisuel public avant de discuter des moyens de financement.
Aujourd’hui, nous craignons – je suis certain que vous aurez à cœur de nous rassurer – que la future loi n’ajoute une strate, sans pour autant réduire les dépenses, que l’audiovisuel public extérieur ne soit le parent pauvre de cette réforme, et, enfin, que toutes ces réformes de gouvernance et de financement ne conduisent à ne pas évoquer le périmètre.
Qu’est-ce que le service public ? Tel responsable de chaîne m’explique que, même dans l’audiovisuel public, il faut acheter à prix d’or des films américains pour faire de l’audience… Selon moi, ce n’est pas le rôle du service public de l’audiovisuel, qui doit être plus centré sur la culture, la transmission et la formation, bref, sur des sujets qui, sans être champions de l’audimat, peuvent conduire tous les Français à penser qu’il existe un service public de l’audiovisuel de qualité. Et cela signifie non pas qu’il doit être ennuyeux ou rébarbatif, mais qu’il est centré sur ses missions premières.
J’ai déposé un amendement à ce sujet, mais je suis certain que vous allez me rassurer, monsieur le ministre, et que, à l’instar de ce que fera l’excellent Pierre Ouzoulias, je serai amené à le retirer.
Cela étant, nous voterons les crédits de cette mission, mais nous avons besoin d’être rassurés.
Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, RDSE et LaREM.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’interviens ici en mon nom propre, mais aussi au nom de mon collègue rapporteur pour avis Raymond Vall.
L’année 2020 ressemble, hélas !, à 2019. Nous restons dans la même logique d’application du programme d’économies imposé aux entreprises du secteur public de l’audiovisuel.
Pourtant, rien ne justifie que les opérateurs de l’audiovisuel extérieur soient taxés parce que les autres le sont. Ce serait en effet nier leurs spécificités et leur importance, dont on se gratifie plus facilement dans les discours que dans les actes.
Chacun s’alarme du regain des luttes d’influence sur les ondes et dans l’espace numérique ; chacun déplore la multiplication des actions de désinformation et de déstabilisation ; chacun s’émeut du développement des médias extérieurs par les États puissances, des restrictions portées à la liberté d’information et du maintien de la propagande des groupes terroristes sur internet et sur les réseaux sociaux ; chacun reconnaît qu’il est essentiel et de bon sens que la France puisse être présente et ne laisse pas à la merci de la propagande de nos adversaires des populations pour lesquelles elle engage, parfois, la vie de ses soldats – nous ne le savons que trop cruellement !
Chacun s’agite, mais personne n’agit ! De cela découle notre agacement, voire notre vraie colère.
Où est donc la cohérence entre les belles paroles au sommet de l’État, dans lesquelles nous nous reconnaissons, et les moyens comptés de nos opérateurs ?
TV5 Monde est confrontée à la même réalité qu’en 2018, quand ses crédits avaient baissé de 1 million d’euros, et qu’en 2019, quand ils avaient perdu 1, 2 million d’euros. Son allocation stagne à 76, 2 millions d’euros, alors que le plan stratégique appelait des financements plus importants. Ses objectifs de transformation numérique et de déploiement en Afrique auront été anticipés, mais ne pourront être entièrement réalisés.
Sa distribution sera réduite de 370 à 364 millions de foyers, avec l’abandon de la diffusion en Grande-Bretagne et en Irlande. En 2020, elle abandonnera le Brésil et l’Europe continentale, soit 32 millions de foyers en moins, ce qui aura une incidence sur son audience et sur ses ressources propres.
Elle aura beaucoup de difficultés à financer la plateforme numérique de fictions francophones, initiée par le Canada, qui met au pot 9, 5 millions d’euros, et à renouveler son outil de production et de diffusion. Ainsi, 12 millions d’euros sur quatre ans sont nécessaires. Il faudra encore restreindre la distribution et couper dans les programmes.
La France est le seul pays à avoir réduit sa contribution depuis la création de TV5 Monde et ne respecte plus ses engagements. Cela ne la place pas dans une bonne situation au moment où un nouveau plan stratégique est en préparation.
Les perspectives de France Médias Monde ne sont pas meilleures, hélas ! Ses crédits baissent de 1 million d’euros, alors qu’elle continue d’afficher de bons résultats d’audience en linéaire comme en numérique.
Elle réalise les objectifs de son contrat : enrichissement des grilles de programme, ouverture d’un service en espagnol, adaptation aux évolutions des modes de diffusion ; elle produit, depuis cette année, un très important programme diffusé sur Radio France internationale (RFI) en langues peule et mandingue, indispensable dans une zone où nos armées sont engagées.
Pour financer les impasses budgétaires, après avoir raclé les fonds de tiroir, elle est toutefois contrainte d’allonger la programmation à l’antenne des grilles d’été, moins coûteuses, mais de moindre qualité, et de rogner sur les coûts de distribution en abandonnant les États-Unis, la Scandinavie et l’Europe centrale, en gelant les passages en haute définition ou en TNT payante en Afrique, en supprimant la diffusion en onde moyenne vers le Moyen-Orient, sur la TNT outre-mer et, peut-être, en Île-de-France en 2020.
Le groupe fonde quelques espoirs sur la participation de l’AFD pour de nouveaux programmes en langue africaine et de l’Union européenne pour des programmes numériques avec Deutsche Welle, mais ces développements ont un coût et cela ne répond que de façon adjacente au besoin de financement du socle des activités.
Nous avions fondé des espoirs, l’année dernière, en imaginant rééquilibrer les allocations de la contribution à l’audiovisuel public, en imaginant que l’on pourrait créer une ligne budgétaire pour financer un certain nombre de programmes, comme le font les Allemands et les Britanniques : la Deutsche Welle reçoit 350 millions d’euros et BBC World, un quart de son budget, soit 430 millions d’euros, du Foreign Office. En vain !
Nous sommes en colère et découragés, car nous avons le sentiment que plus personne au sommet de l’État ne porte cette ambition autrement que par de belles paroles. Cela ne coûte rien, effectivement, mais c’est en train de saper progressivement les capacités de nos opérateurs, comme la confiance générale.
Pourtant, nous continuerons à soutenir cette ambition parce que nous la croyons juste et parce que nous respectons les dirigeants et les personnels de ces médias, qui travaillent avec dévouement, talent et honnêteté, à promouvoir l’image et les valeurs de notre pays hors de ses frontières.
Au-delà pèse évidemment une grande incertitude liée au projet de réforme de l’audiovisuel. Il est prévu dans le projet de loi de faire chapeauter France Télévisions, Radio France et France Médias Monde par une holding chargée de superviser et de coordonner les filiales, mais aussi de répartir le montant de la contribution à l’audiovisuel public qui lui sera désormais attribué, privant au passage le Parlement d’une partie du pouvoir de décision, que, mes chers collègues, nous exerçons ce soir même, ce qui n’est tout de même pas rien.
Le risque est double : voir la spécificité de France Médias Monde diluée et voir cette holding absorber de plus en plus de compétences. La commission des affaires étrangères sera vigilante à cet égard.
Monsieur le ministre, nous connaissons votre intérêt pour ces enjeux : alors, aidez-nous dans cette mission !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Michel Laugier, rapporteur pour avis, applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission de la culture et de la communication a émis favorable sur les crédits du compte de concours financiers « Avances à l’audiovisuel public ».
Cette décision n’alla pas sans un débat assez partagé, ni sans interrogations. Elle ne vaut pas soutien à tous les aspects du budget de l’audiovisuel public.
En particulier, nous regrettons la baisse des moyens, lorsqu’elle a pour conséquence de remettre en question certaines missions de service public, qu’il s’agisse de l’existence d’une chaîne consacrée à la jeunesse, d’une autre tournée vers l’outre-mer, ou de l’arrêt de la diffusion de TV5 Monde dans les îles britanniques et en Europe et de France 24 en Amérique. En choisissant de manier de nouveau le rabot budgétaire sans discernement, le Gouvernement se prive d’une vision de long terme et contribue à la dégradation du climat social dans ces entreprises.
Il n’est pas aisé, nous le savons, de faire évoluer le secteur des médias publics, surtout quand le ministère du budget essaie régulièrement de remettre en cause le principe de la redevance. À cet égard, nous n’avons pas reçu le rapport sur la contribution à l’audiovisuel public (CAP) demandé dans la loi de finances pour 2019.
Notre commission se mobilisera pour qu’une réforme du financement accompagne celle des structures. La holdingpublique France Médias Monde, née au Sénat, n’aura de sens que si une stratégie innovante peut s’appuyer sur des moyens identifiés et garantis dans le temps.
Cette stratégie ne pourra se bâtir que sur la différenciation. C’est pourquoi je regrette que France Télévisions, Radio France et même France Médias Monde soient incitées par leurs tutelles à augmenter leurs ressources publicitaires pour boucler leur budget. Selon moi, une décroissance de la publicité devra constituer une des clés du futur modèle économique de l’audiovisuel public.
Le management par le stress budgétaire que vous avez mis en place, monsieur le ministre, aura eu pour mérite d’obliger France Télévisions et Radio France à engager véritablement la transformation de leur modèle de production et à développer le numérique à tous les étages.
L’enjeu pour les entreprises de l’audiovisuel public est, d’une part, de se conformer à la trajectoire budgétaire définie jusqu’en 2022, qui ne leur laisse que peu de marges de manœuvre et, d’autre part, de participer à la définition des priorités stratégiques que France Médias sera chargée de mettre en œuvre, souvent dans le cadre de partenariats avec d’autres acteurs.
Ces entreprises et leurs salariés ont besoin de se mobiliser autour d’objectifs ambitieux : s’adresser à la jeunesse, défendre la francophonie, protéger la création et notre patrimoine audiovisuel et cinématographique.
Le budget pour 2020 peut être considéré comme une potion amère, peu digeste ; je préfère l’envisager comme une diète salutaire, avant une remise à plat des missions, des outils et des moyens, dans le cadre du projet de loi sur l’audiovisuel qui nous sera soumis au printemps prochain !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu ’ au banc des commissions.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le secteur de la presse traverse deux crises existentielles : une crise financière, avec des revenus en chute libre, conséquence d’une transition numérique à laquelle les journaux n’ont, pour la plupart, pas su se préparer ; une crise morale, avec la remise en cause systématique, notamment sur les réseaux sociaux, d’une information traitée de manière professionnelle par des journalistes attachés aux faits.
Ces crises, monsieur le ministre, il fallait les traiter. Force est de reconnaître que, en 2019, le Sénat et vous-même avez été à la manœuvre, en menant à bien deux grandes réformes.
D’abord, celle des droits voisins, transposition de l’article 17 de la directive européenne. De cette réforme, le secteur de la presse attend légitimement beaucoup, mais l’attitude de Google est, pour l’instant, extrêmement frustrante ; elle appelle probablement une action européenne encore plus large.
Ensuite, la modernisation de la distribution, sur laquelle, monsieur le ministre, vous avez apprécié, je crois, la contribution du Sénat à l’enrichissement d’un texte qui semble maintenant emporter l’adhésion du plus grand nombre. Il ne résout cependant pas la situation toujours critique de Presstalis, dont on peine aujourd’hui encore, près de deux ans après la dernière alerte sur ses comptes, à percevoir le futur. Il en ira ainsi tant qu’on n’apportera pas une réponse industrielle à la question du périmètre de la société et une réponse financière à celle, jamais traitée, de ses fonds propres négatifs.
Sur ces deux sujets, que vous avez eu le courage d’aborder de front, nous vous invitons, monsieur le ministre, à ne pas laisser la situation se dégrader, tant l’hésitation et l’ambiguïté pourraient s’avérer mortelles. Nous sommes très désireux de savoir où en sont les négociations avec vos homologues européens sur les droits voisins, et si une solution claire apparaît enfin pour le futur de Presstalis.
Pour en revenir au sujet de cet après-midi, le budget que vous nous présentez est stable par rapport à l’année précédente, mais ne représente que 20 % d’un soutien public à la presse qui se maintient à un niveau élevé, d’environ 540 millions d’euros.
Il serait donc faux d’affirmer que la solidarité nationale ne s’exerce pas au bénéfice de la presse, même s’il pourrait être temps de réfléchir à une meilleure répartition des aides, pour mieux prendre en compte le numérique. Je note, par ailleurs, des inquiétudes sur la question de la publicité ciblée, dont nous aurons à reparler dans le cadre de la discussion de la future loi audiovisuelle : vos annonces d’ouverture ont inquiété la presse régionale, mais sont jugées encore insuffisantes par les chaînes de télévision, ce qui montre bien la complexité des équilibres en jeu…
Je conclurai sur une note positive, en évoquant la situation de l’Agence France Presse (AFP). L’année dernière, je m’étais inquiété d’un effet ciseaux mortifère, avec des dépenses en hausse et des revenus en baisse. L’impulsion donnée par le nouveau président de l’agence semble toutefois commencer à produire des résultats, comme en témoigne l’accompagnement de 17 millions d’euros que l’État a accepté d’accorder, dont 6 millions d’euros cette année.
Compte tenu de ces observations, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a émis un avis favorable sur les crédits du programme 180, « Presse et médias ».
M. Jean-Marc Gabouty applaudit.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les industries culturelles bénéficient d’un soutien public qui ne se limite pas aux 306 millions d’euros du programme 334, mais comprend également 673 millions d’euros de fiscalité affectée au Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) et 400 millions d’euros de crédits d’impôt, soit un montant total de près de 1, 3 milliard d’euros.
Je souligne avec force le caractère doublement stratégique de ce soutien public, à la fois pour des raisons économiques, au regard d’un chiffre d’affaires de plus de 15 milliards d’euros, mais également en termes d’image et d’influence de notre pays dans le monde entier.
Je traiterai d’abord du financement du cinéma et de la révolution qui s’annonce avec la future loi audiovisuelle.
Le nouveau président du CNC se trouve, pour sa première année, confronté à trois défis. Premièrement, la révision des dépenses pour améliorer l’efficacité de près de 150 dispositifs de soutien : le CNC doit dégager 25 millions d’euros d’économies, et l’épuisement de ses réserves laisse présager une baisse des investissements dans la production. Deuxièmement, la réforme de la fiscalité affectée, programmée l’année prochaine, mais dont l’article 62 du présent projet de loi de finances constitue la première étape. Troisièmement, la préparation de la future loi audiovisuelle, qui couvrira une myriade de sujets : relations avec les producteurs, obligations de financement des plateformes, diffusion des œuvres à la télévision.
Sur l’ensemble de ces sujets, nous resterons, monsieur le ministre, très mobilisés. J’ajoute que les menaces annuelles sur les crédits d’impôt « culture » n’aident pas à apporter de la sérénité au secteur. Sur ces questions, nous nous reverrons rapidement pour l’examen du projet de loi sur l’audiovisuel.
S’agissant ensuite du Centre national de la musique (CNM), sa création a fait l’objet d’un large accord entre le Sénat et l’Assemblée nationale. Vous avez eu le mérite, monsieur le ministre, de répondre, au moins partiellement, aux attentes budgétaires, avec une première enveloppe de 7, 5 millions d’euros, certes loin des 20 millions d’euros espérés par la profession, mais qui, dans le contexte actuel, n’a pas dû être simple à obtenir. Il reste maintenant peu de temps, puisque le nouveau CNM sera créé dans vingt-sept jours…
Pour ce qui est, enfin, du projet « 2020, année de la bande dessinée », il est enthousiasmant et devrait enfin donner au neuvième art la place qu’il mérite, à la suite du rapport de Pierre Lungheretti. Nous en attendons beaucoup.
Reste que la place singulière de la bande dessinée s’insère dans des conditions de travail et un régime social très tendus pour les auteurs. Si une solution a enfin été trouvée pour pérenniser la compensation de la CSG – je rappelle le combat mené conjointement par la présidente de notre commission, Catherine Morin-Desailly, Sylvie Robert et moi-même –, nous attendons avec impatience les conclusions du travail de M. Bruno Racine, en espérant que la spécificité du statut des auteurs soit enfin reconnue.
Compte tenu de ces observations, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a émis un avis favorable sur les crédits du programme 334 de la mission « Médias, livre et industries culturelles ».
Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe UC, ainsi qu ’ au banc des commissions.
Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps de l’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de vingt minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Pierre Ouzoulias.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le flot déversé à gros bouillons par les plateformes de l’internet, les réseaux dits sociaux et les chaînes d’information en continu a au moins pour avantage de susciter un intérêt croissant pour une information de qualité, des programmes qui parlent à notre intelligence, des confrontations d’idées et le respect du pluralisme de la pensée. Vous me permettrez d’interpréter de la sorte le succès historique du service public de l’audiovisuel, en remerciant les personnels qui l’ont bâti.
Sans procéder à une revue de détail, je mentionnerai, pour l’exemple, les résultats exceptionnels de France Culture. Cette radio a porté, pour la première fois de son histoire, son audience à plus de 1, 6 million d’auditeurs, soit une progression de 6 % en un an. Mieux encore, les téléchargements de ses émissions ont augmenté de 18 % en un an, ce qui représente un total de 31 millions d’écoutes à la demande ou une visite journalière pour 600 000 internautes. Enfin, j’ai plaisir à souligner que l’émission Les chemins de la philosophie est téléchargée plus de 3 millions de fois par mois !
Cette réussite sans précédent démontre que le pari de la qualité est toujours gagnant, et que les auditeurs apprécient des contenus exigeants.
L’audiovisuel public contribue pleinement à sa mission de service public : apporter à nos concitoyens les informations, les idées et les connaissances dont ils ont besoin pour comprendre le monde dans lequel ils vivent et ses évolutions fulgurantes.
Nous cherchons, collectivement, à réduire dans notre société l’empire pernicieux des informations fausses, des préjugés menaçants et des théories complotistes. L’audiovisuel public est l’un des instruments de la riposte, car il a aussi pour mission d’instruire et d’éduquer.
Enfin, je ne cache pas ma fierté devant l’intérêt que suscitent ces programmes à l’extérieur de nos frontières : ils contribuent ainsi au rayonnement de notre langue et de notre culture et apportent à celles et ceux qui subissent la propagande des gouvernements et des médias partisans les éléments d’une pensée critique et non asservie.
M. Pierre Ouzoulias. Pour distinguer pareille réussite et encourager les personnels à poursuivre ce travail essentiel, nous eussions espéré que leur budget fût, à tout le moins, préservé.
Exclamations amusées.
Ainsi, pour reprendre l’exemple de Radio France, sa dotation sera réduite de 5 millions d’euros l’année prochaine, alors même qu’elle doit financer sa conversion à la radiodiffusion numérique et poursuivre son programme de mise en ligne de ses contenus.
On peut s’interroger sur l’objectif de ce nouveau plan de réduction d’emplois, quand on sait qu’un tiers des personnels de Radio France partiront à la retraite d’ici à 2025. Il est déraisonnable de penser que cette nouvelle saignée n’aura aucune conséquence sur l’offre de programmes ! Comment poursuivre l’engagement pour la qualité, après la suppression de seize postes de réalisateurs et de vingt postes de techniciens ?
Les efforts consentis par les personnels de Radio France, considérables ces dernières années, ont permis à la structure de dégager un excédent d’exploitation l’an passé. La nouvelle purge obéit donc à d’autres finalités : elle est à la fois une méthode de gestion sans ménagement et un moyen de réduire drastiquement et sur la longue durée les moyens publics consacrés à l’audiovisuel, quels que soient les succès d’audience, dont on nous avait pourtant dit qu’ils étaient les objectifs des précédentes réformes.
M. Leleux, rapporteur pour la commission de la culture, parle avec justesse d’un véritable management par le stress budgétaire. Il est acquis qu’un déficit hydrique de la vigne améliore la qualité du vin ; mais les salariés ne sont pas des plantes, et, à trop les pressurer, vous récolterez les raisins de la colère !
Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.
M. Pierre Ouzoulias. Je dis « nous », parce que nous sommes au moins deux !
Sourires.
Dans ce contexte, la baisse d’un euro de la redevance audiovisuelle apparaît comme un moyen de pression supplémentaire. Elle intervient alors que le Gouvernement nous soumettra très prochainement un projet de loi d’ampleur, dont on nous explique qu’il sera pour l’État le moment d’une refondation des objectifs nationaux pour l’audiovisuel public. Le coup de rabot général que subissent tous les budgets pour l’année 2020 paraît d’autant plus violent et incompréhensible qu’il est aveugle et risque de fragiliser des entités déjà en grande difficulté – je pense en particulier à la composante internationale de l’audiovisuel public.
Monsieur le ministre, la transformation de l’audiovisuel public que vous annoncez ne peut être définie ni conduite sans la participation effective des personnels. Elle doit être bâtie sur la confiance. Vous ne pourrez obtenir leur pleine mobilisation, si vous ne leur proposez pas un programme qui donne du sens à leur engagement pour leurs missions de service public.
Au lieu de cela, votre budget pour 2020 leur révèle que la grande réforme à venir s’inscrira, dans tous les cas, dans un processus inflexible de contraction de toute la dépense publique, redevance comprise, et de réduction continue et perpétuelle des moyens et des personnels. C’est pourquoi nous voterons contre la mission !
Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – MM. Jean-Yves Leconte et Victorin Lurel applaudissent également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis André Malraux, la politique culturelle de la France a pour premier objectif de rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français, d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel et de favoriser la création de l’art et de l’esprit qui l’enrichisse.
La mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances participe pleinement à la poursuite de cet objectif, à travers le soutien à la création musicale et littéraire et à la diffusion du savoir et des œuvres par le biais des bibliothèques comme des médias.
Le budget consacré à cette mission représente une enveloppe de 590, 7 millions d’euros pour l’année prochaine, en augmentation de 2 % par rapport à la loi de finances pour 2019.
Premier versant de cette mission, le programme 334, « Livre et industries culturelles », regroupe principalement les crédits destinés au financement de la politique du livre et de la musique enregistrée.
Au premier rang des priorités de ce programme figure la politique de la lecture, premier moteur d’émancipation et de transmission entre les générations. À cet égard, l’année 2020 sera marquée par la consolidation du plan Bibliothèques mis en œuvre par le Gouvernement selon les recommandations du rapport d’Erik Orsenna et Noël Corbin. Il s’agit de favoriser l’accessibilité de la lecture pour tous en accompagnant les collectivités territoriales dans leur effort d’extension des horaires d’ouverture et de création de nouveaux lieux de lecture, en particulier dans les zones quasi blanches, comme on en trouve encore en Dordogne, dans les Ardennes ou dans l’Aisne.
M. Antoine Lefèvre opine.
Fort de 16 500 lieux accueillant chaque année 27 millions de lecteurs, le réseau des bibliothèques est, avec celui de La Poste, le premier réseau public sur le territoire français. L’accès à la culture, au sens large, est la première vocation des bibliothèques et des structures dérivées comme les artothèques, qui offrent la possibilité d’emprunter des œuvres d’arts visuels, et les Micro-folies, qui, à l’image du musée virtuel créé par Didier Fusillier, associent atelier numérique, espace scénique et conférences.
La révolution numérique fait évoluer les usages au sein même de ces hauts lieux de diffusion du savoir, qui intègrent dorénavant postes informatiques, salles multimédias et médiathèques, autant de dispositifs contribuant à combler les fractures entre territoires et entre générations.
Actuellement, 10 % seulement des bibliothèques desservant plus de 2 000 habitants proposent des postes informatiques adaptés aux personnes en situation de handicap. Nous devons poursuivre les efforts d’adaptation de ces lieux de lecture à tous les publics.
L’année prochaine verra la création du Centre national de la musique, doté d’un budget supplémentaire de 7, 5 millions d’euros. Ces nouveaux moyens devraient permettre d’accompagner l’adaptation du secteur de la musique enregistrée à la transition numérique et à l’évolution rapide des modes de production, de distribution et de consommation.
Deuxième versant de cette mission, le programme 180 regroupe les crédits consacrés au soutien de la presse et des médias.
Le secteur, en cours de restructuration, bénéficiera l’année prochaine d’une augmentation de 1, 6 % des crédits du programme, portés à 284, 4 millions d’euros. Cette augmentation se concentre sur le soutien à l’Agence France Presse, troisième agence de presse à l’échelle mondiale et précieux rempart contre la désinformation relayée, entre autres, et massivement, par les réseaux sociaux. Le Gouvernement a fait le choix d’augmenter la subvention versée à l’agence de 6 millions d’euros pour financer son plan de transformation.
Les crédits destinés au fonds d’aide au portage de la presse seront stabilisés, après une baisse de 5 millions d’euros l’année dernière, tout comme les crédits affectés au soutien des médias de proximité et des radios associatives locales.
L’année 2020 marquera un tournant pour l’audiovisuel public, dans l’attente de la réforme présentée en conseil des ministres ce matin. Elle sera également la deuxième année du plan d’économies appliqué au secteur, avec une baisse des crédits inscrits sur le compte de concours financiers « Avances à l’audiovisuel public » de 70 millions d’euros. L’essentiel de l’effort est demandé à France Télévisions et à Radio France ; il s’accompagne, pour les ménages, d’une diminution symbolique, de 1 euro, du montant de la contribution à l’audiovisuel public.
Le groupe Les Indépendants – République et territoires votera les crédits de la mission.
MM. André Gattolin, Jean-Claude Requier et Jean-Marc Gabouty applaudissent.
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, compte tenu du temps qui m’est imparti, je me concentrerai sur le financement de l’audiovisuel public.
Ce matin, monsieur le ministre, vous avez présenté en conseil des ministres votre réforme, que vous nommez « projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère du numérique ». Je vous ai, ce matin aussi, tweeté ce conseil : « Profitez-en pour dire au Président de la République, au Premier ministre et à Gérald Darmanin qu’il ne peut y avoir de “souveraineté culturelle à l’ère du numérique” en baissant les moyens de l’audiovisuel public comme aujourd’hui, alors qu’il faut les augmenter… »
Nous sommes dans le sujet : 70 millions d’euros en moins pour nos six sociétés, après 35 millions d’euros de baisse en 2019 et 39 millions d’euros en 2018. En tout, 141, 48 millions ont été amputés en trois ans ! Vous savez que, en termes réels, c’est-à-dire constants, c’est bien pire, puisque le coût de la masse salariale et des produits augmentent avec le coût de la vie, ce qui ajoute à la baisse des dizaines de millions d’euros supplémentaires. Une baisse encore aggravée par la demande, faite par votre prédécesseur, que les sociétés investissent 150 millions d’euros pris sur leurs fonds propres, chaque année de 2018 à 2022, pour la révolution numérique.
Dans ces conditions, à l’heure de la gigantesque révolution technologique mondiale, de la concurrence féroce des plateformes américaines sans foi ni loi et de l’intervention massive d’États comme la Chine et la Russie pour mettre en coupe réglée le marché de l’audiovisuel à l’échelle planétaire, comment voulez-vous assurer une quelconque souveraineté culturelle en baissant les moyens destinés à faire face ? Si, parfois, on peut faire bien avec peu de moyens, dans le domaine des médias et à l’heure du numérique, pour l’instant, on ne peut pas, avec moins, faire qualitativement bien.
Le non-sens est désolant : une baisse budgétaire préalable à l’élaboration d’une réforme qui a l’ambition de redessiner notre paysage audiovisuel. En d’autres termes, on soumet l’ambition culturelle à un impératif budgétaire, au lieu d’inverser la démarche : soumettre la nécessité budgétaire à l’ambition culturelle et politique.
À ce non-sens le Gouvernement en ajoute un autre, révoltant, en baissant de 1 euro la contribution citoyenne à l’audiovisuel. Ces 25 millions d’euros auraient pourtant été bienvenus pour alléger les contraintes de salariés méritants qui ont déjà consenti de grands efforts pour transformer leurs entreprises et mener un travail de qualité reconnu par les auditeurs, comme à Radio France.
Je vous rappelle les faits : depuis 2012, France Télévisions a perdu 1 000 emplois à temps plein. En 2020, elle doit en perdre 900 supplémentaires… Au total, le groupe aura perdu en dix ans 1 920 emplois, soit 20 % de ses effectifs. Quant à Radio France, elle a perdu 70 postes par an entre 2016 et 2018, et le plan actuellement contesté par les grévistes prévoit 299 suppressions de plus d’ici à 2022.
Pourquoi donc se priver de ces 25 millions d’euros ? Parce que, dites-vous, la redevance a rapporté plus, et que cet argent non prévu vient en surplus de la trajectoire budgétaire de baisse, arbitrairement décidée dans les bureaux de Bercy… Quel dogmatisme ! Quel enfermement idéologique !
D’autant que, à l’heure où l’on ne cesse de nous montrer en exemple l’Allemagne ou la Grande-Bretagne, pour nous vanter tantôt le sérieux de gestion, tantôt les bienfaits du libéralisme, et même le rayonnement de leur audiovisuel, avec notamment la BBC, il est bon de rappeler que notre redevance est déjà l’une des plus faibles d’Europe : nos voisins allemands paient 210 euros et les Britanniques 175 euros, là où vous ramenez la contribution française à 138 euros, après avoir bloqué l’année dernière son indexation sur l’augmentation du coût de la vie, pourtant acquise depuis 2010, quelles que soient les majorités en place.
Je ne suis pas d’accord avec le rapport de mon collègue Leleux : ce ne sont pas les réductions budgétaires qui ont permis à l’audiovisuel public de se réformer, et les réductions de budget ne touchent pas uniquement les hauts salaires ; elles touchent, désormais, les programmes et les chaînes et entraînent une réduction de périmètre, avec la disparition de France Ô, qu’aucune politique de visibilité ne viendra compenser !
Mme Victoire Jasmin et M. Jean-Yves Leconte applaudissent.
France 4 aussi est touchée, ce qui est destructeur pour le secteur de l’animation. Au moment où M. de Tavernost, un homme préoccupé d’intérêts financiers, s’apprête, avec M6, à acheter une chaîne tournée vers la jeunesse, on prétend qu’il n’y en a pas besoin dans le secteur public… Et on affirme qu’il suffit d’être sur internet pour les enfants, alors que, au même moment, on dit vouloir lutter contre les addictions, notamment aux tablettes, pour protéger les enfants !
Mme Victoire Jasmin applaudit.
Tout cela n’a pas de sens !
Désormais, nous sommes « à l’os ». J’en veux pour preuve la suppression de postes de journalistes dans les territoires, alors même que l’actualité s’y déroule et que l’avenir réside dans l’ancrage territorial des médias ; alors même que BFM, qui recherche en général l’intérêt financier, ouvre antenne sur antenne au niveau local !
Au moment où l’on entend poindre des critiques sur le traitement trop centré de l’information, je ne pense pas que ce dégarnissement sur les territoires soit la bonne direction.
Tel est le résultat d’une politique budgétaire menée par la tutelle. J’ai rappelé le coût des différents plans sociaux.
Il faut être honnête : si nos chaînes n’avaient fait aucun effort de créativité, comment justifieraient-elles leur succès ? Comment comprendre que les sites internet de France Télévisions soient parmi les plus consultés de France ? Comment expliquer les succès de Radio France, comme ceux d’une chaîne culturelle qu’on disait menacée du fait d’un faible audimat, mais qui réalise aujourd’hui des scores remarquables ? Sans parler de France Inter, devenue la première radio de France, ce pour quoi je la félicite, ainsi que ses personnels.
Notre audiovisuel public est essentiel pour l’écosystème de la création, le partage des connaissances et l’éducation : voilà ce que heurtent les coups portés par une vision exclusivement comptable !
Le risque est de voir la télévision publique larguée par les acteurs privés, au moment où, avec le n’importe quoi qui circule sur internet, nous avons plus que jamais besoin d’une présence qui ait du sens, offre de la qualité et élève le débat démocratique.
Pour le reste, ce budget prévoit des lignes budgétaires importantes, comme M. Karoutchi l’a souligné, mais elles sont secondaires par rapport à l’enjeu dont je parle. Reconnaissons toutefois que, sur le livre, la situation est plutôt positive. Pour la presse, les choses vont plutôt dans le bon sens, malgré un recul des financements. Enfin, je me félicite de la prise en compte de l’AFP.
Catherine Trautmann, présentant, le 18 mai 1999, un texte qui allait devenir une grande loi sur l’audiovisuel public et privé, déclarait ceci : « Dans un contexte général de maîtrise de la dépense publique, le Gouvernement a fait le choix courageux de dégager, au cours des deux prochaines années, une ressource supplémentaire de 2, 5 milliards de francs, pour restaurer l’identité des chaînes ». Monsieur le ministre, je ne vous en demande pas tant, mais au moins cessez la baisse !
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le domaine qui nous intéresse aujourd’hui, le moins que l’on puisse dire, c’est que l’année 2019 s’achève sur un bilan riche et très positif. Elle a été marquée par l’adoption de plusieurs réformes majeures, comme celle du droit voisin au profit des agences et des éditeurs de presse, la réforme de la loi Bichet sur la distribution de la presse et la création du Centre national de la musique.
Marc Twain, ce grand écrivain américain, se plaisait à dire que les actes en disent souvent plus long que les mots. C’est une réflexion qu’il est toujours bon, en particulier pour nous, parlementaires, de méditer.
Chacun de vous connaît naturellement mon tempérament pondéré. §Aussi, je n’aurai pas ici l’outrecuidance de comparer ce bilan législatif d’une année avec celui du quinquennat précédent.
Pour en revenir aux actes, en particulier aux trois lois adoptées cette année dans le domaine des médias et des industries culturelles, je rappellerai deux faits.
Le premier est que deux de ces trois textes ont été étudiés en première lecture au Sénat. C’est un fait suffisamment rare pour être souligné et consigné. Cela témoigne de la considération que vous portez, monsieur le ministre, à notre Haute Assemblée. Je me crois autorisé à vous en remercier en son nom.
Le second fait, corollaire du premier, est que ces trois textes ont été très largement élaborés, en amont de leur adoption, en collaboration étroite avec les rapporteurs sénatoriaux en charge de ces textes.
Au final, le Gouvernement a fait évoluer ces secteurs sans jamais se départir des valeurs qui président à la conduite du ministère de la culture depuis soixante ans : un secteur public fort, permettant de soutenir l’activité culturelle dans toute sa diversité et donnant un accès à la culture et à une information de qualité à tous nos concitoyens.
Les crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » et du compte de concours financiers « Avances à l’audiovisuel public » pour 2020 sont guidés par ces mêmes objectifs.
Certes, de réels efforts budgétaires sont demandés au secteur de l’audiovisuel public. Ce n’est pas une surprise : les objectifs de réduction ont été fixés il y a deux ans et étalés sur une durée de trois années.
Des efforts de mutualisation ont notamment été demandés aux différentes sociétés de l’audiovisuel public, dans la perspective de rompre avec cette anomalie française qui veut que notre service public de l’audiovisuel soit représenté par pas moins de cinq sociétés, chacune ayant sa direction, ses fonctions support, et souvent, ses stratégies propres, pour ne pas dire personnelles, et ce à un moment où l’audiovisuel public doit faire face, non seulement à la concurrence de groupes français ou européens du privé toujours plus puissants, mais surtout, à deux grands opérateurs américains qui sont chaque jour plus présents sur le marché national.
Je suis toutefois conscient des craintes actuelles des salariés de Radio France quant à l’avenir de leur emploi. Mais je suis aussi conscient que le numérique modifie profondément nos comportements, nos usages et nos liens sociaux, notamment en matière de communication.
En un an, et en dépit des bonnes audiences de France Inter et de France Culture, le secteur radiophonique dans son ensemble a perdu plus d’un million d’auditeurs. Cette tendance ne peut aller qu’en s’accentuant.
Face à ce changement, la seule réponse possible est de s’adapter aux nouveaux modes d’écoute, aux nouvelles attentes du public, tout en préservant sa spécificité. Les métiers de la radio, comme ceux de la télévision et du journalisme, sont en mutation profonde. L’audience tend de plus en plus à se fragmenter et à se délinéariser.
Il y a une réalité assez cruelle, c’est que l’audience des médias tend à vieillir avec l’âge de ceux qui les font. La presse écrite, y compris la presse de qualité, a profondément renouvelé ses effectifs et ses modes de production au cours des dix dernières années, notamment pour s’adapter à la révolution numérique et à la transformation des usages.
Il n’est à mon sens pas envisageable que nos grandes entreprises de l’audiovisuel ne connaissent pas la même évolution qu’il nous faudra bien sûr accompagner. Il faut avoir le courage de le dire et de l’assumer : ces changements ne sont pas qu’affaire de budget, de moyens financiers et de hausses automatiques de la contribution à l’audiovisuel public, comme certains ici le laissent entendre.
Si tel était le cas, la très forte augmentation qu’a connue la CAP jusqu’en 2017 aurait dû conduire automatiquement à une consolidation des audiences et à un rajeunissement des publics des chaînes et des stations de l’audiovisuel public, ce qui n’a pas été le cas.
Protestations sur les travées du groupe SOCR.
Il ne s’agit pas de nier l’importance des questions budgétaires, même si, à première vue, face aux milliards déversés dans ce secteur par les grands opérateurs américains, les crédits de la mission et du compte spécial qui nous intéressent peuvent sembler modestes avec leurs 4, 3 milliards d’euros pour 2020.
Ces crédits visent d’abord à préserver le pluralisme des idées et la diversité culturelle dont se préoccupent peu les entreprises d’outre-Atlantique susvisées. Ils doivent aussi être mis en perspective avec le montant global des moyens que l’État consacre aux politiques culturelles : environ 14 milliards d’euros par an, comme l’a rappelé mon collègue Julien Bargeton.
Les crédits de la présente mission représentent plus de 30 % de ces moyens, ce qui est très loin de marquer un désengagement de l’État à ce sujet, notamment si on observe les évolutions des dernières années dans ce domaine chez nos voisins européens.
Dans une étude récente comparative présentée en février dernier, le think tank Idate souligne en effet que les recettes annuelles des principaux groupes de l’audiovisuel public en Europe diminuent depuis 2012 en moyenne de 0, 2 % par an. Un pourcentage moyen à mettre en parallèle avec les 0, 18 % de baisse programmée en 2020 pour l’audiovisuel public français – année de plus forte réduction au sein de la trajectoire budgétaire qui avait été fixée pour trois ans. Nous sommes donc bien loin des coupes claires dénoncées par certains.
Un nouveau chapitre va s’ouvrir à présent dans ce domaine avec le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique présenté ce matin en conseil des ministres. Ce n’est pas encore le moment d’en débattre, mais il est important de rappeler qu’il s’agit d’un chantier d’ampleur, car il s’agit ni plus ni moins que de remettre sur l’ouvrage une législation datant pour l’essentiel de 1986, et dont la refonte avait jusqu’à présent été abandonnée par nos prédécesseurs.
Le groupe La République En Marche votera donc naturellement en faveur de ces crédits.
MM. Julien Bargeton et Jean-Marc Gabouty applaudissent.
Applaudissements sur les travées du groupe UC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’évoquerai la partie audiovisuelle de cette large mission.
Avant toute chose, je tiens à féliciter le rapporteur pour avis de notre commission, Jean-Pierre Leleux, pour l’excellence de son travail.
Je concentrerai mon propos sur deux sujets : celui du modèle économique, et donc du financement de l’audiovisuel public, et celui, ô combien stratégique, de l’audiovisuel extérieur que l’on a parfois tendance à oublier en se concentrant sur les grandes masses budgétaires que représentent France Télévisions et Radio France.
Le budget qui nous est aujourd’hui soumis est le dernier avant la grande réforme que nous attendons de longue date, réforme pour laquelle le Sénat a travaillé, considérant l’urgence d’adapter notre audiovisuel à la nouvelle donne numérique qui transforme les supports, les usages, les métiers, les organisations d’entreprise et, bien sûr, les modèles économiques.
Comme le rapporteur, monsieur le ministre, je suis satisfaite que le Gouvernement ait pris en considération certaines préconisations du rapport de Jean-Pierre Leleux et André Gattolin, issu d’une mission de prospective voulue par notre commission, pour son projet de loi.
Je pense notamment à l’amélioration de la gouvernance de l’audiovisuel public, via la constitution d’une holding visant à rapprocher, dans une vision stratégique, les quatre entreprises de l’audiovisuel public.
Mais la gouvernance n’est pas tout. Parmi ces préconisations figurait également l’évolution du modèle économique de l’audiovisuel public reposant sur la modernisation de la CAP, élément essentiel d’une réforme qui ne peut être que systémique pour garantir la prévisibilité des ressources et l’indépendance d’un audiovisuel public libéré des dotations de l’État.
Or, pour l’heure, sur ce chapitre, nous sommes dans l’incertitude, voire dans la confusion. En témoigne le sort réservé à la CAP. Le ministre de l’action et des comptes publics en a récemment proposé la suppression en même temps que celle de la taxe d’habitation (TH) à laquelle elle était adossée.
Monsieur le ministre, vous vous étiez opposé à cette mesure, et nous aussi, car nous considérons que l’audiovisuel public doit être principalement financé par une dotation publique pérenne et dynamique.
Alors que nos voisins européens ont déjà modernisé leur redevance audiovisuelle, nous sommes depuis quelques années dans le yo-yo perpétuel, passant notre temps à la désindexer puis à la réindexer.
Cette année, alors que la réforme de la TH n’est pas aboutie, on nous annonce une baisse de 1 euro de la CAP ! Si l’idée est d’alléger la fiscalité, en effet lourde pour nos concitoyens, attaquez-vous à l’impôt sur le revenu, pas à la CAP, d’autant que cette somme ne veut rien dire : 1 euro sur une année, ce n’est même pas le prix d’un café !
Si l’idée de contraindre les entreprises de l’audiovisuel à faire des économies, il y a des manières plus pédagogiques de le faire que de leur envoyer ce signal désastreux quant à la légitimité de ce qui reste une contribution en échange d’un service identifiable
M. David Assouline applaudit.
Pour notre groupe, c’est l’incompréhension, d’autant que même sans cela, notre redevance reste la plus basse d’Europe.
Oui, il faut faire aujourd’hui des gains de productivité – cela est demandé à tous –, mais il faut aussi avoir des marges de manœuvre permettant de moderniser les entreprises, d’organiser la formation aux nouveaux métiers, de disposer d’une masse critique pour développer de nouveaux formats, de développer l’intelligence artificielle. Tout cela coûte cher, mes chers collègues, face aux mastodontes du numérique.
Je conclurai en évoquant l’audiovisuel extérieur. Ce dernier a déjà largement contribué à l’effort d’économies demandé. De ce fait, sa trajectoire est en décalage croissant avec les autres grands médias internationaux qui voient leur financement progresser. Je pense notamment à la Deutsche Welle, dont le directeur général a été auditionné par notre commission, mais aussi à d’autres médias proches de nos valeurs.
Pour France Médias Monde, le projet de loi de finances pour 2020 prévoit une nouvelle baisse d’un million d’euros par rapport à 2019, soit un total de 10 millions d’euros par rapport à ce qui était prévu dans le contrat d’objectifs et de moyens (COM).
Or il s’agit d’un outil de rayonnement et d’influence majeur pour notre pays. Dans cette nouvelle guerre froide de l’information qui se joue en français tout autant que dans les langues étrangères, il remplit une mission plus que nécessaire au service d’une information de référence, y compris pour les Français à travers le monde.
Ainsi, sur ce sujet, nous comprenons la réaction de nos collègues de la commission des affaires étrangères, soucieuse d’abonder les crédits de France Médias Monde – nous y reviendrons.
Monsieur le ministre, nous avons besoin d’un audiovisuel extérieur fort, et par-delà la seule question budgétaire, nous veillerons à ce que sa place dans la future holding de l’audiovisuel public soit préservée, et même renforcée.
Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu ’ au banc des commissions. – Mme Joëlle Garriaud-Maylam applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention portera sur l’audiovisuel public et les fonds qui lui sont consacrés.
J’évoquerai d’abord le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique qui vient tout juste d’être présenté en conseil des ministres après de longs mois d’attente. En effet, si nous n’examinons pas aujourd’hui les crédits qui viendront en appui de cette réforme, on ne peut faire abstraction des enjeux qu’elle soulève.
L’essor du numérique, de nouveaux usages, la véritable explosion d’offres venues bouleverser le paysage audiovisuel au niveau mondial nous obligent en effet à définir un nouveau cadre législatif et réglementaire.
Mes chers collègues, j’estime que, au-delà de nos clivages politiques, nous partageons l’envie d’un audiovisuel fort, et au sein de celui-ci, d’un audiovisuel public qui se réinvente pour affirmer sa spécificité. Le Sénat a un rôle majeur à jouer dans cette réflexion.
Certaines pistes avancées dans le rapport d’information de Jean-Pierre Leleux et André Gattolin en septembre 2015 ont d’ailleurs eu les faveurs du Gouvernement. Le projet de loi définit un modèle que notre rapport qualifiait de « BBC à la française », permettant le regroupement des différentes sociétés de l’audiovisuel public et la mutualisation de leurs moyens.
À la lecture des différents chapitres de ce projet de loi, si je retrouve les grandes lignes d’une organisation modernisée, je reste perplexe quant à l’ambition de ses auteurs. Comme l’a souligné notre rapporteur pour avis Jean-Pierre Leleux, le problème semble être pris à l’envers : le Gouvernement définit une gouvernance, des rapprochements, des règles éparses concernant la publicité ou les rapports des acteurs en présence, mais sans déterminer au préalable ce que l’on attend du service public dans le nouveau paysage audiovisuel et ce qui justifie son existence.
Cette absence de réflexion sur les priorités est alarmante et augure mal des choix qui seront faits, notamment en matière de financement.
Car enfin, si ces objectifs ne sont pas fixés, comment les moyens pourraient-ils être définis ? Le projet de loi reste muet, et vous également, monsieur le ministre, quant aux nouvelles sources de financement qui seront mises en place, celles-ci ne devant être définies qu’en 2021 et 2022.
Ces derniers mois, la suppression de la redevance a été évoquée par le ministre des comptes publics, mais, à l’inverse, vous vous êtes prononcé par le passé pour un élargissement de son assiette. Le présent budget précède donc une reconfiguration qui demeure inconnue. Nous appelons de nos vœux de prochains éclaircissements.
Pour en revenir aux crédits consacrés à l’audiovisuel public cette année, nous constatons une baisse de 69, 2 millions d’euros, en cohérence avec la ligne définie et suivie par notre Haute Assemblée en 2018. En effet, une économie de 190 millions d’euros est demandée aux entreprises de l’audiovisuel public d’ici à 2022 au titre de la réduction des déficits publics, mais également afin de concentrer les moyens sur certains postes – je pense notamment au développement numérique.
Cette stratégie d’austérité, qui succède à une forte augmentation des moyens de 2009 à 2017, a enclenché une réorganisation des services et la mise en œuvre de diverses réformes.
Certes, on peut s’interroger sur l’opportunité de maintenir cette trajectoire, alors que le fonctionnement de l’audiovisuel public, notamment de France Télévisions, sera prochainement revu par le Gouvernement.
L’année dernière, la taxe Copé sur les télécoms a été définitivement affectée au budget de l’État au détriment de France Télévisions, alors qu’elle avait été créée pour compenser la suppression de la publicité en soirée sur les chaînes de l’opérateur.
Cette année, la contribution à l’audiovisuel public est diminuée de 1 euro, ce qui renforce l’impression de diète, même si la portée de cette décision est surtout symbolique. Je partage le sentiment de notre rapporteur Jean-Pierre Leleux, qui regrette cette baisse des moyens à la veille de la réforme annoncée, mais qui fait toutefois le choix difficile de ne pas s’y opposer.
Les contraintes budgétaires ont en effet permis d’enclencher des mesures nécessaires de réorganisation et d’économie. Les entreprises de l’audiovisuel public ont incontestablement progressé dans la redéfinition de leurs priorités, ce qui n’aurait pas été possible si l’inflation de leurs moyens s’était poursuivie.
L’absence de réforme des sources de financement de l’audiovisuel public nous incite à poursuivre la même trajectoire.
Pour ces raisons, notre groupe suivra l’avis de nos rapporteurs, et outre les crédits de la mission, adoptera ceux du compte spécial dédié à l’audiovisuel public.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu ’ au banc des commissions.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de budget s’inscrit dans un contexte de réforme auquel le Parlement a pris sa part.
En particulier, grâce au Sénat, la France peut s’enorgueillir d’être le premier État membre à avoir transposé la directive européenne tendant à créer un droit voisin au droit d’auteur pour les agences de presse et les éditeurs de presse.
C’est également dans notre Haute Assemblée que le Gouvernement a choisi d’entamer l’examen du texte relatif à la modernisation de notre système de distribution de la presse, hérité de la fameuse loi Bichet de 1947, texte dont le rapporteur au Sénat était Michel Laugier.
Ce texte a été enrichi par l’adoption d’amendements issus de tous les groupes du Sénat, défendus notamment, pour le RDSE, par notre collègue Françoise Laborde. Cela a permis de faire évoluer un système hérité du Conseil national de la Résistance et sans équivalent, qui permet au lecteur français, depuis l’après-guerre, d’accéder aisément à une grande pluralité de titres.
Mes chers collègues, j’évoquerai tout d’abord les crédits attribués à l’audiovisuel public, plus particulièrement à France Télévisions.
Notre rapporteur évoque à juste titre un « management par le stress » exercé par l’exécutif depuis le début de la législature. La méthode retenue, qui consiste à appliquer de fortes réductions budgétaires – à hauteur de 70 millions d’euros l’an prochain, dont 40 millions pour France Télévisions – avant même de redéfinir les missions des structures visées, nous laisse assez dubitatifs.
Nous continuons en outre de regretter les disparitions prochaines de France 4 dont l’offre jeunesse est précieuse, et de France Ô qui donne aux outre-mer une visibilité qu’il sera difficile de rétablir, alors que ces disparitions n’auront qu’une incidence mineure sur les comptes du groupe.
À ce titre, le bien-fondé de la baisse de la redevance l’an prochain, pour un montant de 1 euro, nous paraît discutable.
Nous souhaitons également rappeler que pour la deuxième année consécutive, l’audiovisuel public se verra intégralement privé des ressources de la taxe Copé, destinée à l’origine à compenser la suppression de la publicité en soirée sur France Télévisions, même s’il faut reconnaître que le parrainage remplace souvent la publicité…
Nous saluons enfin les excellents résultats de Radio France, et ce, en dépit des mesures d’économie, ainsi que l’accompagnement de l’État, à hauteur de 6 millions d’euros, apporté à l’Agence France Presse qui conduit actuellement une profonde restructuration. La situation de l’agence s’améliore lentement. Nous nous en félicitons. Ces outils nous sont précieux dans un contexte où la culture de l’immédiateté et la perte d’indépendance de certains médias desservent chaque jour davantage la qualité de l’information.
Les industries culturelles continuent pour leur part de représenter un enjeu économique majeur en France. Livres, jeux vidéo, cinéma, musique : les productions françaises connaissent toujours un rayonnement international significatif, rendu possible par des politiques publiques spécifiques et un cadre protecteur où la régulation, à la demande des acteurs, est toujours forte.
Les crédits d’impôt propres au secteur de la culture demeurent stables : ils s’élèvent à 400 millions d’euros, dont 90 % seront absorbés par la production cinématographique et audiovisuelle.
Après des années difficiles, le marché de la musique poursuit sa mutation et renoue avec la croissance grâce au streaming. Certes, la rémunération des auteurs doit être adaptée à ce nouveau modèle économique. Le projet de loi sur l’audiovisuel nous permettra, je l’espère, de réduire l’écart aujourd’hui observé entre écoute et revenus.
Le Centre national de la musique (CNM) offrira enfin à ce secteur, aujourd’hui encore largement éclaté, un nouvel outil pour faire face à des enjeux qui demeurent considérables. Tout comme vous, monsieur le ministre, nous sommes attachés à la réussite de ce projet qui vient enfin de se concrétiser.
J’évoquerai pour conclure les aides de l’État à la presse. Ce secteur, qui doit faire face au défi de la numérisation, continue de voir chuter ses recettes de vente et ses recettes publicitaires.
En dépit des réformes engagées, le secteur de la distribution demeure dans l’incertitude, avec un opérateur principal, Presstalis, dont l’avenir demeure très obscurci.
Attachés à la proximité, les membres du RDSE se félicitent, dans un contexte morose, que la presse locale résiste plutôt mieux que la presse d’information politique et générale (IPG), car elle demeure à notre sens davantage ancrée dans les territoires.
Mes chers collègues, malgré les quelques réserves que je viens d’évoquer, le groupe du RDSE apportera son soutien au vote de ces crédits.
Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC, ainsi qu ’ au banc des commissions.
Applaudissements sur les travées du groupe UC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Catherine Morin-Desailly ayant déjà évoqué les crédits de l’audiovisuel pour le groupe Union Centriste, je centrerai mon intervention sur ceux de la mission proprement dite.
Je ne m’étendrai pas longuement sur les crédits de la presse, le rapporteur pour avis Michel Laugier, dont je salue l’excellent travail, ayant déjà brossé un tableau d’ensemble du secteur.
De ce panorama, nous voulons retenir les signaux positifs. Les grands opérateurs et les pouvoirs publics ont pris la mesure du choc numérique et ont commencé à s’y adapter. Ainsi avons-nous voté la loi relative à la modernisation de la distribution de la presse et la loi tendant à créer un droit voisin.
Nous regrettons néanmoins qu’il n’ait pas été possible d’adosser Presstalis à un autre opérateur dans la loi. Je m’interroge également sur les conséquences en région de la contraction des aides versées à La Poste.
Quant au droit voisin, la loi votée constitue un signal fort, mais compte tenu de la réaction de Google et de Facebook, l’offensive législative ne fait que marquer le début d’un bras de fer.
Les crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » doivent donc être appréciés à l’aune des mutations structurelles en cours. Le soutien public à la presse demeure substantiel, et il ne faiblira globalement pas en 2020.
Les aides directes sont concentrées sur la presse IPG, ce qui est une bonne chose, puisque ce secteur est celui qui a le plus souffert de la baisse des ventes et des recettes publicitaires.
De même, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) se déclare satisfaite du budget qui lui est alloué pour commencer à remplir sa nouvelle mission de régulation. Presstalis continue d’être soutenu à bout de bras par l’État, qui vient de débloquer un prêt de 90 millions d’euros. Idem pour l’AFP, qui bénéficiera en 2020 d’une aide de 6 millions d’euros.
Je dirai également un mot des crédits alloués aux industries culturelles. Comme le remarque très justement notre rapporteure pour avis Françoise Laborde, que je remercie également pour la qualité de son travail, le programme 334 qui les regroupe embrasse un champ particulièrement large, incluant le livre, la bande dessinée, la production audiovisuelle, dont le cinéma, la musique et le jeu vidéo.
Les crédits du programme augmentent principalement du fait de la dotation d’amorçage du Centre national de la musique (CNM). La loi qui en porte création a été votée il y a déjà quelques mois, mais sa promulgation, intervenue le 30 octobre dernier, a été plutôt tardive.
En effet, le CNM soulève toujours deux questions cruciales : celle de ses moyens et celle de sa gouvernance. Bien que la dotation de 7, 5 millions d’euros inscrite au présent projet de loi de finances constitue un premier signal encourageant, nous sommes loin des 20 millions d’euros dont le CNM aura besoin.
Comment ce budget sera-t-il pérennisé ? Nous n’avons toujours pas d’assurance que les collectivités locales qui contribuent à l’animation et au financement de la politique musicale dans les territoires ne soient pas les grandes oubliées dans la gouvernance du CNM.
Par ailleurs, Françoise Laborde nous a alertés sur les incertitudes pesant sur l’avenir du soutien au cinéma. Sur ce sujet également, le présent budget est un budget de transition puisque la fiscalité affectée au soutien du cinéma sera réformée par le prochain projet de loi de finances.
Quoi qu’il en soit, l’inéluctabilité de la baisse des dépenses du CNC conduit à penser que nous arrivons au bout d’un cycle : il faudra trouver un autre modèle de financement privé, ou le CNC devra se résoudre à soutenir moins de projets chaque année.
J’en terminerai en évoquant les crédits alloués à la Bibliothèque nationale de France (BNF), qui représentent à eux seuls 70 % du programme. Les difficultés à boucler le budget du site Richelieu nous rappellent cruellement à quel point le mécénat va être vital pour le monde de la culture dans les années à venir, ce qui incite à ne surtout pas en réduire la voilure fiscale, comme le fait malheureusement le présent projet de loi de finances.
En conclusion, malgré les incertitudes qui pèsent tant sur le secteur des médias que sur celui des industries culturelles, le groupe Union Centriste votera le présent budget, qui a au moins le mérite d’en accompagner les mutations.
Applaudissements sur les travées du groupe UC.
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans son discours du 20 mars 2018, le Président de la République avait fait part de son ambition pour la francophonie.
Quelques mois plus tard, l’audiovisuel extérieur de la France, vecteur de la francophonie et outil indispensable au rayonnement de notre pays, était considérablement affaibli dans le projet de loi de finances pour 2019.
France Médias Monde, opérateur majeur qui atteint chaque semaine près de 130 millions d’auditeurs et de téléspectateurs, subissait une baisse de crédits de 1, 6 million d’euros. Cette année, la dotation allouée est encore en baisse de 1 million d’euros.
Alors que France Médias Monde a déjà réalisé des efforts importants en matière de réduction de coûts – loyer, salaires –, ainsi que dans la recherche de nouveaux financements – Agence française de développement (AFD), financements européens – tentant de compenser la baisse de la redevance, le Gouvernement souhaite que soit menée une réflexion stratégique pour « garantir les meilleures conditions d’accomplissement de ses missions prioritaires ».
Il s’agit donc de faire plus avec toujours moins de moyens, comme à Radio France, comme à l’hôpital et comme dans de nombreux services publics. Malheureusement, le résultat de cette politique est connu et inévitable : une baisse de la qualité des services.
L’affaiblissement de France Médias Monde est d’autant plus inquiétant que de nombreux pays renforcent considérablement leur audiovisuel extérieur. Ainsi, la BBC bénéficie d’un budget de 436 millions d’euros et la Deutsche Welle d’un budget de 350 millions d’euros, quand le budget de France Médias Monde s’élève à 255 millions d’euros.
Alors qu’il leur faut relever de nombreux défis, ce projet de loi de finances pour 2020 ne donne pas les moyens de leurs ambitions aux grands opérateurs qui œuvrent pourtant au rayonnement de notre pays à l’international.
Ils souffrent tous d’une sous-dotation, de même que TV5 Monde, qui a subi une baisse de 1, 2 million d’euros l’année dernière, baisse qui n’est pas compensée cette année. Je ne peux que regretter ces incohérences et la dichotomie entre les discours et la réalité des moyens alloués.
Des efforts considérables sont déployés par les équipes de l’audiovisuel extérieur pour développer de nouveaux projets. Pour autant, la dégradation de leurs moyens entache fortement leurs conditions de travail.
Je pense notamment à la question délicate de la protection sociale des journalistes pigistes à l’étranger qui n’est, à ce jour, pas encore réglée, monsieur le ministre. Les journalistes travaillant hors de France sont pourtant eux aussi les garants d’une information libre, pluraliste, et d’une certaine idée de la démocratie.
En conclusion, la trajectoire budgétaire de l’audiovisuel extérieur n’est pas à la hauteur des ambitions de notre pays. Je ne peux que regretter que les discours, au vu des moyens alloués, soient condamnés à rester de vains mots.
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, notre rapport à l’information, à la presse, aux médias et nos pratiques culturelles sont aujourd’hui bouleversés par la révolution numérique ; par la démultiplication des acteurs, des écrans, des formats, des contenus ; par la diversification des moyens de les lire, de les écouter, de les visionner. En même temps qu’il fait émerger des opportunités nouvelles, le numérique remet en cause des pans entiers de l’économie de la culture et des médias.
Notre responsabilité est de faire du numérique une chance, et non une menace ; de le rendre synonyme d’enrichissement, et non d’appauvrissement ; de faire en sorte que notre culture soit consolidée, et non précarisée. C’est en ayant en tête cette idée, cet objectif, cette obsession, que nous avons conçu le budget du ministère de la culture pour l’année 2020.
Sur les 60 millions d’euros de crédits budgétaires supplémentaires dont bénéficiera le ministère, 9 millions d’euros iront à la mission « Médias, livre et industries culturelles », les priorités étant les mêmes que pour la mission « Culture » dont nous venons de débattre.
La première priorité de ce projet de budget est l’émancipation de nos concitoyens, en premier lieu par l’accès à une information indépendante, pluraliste et de qualité, et ce dès le plus jeune âge. Nous poursuivrons notre action en faveur du développement de la lecture, laquelle ne doit pas être cantonnée au seul cadre scolaire.
À l’heure de la diversification des sources d’information et de la prolifération des « infox », il ne faut plus seulement apprendre à lire, il nous faut aussi éduquer à l’image. Tel est l’objectif du plan d’éducation aux médias et à l’information, dans lequel l’audiovisuel public s’engagera afin de lutter contre les infox, grâce, entre autres, à la plateforme de décryptage « vrai ou fake ».
Cette information fiable, pluraliste, de qualité que j’évoquais, l’Agence France Presse en est l’une des garantes. Soutenir l’AFP, c’est soutenir, indirectement, toute la presse. À cet égard, je tiens à remercier David Assouline d’avoir salué le soutien du Gouvernement à l’AFP. Nous soutiendrons son plan de transformation, à hauteur de 4, 5 millions d’euros supplémentaires en 2020. C’est un effort considérable. Nous accompagnerons également les missions d’intérêt général de l’AFP, en revalorisant leur financement à hauteur de 1, 5 million d’euros.
Cette information fiable, pluraliste, de qualité, nous n’aurons de cesse de la soutenir. Nous n’aurons de cesse de défendre la presse, son indépendance, sa liberté, parce que sans elle, il n’y a pas de démocratie. Les aides à la presse seront confortées en 2020.
Avec mes homologues européens, je mène un combat pour faire respecter le droit voisin. Tel était le sens de mon intervention, le 21 novembre dernier, devant le Conseil des ministres de la culture de l’Union européenne. Un grand nombre de ministres ont d’ailleurs soutenu la France dans sa détermination à défendre le droit voisin et son application, dans son combat pour le partage de la valeur entre les acteurs de l’internet, les agences de presse, les éditeurs de presse et les journalistes.
La France, qui fut le premier État membre à transposer la directive relative aux droits voisins, grâce au Sénat, et aux rapports de David Assouline et du député Patrick Mignola, que je salue, doit rester en première ligne sur ce sujet. Derrière le droit voisin, c’est l’avenir du journalisme qui se joue ; c’est la préservation des moyens des éditeurs et des agences de presse ; c’est la protection de leur indépendance, de leur capacité d’informer, tout simplement, d’une façon professionnelle.
Aujourd’hui, la valeur créée est captée par les géants du numérique : c’est inacceptable, et il faut remédier à ce problème. Vous savez que l’Autorité de la concurrence a été saisie par les éditeurs de presse et qu’elle remettra son avis au tout début de l’année 2020. J’ai également eu l’occasion de rencontrer la commissaire Margrethe Vestager sur cette question. Le Gouvernement, dont la détermination est totale, est prêt à consolider le droit voisin dans le cadre du projet de loi sur l’audiovisuel – j’en ai discuté encore récemment avec Catherine Morin-Desailly et David Assouline – et à se doter d’outils complémentaires afin que la loi soit respectée.
La deuxième priorité de ce projet de budget est le renforcement, par la culture, de la cohésion et de l’attractivité de nos territoires. Tel est notamment l’enjeu de la révision de la loi Bichet. À cet égard, je remercie Michel Laugier de son travail, ainsi que tous les parlementaires qui se sont mobilisés pour cette réforme.
Sourires.
M. Franck Riester, ministre. Pas de jalousie mal placée, monsieur Ouzoulias !
Nouveaux sourires.
J’entends, monsieur Laugier, vos inquiétudes s’agissant de la société Presstalis, mais je tiens à vous rassurer : l’État est pleinement mobilisé, comme il l’a été dans le passé, pour assurer la pérennité du système de distribution de la presse. L’Arcep, qui, depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi Bichet, est compétente pour la régulation du secteur, est également pleinement mobilisée.
Je vous tiendrai bien évidemment au courant de la suite du travail que nous effectuons avec la totalité de la filière, dans le cadre du plan de filière sur lequel Bruno Le Maire et moi-même travaillons.
Renforcer la cohésion des territoires, c’est aussi moderniser nos services publics culturels de proximité. Telle est l’ambition que nous portons avec le plan Bibliothèques, dont le budget augmentera l’année prochaine. Le bilan qui est en train d’être réalisé est tout à fait favorable à cette politique importante de soutien à la lecture et au livre.
La troisième priorité de ce projet de budget est de placer les artistes et les créateurs au cœur de nos politiques culturelles. Cela implique d’accompagner la structuration des industries culturelles et créatives, notamment. Tel est le sens des états généraux des industries culturelles et créatives lancés la semaine dernière avec Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, et Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Le but de ces états généraux est la mise en place d’un comité de filière au printemps 2020.
Tel est également le sens de la création du fonds d’investissement de 225 millions d’euros annoncé en mai dernier par le Président de la République – géré par Bpifrance, ce fonds est d’ores et déjà mobilisable – et du renforcement des prêts participatifs de l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC). Ces deux outils sont d’ores et déjà à disposition des entreprises.
Plus spécifiquement, nous accompagnerons le secteur musical, avec la création du Centre national de la musique. À cet égard, je remercie Jean-Raymond Hugonet, rapporteur pour le Sénat du texte ayant permis sa création. Grâce à vous, mesdames, messieurs les sénateurs, grâce à votre détermination, à celle du Président de la République, du Premier ministre et à la mienne, cette « maison commune de la musique » verra enfin le jour en 2020. J’en profite pour saluer tous les professionnels de la musique, très mobilisés en faveur de sa création. Le centre recevra 7, 5 millions d’euros dès 2020, son budget ayant vocation à monter en puissance pour atteindre 20 millions d’euros par an en régime de croisière.
Par ailleurs, 2020 sera l’année de la bande dessinée, certains d’entre vous l’ont dit, notamment Mme Laborde, ce qui permettra de mettre en valeur la diversité, la richesse créative, mais aussi patrimoniale, du neuvième art.
Enfin, la quatrième priorité de ce projet de budget est la réaffirmation de notre souveraineté culturelle.
Nous la réaffirmerons en harmonisant la fiscalité affectée au cinéma, afin que les nouveaux acteurs de l’internet contribuent davantage au financement de la création. Tel est le sens de la réforme des taxes affectées au CNC, qui permettra d’aligner sur un taux unique de 5, 15 % la taxe sur les services de télévision due par les éditeurs et par les distributeurs de services de télévisions et la taxe sur la diffusion en vidéo physique et en ligne de contenus audiovisuels, dont les taux sont aujourd’hui respectivement de 5, 65 % et 2 %.
Ce texte a deux grandes ambitions : une ambition de dynamisme et de souveraineté culturels, afin de permettre le développement de la diversité, de la créativité, ainsi que le rayonnement de l’audiovisuel et du cinéma français ; une ambition démocratique et sociétale, afin de protéger les citoyens de certains excès du numérique et de leur offrir à tous, urbains ou ruraux, de l’Hexagone ou d’outre-mer, quels que soient leur âge et leur milieu, un service plus proche et plus efficace. Telles sont les ambitions du projet de loi que j’ai eu l’honneur de présenter ce matin au conseil des ministres. Nous aurons bien évidemment l’occasion d’en reparler à de nombreuses reprises.
Ce projet de loi établira un cadre adapté à la télévision, à la radio et à l’audiovisuel du XXIe siècle, en tenant compte de la révolution numérique. Je rappelle que la loi de 1986 a été pensée et votée avant l’ère d’internet.
Mesdames, messieurs les sénateurs, mon ambition est de réaffirmer notre souveraineté culturelle à l’ère numérique.
Les plateformes comme Netflix apportent un service nouveau, apprécié de nos concitoyens. Il n’est pas question de leur tourner le dos ou de s’opposer à elles. Ce projet de loi se fera non pas contre les plateformes, mais avec elles. Nous devons assurer l’équité entre les différents acteurs, rééquilibrer les règles du jeu, entre les chaînes de télévision et les nouveaux services. C’est un combat qui exige détermination et persévérance, et qui nécessite des moyens – nous aurons l’occasion bien sûr de reparler du financement de l’audiovisuel public.
Nous pouvons avoir une grande ambition pour l’audiovisuel public, qu’il faut doter des moyens de s’adapter à l’ère numérique. L’objectif du projet de loi est de réaffirmer ses missions essentielles : l’information, l’éducation, la culture, le rayonnement de la France dans le monde, madame la sénatrice Garriaud-Maylam, la cohésion sociale, les contenus de proximité. Nous devons le doter d’une organisation modernisée, tout en exigeant ponctuellement de lui le même effort financier et de rigueur que celui que nous attendons d’un certain nombre d’autres acteurs publics pour contribuer au rétablissement des comptes de la Nation.
C’est un combat dont dépend l’avenir de notre culture et de notre modèle. Nous le mènerons ensemble, mesdames, messieurs les sénateurs.
Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et RDSE.
Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles », figurant à l’état B.
En euros
Mission
Autorisations d’engagement
Crédits de paiement
Médias, livre et industries culturelles
Presse et médias
Livre et industries culturelles
L’amendement n° II-519, présenté par Mme Brulin, M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
I. – Créer un nouveau programme :
Livre
II. – En conséquence, modifier ainsi les crédits des programmes :
En euros
Programmes
Autorisations d’engagement
Crédits de paiement
Presse et médias
Livre et industries culturelles
Livre
TOTAL
SOLDE
La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
Cet amendement vise à soutenir le réseau des librairies. Ces lieux d’échanges et de transmission de la culture sont indispensables à l’animation et à la régénération de nos centres-villes.
Si nous avons déposé cet amendement, c’est parce que nous avons appris que le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, ne fait pas le même choix que nous. Ainsi, M. Cédric O, secrétaire d’État chargé du numérique, a inauguré un entrepôt Amazon à Brétigny-sur-Orge en octobre dernier. Amazon, je le rappelle, détruit chaque année 20 000 emplois de plus qu’il n’en crée, quand les petites librairies de quartier, elles, ont perdu 1 500 emplois, soit une baisse de 12 %.
Il s’agit donc d’un amendement de compensation. Vous avez choisi l’ogre Amazon, monsieur le ministre ; pour notre part, nous préférons les Petits Poucets qui sèment des cailloux blancs sur les chemins de la connaissance.
Je propose à notre excellent collègue Ouzoulias de retirer son amendement. À défaut, je me verrai contraint d’émettre un avis défavorable.
D’abord, je ne vois pas bien le lien entre le soutien aux librairies et l’amendement lui-même, qui vise à créer un programme « Livre » au sein de la mission budgétaire. Par définition, la politique du livre du Gouvernement relève d’un ensemble de missions. Votre amendement aurait d’ailleurs davantage sa place au sein de la mission « Cohésion des territoires ». Je le répète, je ne vois pas très bien le lien entre le débat budgétaire et votre demande.
Sur le fond, nous partageons votre point de vue sur le soutien qu’il faut apporter aux librairies ; sur la forme, nous ne pensons pas que votre amendement permette aujourd’hui de faire ce que vous demandez.
Par conséquent, pourriez-vous avoir l’extrême amabilité, de retirer cet amendement ? §Je fais ce que je peux pour y arriver…
Je dirai moi aussi au sénateur Ouzoulias – qui n’a pas de raison d’être jaloux du sénateur Assouline ! – que je partage son ambition pour le livre, tout comme Roger Karoutchi. Le Gouvernement est très mobilisé en faveur du livre et de la lecture.
J’évoquais le plan Bibliothèques, je parlerai maintenant du pass culture, que nous avons mis en œuvre pour soutenir les librairies. Ce pass, que vous critiquez par ailleurs, monsieur le sénateur, est prioritairement utilisé par les jeunes pour acheter des livres, lesquels ne peuvent être retirés que dans des librairies. Dans les départements tests – il y en a quatorze en France –, les premiers retours des libraires sont très positifs. Ils nous disent qu’ils voient désormais des jeunes venir acheter dans leurs librairies des livres qu’ils n’achèteraient pas sans ce pass – et pas des manuels scolaires, qu’il n’est pas possible d’acheter avec le pass.
Ce dispositif permet ainsi aux libraires de nouer une relation particulière, privilégiée, avec de nouveaux publics. Le pass est utilisé à 40 % pour l’achat de livres dans les librairies. Vous le voyez, nous nous mobilisons pour les librairies, ces lieux de culture de proximité étant essentiels à nos yeux.
Pour autant, comme l’a très bien dit Roger Karoutchi, il ne nous paraît pas adapté de soutenir cet amendement, alors même que nous soutenons fortement la lecture, le livre, les bibliothèques et les librairies. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Monsieur le ministre, vous dites que le pass culture est utilisé à hauteur de 40 % pour acheter des livres. Sans doute faudrait-il procéder à une analyse beaucoup plus fine, d’une part parce que le dispositif n’est expérimenté que dans quatorze départements, d’autre part parce que le retour d’expérience est relativement faible.
Ensuite, il faudrait se demander dans quelle mesure ce pass n’est pas utilisé par un public qui est déjà culturellement bien doté et si cette aide financière ne sert finalement pas, au moins en partie, à effectuer des achats qui auraient été faits de toute façon.
J’en viens au sujet que soulève notre collègue Ouzoulias dans son amendement.
En France, des librairies continuent à fermer, singulièrement des librairies indépendantes, non pas dans des villes moyennes, mais dans de petites villes. C’est un mouvement de fond dont on ne mesure encore ni l’étendue ni les dégâts qu’il va provoquer.
Tout le monde pose la question du soutien au réseau des librairies indépendantes, mais je crains que, à court terme, la question ne se pose plus du tout, tout simplement parce qu’il n’y aura plus de librairies ! Le mal est très profond. Certes, vous n’êtes pas responsable de cette situation, monsieur le ministre.
Je précise par ailleurs que le nombre de lecteurs tend à diminuer, que les lecteurs vieillissent, ou plutôt les lectrices, le lectorat étant composé, paraît-il, à 80 % de femmes. En tout cas, il n’y a plus suffisamment de lecteurs. On devrait s’interroger sur ce point.
Dans le même temps, on s’interroge dans certains pays sur l’enseignement à l’école de l’écriture cursive. C’est dire si l’écrit est attaqué dans toutes ses dimensions ! Nous assistons à un affaiblissement de l’écrit qui me paraît durable.
Nous vivons aujourd’hui, sous les coups de boutoir du numérique, de la high-tech et des écrans en général, un bouleversement majeur, de nature anthropologique, dont on n’a pas encore mesuré tous les effets ici. Il ne s’agit pas simplement d’un changement de support, du passage du papier à l’écran : c’est l’écrit qui est menacé.
Les questions posées et les réponses qui y sont apportées ne sont pas à la hauteur de l’enjeu, qui est majeur. À titre personnel, je regrette que l’école elle-même soit le lieu d’intrusion du numérique à tout-va, sans aucune forme d’interrogation.
Nous abordons un sujet qui me tient à cœur.
Je n’ai pas l’habitude, en général, de tirer la couverture à moi, mais je rappelle que j’ai déposé, voilà près de deux ans maintenant, une proposition de loi tendant à renforcer le soutien des collectivités territoriales aux librairies indépendantes labellisées. Il s’agissait de sauver les librairies en centre-ville.
Cette proposition de loi n’ayant jamais été examinée, j’ai tenté de faire adopter les mesures qu’elle prévoyait dans plusieurs textes, dans la proposition de loi portant Pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs de Rémy Pointereau, puis dans la loi ÉLAN. Je proposais de permettre aux communes d’attribuer des subventions aux librairies de centre-ville, dans la limite d’un montant maximal de 30 % de leur chiffre d’affaires.
Ensuite, il y a des choses que je ne peux pas laisser dire. Je suis membre du conseil d’administration du Centre national du livre, centre que je connais depuis vingt-deux ans, et je puis vous assurer que ce centre apporte une aide très importante aux libraires.
S’il est vrai que de nombreuses librairies ferment, il y en a aussi beaucoup qui ouvrent. Il faut simplement que les librairies sachent se moderniser pour répondre aux besoins des clients. Il leur faut faire la différence avec Amazon, qui permet de commander facilement un livre, d’un simple clic. On demande aujourd’hui aux librairies d’être des lieux de proximité, d’échanges, de signatures, des lieux où il est possible de se poser. Beaucoup le font, les autres doivent faire des efforts en ce sens.
Honnêtement, le label LiR – librairie indépendante de référence – a sauvé beaucoup de librairies. Je suis d’accord avec vous sur le fait qu’il faut poursuivre cette politique de soutien aux librairies indépendantes. Il faut toutefois savoir que les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) disposent de budgets à cet effet, mais qu’elles ne les utilisent pas complètement. Peut-être devrions-nous, mes chers collègues, signaler aux DRAC les librairies qui sont en difficulté dans nos villes ?
Pour ma part, je ne suis pas allée à l’inauguration de l’entrepôt d’Amazon à Brétigny-sur-Orge, situé dans le département dont je suis élue, mais mon collègue Olivier Léonhardt était très heureux de s’y rendre, car cet entrepôt, situé dans sa commune, permettra de créer des emplois. J’espère simplement que les salariés n’y seront pas exploités.
J’espère enfin qu’Amazon ne parviendra pas à modifier la relation que nous avons avec les libraires. Leurs conseils de lecture sont à mon avis le meilleur moyen de donner envie de lire, notamment aux jeunes.
Le soutien au livre et aux librairies indépendantes est une question importante. Nous avons voté en première partie un amendement visant à permettre aux collectivités locales et aux municipalités d’exonérer d’un certain nombre de charges l’ensemble des librairies, et non pas seulement celles d’entre elles qui sont labellisées. C’est une avancée.
Puisque l’on parle d’excellence, monsieur Ouzoulias, je ne comprends pas bien, comme Roger Karoutchi, même après vos explications, le sens de votre amendement et le fait que vous l’ayez déposé sur le projet de loi de finances.
Permettez-moi de vous dire, de manière ironique, que si vous êtes un bon archéologue, vous avez parfois tendance à remonter un peu trop loin dans le temps ! Tout à l’heure, on a eu droit à l’évocation de la grandeur du ministère de la culture au temps d’André Malraux ; là, nous en sommes revenus à la période de la Résistance et à ses messages cryptés. Comme je n’ai pas la machine de Turing pour décoder, et même si je partage par ailleurs votre préoccupation concernant les librairies, je ne comprends pas bien votre amendement, je le répète, qui ne me paraît pas explicitement rattaché au projet de loi de finances.
L’engagement du Gouvernement en faveur du livre n’est pas négligeable. Notre pays figure parmi ceux où les lecteurs et les éditeurs résistent le plus au livre électronique, ce qui est plutôt une bonne chose pour les libraires. Le produit physique reste un produit moderne.
La commission a confié à l’un de mes collègues et à moi-même une mission d’information sur ce sujet. Nous aurons donc l’occasion d’y revenir de manière plus adaptée. Naturellement, nous ne voterons pas cet amendement.
En déposant cet amendement, nous voulions lancer un cri d’alerte. Il s’agissait de dire : « Arrêtons de faire preuve d’irénisme à l’égard des Gafam. » Ce sont des entreprises prédatrices, qui détruisent des emplois, qui ne contribuent pas à nos finances publiques – le voilà le rapport de cet amendement avec la discussion budgétaire : ces entreprises ne paient pas d’impôts ! – et qui, par ailleurs, modifient profondément nos habitudes culturelles. Il faut le reconnaître !
Je le répète, j’ai été choqué qu’un secrétaire d’État de la République inaugure l’entrepôt d’une firme prédatrice.
Cela étant, j’ai parfaitement entendu l’argumentaire du très honorable rapporteur spécial, dont je salue l’excellence et la précision du propos. À sa demande, je retire mon amendement.
Exclamations amusées sur certaines travées.
Monsieur le sénateur, je ne peux pas vous laisser dire deux fois que vous êtes choqué parce que mon collègue s’est rendu à l’inauguration d’un entrepôt d’Amazon. Pour ma part, je ne le suis pas.
Amazon est une société qui fournit un service, il faut le reconnaître, tout comme il faut reconnaître l’importance des commerces physiques de centre-ville et mettre en œuvre des politiques d’accompagnement en leur faveur. Il faut aussi reconnaître que ce type d’entreprises apporte une forme de services attendus par nos compatriotes, qu’il ne faut pas pointer spécifiquement du doigt.
Cependant, il ne faut pas non plus être naïf. Nous devons faire en sorte que ces sociétés respectent les règles tout en menant des politiques publiques pour accompagner des acteurs auxquels nous reconnaissons des vertus toutes particulières, à commencer par les libraires.
Je le répète, le Gouvernement mène une très forte politique du livre et d’accompagnement des libraires et des bibliothèques, mais aussi afin de favoriser, monsieur Bonhomme, la lecture, mais aussi l’apprentissage de la lecture et de l’écriture à l’école. C’est d’ailleurs l’un des grands axes de la politique de Jean-Michel Blanquer que de permettre à nos plus jeunes de maîtriser les savoirs fondamentaux, à savoir lire, écrire et aussi dire le français. À cet égard, le dédoublement des classes dans les zones prioritaires est un élément fort.
Je ne peux pas vous laisser dire que le Gouvernement serait désarmé ou qu’il ne serait pas à la hauteur de l’enjeu sur ces questions. Je partage totalement votre préoccupation, mais sachez que nous entendons permettre au plus grand nombre de jeunes d’apprendre à lire et à écrire, mais aussi de se rendre dans des librairies pour y acheter des livres.
Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles », figurant à l’état B.
Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 55 :
Le Sénat a adopté les crédits.
J’appelle en discussion l’article 76 quaterdecies, qui est rattaché pour son examen aux crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles ».
Médias, livre et industries culturelles
Le I du A de l’article 76 de la loi de finances rectificative pour 2003 (n° 2003-1312 du 30 décembre 2003) est ainsi modifié :
1° Les deux dernières phrases du premier alinéa sont remplacées par une phrase ainsi rédigée : « Son produit est affecté au Centre national de la musique au titre de ses missions mentionnées à l’article 1er de la loi n° 2019-1100 du 30 octobre 2019 relative à la création du Centre national de la musique. » ;
2° Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation au premier alinéa du présent I, jusqu’au 31 décembre 2022, son produit est affecté à l’établissement pour le financement des actions de soutien aux spectacles de chanson, de variétés et de jazz tels que définis au II. »
L’article 76 quaterdecies est adopté.
Nous allons procéder à l’examen des crédits du compte de concours financiers « Avances à l’audiovisuel public », figurant à l’état D.
En euros
Mission
Autorisations d’engagement
Crédits de paiement
Avances à l’audiovisuel public
France Télévisions
ARTE France
Radio France
France Médias Monde
Institut national de l’audiovisuel
TV5 Monde
L’amendement n° II-23, présenté par M. Karoutchi, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
En euros
Programmes
Autorisations d’engagement
Crédits de paiement
France Télévisions
ARTE France
Radio France
France Médias Monde
Institut national de l’audiovisuel
TV5 Monde
TOTAL
SOLDE
La parole est à M. le rapporteur spécial.
Cet amendement porte évidemment sur France Médias Monde. Tout le monde s’accorde à dire que cette société est tactiquement et stratégiquement essentielle et qu’on ne comprend pas toujours la politique du Gouvernement à son égard.
L’année dernière, j’avais déposé un amendement tendant à ajouter 2 millions d’euros à France Médias Monde, lequel avait été adopté, mais le Gouvernement était évidemment revenu sur ce vote à l’Assemblée nationale.
Cette année, je propose – ne soyons pas « petit joueur » ! – d’augmenter la dotation de France Médias Monde de 9, 9 millions d’euros. Le chiffre n’est pas choisi au hasard : c’est la somme supplémentaire dont bénéficierait l’audiovisuel extérieur si le contrat d’objectifs et de moyens avait été respecté.
M. David Assouline s ’ exclame.
Honnêtement, je n’éprouve aucune gloriole à faire adopter par le Sénat des amendements qui seront ensuite balayés par l’Assemblée nationale ! Je connais trop bien le système parlementaire pour savoir que cela n’a pas beaucoup de sens de se faire plaisir en défendant des amendements destinés à disparaître.
En revanche, voilà quelques jours, M. le ministre des affaires étrangères ne semblait pas fermé à l’idée de trouver des moyens supplémentaires par un prélèvement sur le budget de l’AFD. Si, dans vos discussions internes au Gouvernement, M. Jean-Yves Le Drian et vous-même trouviez une solution pour permettre à France Médias Monde de disposer de 5 millions d’euros à 10 millions d’euros supplémentaires l’année prochaine ou, en tout cas, à brève échéance, je pourrais retirer mon amendement.
Nous le savons, face aux Britanniques, aux Chinois et aux Russes, la situation n’est pas à notre avantage aujourd’hui. France Médias Monde joue un rôle essentiel pour la francophonie et, plus généralement, pour l’influence de notre pays dans des parties du monde où celle-ci est en baisse.
Engagez-vous fortement en faveur de France Médias Monde ! Que ce soit en prélevant sur le budget de l’AFD ou par tout autre moyen, donnez des moyens à France Médias Monde pour rendre de la puissance à l’audiovisuel extérieur !
Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Maryvonne Blondin et Claudine Lepage applaudissent.
Je connais l’attachement de M. Karoutchi, de Mme la présidente de la commission de la culture et, plus généralement, de l’ensemble du Sénat à France Médias Monde, ainsi que l’importance qu’ils accordent à ses moyens.
L’audiovisuel extérieur de la France joue effectivement un rôle essentiel tant pour la francophonie que pour le rayonnement de notre pays dans le monde. Il exprime la singularité du regard français sur le monde. Jean-Yves Le Drian et moi-même partageons cette conviction forte. Les équipes de France Médias Monde effectuent un travail remarquable.
Nous avons donc souhaité que France Médias Monde fasse partie du futur groupe public, ce qui lui permettra de s’appuyer sur la puissance de France Télévisions, de Radio France et de l’Institut national de l’audiovisuel (INA). Nous sommes déterminés à favoriser à l’avenir le développement de France Médias Monde. L’effet de synergie lié à son appartenance au groupe public y contribuera.
Par ailleurs, dans le cadre de la trajectoire 2018-2022, l’effort demandé à France Médias Monde ne porte que sur 2, 5 % des 190 millions d’euros d’économies à réaliser alors que son budget représente près de 10 % du budget total de l’audiovisuel public.
Nous sommes conscients que France Médias Monde fait un travail remarquable avec des moyens limités. Mais j’entends votre volonté de conforter le choix du Gouvernement d’accompagner France Médias Monde.
M. David Assouline s ’ esclaffe.
Je ne peux évidemment pas m’engager sur le budget de l’AFD, qui dépend du ministère des affaires étrangères. En revanche, je puis vous assurer que mon collègue Jean-Yves Le Drian et moi-même échangeons régulièrement et mobilisons nos équipes pour préparer au mieux l’avenir de France Médias Monde au sein du groupe public.
Vous rendez-vous compte du point où nous sommes arrivés ?
Nous nous retrouvons tous sur la nécessité de renforcer France Médias Monde. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer les Russes et les Chinois, qui ont des moyens d’influence considérables dans le monde entier, y compris, s’agissant des premiers, dans notre pays. Et nous, qui préférons rayonner par notre culture, par nos valeurs et par la francophonie plutôt que par des fake news, nous sous-dotons l’outil qui permettrait de le faire !
Monsieur Karoutchi, vous avez voté contre le rétablissement de l’euro de redevance supprimé. Or cette suppression représente un manque à gagner de 25 millions d’euros. Avec une telle somme, votre amendement serait déjà financé, et vous n’auriez pas besoin de demander de déshabiller France Télévisions, qui n’a déjà plus beaucoup d’habits, pour habiller France Médias Monde ! Je ne peux pas entrer dans votre logique : imaginer que des entités du service public en viennent à souhaiter l’appauvrissement des autres pour pouvoir se financer. Fort heureusement, elles ne se livrent pas à ce petit jeu ; je trouve qu’elles font preuve de beaucoup de solidarité.
Votre position ne me semble donc guère cohérente. Je sais que vous êtes très intelligent…
M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. Merci ! Mais aucune flatterie ne m’atteint !
Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.
Mais pourquoi n’avez-vous pas voulu empêcher que l’on prive l’audiovisuel public de 25 millions d’euros ? Cela aurait permis de régler non seulement le problème que vous soulevez, mais également d’autres ; je vous renvoie au mouvement de grève au sein de Radio France aujourd’hui. Et pourquoi défendre à présent un tel amendement ? Il faut être cohérent !
Certes, vous allez peut-être retirer votre amendement. Mais je demande au Sénat de combattre pour aider France Médias Monde sans prendre aux autres entités du service public, qui en ont tout autant besoin. Si nous nous mobilisons pour que l’ensemble du service public soit fort, nous aurons assez pour France Médias Monde, mais aussi pour France Télévisions et pour Radio France !
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.
La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.
Mme Catherine Morin-Desailly. J’entends encore ce que M. Donnedieu de Vabres, alors ministre de Jacques Chirac, déclarait à la tribune du Sénat. Peut-être vous en souvenez-vous, monsieur le ministre : vous étiez alors député.
M. le ministre le conteste.
La chaîne française de l’information internationale (CFII) a été créée à l’époque. C’était le début de l’audiovisuel extérieur, et France 24 était en route. En un peu plus de dix ans, les résultats ont été formidables, avec des budgets extrêmement modestes. La chaîne est encore en phase d’ascension et de développement. Ce n’est vraiment pas le moment de lui couper les ailes !
Nous avons ce débat au Sénat depuis plusieurs années. La commission des affaires étrangères vous alerte régulièrement. Notre collègue Joëlle Garriaud-Maylam est très mobilisée sur le sujet, tout comme les sénateurs représentant les Français établis hors de France qui siègent au sein de notre commission, à l’instar de Claudine Lepage, ici présente.
Il s’agit d’un enjeu majeur. Ainsi, Peter Limbourg, directeur général de la Deutsche Welle, et Marie-Christine Saragosse, que nous avons auditionnés, nous ont rappelé les défis auxquels ils sont confrontés : aujourd’hui, dans la guerre froide de l’information, l’objectif est bien de défendre les valeurs de l’Europe dans le monde. Cela peut se faire en français, mais aussi dans certaines langues étrangères, afin d’aller sur des terrains où, du fait de la désinformation, nous sommes en position de faiblesse.
Monsieur le ministre, nous vous demandons de bien prendre une telle problématique en considération dans le cadre du texte législatif à venir. Comme je l’ai indiqué, nous y serons très vigilants.
Il est regrettable d’avoir ce débat cette année, comme l’année dernière. Faisons un calcul simple : sans la suppression d’un euro de redevance – l’économie réalisée est de… 0, 083 centime par mois et par foyer ; ce n’est même pas une goutte d’eau ! –, l’audiovisuel public disposerait de 25 millions d’euros supplémentaires, soit plus du double des crédits que vous sollicitez, monsieur le rapporteur ! Je trouve cette logique un peu absurde.
En tout cas, dans la perspective de la future loi, mesurons bien tout le travail qu’il reste à accomplir en faveur de l’audiovisuel public !
Applaudissements sur les travées du groupe UC.
Je remercie M. le rapporteur spécial d’avoir soulevé ce débat au sein de notre Haute Assemblée.
Nous sommes visiblement inquiets sur toutes les travées. L’audiovisuel extérieur de la France manque cruellement de moyens.
Il manque aussi, me semble-t-il, d’une vision stratégique et politique claire. À mon sens, elle doit être définie au plus haut niveau de l’État. Nous parlons non d’un audiovisuel intérieur, mais de la présence et du rayonnement de la France dans le monde. Je pense que, toutes sensibilités politiques confondues, nous partageons cette ambition. Notre collègue Joëlle Garriaud-Maylam s’exprime régulièrement sur le sujet, qui est également souvent abordé au sein des commissions.
Monsieur le ministre, il faudrait que vous vous fassiez notre interprète auprès de vos collègues, et notamment du ministre des affaires étrangères, pour réfléchir à un nouveau mode de financement de l’audiovisuel extérieur. La concurrence des Russes, des Chinois, mais aussi, plus près de nous, des Britanniques et des Allemands est de plus en plus rude. La situation est compliquée.
Cela étant, il est également délicat de prélever 10 millions d’euros dans le budget de France Télévisions. Certes, des économies sont nécessaires, et des réformes s’imposent. Mais France Télévisions a déjà fait beaucoup d’efforts depuis deux ans – il s’agit tout de même de 60 millions d’euros pour l’année qui vient ! Bien entendu, de tels efforts mettent nécessairement du temps pour produire leurs effets. Une telle tactique de « vases communicants » complique évidemment un peu les choses.
J’appelle donc à l’élaboration d’une ambition et à la recherche de nouvelles modalités de financement pour France Médias Monde plutôt qu’à un rééquilibrage au détriment de France Télévisions.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. J’encourage vivement Roger Karoutchi à maintenir son amendement, qui est cohérent, contrairement à ce que vous affirmez, cher David Assouline.
M. David Assouline le conteste.
Franchement, nous en avons assez des beaux discours sur l’importance de la francophonie et de notre rayonnement extérieur ! Nous parlons d’un sujet essentiel pour l’avenir de la France.
Mon cher collègue, j’aimerais bien pouvoir m’exprimer sans être interrompue.
L’avenir de la France se joue aussi à l’international ; c’est de plus en plus important. Et c’est aujourd’hui que cela se joue !
Nous avons ce débat depuis des années. J’ai moi-même à de nombreuses reprises déposé des amendements visant à transférer un tout petit million d’euros de crédits de l’audiovisuel public vers l’audiovisuel extérieur. Cela n’a jamais été accepté. On m’a systématiquement répondu que l’on allait faire des efforts et trouver des solutions…
Nous sommes véritablement, me semble-t-il, à la croisée des chemins. Tous les autres médias progressent dans des proportions considérables. Il a été fait référence aux infox, qui se développent partout. Je pourrais également évoquer la présence de certaines chaînes sur notre territoire. Nous devons vraiment trouver des solutions.
Au sein de la commission des affaires étrangères, nous avions décidé à l’unanimité moins une voix, celle d’un sénateur du groupe LaREM, de voter contre ce budget si des engagements n’étaient pas pris ou si des solutions – je pense par exemple à ce qui a été suggéré s’agissant de l’Agence française de développement – n’étaient pas trouvées.
La langue française contribue au développement de pays d’Afrique. Les besoins d’éducation sur le continent africain sont considérables. L’audiovisuel public extérieur y joue un rôle très important.
La commission des affaires étrangères, dont je me fais le porte-parole, s’intéresse évidemment beaucoup à une telle problématique. Nous avions décidé de voter contre ce budget en l’absence d’engagements ; je parle d’engagements précis, pas de belles paroles !
Monsieur le ministre, je sais parfaitement que vous êtes conscient de l’importance de tels enjeux et désireux de nous aider. Mais il faut vraiment aller de l’avant.
Si nous n’avançons pas significativement aujourd’hui, nous reculerons certainement !
Je vais retirer mon amendement, non pas pour faire plaisir à certains, mais parce que je connais la vie parlementaire ; je sais très bien que mon amendement ne survivrait pas à la nouvelle lecture du projet de loi de finances par l’Assemblée nationale.
Je vous rassure, monsieur Assouline : j’aurais bien voulu prélever 10 millions d’euros sur le budget de l’AFD. Mais la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances ne nous permet de modifier la répartition des crédits qu’au sein d’une même mission. J’aurais été ravi de pouvoir piocher dans une autre mission, mais ce n’est pas possible.
J’entends beaucoup d’idées à propos de France Médias Monde. Faut-il garantir un niveau de ressources ? Faut-il lui allouer une part de la redevance tant qu’elle existe ? Faut-il trouver une solution un peu « identitaire » ?
Monsieur le ministre, vous mettez en avant votre décision d’intégrer France Médias Monde dans la future grande structure. Mais sachez qu’elle suscite beaucoup d’inquiétudes. L’audiovisuel extérieur craint d’être un nain face à des géants, et de devoir passer après les autres.
Il faut avoir une vraie réflexion sur France Médias Monde, qui fait face à une concurrence exacerbée. D’ailleurs, tout n’est pas de votre fait, monsieur le ministre. Depuis des années, on bricole avec France Médias Monde, ajoutant ou retranchant un million d’euros au gré des circonstances, quand les concurrents, eux, mobilisent 100 millions d’euros ou 200 millions d’euros, d’où ce sentiment d’être un nain en Afrique, en Amérique latine et partout dans le monde ! C’est au Gouvernement d’engager une telle réflexion. Nous parlons de l’influence de la France, pas seulement de l’audiovisuel.
Cela étant, comme il me semble préférable que la réflexion soit menée en amont et que nous trouvions collectivement une solution, je retire mon amendement.
L’amendement n° II-23 est retiré.
Nous allons procéder au vote des crédits du compte de concours financiers « Avances à l’audiovisuel public », figurant à l’état D.
Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits.
Les crédits sont adoptés.
Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » et du compte de concours financiers « Avances à l’audiovisuel public ».
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante, est reprise à vingt et une heure trente, sous la présidence de Mme Hélène Conway-Mouret.
Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Justice » (et articles 76 undecies à 76 terdecies).
La parole est à M. le rapporteur spécial.
Madame la ministre, mes chers collègues, depuis des années, le ministère de la justice n’a pas les moyens d’exercer convenablement ses missions, mais l’augmentation des moyens de la justice qui se matérialise depuis quelque temps produit lentement ses effets. Dans les tribunaux ou les établissements pénitentiaires, les personnels expriment leurs difficultés, voire leur désarroi, pour exercer leur métier, ce qui n’est d’ailleurs pas sans conséquence sur leur état de santé. En effet, la surpopulation carcérale ou des délais de jugement trop longs contribuent à décourager les agents qui, parfois, ne trouvent plus de sens à leur action.
C’est dans ce contexte de fortes attentes, et quelques mois après la promulgation de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, que s’inscrit ce projet de loi de finances pour 2020 : des attentes s’agissant des moyens, mais aussi en termes de fonctionnement de la justice.
Force est de constater que les crédits qui nous sont proposés aujourd’hui ne sont pas à la hauteur de ces attentes.
Madame la ministre, la commission des finances propose donc de ne pas adopter les crédits du ministère de la justice, considérant que, en dépit des transformations engagées, le Gouvernement s’affranchit des engagements pris devant la représentation nationale au moment du vote de la loi de programmation et de réforme pour la justice.
Avec un budget de 9, 38 milliards d’euros en 2020, le ministère de la justice bénéficierait de 242 millions d’euros supplémentaires par rapport à 2019, soit une hausse de 2, 7 % de ses moyens, à périmètre constant. Mais alors que la loi de programmation votée par le Parlement en février dernier prévoyait une augmentation de crédits de 400 millions d’euros entre 2019 et 2020, le projet de loi de finances propose une hausse près de deux fois inférieure : hors compte d’affectation spéciale « Pensions », les crédits augmentent de 2, 8 %, soit 205 millions d’euros.
Cet écart résulte des crédits immobiliers de l’administration pénitentiaire, ajustés au vu de l’avancement réel des opérations. Je m’interroge donc sur la sincérité de la programmation que nous avons adoptée, puisque le Gouvernement ne pouvait, il y a neuf mois, ignorer ces aléas inhérents à la construction de prisons ni, surtout, l’impossibilité de rattraper par la suite cette révision à la baisse des crédits : l’écart par rapport à la loi de programmation se porterait donc à 115 millions d’euros en 2022.
L’augmentation du budget de la mission est, pour 40 %, consacrée aux dépenses d’investissement, dont la majeure partie concerne l’administration pénitentiaire. Au lieu de construire 15 000 places de prison durant le quinquennat, ce sont 7 000 places qui seront créées d’ici à la fin du quinquennat et la construction des 8 000 autres serait lancée avant 2022. Il est pourtant urgent de garantir un encellulement individuel et des conditions de détention dignes, permettant également aux surveillants d’exercer convenablement leur travail.
S’agissant des recrutements, 300 des 1 000 emplois créés en 2020 au sein de l’administration pénitentiaire permettraient de combler des vacances de postes de surveillants pénitentiaires. Jusqu’à présent, l’administration pénitentiaire rencontrait des difficultés de recrutement, mais aussi de fidélisation des personnels. Gageons que la réforme de l’organisation de la formation des surveillants pénitentiaires portera ses fruits ; la prime de fidélisation prévue par le protocole d’accord signé en janvier 2018 a, quant à elle, bien été mise en œuvre, mais il est encore trop tôt pour en mesurer les effets.
Hors dépenses de personnel, l’augmentation de 3 % des dépenses du ministère de la justice s’explique également par la nécessité de mettre à niveau l’informatique du ministère : le plan de transformation numérique poursuit sa mise en œuvre. Ces investissements sont le signe du rôle crucial que le numérique doit jouer dans la modernisation de la justice. Il devra toutefois en résulter, à terme, la réalisation d’économies.
Il convient également de veiller à ce que la numérisation des procédures et des démarches demeure compatible avec un accès au droit sur l’ensemble du territoire afin qu’à la fracture sociale et territoriale ne s’ajoute pas la fracture numérique : ce n’est pas le chemin que propose l’article 76 terdecies du projet de loi de finances rattaché à la mission « Justice », qui prévoit une dématérialisation des demandes d’aide juridictionnelle combinée à une suppression du bureau d’aide juridictionnelle dans certains tribunaux de grande instance. Nous y reviendrons.
Enfin, je terminerai en évoquant une inquiétude concernant le niveau des dépenses d’intervention de la mission, dont la diminution résulte d’une baisse des moyens consacrés à l’aide juridictionnelle. En effet, la dépense relative à l’aide juridictionnelle diminuerait de 13 millions d’euros entre 2019 et 2020, grâce à une augmentation moins élevée de la dépense tendancielle et à un transfert de 9 millions d’euros du Conseil national des barreaux. Le Gouvernement a toutefois profité de la budgétisation de ressources jusqu’ici affectées au Conseil national des barreaux, d’un montant de 83 millions d’euros, pour diminuer le montant des crédits budgétaires alloués à l’aide juridictionnelle. La dynamique de cette dépense, qui résulte des réformes de 2015 et 2017, demeure en réalité identique.
Dans le contexte de croissance dynamique de l’aide juridictionnelle, une révision de ses modalités de financement paraît indispensable, mais la méthode proposée par l’article 76 terdecies du projet de loi de finances ne nous semble pas être la bonne. Nous en reparlerons tout à l’heure à l’occasion des amendements sur les articles rattachés à la mission « Justice ».
Telles sont, madame la ministre, les observations que je souhaitais faire sur ce projet de budget du ministère de la justice, que la commission des finances propose de rejeter, compte tenu du non-respect des engagements pris au moment du vote de la loi de programmation et de réforme pour la justice.
Mme Sylvie Vermeillet applaudit.
Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, les crédits de la mission « Justice » progressent de 2, 8 % en 2020, hors dépenses de pensions, pour atteindre un montant total de 7, 58 milliards d’euros en crédits de paiement. Cela représente 205 millions d’euros supplémentaires, mais l’évolution est moindre qu’en 2019.
Le budget avait alors augmenté de 4, 5 %.
Parmi les programmes de la mission, le programme 166, « Justice judiciaire », est celui qui augmente le moins : l’effort consenti est seulement de 0, 13 %, ce qui ne couvre même pas l’érosion liée à l’inflation. Malgré tout, le renforcement des effectifs de magistrats se poursuit : le taux de vacances de postes n’est désormais plus que de 0, 5 %. La situation est toutefois moins favorable pour les greffiers, pour lesquels le même taux s’élève à 7 %.
Dans ce contexte, la loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice implique la mise en œuvre de nombreuses réformes d’organisation judiciaire. Nous ne pouvons pas accepter que certaines se fassent selon des considérations électorales. Malgré vos explications, madame la garde des sceaux, la révélation par la presse d’une note de votre cabinet a jeté le trouble sur les conditions dans lesquelles la suppression de cabinets de juges d’instruction serait décidée par le Gouvernement, et sur l’objectivité des critères retenus.
Autre déception dans le budget : l’aide juridictionnelle !
Je regrette que, à périmètre constant, les crédits diminuent de près de 22 millions d’euros en 2020, sans véritable raison. S’y ajoute une réforme adoptée dans la précipitation à l’Assemblée nationale, alors que le Gouvernement annonce un projet de loi sur le sujet depuis plusieurs mois. Si certaines des mesures proposées peuvent être intéressantes, elles sont, pour moi, invalidées par la méthode retenue qui est contestable.
Il s’agirait notamment de supprimer l’obligation d’avoir un bureau d’aide juridictionnelle dans chaque tribunal de grande instance, ce qui ne peut que susciter des craintes sur le maintien de l’accès à la justice pour nos concitoyens les plus vulnérables. Serait également renvoyée au pouvoir réglementaire la définition des plafonds d’admission à l’aide juridictionnelle. Or, sans étude d’impact, nul ne sait quel seuil envisage de retenir le Gouvernement ni quel sera le coût de ces mesures. Je propose donc, comme notre collègue Antoine Lefèvre, de supprimer cet article.
Compte tenu de ces observations, la commission des lois a donné un avis défavorable sur l’adoption des crédits des programmes de la mission « Justice » concernant la justice judiciaire et l’accès au droit.
Mme Sylvie Vermeillet applaudit.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je m’exprime pour commencer en remplacement de M. Alain Marc, qui est désolé de ne pouvoir être présent ce soir.
« Les crédits de l’administration pénitentiaire progressent en 2020 de 5, 6 %, à périmètre constant, ce qui constitue une augmentation appréciable dans une période où l’évolution des dépenses publiques est très contrainte.
« Comme l’a expliqué Mme la garde des sceaux, cette hausse des crédits permettra de financer la création d’un millier d’emplois et de poursuivre le programme de construction de nouvelles places de prison, dans l’objectif de livrer 7 000 places d’ici à la fin de l’année 2022. Elle permettra aussi d’achever la montée en puissance du nouveau service national du renseignement pénitentiaire, créé en 2019, et de compléter les recrutements pour la nouvelle Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice.
« Toutefois, la commission des lois ne peut que regretter l’écart entre ce projet de budget et la trajectoire fixée par la loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice : il manque environ 150 millions d’euros, alors que notre commission avait déjà jugé la programmation budgétaire insuffisante au regard de l’ampleur des besoins.
« Le Gouvernement justifie cet ajustement à la baisse par le retard pris dans la mise en œuvre du programme immobilier de l’administration pénitentiaire. À l’approche des élections municipales, il deviendrait difficile d’obtenir l’accord des maires pour choisir le lieu d’implantation des futurs établissements. »
« Il est vrai que nos concitoyens peuvent exprimer des réticences à l’idée que des personnes soient incarcérées près de leurs lieux d’habitation, ce qui pose notamment un problème pour les structures d’accompagnement vers la sortie (SAS), que vous souhaitez, à juste titre, implanter en centre-ville, près des services publics et des entreprises afin de faciliter la réinsertion des détenus.
« Notre commission estime cependant que ces difficultés étaient parfaitement prévisibles et qu’elles auraient donc pu être anticipées. Elle considère également que ces 150 millions d’euros, s’ils avaient été inscrits dans le budget, auraient pu être utilisés pour financer de petits travaux de rénovation ou pour l’achat de matériels et d’équipements, ce qui aurait permis d’améliorer les conditions de travail du personnel ou de renforcer plus rapidement la sécurité des établissements pénitentiaires, qui reste pour nous un sujet de préoccupation constant.
« Enfin, la commission des lois s’interroge sur la capacité du Gouvernement à livrer les 7 000 places dans le délai prévu, alors que l’Agence pour l’immobilier de la justice rencontre des difficultés pour recruter et fidéliser des professionnels qualifiés.
« C’est pour cet ensemble de raisons que la commission des lois a émis un avis défavorable sur l’adoption des crédits de l’administration pénitentiaire pour 2020. Nous ne sous-estimons pas le chemin parcouru depuis quelques années, mais il nous semble que l’incapacité du Gouvernement à respecter, dès la première année, la trajectoire budgétaire qu’il avait lui-même fixée montre que l’effort réalisé n’est pas encore tout à fait à la hauteur des enjeux. »
J’en viens maintenant aux crédits du programme 182, « Protection judiciaire de la jeunesse », sur lesquels je m’exprime en mon nom propre, et sur lesquels la commission des lois a émis un avis favorable.
Ce programme dote la protection judiciaire de la jeunesse d’un budget de 736, 6 millions d’euros, hors pensions, soit une augmentation de 2, 3 % par rapport à 2019. Il est marqué par la mobilisation pour préparer les réformes votées et à venir, surtout celle de l’ordonnance de 1945 relative à la justice des mineurs, dont l’entrée en vigueur est prévue au 1er octobre 2020.
L’un des objectifs premiers de cette réforme est la réduction des délais de jugement des mineurs.
Pour mettre en œuvre cette mesure, le projet de budget prévoit la création de 70 équivalents temps plein, permettant de pourvoir 94 postes d’éducateurs, 24 postes étant créés pour faire suite à redéploiement. Par ailleurs, 5 emplois sont créés, également par redéploiement, pour favoriser la participation de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) aux internats tremplins. Ce qui est très positif.
Hors personnel, le budget de la PJJ continue sa progression entamée il y a trois ans, avec une augmentation de 3 %. Cette augmentation se répartit entre le secteur associatif habilité (SAH), dont le rôle est croissant, et le secteur public.
Si l’on ne peut que se féliciter de ces augmentations qui paraissent nécessaires au moment où la PJJ recrute, et ce avec difficulté, de plus en plus d’éducateurs contractuels, on peut s’interroger sur les orientations retenues à moyen terme. En effet, la création de postes d’éducateurs dans le projet de budget correspond à un renforcement du secteur ouvert, mais le contexte général est celui d’un recours accru au secteur fermé, c’est-à-dire privatif de liberté pour les mineurs. Il me paraît donc essentiel d’insister sur le fait que l’importance accordée aux centres éducatifs fermés comme structures et au secteur associatif habilité comme opérateur ne doit pas aboutir à détourner la PJJ de sa vocation première, à savoir l’éducation et l’insertion des jeunes en danger en s’appuyant sur les compétences des éducateurs spécialisés et en milieu ouvert.
J’en viens maintenant au sujet que la commission des lois a traité cette année : l’incarcération des mineurs.
En juin dernier, un pic de 894 mineurs incarcérés a été atteint, renouant avec les chiffres de la fin des années 1980. Au total plus de 3 000 mineurs sont incarcérés chaque année. Une catégorie de jeunes en particulier, les mineurs non accompagnés, est surreprésentée en prison. Ils occupent un tiers des places pour mineurs de Fleury-Mérogis. Il faudra, madame la ministre, nous pencher sur le traitement pénal dont ils font l’objet.
Mes déplacements m’ont conduite à étudier plus particulièrement la situation de l’Île-de-France. Cette région, qui est celle qui compte le plus grand nombre de mineurs incarcérés, nécessite la création d’un nouvel établissement carcéral pour mineurs. Vous nous avez indiqué, madame la garde des sceaux, que l’établissement de Meaux-Chauconin qui avait été initialement conçu comme un établissement pour mineurs sera simplement doté d’un nouveau quartier pour mineurs. Cela signifie que le taux d’encadrement sera moindre. C’est un choix décevant au regard des besoins des mineurs en termes d’accompagnement, d’éducation et d’aide à l’insertion.
On ne peut, en revanche, que se féliciter que le quartier pour mineur de Fleury-Mérogis bénéficiera d’un bâtiment propre, même si tout reste à construire.
Pour conclure sur ce point précis des mineurs détenus, les efforts en termes d’éducation doivent être accentués, ce qui relève de l’éducation nationale. La PJJ doit trouver pleinement sa place en milieu carcéral, notamment dans les établissements pour mineurs afin d’assurer la continuité de la prise en charge des jeunes pour lesquels l’incarcération doit rester une mesure exceptionnelle.
Mme Françoise Laborde applaudit.
Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps de l’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de vingt minutes pour intervenir.
Dans la suite de notre discussion, la parole est à M. Emmanuel Capus.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2020 prévoit une augmentation des crédits et des emplois de l’ensemble des programmes de la mission « Justice », ce qui est en soi une bonne nouvelle.
Le montant des crédits demandés pour 2020 atteint ainsi près de 9 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 9, 4 milliards d’euros en crédits de paiement. Le plafond prévisionnel d’emplois dépasse légèrement les 88 000 équivalents temps plein travaillé, ce qui correspond à un relèvement de l’autorisation de recrutement de 1 520 emplois.
Si cette évolution des crédits et des emplois est positive, elle marque, en revanche, un décrochage par rapport aux engagements pris dans le cadre de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Celle-ci prévoyait pour l’exercice 2020 la création de 1 620 emplois supplémentaires et l’inscription, en loi de finances initiale, de près de 400 millions d’euros supplémentaires en crédits de paiement. Cette progression des crédits et des emplois semble modeste au regard des efforts nécessaires au redressement de la justice qui se trouve toujours dans une situation critique, tant en termes de délais que de moyens !
Ce constat, notre groupe parlementaire l’avait déjà dressé en 2018 et en 2019, à cette même tribune.
Je souhaite formuler des observations spécifiques à deux des trois programmes de la mission « Justice ».
Tout d’abord, s’agissant des moyens dévolus aux juridictions judiciaires, notre groupe, comme l’an dernier, regrette que ce budget soit celui qui augmente le moins parmi tous les programmes de la mission « Justice ». En effet, l’effort consenti est de seulement 0, 13 %, ce qui ne permet pas de couvrir l’érosion liée à l’inflation !
Néanmoins, il faut saluer la poursuite du renforcement des effectifs des juridictions, avec la création nette de 384 emplois en 2020 et la quasi-résorption du taux de vacances de postes de magistrats, tout comme celle de l’augmentation des crédits en faveur du numérique, de l’ordre de 7 %. Mais toutes ces mesures ne doivent pas occulter une situation qui demeure malheureusement préoccupante dans les juridictions, avec des délais de traitement qui s’allongent et une situation chronique de sous-effectif liée aux vacances de postes de greffiers.
Il en va de même de la progression des crédits du programme consacré à l’administration pénitentiaire, qui est bien réelle et appréciable, même si elle demeure inférieure d’environ 150 millions d’euros à celle prévue par la loi de programmation.
Un autre point positif mérite d’être relevé : il s’agit de l’augmentation des effectifs, marquée par la création de 1 000 postes. Je crains néanmoins que, compte tenu du nombre élevé de personnes placées sous main de justice et des sous-effectifs chroniques constatés, ces créations d’emplois ne suffisent pas à améliorer les conditions de travail des personnels. En effet, comme de nombreuses autres administrations, l’administration pénitentiaire rencontre des difficultés de recrutement avec sans doute une difficulté supplémentaire liée aux conditions de travail très rudes propres à ce milieu.
Enfin, le programme immobilier doit matérialiser l’engagement présidentiel de construire 15 000 places de prison avant la fin du quinquennat.
Concrètement, et je pense avoir bien compris ce chapitre, il sera séquencé en deux livraisons successives : 7 000 places seraient livrées avant la fin de 2022 et les 8 000 autres engagées avant 2022 pour une livraison effective avant la fin de l’année 2027.
Je me réjouis, madame la ministre, de l’engagement que vous avez pris d’y faire figurer un nouvel établissement pénitentiaire à Trélazé, dans le Maine-et-Loire. Vous connaissez bien la maison d’arrêt d’Angers et son état totalement déplorable.
Mes chers collègues, nous le savons tous, la situation que vivent les personnels dans les établissements pénitentiaires est dramatique, notamment face à la hausse du nombre de personnes placées sous main de justice.
Notre groupe serait donc très favorable à une augmentation des crédits au regard des enjeux auxquels notre justice doit faire face. Aussi, pour l’heure, le groupe Les Indépendants demeure vigilant concernant les crédits de la mission « Justice » du projet de loi de finances pour 2020.
Mme Sylvie Vermeillet applaudit.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le coût de la justice, si l’on peut dire, par Français est de 65, 90 euros par an. Pour les Allemands et les Britanniques, il est de 122 euros par habitant et par an.
D’après une étude du Conseil de l’Europe, que vous connaissez bien, la France est au 37e rang sur 41 s’agissant de son budget de la justice rapporté au produit intérieur brut (PIB). Notre pays compte 4 fois moins de procureurs que la moyenne européenne, 2, 2 fois moins de juges et 2 fois moins de personnel de greffe par habitant.
Certes, face à ces constats, il est clair que le budget de la justice est en constante augmentation depuis 2002, soit depuis plus de quinze ans. Pourtant, l’écart demeure très important. Cela tient au fait que les augmentations décidées, année après année, portent sur un budget tellement bas historiquement que le retard structurel n’est jamais rattrapé.
Madame la ministre, c’est à l’aune de ces constats qu’il faut parler de votre budget. Certes, j’ai bien précisé que les faits que j’ai rappelés concernaient tous les gouvernements depuis longtemps. Ce qui nous manque – et combien de fois ai-je eu l’occasion de le dire à cette tribune, mes chers collègues, et auparavant, il y a longtemps, à celle de l’Assemblée nationale –, c’est une véritable loi de programmation, qui s’imposerait à tous les gouvernements, nonobstant les principes de l’annualité budgétaire, qui nous permettrait de consentir un effort très considérable pour, enfin, rattraper le retard.
Vous nous direz qu’une loi de programmation a été inscrite dans la loi de réforme de la justice que vous nous avez présentée. Celle-ci prévoyait la création d’emplois et, en vérité, des emplois sont créés. Toutefois, nous sommes navrés de constater que, malheureusement, les crédits qui étaient promis, prévus dans cette programmation ne sont pas au rendez-vous.
Il manque, au bas mot, 150 millions de crédits cette année par rapport à ce que vous-même aviez proposé d’inscrire dans cette loi de programmation et de réforme pour la justice, que le Parlement avait non seulement acceptée, mais souhaitée. Nous avions d’ailleurs souhaité davantage de moyens.
Plusieurs constatations apparaissent aujourd’hui : une baisse de 45, 6 % des investissements pour la justice judiciaire ; une baisse de 3, 35 % du fonctionnement de l’administration pénitentiaire ; une baisse de 2, 5 % de la conduite et du pilotage de la politique de la justice ; une baisse de 20 % pour le support à l’accès au droit et à la justice. Par ailleurs, pour ce qui est des places de prison, je tiens à souligner qu’elles bénéficient de crédits en augmentation, comme d’ailleurs l’ensemble de l’administration pénitentiaire. Des postes seront créés, mais souvent, ces créations ne serviront qu’à combler les très nombreuses vacances.
Mais, vous le savez, madame la ministre, jamais autant de personnes n’ont été incarcérées en France, et la France est le seul pays européen dans lequel le nombre de détenus augmente dans ces proportions. Ce nombre a atteint un nouveau record avec 71 828 personnes détenues au 1er avril 2019. Cela pose de nouveau, avec une acuité toute particulière, la question de la mise en œuvre efficace et effective des alternatives à la détention, sujet sur lequel les nécessaires réponses ne nous paraissent pas être au rendez-vous face à cette surpopulation qui appellerait l’augmentation sensible de ces mesures.
En outre, s’agissant des mesures annoncées lors du Grenelle contre les violences conjugales, auquel vous avez participé, madame la ministre, nous pouvons craindre que les crédits annoncés ou supposés ne soient inférieurs aux besoins nécessaires pour lutter efficacement contre les violences faites aux femmes.
J’ajoute que l’accès à la justice et l’aide juridictionnelle sont remis en cause par une baisse des crédits de près de 22 millions d’euros en 2020. Et nous sommes plus que sceptiques sur les dispositions votées par l’Assemblée nationale pour l’aide juridictionnelle.
Il ne nous paraît pas justifié de prendre comme indicateur le seul revenu fiscal de référence, et non plus les revenus de toute nature.
Nous ne sommes pas favorables non plus à la suppression de l’obligation de disposer d’un bureau d’aide juridictionnelle dans chaque TGI, c’est-à-dire d’un point d’accès à cette aide financière. Il ne nous semble pas justifié d’écarter un certain nombre de publics en vertu d’une « politique uniforme » des bureaux d’aide juridictionnelle.
Nous devons rester très attentifs aux besoins d’aide juridictionnelle, ce qui n’est pas le cas de ce budget, qui voit les crédits pour l’aide juridictionnelle diminuer.
Je veux aussi aborder la question de la spécialisation des tribunaux. Certains craignent qu’elle ne serve de palliatif à l’idée de supprimer des juridictions.
Madame la ministre, vous avez affirmé clairement que toutes les juridictions seraient maintenues, mais si certaines sont déchargées d’une partie de leurs prérogatives, cela pourrait poser des problèmes. Vous avez dit que rien ne serait imposé sans l’accord des juridictions elles-mêmes.
Dans mon département, qui compte deux tribunaux de grande instance, les représentants des magistrats, des personnels et des avocats ne sont pas d’accord avec certaines mutualisations ou spécialisations qui sont proposées.
Madame la garde des sceaux, pouvez-vous confirmer que, dans ce cas, on en restera au statu quo, comme vous en avez pris l’engagement ? Pourrait-il au contraire être remis en cause si des chefs de cour – je n’ose l’imaginer ! – allaient à l’encontre des souhaits des magistrats, des personnels et des avocats ?
Comment enfin ne pas revenir sur une affaire qui nous a beaucoup émus, madame la garde des sceaux ? Je veux parler bien sûr de la parution dans la presse d’une note de votre ministère qui semble établir un lien entre le maintien ou la suppression éventuelle de postes de juges d’instruction et certaines considérations électorales. Je vous ai posé des questions très précises à ce sujet, mais vous avez toujours affiché un mutisme tenace… Cela ne contribue pas à créer un contexte favorable.
Pour toutes ces raisons, en dépit d’efforts réels que je tiens à souligner, notre groupe ne pourra pas voter les crédits que vous nous présentez pour cette année 2020, madame la ministre.
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.
MM. Emmanuel Capus et Julien Bargeton applaudissent.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, pour la troisième année consécutive, le budget pour la justice connaît une nouvelle augmentation de ses crédits.
En effet, après une hausse significative de 3, 9 % en 2018 et de 4, 5 % en 2019, le budget s’élève, pour l’année 2020, à 7, 6 milliards d’euros, ce qui représente une progression de près de 4 %, ou 300 millions d’euros supplémentaires.
On peut choisir de voir le verre à moitié vide : malgré une hausse des crédits consacrés à la justice, ces derniers restent proportionnellement bas par rapport à d’autres missions et n’atteignent pas le niveau de ceux accordés par nos voisins européens. C’est le point de vue exprimé à l’instant par notre collègue Jean-Pierre Sueur.
On peut souligner aussi que cette hausse est inférieure à la trajectoire qui était fixée dans la loi de programmation budgétaire 2018-2022, adoptée en février dernier, qui prévoyait une augmentation de 5 %.
Mais, comme vous nous l’avez expliqué, madame la garde des sceaux, le budget a été revu à la baisse en raison de retards dans des chantiers de projets immobiliers pénitentiaires. C’est un fait.
À l’inverse, nous avons décidé de voir le verre à moitié plein et de constater – sans satisfecit excessif, car il y a encore beaucoup de chemin à parcourir pour mettre la justice à niveau dans notre pays – que l’évolution, depuis 2013, des moyens globaux alloués à la justice judiciaire montre une hausse significative.
On peut également se réjouir de l’augmentation réelle des effectifs présents en juridiction.
Avec ce budget, 1 520 emplois seront créés, ce qui portera, vous l’avez rappelé, madame la garde des sceaux, à 3 920 le nombre d’emplois créés depuis 2018.
L’administration pénitentiaire bénéficiera donc d’un millier de postes supplémentaires, et de près de 84 millions d’euros consacrés au programme immobilier, qui permettront de tenir compte des revendications légitimes des surveillants pénitentiaires et d’améliorer le fonctionnement et la sécurité des établissements dans lesquels ils travaillent.
Les effectifs de magistrats sont également renforcés dans les juridictions, avec la création de 384 emplois, afin de poursuivre le véritable effort de résorption du taux de vacance de postes de magistrats entrepris par le Gouvernement.
La protection judiciaire de la jeunesse profitera aussi de cette augmentation en moyens humains et se verra dotée de 94 postes d’éducateurs de plus.
Le ciblage de 70 emplois de magistrats et de 100 emplois de greffiers, la poursuite de la diversification de la prise en charge des mineurs délinquants, la construction de centres éducatifs fermés et la rénovation du parc immobilier, permis grâce aux crédits de 17 millions d’euros, concourront à la prochaine mise en œuvre de la réforme de la justice pénale des mineurs, qui entrera en vigueur au 1er octobre 2020.
Ces créations d’emplois permettront également aux juridictions et aux services pénitentiaires d’œuvrer dans le sens de la diversification des peines et du développement des alternatives aux peines de prison, l’un des cinq objectifs prioritaires de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice du 23 mars 2019.
Je pense notamment au bracelet anti-rapprochement, qui permettrait de géolocaliser et maintenir à distance les conjoints et ex-conjoints violents, et dont le périmètre d’éloignement serait fixé par un juge.
Il me semble tout aussi important de souligner que ce budget consacre des moyens considérables pour poursuivre la modernisation numérique de la justice.
Vous nous avez assuré, madame la garde des sceaux, que le réseau haut débit serait effectif sur un millier de sites judiciaires à la fin de 2020, y compris en outre-mer. J’y veillerai, car, dans ces territoires où l’insularité et l’éloignement géographique complexifient grandement l’accès au droit, cette transformation numérique est capitale.
Je dirai un dernier mot sur l’aide juridictionnelle, qui, à mon sens, nécessiterait une réforme d’ampleur, et qui pourtant vient de faire l’objet, à l’Assemblée nationale, de modifications aux conséquences importantes, mais incertaines, faute d’étude d’impact.
Ces modifications suscitent évidemment des interrogations. Quel sera l’impact du nouveau critère de « revenu fiscal de référence » par rapport à l’ancien critère de « ressources de toute nature » sur le périmètre des bénéficiaires de l’aide juridictionnelle ? Les dispositions nouvelles ne sont-elles pas entachées d’incompétence négative et, dans ce cas, n’y a-t-il pas un risque d’inconstitutionnalité ?
Autre interrogation : l’implantation des bureaux d’aide juridictionnelle (BAJ) au sein des tribunaux de grande instance date de 1851. Le renvoi à un décret pour leurs futures implantations inquiète la profession d’avocat, sans garantie du principe de l’existence d’un BAJ dans le ressort de chaque cour d’appel. Ne serait-il pas, par ailleurs, préférable de prévoir que le décret soit pris en Conseil d’État ?
En conclusion, avec cette progression des crédits, nous pensons que le Gouvernement confirme la priorité accordée à la justice de notre pays. Ce budget consacre un effort particulier aux dépenses de personnel et d’investissement, dont notre justice a cruellement besoin.
C’est la raison pour laquelle, nonobstant les interrogations dont je me suis fait l’écho – j’espère que vous pourrez y apporter des réponses, madame la garde des sceaux –, le groupe La République En Marche votera en faveur de ces crédits.
Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, cette mission a ceci de particulier que la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, récemment adoptée, a déjà fixé le plafond des dépenses qui seront consacrées chaque année à la mission « Justice ». Ainsi, il est prévu d’atteindre à l’horizon de 2022 un budget de 8, 125 milliards d’euros, hors contribution au compte d’affectation spéciale « Pensions ».
Ce budget est en augmentation, comme prévu, et il réserve peu de surprises. Il suit peu ou prou les orientations annoncées, que nous contestions déjà lors de la discussion de ladite réforme.
Seulement, alors que la loi de programmation pour la justice prévoyait une augmentation de 400 millions d’euros, vous proposez finalement de la limiter à 200 millions d’euros l’an prochain.
Pourtant, après Jean-Pierre Sueur, je voudrais rappeler que le système judiciaire français est l’un des plus mal dotés en Europe. Le rapport pour 2018 de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice décrivait d’ailleurs le système judiciaire français comme l’un des plus mal dotés parmi les États du Conseil de l’Europe, tant en termes de budget consacré à la justice que d’effectifs de magistrats. Nous comptons 13 magistrats et 47 personnels judiciaires pour 100 000 habitants, contre 31 et 105 pour la médiane européenne.
Ainsi, alors que le nombre d’emplois créés en 2020 est présenté comme un effort considérable, avec un rythme de 100 postes de magistrats en plus par an, il faudrait plus d’un siècle à la France pour rejoindre la médiane des États du Conseil de l’Europe.
S’agissant des tribunaux de grande instance, leur activité ne diminuant pas et les créations de postes étant insuffisantes, leurs délais moyens de traitement n’ont fait qu’augmenter depuis maintenant plusieurs années.
Dans ce cadre, je ne peux que réitérer notre inquiétude quant à la mise en œuvre de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui entraînera notamment la fusion du tribunal d’instance et de grande instance au sein du tribunal judiciaire à compter du 1er janvier 2020.
Comme le relève le Syndicat de la magistrature, la disparition de cette juridiction et, par conséquent, de ses moyens propres, ne pourra qu’avoir un impact négatif sur les délais moyens de traitement des affaires qui relevaient de sa compétence, dès lors que ses moyens seront mutualisés avec l’actuel TGI, dont les délais sont catastrophiques.
En outre, la disparition des tribunaux d’instance marquera un recul frappant pour notre pays en matière d’accès au juge. Ce recul sera également alimenté par le déploiement de la visioconférence. Des moyens en plus pour cette mission, certes, mais au profit d’une justice déshumanisée… Très peu pour nous !
Avec l’augmentation de 20 % du parc de visioconférence, le principe de la présence physique du justiciable à l’audience semble donc devenir marginal par rapport à celui de l’audience par visioconférence. Nous dénonçons régulièrement cette évolution majeure de la procédure pénale, la visioconférence ne permettant pas un exercice réel des droits de la défense pour le justiciable, et compliquant le déroulement de l’audience.
Outre le recul en matière d’accès au juge porté par la volonté d’étendre la visioconférence, un autre principe, celui de l’incarcération à tout-va, illustre ce budget, malgré un affichage politique contraire. Ainsi, 159 emplois sont réservés aux ouvertures d’établissements pénitentiaires, et 83, 5 millions d’euros sont consacrés aux crédits immobiliers, soit une augmentation de 27 % par rapport à 2019. L’objectif affiché est ainsi la création de 15 000 places de prison supplémentaires à l’horizon de 2027. Si des collègues sénatrices et sénateurs regrettent, au-delà même de la majorité sénatoriale, le manque d’ambitions en la matière, de notre côté, nous nous inquiétons à l’inverse que ce budget soit presque totalement consacré à l’enfermement, d’autant plus que cette logique délétère est aussi coûteuse qu’inefficace en termes de prévention de la délinquance !
La même logique est pourtant retenue en matière de protection judiciaire de la jeunesse, l’augmentation des crédits et des effectifs de ce programme étant presque entièrement absorbée par la construction de 20 nouveaux centres éducatifs fermés. Là encore, nous maintenons notre opposition à la création de ces nouveaux centres éducatifs fermés, qui n’ont d’éducatifs que le nom. À l’inverse, nous prônons une revalorisation urgente du budget concernant le suivi des mineurs en milieu ouvert.
Enfin, concernant l’aide juridictionnelle, les apparences sont trompeuses, puisque le projet de loi de finances laisse apparaître une augmentation des crédits, alors qu’il n’en est rien en réalité.
En effet, comme le dénonce, là encore, le Syndicat de la magistrature, « cette augmentation est uniquement due à l’intégration dans les recettes de crédits qui étaient auparavant affectés au Conseil national des barreaux. Il s’agit donc uniquement d’un changement de périmètre. À périmètre constant, c’est en réalité une baisse de 3, 2 % du budget consacré à l’aide juridictionnelle qu’il faut constater ».
Alors que la France se situe largement au-dessous de la moyenne européenne pour le budget par habitant alloué à l’aide juridique, on assiste à une diminution de ce budget, qui sacrifie une politique publique pourtant cruciale pour l’accès de tous à la justice, y compris les plus démunis, et pour assurer des conditions de rémunération décentes aux avocats qui les défendent.
Pour toutes ces raisons, vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous voterons contre ce budget, qu’il serait urgent d’abonder à la hauteur de l’enjeu de mission de service public que représente notre justice, dans l’intérêt de tous les justiciables, mais aussi de notre État de droit.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le budget pour 2020 de la justice présente des évolutions positives. Il peut ainsi paraître surprenant que, pour la première fois au cours des dernières années, aussi bien notre commission des finances que notre commission des lois nous proposent de ne pas adopter les crédits de la mission « Justice ». C’est une première. Cette position est-elle justifiée ?
Je souhaite livrer notre analyse du budget pour 2020, exprimer certains doutes et conclure sur nos points d’attention.
Le budget pour 2020 comporte des évolutions positives que nous saluons, même si le Graal de la trajectoire fixée par la loi de programmation pour la période 2018-2022, que nous avons adoptée récemment, n’est pas atteint.
Le budget est en augmentation de 4 %, et plus de 1 500 emplois vont être créés.
L’inscription de l’intégralité du financement de l’aide juridictionnelle redonne au budget une sincérité de bon aloi.
La vacance des postes de magistrats, problème récurrent, est ramenée à un taux de 0, 9 %, ce qui est une très bonne nouvelle. Ce résultat satisfaisant n’avait certainement pas été atteint depuis très longtemps !
Pour la programmation immobilière judiciaire, 161 millions d’euros ont été inscrits en crédits de paiements, et 400 emplois seront créés au bénéfice des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP).
L’application des peines, talon d’Achille de la justice, n’est plus le parent pauvre que nous avons longtemps connu. On peut en effet relever la création de 145 emplois en vue de l’ouverture à venir de places de prison, ainsi que la forte augmentation des crédits en faveur de la sécurité pénitentiaire.
Nous avons toutefois quelques doutes, que je citerai dans le désordre.
Tout d’abord, vous mettez en avant la création du parquet national antiterroriste (PNAT), madame la ministre. Pour notre part, nous ne sommes pas convaincus d’une amélioration par rapport à la compétence antérieure du parquet de Paris, et l’efficacité que celui-ci pouvait trouver dans une mobilisation rapide de magistrats en nombre.
S’agissant de la création de l’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice, notre groupe a peu d’appétence pour la multiplication des agences…
Les établissements pour mineurs (EPM) nous semblent connaître beaucoup de dysfonctionnements. Nous ne demandons pas leur suppression, mais, a minima, votre vigilance particulière, madame la ministre.
En conclusion, je vous présente nos points d’attention. L’année 2020 sera-t-elle l’année de la réalisation et des premiers résultats, comme vous vous plaisez à le dire ? Nous le souhaitons !
Toutefois, nous ne croyons pas que tout soit une question de budget ni que tout passe par une réforme de la justice. Nous ne pensons pas que la justice doive se complaire dans les grands principes, les grands débats de société ou les assauts intellectuels qui rivalisent de brio à l’occasion des discours de rentrée.
Notre groupe pense que la justice a besoin d’humilité et de ténacité, d’un effort du quotidien. Pour paraphraser l’image chère à nos collègues de la commission de la défense, qui ont parlé d’une loi de programmation militaire « à hauteur d’homme », nous souhaitons également une justice à hauteur d’homme.
Sans vouloir réduire le prestige attaché à votre mission, madame la garde des sceaux, nous sommes convaincus que votre ministère a besoin d’une culture du management, une culture de la gestion des ressources humaines, une culture du pilotage transversal des projets, qu’ils soient immobiliers ou informatiques.
Pour symboliser notre approche, nous pensons plus utile au fonctionnement de la justice d’avoir une chaîne pénale informatique fluide, de la plainte au jugement et à son exécution, fluide pour les policiers, les greffiers, les magistrats, les avocats, tous les auxiliaires de justice ou encore les victimes, que de débattre indéfiniment de réformes pénales. La justice est pour nous très représentative du fonctionnement en silo de notre pays.
Le budget que vous nous présentez permet des avancées, madame la garde des sceaux. Si elles étaient accompagnées d’une plus grande horizontalité de votre ministère, notre groupe y verrait une œuvre très utile.
En conclusion, et pour répondre à la question que je posais au début de mon intervention, les critiques multiples qu’ont détaillées nos collègues rapporteurs sont telles que nous ne pouvons soutenir ce budget, madame la garde des sceaux.
J’ai rappelé un certain nombre d’avancées, mais le fait qu’un budget augmente ne suffit pas à démontrer que l’effort est à la hauteur des enjeux. Je terminerai en reprenant un point cité par mon collègue Yves Détraigne : oui, le budget des juridictions judiciaires augmente, mais l’effort consenti ne permet même pas de couvrir l’érosion liée à l’inflation…
Suivant l’avis de la commission des finances et de la commission des lois, le groupe Union Centriste votera contre les crédits de la mission « Justice ».
MM. Emmanuel Capus, Rémi Féraud et Gérard Poadja applaudissent.
MM. Sébastien Meurant et Jérôme Bascher applaudissent.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l’examen de cette mission « Justice » doit nous amener à nous pencher, à la lumière des problématiques auxquelles la France fait face aujourd’hui, sur la question centrale de la protection judiciaire de la jeunesse.
Alors que les phénomènes de délinquance deviennent de plus en plus précoces chez certains jeunes, notre pays doit assurer une protection judiciaire de la jeunesse efficace et dotée des moyens de ses ambitions.
Pour 2020, le Gouvernement propose d’augmenter de 2 % les crédits du programme 182, « Protection judiciaire de la jeunesse », soit 18 millions d’euros, dont 8 millions d’euros de masse salariale. Ce projet de loi de finances pour 2020 prévoit la création de 70 équivalents temps plein d’éducateurs supplémentaires. Selon la protection judiciaire de la jeunesse, ces nouveaux postes seront essentiellement consacrés à la prise en charge éducative en milieu ouvert, dont les effectifs actuels sont gravement insuffisants, notamment pour permettre une prise en charge socio-éducative efficace, afin de repérer au plus vite les mineurs en risque de réitération, de décrochage scolaire ou de rupture familiale et de travailler avec leur famille.
Néanmoins, un problème de taille demeure, celui de la qualification et de l’expérience des éducateurs. Malgré les efforts affichés en termes de recrutement d’éducateurs, il ne suffit pas de créer des postes supplémentaires. En effet, tout comme la problématique existe au niveau de l’éducation nationale pour les enseignants débutants nommés dans les quartiers les plus difficiles, il est nécessaire et crucial de mener une réflexion sur l’expérience des éducateurs, lesquels doivent être suffisamment armés pour encadrer les jeunes qui leur sont confiés. Une formation solide et complète permet d’éviter un turnover excessif dans les équipes et de mettre en difficulté des éducateurs au tout début de leur carrière, que ce soit en milieu ouvert ou dans les centres éducatifs.
Quant aux centres éducatifs fermés (CEF), un programme de création de 20 établissements supplémentaires a été lancé en 2018 pour la mandature, s’ajoutant aux 52 centres existants. Le projet de loi de finances pour 2020 prévoit ainsi 4, 3 millions d’euros en crédits de paiement pour la création de 5 nouveaux centres. Par ailleurs, une aide à l’investissement de 2, 3 millions d’euros permettra de lancer la construction de 5 nouveaux centres concernant le secteur associatif habilité.
Le développement de ce type de structures apparaît aujourd’hui nécessaire, dans un premier temps, pour fournir à la justice une alternative à l’incarcération des mineurs multirécidivistes ou ayant commis des faits d’une particulière gravité. En effet, développer des alternatives à la prison pour les jeunes délinquants permet de croire et d’espérer que ces jeunes ne connaîtront jamais la prison.
Certes, les crédits immobiliers concernant les CEF sont clairement intégrés dans le PLF pour 2020, mais l’encadrement des jeunes qui y sont accueillis est loin d’être satisfaisant, soit par le manque de postes, soit par le nombre de postes vacants, ce qui peut nous interroger.
Une autre question doit vous interpeller, madame la ministre : les deux tiers des jeunes placés en centres éducatifs fermés avaient auparavant été suivis par les services de la protection de l’enfance. Une telle proportion conduit à se poser des questions sur l’efficacité de la prise en charge socio-éducative de ces mineurs, souvent victimes de carences éducatives et familiales ou livrés à eux-mêmes.
Face à une délinquance de plus en plus précoce, il me semble urgent de mettre autour de la table tous les acteurs de la protection de l’enfance pour la rendre plus efficace, sans jamais oublier, même si ce n’est pas facile, que les familles de ces jeunes ne doivent pas être exclues de cette problématique.
Il conviendra donc de traiter avec beaucoup d’attention cette question au cours des états généraux de l’hébergement, qui visent à réfléchir aux solutions à apporter à la situation critique dans les foyers collectifs, les foyers de jeunes travailleurs et les centres éducatifs renforcés.
M. Jean-Claude Requier applaudit.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la mission « Justice » du projet de loi de finances pour 2020 voit ses crédits, cette année encore, augmenter de 2, 8 %, soit une hausse de 205 millions d’euros supplémentaires par rapport à 2019. Au total, ce sont 1 520 créations de postes qui sont prévues pour cette mission, qui se divise en trois programmes : la protection judiciaire de la jeunesse, sur laquelle je me suis exprimée en tant que rapporteure pour avis de la commission des lois, l’administration pénitentiaire, et enfin la justice judiciaire et l’accès au droit.
C’est donc sur ces deux derniers programmes que je concentrerai mon propos, la répartition des crédits se faisant de manière très inégale au profit du programme « Administration pénitentiaire ».
En effet, la grande majorité des postes créés dans ce PLF concerne l’administration pénitentiaire : plus de 1 000 créations d’emplois sont prévues, dont 543 correspondent à des postes de surveillants. Ces recrutements permettront, je l’espère, de remédier au problème de la vacance du personnel pénitentiaire, de renforcer les services pénitentiaires d’insertion et de probation, mais également d’améliorer les conditions de travail du personnel.
Un grand effort budgétaire est également fait en matière d’immobilier pénitentiaire, même si nous sommes loin de ce qui était prévu pour les prisons dans la loi de programmation pour 2018-2022. Pour rappel, le Gouvernement prévoit de créer 15 000 nouvelles places de détention d’ici à 2027, et non d’ici à 2022, comme il l’avait annoncé initialement, afin d’atteindre l’objectif de 80 % d’encellulement individuel.
Ce projet, qui est indispensable pour lutter contre la surpopulation carcérale, bénéficie d’une hausse de 88 millions d’euros de crédits en 2020.
Je note également avec satisfaction qu’un budget de 100 millions d’euros est consacré à la construction de deux prisons expérimentales centrées autour du travail. Ces deux prisons ainsi que les places en structures d’accompagnement vers la sortie (SAS), dont la construction est également prévue dans le projet de loi de finances, sont de bons signaux.
S’agissant des programmes « Justice judiciaire » et « Accès au droit et à la justice », mon appréciation est plus mitigée, mais je tiens aussi à saluer les efforts déployés.
À cet égard, il faut remarquer que, depuis 2017, le renforcement des effectifs de magistrats se poursuit et commence à porter ses fruits dans les juridictions : le taux de vacances de postes n’est plus que de 0, 5 % au 1er octobre 2019, alors qu’il s’élevait à 5, 18 % en 2017. Le projet de loi de finances prévoit de continuer sur cette lancée, en ouvrant 384 emplois supplémentaires dont la majorité correspond à des postes de juges pour enfants, de greffiers et de juristes.
Cette hausse des recrutements ne sera certainement pas suffisante, bien sûr, mais il faut la souligner, tout en regrettant vivement, encore une fois, que ces chiffres soient bien inférieurs à ceux votés en mars dernier dans la loi de programmation.
D’autres points ne m’ont pas convaincue.
À périmètre constant, les crédits pour l’aide juridictionnelle et les frais de justice diminuent de près de 14 millions d’euros en 2020. Le Gouvernement justifie cette baisse par les prévisions qu’il a réalisées, mais celles-ci me laissent quelque peu perplexe au regard des nouvelles techniques d’investigation de plus en plus coûteuses.
Je partage également les doutes de mes collègues en ce qui concerne la réforme de l’aide juridictionnelle adoptée par les députés. Je considère que ce sujet qui touche un aspect essentiel de notre État de droit ne doit pas faire l’objet d’une réforme précipitée. Au contraire, une large concertation ainsi qu’une étude d’impact sont plus que nécessaires.
S’agissant de la protection judiciaire de la jeunesse, je n’y reviendrai pas. Je me réjouis simplement de la hausse des crédits.
Mes chers collègues, je conclurai mon propos, en rappelant que la politique pénale ne se réduit pas à une affaire comptable. Vous le savez, madame la garde des sceaux, le RDSE est attentif à vos réformes. La politique pénale est avant tout une vision et un projet de société pour améliorer la sécurité de nos concitoyens. Nous avons des regrets concernant la loi de réforme pour la justice. Nous espérons par conséquent que de prochaines initiatives, s’agissant notamment de la récidive, verront le jour.
Dans cette attente, en raison des efforts consentis, mais avec les quelques réserves que j’ai évoquées, la majorité des sénateurs du RDSE votera les crédits de la mission « Justice ».
Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.
Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous remercie tout d’abord pour les observations qui ont été formulées.
Je citerai, pour commencer mon propos, quatre chiffres qui résument le budget de mon ministère pour 2020 : 7, 6 milliards d’euros, une augmentation de 4 %, 1 520 créations d’emplois, 300 millions d’euros de plus. Voilà les quatre chiffres essentiels qui caractérisent le budget de la justice pour l’année prochaine.
Ces quatre chiffres répondent à cinq priorités : la réforme de l’organisation judiciaire, la nouvelle politique pénale, la transformation numérique de la justice, la réforme de la justice pénale des mineurs et l’accès au droit et à la justice.
Je vais maintenant répondre aux observations qui ont été faites par les différents orateurs.
Monsieur le rapporteur spécial, j’ai bien compris votre propos. Vous dites que ce budget n’est pas à la hauteur et que le Gouvernement s’affranchit des engagements qu’il a pris devant vous. Ce budget comporte effectivement 153 millions d’euros en moins par rapport aux prévisions de la loi de programmation et j’ai eu l’occasion de m’en expliquer devant votre commission.
Cette moindre progression est liée à l’immobilier pénitentiaire et on ne peut y voir une forme d’imprévision, car la plupart du temps nous disposons des terrains. En revanche, la construction de ces établissements pénitentiaires ne recueille pas toujours l’adhésion des autorités locales ou de la population. Nous devons donc faire un choix : soit nous imposons une telle construction à des populations ou des élus qui ne la souhaitent pas, en tout cas pas maintenant, soit nous tenons compte de leur souhait. C’est pour cette raison que nous réduisons la programmation pour l’année prochaine.
En outre, les opérations n’avancent pas toujours au rythme où nous le souhaiterions. Il arrive que des appels d’offres soient infructueux, que des études complémentaires soient nécessaires, que des recherches archéologiques soient requises, etc. Autant d’éléments qui n’étaient pas prévus à l’origine et qui entraînent des retards.
Cela ne signifie pas que les crédits ne seront pas disponibles le moment venu, mais nous prenons en compte la réalité de l’avancement des opérations immobilières. Nous ne revenons donc pas sur l’objectif qui a été affiché au moment du vote de la loi de programmation, c’est-à-dire 15 000 places supplémentaires en 2027.
Vous avez également évoqué, monsieur Lefèvre, la question de la numérisation, en souhaitant qu’elle demeure compatible avec un accès physique. Je partage complètement ce point de vue.
Nous souhaitons bien sûr développer les applications numériques ; c’est une demande, une exigence même, en particulier des avocats, des magistrats et des greffiers. Pour autant, nous faisons en sorte que, dans chaque juridiction – je précise de nouveau qu’elles seront toutes conservées –, il y aura un service d’accueil unique du justiciable qui permettra de recevoir physiquement tous les justiciables et de les accompagner dans leurs démarches, qu’il s’agisse de l’aide juridictionnelle ou d’autre chose.
Je rappelle par ailleurs que nous faisons un effort important dans la mise en place des maisons France services : j’ai souhaité la présence, dans chacune d’elles, d’un conciliateur de justice qui pourra apporter à nos concitoyens les éléments nécessaires d’information ou de résolution des litiges.
Vous avez également évoqué la baisse des moyens de l’aide juridictionnelle. Si vous le permettez, je répondrai sur ce point, lorsque nous examinerons les amendements, puisque l’un d’entre eux concerne ce sujet. À ce stade, je vous dirai simplement que les montants que nous inscrivons pour l’année prochaine correspondent en réalité à ceux qui auront été consommés effectivement cette année. En outre, comme vous le savez, une recette supplémentaire de 9 millions d’euros s’ajoutera aux chiffres qui ont été présentés.
Monsieur le rapporteur pour avis Détraigne, vous avez indiqué que vous ne souhaitiez pas apporter votre soutien à ce budget pour trois raisons.
Vous estimez tout d’abord que l’effort réalisé en faveur de la justice judiciaire est insuffisant. J’avoue avoir un peu de mal à comprendre ce point de vue, dans la mesure où le nombre de magistrats et de greffiers ainsi que les investissements en matière immobilière pour la justice judiciaire augmentent. Je rappelle qu’aujourd’hui l’école nationale des greffes fonctionne à plein régime – il y a trois promotions par an ! Nous ne pouvons pas faire davantage. Par conséquent, au regard de l’importance de l’effort que nous fournissons en faveur de la justice judiciaire, je ne peux pas partager votre opinion.
Vous avez par ailleurs évoqué la question de la baisse de l’aide juridictionnelle. J’ai donné à l’instant quelques éléments de réponse et nous en reparlerons plus longuement tout à l’heure.
Vous avez également évoqué la suppression de postes de juges d’instruction. Je reviens sur ce point qui est très important. Nous n’avons pas proposé de supprimer des postes de juges d’instruction, mais de regrouper, dans un souci d’efficacité, des fonctions de juges d’instruction dans des pôles de l’instruction. Croyez-vous vraiment pertinent, monsieur Détraigne, qu’un juge d’instruction gère moins de trente dossiers par an et travaille en tant que juge d’instruction pour une part faible de son temps ? Il ne s’agit pas de mettre en cause la qualité du travail ainsi réalisé, mais de réfléchir de manière globale à la meilleure façon d’organiser l’instruction. Ne pensez-vous pas qu’il est intéressant, dans ces situations, de regrouper fonctionnellement les emplois au sein d’un pôle de l’instruction ?
Je rappelle que le regroupement des fonctions n’entraîne pas la suppression du poste de juge. J’ai dit, et je me suis engagée sur ce point, que le nombre de juges affectés à un tribunal ne diminuera pas du fait du regroupement des fonctions de juge d’instruction.
Madame la sénatrice Costes, je salue par votre intermédiaire le rapporteur pour avis Alain Marc. Je vous remercie d’avoir souligné le chemin parcouru. Vous avez toutefois relevé l’incapacité à respecter la trajectoire budgétaire ; je crois avoir déjà répondu à cette observation.
Vous avez par ailleurs évoqué les questions liées à la protection judiciaire de la jeunesse. Je sais que c’est un sujet auquel vous êtes très attachée et qui vous intéresse beaucoup. Vous avez évoqué la réforme de l’ordonnance de 1945 que j’aurai l’occasion de présenter devant vous prochainement – je me suis également engagée sur ce point, car c’est important, et j’espère que nous pourrons inscrire ce sujet à l’ordre du jour du Parlement durant le premier semestre de 2020.
Vous avez ensuite évoqué plusieurs questions, notamment celle des centres éducatifs fermés. Pour 2020, ces centres représentent 6, 8 % de l’ensemble des coûts, l’hébergement collectif 25 %, les centres éducatifs renforcés 1 % et le placement familial et le placement diversifié 15 %. Vous voyez bien que les centres éducatifs fermés, contrairement à ce qui est parfois dit, ne représentent qu’une partie, et pas la plus importante, des solutions que nous offrons pour la prise en charge des jeunes.
Je rappelle également que, dans les mesures nouvelles pour 2020 – en disant cela, je m’adresse aussi à Mme la sénatrice Assassi qui a mis en avant cette problématique –, les centres éducatifs fermés ne représentent que 2, 47 millions d’euros sur un total de 11, 4 millions d’euros.
Vous avez enfin évoqué la question du traitement pénal des mineurs non accompagnés. C’est un véritable sujet, mais il ne peut pas être traité isolément de la prise en charge globale de ces jeunes. Ce n’est que l’un des aspects de cette question, par ailleurs extrêmement singulière.
Monsieur le sénateur Capus, vous avez vous aussi évoqué la question des juridictions judiciaires et vous estimez que c’est le budget qui augmente le moins. Je crois avoir déjà répondu à cette question. Le budget que je vous propose nous permet de recruter les personnels dont nous avons besoin et de poursuivre la programmation de l’immobilier judiciaire. Je rappelle, vous en avez parlé, que les crédits ont augmenté de 9 % cette année, ce qui nous permet de les stabiliser en 2020 à un niveau globalement comparable.
Vous avez évoqué la question du recrutement des personnels. Nous respectons nos engagements tant pour les magistrats et les personnels de surveillance pénitentiaire que pour les conseillers d’insertion et de probation – 400 postes sont ouverts cette année. Nous aurons ainsi la possibilité de faire face aux besoins.
Monsieur le sénateur Sueur, vous avez comparé le budget de la justice française à celui qui existe dans d’autres pays européens. Plusieurs organismes réalisent, souvent remarquablement, de telles comparaisons – je pense à la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (Cepej) qui dépend du Conseil de l’Europe ou à la Commission européenne elle-même.
Monsieur le sénateur, il n’y a jamais assez d’argent pour la justice – je vous rejoins aisément sur ce point !
Pour autant, les comparaisons doivent être faites avec beaucoup de précision et lues avec autant de distance. Je ne citerai qu’un exemple : les juges prud’homaux ou consulaires existent dans notre pays et tranchent des litiges, mais ils ne sont pas comptabilisés dans les études européennes. Je ne dis pas cela pour me dédouaner, mais ces aspects doivent être pris en compte précisément, si l’on veut comparer les situations de manière sérieuse. Je dis simplement : sachons de quoi nous parlons !
Vous évoquez également des baisses de crédits, mais j’ai l’impression que vous parlez en fait d’autorisations d’engagement. Or il est normal que les autorisations d’engagement baissent, puisqu’elles ont été ouvertes en 2018 et 2019 pour pouvoir lancer l’ensemble des opérations immobilières et les grands projets informatiques dont nous avons besoin. Une fois ces autorisations ouvertes, nous n’avons plus besoin de nouvelles, nous devons inscrire uniquement des crédits de paiement – ce sont eux qui permettent de réaliser effectivement les opérations qui ont été lancées. Il ne faut donc pas confondre autorisations d’engagement et crédits de paiement.
Vous avez ensuite évoqué la question des personnes détenues. Vous dites que leur nombre est en augmentation et que les mesures alternatives ne sont pas suffisantes. C’est vrai, nous sommes dans une situation difficile en termes de surpopulation carcérale.
Toutefois, j’ai quelques espoirs d’amélioration, puisque les tout derniers chiffres montrent une légère baisse du nombre de personnes détenues. Il me semble que ce début de baisse est dû aux mesures décidées dans le cadre de la loi de réforme pour la justice qui, vous le savez, a mis en place, à compter du 1er juin dernier, la libération sous contrainte aux deux tiers de la peine pour les peines de moins de cinq ans. Ces mesures commencent à s’appliquer et le nombre de décisions progresse de manière importante – il me semble qu’il a déjà progressé de 90 %.
L’application de ces mesures commence à se traduire sur le niveau de la population carcérale. J’allais dire que je touche du bois, mais l’expression n’est évidemment pas adaptée. En tout cas, je ne crie pas victoire, mais nous avons engagé une politique de traitement des peines et des parcours de détention extrêmement volontariste et je pense que tout cela devrait conduire à des améliorations dans quelque temps.
Sachez par ailleurs que nous sommes extrêmement volontaristes pour multiplier les peines autonomes autres que l’emprisonnement. Je pense aux travaux d’intérêt général ou au bracelet électronique.
Vous avez aussi évoqué, monsieur Sueur, la spécialisation des tribunaux. Vous estimez que cette spécialisation peut conduire à dépouiller certains tribunaux judiciaires, lorsqu’il y en a plusieurs dans un même département. Je ne suis pas du tout d’accord avec vous. Cette spécialisation est une façon de mieux rendre la justice et elle doit être équilibrée entre tous les tribunaux concernés – c’est ce que prévoit très précisément la loi de réforme que j’ai portée. Je le redis, il ne peut pas y avoir de situation où un tribunal serait dépouillé par un autre et nous devons trouver un équilibre pour spécialiser les magistrats sur quelques contentieux techniques. L’objectif est de mieux rendre la justice, pas de dépouiller quelque territoire que ce soit.
Enfin, sur la question précise que vous m’avez posée, monsieur Sueur, je rappelle que la loi prévoit que nous travaillions sur les propositions des chefs de cours d’appel, pas des chefs de juridiction, et que ces propositions doivent faire l’objet d’un avis des conseils de juridiction. C’est ainsi que la loi est écrite et c’est évidemment ainsi que nous l’appliquerons !
Monsieur le sénateur Mohamed Soilihi, je vous remercie de vos propos. Je vous répondrai donc uniquement sur la question du numérique outre-mer, en vous disant que c’est un sujet sur lequel je suis extrêmement attentive et auquel je veillerai personnellement.
Madame la sénatrice Assassi, vous m’avez dit que, au fond, toutes les réformes que nous conduisions ne feraient qu’allonger les délais de traitement des contentieux. Je vous répondrai simplement que nous constatons déjà le contraire. Ainsi, le délai moyen de traitement des procédures pénales en matière criminelle est passé de quarante mois en 2017 à trente-neuf en 2019 et que celui des procédures civiles poursuit sa décrue. Nul besoin que je continue, puisque vous pourrez aisément vous reporter au rapport présenté par M. Antoine Lefèvre au nom de la commission des finances du Sénat qui contient toutes les informations pertinentes à ce sujet… Notre objectif est évidemment de diminuer les délais de traitement, même si, je le reconnais, nous ne sommes qu’au début de cette démarche.
Sur la question de l’éloignement des justiciables, je ne suis, là non plus, pas du tout d’accord avec vous. Les tribunaux restent, partout où ils existent. Ils sont même confortés dans l’exercice de leurs compétences et de leurs contentieux.
Regardez simplement les tribunaux de proximité ! Ils sont tous maintenus et le nombre des contentieux qui y sont traités pourra s’accroître grâce à de nouveaux champs de compétences liés à la justice du quotidien. Dans la plupart des situations, nous rapprochons le justiciable de ses juges.
Sur les moyens consacrés à l’enfermement, j’ai répondu tout à l’heure : les crédits des centres éducatifs fermés ne sont pas au niveau que vous avez évoqué.
Madame la sénatrice Vermeillet, j’ai entendu vos doutes sur le PNAT. Nous ne partageons pas la même opinion et je pense que les résultats obtenus vous permettront de constater, d’ici quelque temps, que la lutte antiterroriste est encore mieux prise en charge de cette manière.
En ce qui concerne l’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle, nous constatons d’ores et déjà un véritable engouement pour les travaux d’intérêt général. En moins d’un an, les offres de postes ont connu une augmentation de plus de 10 % et le nombre de prononcés progresse également.
J’ai beaucoup apprécié, madame la sénatrice, ce que vous avez dit sur l’humilité et la ténacité. C’est exactement l’esprit dans lequel je me situe.
Madame la sénatrice Eustache-Brinio, vous avez évoqué, à propos de la protection judiciaire de la jeunesse, la question des éducateurs. C’est un corps dont il faut en effet prendre soin, puisqu’il constitue la base de notre système. À la suite de leur passage en catégorie A, ce qui correspond à un recrutement à bac+3, nous avons rénové très récemment leur formation et mis en place un processus d’alternance intégrative avec des cycles de formation théorique à l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse et des stages pratiques, puis un stage d’accompagnement à la prise de poste d’une durée de quatre mois. Une formation adaptée est un autre moyen d’augmenter l’attractivité de ces fonctions.
Enfin, vous avez parfaitement raison d’attirer notre attention sur la question de la prise en charge des jeunes par l’aide sociale à l’enfance (ASE). Sous l’impulsion de mon collègue Adrien Taquet, le Gouvernement mène une réflexion pour renouveler la gouvernance de notre système afin que cette prise en charge soit mieux coordonnée entre l’ensemble des acteurs concernés – juges des enfants, services de la protection judiciaire de la jeunesse, conseils départementaux, etc.
Dernier point, je m’adresse de nouveau à vous, madame la sénatrice Costes, nous travaillons beaucoup sur la question de la vacance des postes dans l’administration pénitentiaire. Il nous faut améliorer l’attractivité de ces carrières, à la fois par des primes et par une redéfinition plus large des fonctions.
Voilà, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, les réponses que je souhaitais vous apporter à ce stade de nos travaux.
Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Justice », figurant à l’état B.
En euros
Mission
Autorisations d’engagement
Crédits de paiement
Justice
Justice judiciaire
Dont titre 2
2 385 737 027
2 385 737 027
Administration pénitentiaire
Dont titre 2
2 631 471 619
2 631 471 619
Protection judiciaire de la jeunesse
Dont titre 2
536 153 301
536 153 301
Accès au droit et à la justice
Conduite et pilotage de la politique de la justice
Dont titre 2
182 510 844
182 510 844
Conseil supérieur de la magistrature
Dont titre 2
2 790 523
2 790 523
L’amendement n° II-893, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
En euros
Programmes
Autorisations d’engagement
Crédits de paiement
Justice judiciaire
dont titre 2
Administration pénitentiaire
dont titre 2
Protection judiciaire de la jeunesse
dont titre 2
Accès au droit et à la justice
Conduite et pilotage de la politique de la justice
dont titre 2
Conseil supérieur de la magistrature
dont titre 2
TOTAL
SOLDE
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Depuis 2015, la chancellerie a engagé un regroupement de ses services d’administration centrale sur deux sites : le site historique place Vendôme et un nouveau site, porte d’Aubervilliers dans le XIXe arrondissement de Paris.
Ce second site, dans le quartier du Millénaire, regroupe le plus d’agents et abrite le secrétariat général, la direction des services judiciaires, la direction de l’administration pénitentiaire, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, ainsi que l’inspection générale de la justice. Compte tenu des créations d’emplois récentes et à venir, notamment en lien avec le plan de transformation numérique et le développement du renseignement pénitentiaire, nous avons besoin de trouver de la place.
Le départ de l’agence régionale de santé d’Île-de-France d’un bâtiment voisin à celui que nous occupons actuellement constitue une opportunité intéressante et nous projetons d’y installer certains services, mais le niveau des autorisations d’engagement dont nous disposons à ce stade est insuffisant pour signer le bail.
La loi de finances initiale pour 2019 a prévu un montant de 41 millions d’euros en autorisations d’engagement au bénéfice du programme 310. Cette budgétisation correspondait à l’hypothèse initiale d’un engagement d’une durée de six ans. Or les règles de la comptabilité budgétaire de l’État ont été modifiées à l’été 2019 et prescrivent désormais d’engager la dépense à hauteur de la durée totale du bail. Comme nous souhaitons signer un bail de neuf ans, dont sept ans ferme, le montant nécessaire des autorisations d’engagement s’élève à 54, 3 millions d’euros.
Dans ce contexte, le présent amendement prévoit l’inscription d’un financement complémentaire de 12, 4 millions d’euros que je vous serais reconnaissante de bien vouloir accepter.
Madame la garde des sceaux, nous n’avons pas de difficulté de fond avec cet amendement, mais compte tenu de la décision de la commission des finances de rejeter les crédits de la mission « Justice », l’avis est défavorable.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L’amendement n° II-698, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
En euros
Programmes
Autorisations d’engagement
Crédits de paiement
Justice judiciaire
dont titre 2
Administration pénitentiaire
dont titre 2
10 410
10 410
Protection judiciaire de la jeunesse
dont titre 2
Accès au droit et à la justice
Conduite et pilotage de la politique de la justice
dont titre 2
Conseil supérieur de la magistrature
dont titre 2
TOTAL
SOLDE
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Je tente ma chance de nouveau…
La loi de 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale prévoit que la région est désormais l’acteur unique de la formation professionnelle.
L’article L. 6121-2 du code du travail dispose que la région finance et organise la formation professionnelle des personnes sous main de justice. Il prévoit également la conclusion d’une convention entre l’État et les régions qui précise les conditions de fonctionnement du service public régional de la formation professionnelle au sein des établissements pénitentiaires.
Un transfert du programme 107, « Administration pénitentiaire », intervenu en loi de finances initiale pour 2017, d’un montant de 490 000 euros visait à compenser financièrement la reprise de la compétence par les régions. Ce transfert portait sur la masse salariale afférente aux missions transférées, le ministère de la justice conservant les effectifs qui assurent au niveau des services déconcentrés de l’administration pénitentiaire le pilotage des actions d’accueil, d’orientation et d’évaluation de la population pénale.
Le présent amendement correspond à un ajustement technique, visant à prendre en compte le besoin du département de Mayotte.
Il est vrai que les sommes en jeu sont modestes et que nous pouvons évidemment être d’accord sur le fond, mais compte tenu de la décision de la commission des finances de rejeter les crédits de la mission « Justice », l’avis est, là encore, défavorable.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L’amendement n° II-296, présenté par M. Poadja, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
En euros
Programmes
Autorisations d’engagement
Crédits de paiement
Justice judiciaire
dont titre 2
Administration pénitentiaire
dont titre 2
Protection judiciaire de la jeunesse
dont titre 2
Accès au droit et à la justice
Conduite et pilotage de la politique de la justice
dont titre 2
Conseil supérieur de la magistrature
dont titre 2
TOTAL
SOLDE
La parole est à M. Gérard Poadja.
Je me félicite du lancement de la construction du centre de détention de Koné, dont les travaux vont pouvoir commencer en 2020. L’ouverture de ce centre va permettre de désengorger le centre pénitentiaire de Nouméa, dénommé Camp Est, mais les locaux de ce centre sont particulièrement vétustes, ce qui renforce l’insécurité. Je propose donc de prévoir, dans ce budget, une enveloppe de 40 millions d’euros sur quatre ans pour rénover le Camp Est et ainsi améliorer la sécurité du personnel pénitentiaire et les conditions de détention des prisonniers.
Même avis, madame la présidente.
Monsieur le sénateur, la direction de l’administration pénitentiaire étudie actuellement les différents scénarios de réhabilitation du centre de Nouméa et nous n’avons pas besoin, sur le budget pour 2020, d’un financement supplémentaire par rapport aux crédits dont nous disposons déjà. Nous devons d’abord trancher entre les différentes options qui sont à l’étude.
En ce qui concerne le centre de Koné, les travaux doivent commencer dans le courant de ce mois et il devrait ouvrir comme prévu en 2021.
Je voudrais simplement savoir si la commission est défavorable sur le fond à l’amendement ou bien si elle suit sa logique générale de rejet des crédits de cette mission. C’est un sujet important.
C’est un avis sur la forme. Cela paraît logique, compte tenu du rejet des crédits. Je maintiens cet avis défavorable.
L ’ amendement est adopté.
L’amendement n° II-896 rectifié, présenté par Mmes N. Delattre et M. Carrère, M. Collin, Mme Costes et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
En euros
Programmes
Autorisations d’engagement
Crédits de paiement
Justice judiciaire
dont titre 2
Administration pénitentiaire
dont titre 2
Protection judiciaire de la jeunesse
dont titre 2
Accès au droit et à la justice
Conduite et pilotage de la politique de la justice
dont titre 2
500 000
500 000
Conseil supérieur de la magistrature
dont titre 2
TOTAL
SOLDE
La parole est à Mme Josiane Costes.
Le financement de l’aide juridictionnelle est l’une des problématiques récurrentes intéressant le ministère de la justice. Il pose la question de l’accessibilité financière à l’État de droit.
Quel est l’intérêt, en effet, de consacrer des droits pour protéger les individus les plus vulnérables de notre société si, dans le même temps, le coût d’entrée dans le système judiciaire les empêche de les faire respecter ? En droit moderne, la nécessité d’offrir aux personnes démunies une aide juridictionnelle a été reconnue depuis 1851.
Si l’existence de cette aide n’est pas sérieusement remise en question, son périmètre d’application fait l’objet de discussions constantes, comme en témoignent les récentes modifications de la loi du 10 juillet 1991 introduites à la suite du rapport des députés Philippe Gosselin et Naïma Moutchou, qui fait d’ailleurs écho au rapport de 2014 de Sophie Joissains et Jacques Mézard.
Se pose en effet, dans ce domaine comme ailleurs, la question de la soutenabilité du système, avec l’accroissement des inégalités en France.
Il est dommage que cette question soit traitée législativement de manière incidente, alors que le sujet mériterait à lui seul un texte spécifique. En l’absence d’un consensus entre les deux chambres, il nous paraît nécessaire de garantir son financement jusqu’à ce qu’une réforme pérenne et satisfaisante voie le jour.
À cette fin, le présent amendement vise à accroître les crédits alloués au programme « Accès au droit et à la justice » afin de renforcer la capacité de financement de l’aide juridictionnelle à partir des besoins de financement identifiés par nos rapporteurs.
Sur le fond, la commission est favorable à cet amendement, compte tenu de ce qu’a dit Mme Josiane Costes, rapporteure pour avis sur la PJJ. Cependant, sur la forme, je me vois dans l’obligation de donner un avis défavorable.
C’est également un avis défavorable, madame Costes.
Vous proposez d’accroître de 9 millions d’euros le budget alloué à l’aide juridictionnelle. Les 484 millions d’euros de crédits inscrits dans le projet de loi de finances couvrent en fait notre prévision de dépenses pour 2020. Si les crédits n’augmentent que de 61 millions d’euros, c’est pour des raisons techniques. D’abord, il y a un apurement de produit de contribution pour l’aide juridique, resté sur un compte d’attente, qui sera réalisé d’ici à la fin de l’année, apportant 9 millions d’euros de ressources supplémentaires pour le financement de l’aide juridictionnelle. Ensuite, il y a une révision à la baisse de l’évolution tendancielle de la dépense d’une vingtaine de millions d’euros, qui a été réalisée au vu de la dépense effectivement constatée en 2018, laquelle n’était que de 464 millions d’euros.
Nous prévoyons en outre, par sécurité, de reporter les crédits du programme 101, « Accès au droit et à la justice », qui ne seront pas consommés en 2019 sur l’aide juridictionnelle, ce qui devrait représenter à peu près 13 millions d’euros.
La dotation inclut également une enveloppe de 4, 5 millions d’euros pour financer l’extension de la représentation obligatoire, qui est prévue dans un texte qui va sortir d’ici quelques jours, ainsi que 5 millions d’euros pour développer la contractualisation avec les barreaux et financer, notamment, l’expérimentation de structures spécifiques à la défense des bénéficiaires de l’aide juridictionnelle.
J’émets donc un avis défavorable.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L’amendement n° II-898 rectifié, présenté par Mmes N. Delattre et M. Carrère, M. Collin, Mme Costes et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
En euros
Programmes
Autorisations d’engagement
Crédits de paiement
Justice judiciaire
dont titre 2
Administration pénitentiaire
dont titre 2
Protection judiciaire de la jeunesse
dont titre 2
Accès au droit et à la justice
Conduite et pilotage de la politique de la justice
dont titre 2
500 000
500 000
Conseil supérieur de la magistrature
dont titre 2
TOTAL
SOLDE
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
Les lois de finances se succèdent et le constat du retard français en matière d’investissement dans nos juridictions se répète inlassablement, à la lumière de comparaisons européennes dressées par la Commission européenne pour l’efficacité de la justice.
Les moyens humains constituent la matière première de la justice, du début à la fin de la chaîne judiciaire : je pense aux magistrats, évidemment, mais également aux greffiers et agents administratifs chargés de les assister dans leur mission régalienne.
Nous nous inquiétons de voir appliquer au monde judiciaire, comme à d’autres domaines avant lui, un fétichisme électronique, qui laisserait penser que les différends humains peuvent trouver des solutions pérennes et acceptables grâce à des algorithmes informatiques. Le « temps des victimes » ne prend-il pas racine dans le besoin de nos contemporains de trouver l’écoute attentive et bienveillante de leurs pairs à une époque d’intermédiation chronique ?
Paradoxalement, le déficit d’investissement a conduit nos juridictions à développer une productivité hors normes pour maintenir des délais de jugement qui soient acceptables, après les sanctions du juge européen, et afin de maintenir un accueil digne des justiciables dans les locaux parfois très détériorés de la justice.
Madame la ministre, nous ne doutons pas de votre volonté d’œuvrer significativement pour un rattrapage français en la matière, et l’adoption de la loi de programmation pour la justice, cette année, en est la première manifestation. Toutefois, au regard des engagements fixés par cette loi, nous considérons qu’une autre ventilation des crédits est possible pour accompagner ce rattrapage et améliorer substantiellement le service public de la justice de notre pays.
Cet amendement vise donc à prolonger l’esprit de la loi de programmation en proposant des transferts de crédits, notamment des postes informatiques, vers les juridictions, afin d’y renforcer la présence humaine.
C’est aussi un avis défavorable, mais je voudrais dire à M. le sénateur Requier que je suis évidemment extrêmement sensible à son argumentation.
Nous avons fait, pour 2020, un effort important pour les services judiciaires, puisque nous créerons 384 emplois – 100 emplois de magistrat et 284 emplois de personnel de greffe, de juristes assistants et d’agents administratifs –, soit 100 emplois de plus que ce qui était prévu dans la loi de programmation. C’est un effort supplémentaire qui est ciblé, puisque, sur l’ensemble de ces emplois, nous allons essentiellement accompagner deux politiques prioritaires : la réforme de l’ordonnance de 1945 sur la justice pénale des mineurs, avec 70 emplois de magistrat, 100 greffiers et des personnels de la PJJ ; la lutte contre la délinquance, notamment financière, en aidant les juridictions interrégionales spécialisées avec 30 magistrats et des personnels supplémentaires.
En résumé, il y a plus de créations de postes que ce qui était prévu dans la loi de programmation, et nous les affectons sur deux politiques prioritaires.
Pour autant, je ne dis pas que tout va bien. D’une part, nous devons retravailler sur notre grille d’affectation des magistrats, ce que nous appelons « la clé de répartition » des magistrats. La direction des services judiciaires s’y attache, ce travail devant arriver à terme dans un ou deux ans. D’autre part, nous devons également prendre en compte des emplois pour la réforme du contentieux social mise en place l’année dernière. À cet effet, 132 emplois seront transférés du ministère des solidarités et de la santé.
Vous le voyez, monsieur le sénateur, nous faisons un effort particulièrement important, qui demande à être poursuivi.
L’amendement n° II-898 rectifié est retiré.
L’amendement n° II-297, présenté par M. Poadja, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
En euros
Programmes
Autorisations d’engagement
Crédits de paiement
Justice judiciaire
dont titre 2
Administration pénitentiaire
dont titre 2
Protection judiciaire de la jeunesse
dont titre 2
Accès au droit et à la justice
Conduite et pilotage de la politique de la justice
dont titre 2
Conseil supérieur de la magistrature
dont titre 2
TOTAL
SOLDE
La parole est à M. Gérard Poadja.
Le 6 novembre dernier, nous avons adopté la proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille.
Ce texte prévoit de généraliser l’utilisation du bracelet anti-rapprochement afin de mieux protéger les victimes de violences conjugales. C’est un dispositif attendu, qui a fait ses preuves dans plusieurs pays européens. Je crois qu’il est temps de passer de la parole aux actes, en inscrivant dans ce budget les 5, 5 millions d’euros nécessaires à sa mise en place.
Je rappelle aussi que ce bracelet devra bénéficier à tout le territoire, y compris à la Nouvelle-Calédonie, qui est particulièrement touchée par les violences conjugales. J’en profite pour revenir sur mon amendement précédent, qui visait à rénover le Camp Est, victime de surpopulation carcérale. À l’évidence, un effort doit être fait pour éviter l’incarcération de prisonniers supplémentaires.
Monsieur le sénateur, j’émets également un avis défavorable sur votre amendement, bien que j’en partage l’objectif. Vous avez raison, il faut absolument passer de la parole aux actes dans ce domaine, mais j’estime précisément que le dispositif financier que nous avons construit va nous le permettre.
Je me suis engagée à ce que nous déployions 1 000 bracelets anti-rapprochement en 2020. C’est l’administration pénitentiaire qui prendra en charge ce déploiement, sachant qu’elle assure déjà le suivi du placement sous surveillance électronique mobile pour les personnes placées sous main de justice.
Plusieurs marchés sont nécessaires pour mettre en œuvre le dispositif. Il y a d’abord un marché négocié sans mise en concurrence avec le prestataire actuel du bracelet électronique pour adapter le système Saphir. Ensuite, il y aura un marché pour la fourniture des bracelets eux-mêmes et un marché de téléassistance, qui feront l’objet d’appel d’offres. Nous sommes en train de définir le cahier des charges – c’est presque terminé –, et les modalités de fonctionnement du dispositif. Le coût pour 2020 est estimé entre 5 millions et 6 millions d’euros. Je ne peux pas être plus précise, puisque cela va dépendre des résultats des appels d’offres et des marchés qui ne sont pas encore passés. Cette somme sera prise en charge par le programme 107 de l’administration pénitentiaire, grâce à un report de crédits de 6 millions d’euros de l’exercice 2019 sur l’exercice 2020, report inscrit dans la loi de finances rectificative qui va vous être présentée d’ici quelques jours. Il n’est donc pas utile de prévoir à ce stade un abondement du programme 107, comme vous le proposez.
Madame la garde des sceaux, mieux vaut tenir que courir ! Nous avons déjà eu cette discussion sur les bracelets anti-rapprochement au moment du débat sur la proposition de loi d’Aurélien Pradié.
Je remercie beaucoup notre collègue, car je pense qu’à un moment donné, symboliquement, il faut que ce financement soit fléché. Vous nous demandez d’attendre le PLFR. Dont acte ! J’imagine, de toute façon, que cet amendement n’ira pas au bout de la discussion budgétaire.
Madame la garde des sceaux, vous le savez, et nous en avons déjà parlé, peu de juges aux affaires familiales osent entraver la liberté d’un mari violent. Il faut plutôt faire confiance à un juge des libertés et de la détention pour une meilleure application.
Le budget des bracelets est certes coûteux. Je vous fais confiance, mais je vais quand même voter l’amendement de mon collègue. Je déplore que rien n’ait été fléché dans ce PLF, alors que cette proposition de loi a été votée il y a moins de trois semaines. Une telle situation nous met dans une situation intenable vis-à-vis des familles et des victimes. Cet amendement est peut-être symbolique, mais, pour moi, il est important.
L ’ amendement est adopté.
Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Justice », figurant à l’État B.
Je n’ai été saisie d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits, modifiés.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 56 :
Le Sénat n’a pas adopté les crédits.
J’appelle en discussion les articles 76 undecies à 76 terdecies, qui sont rattachés pour leur examen aux crédits de la mission « Justice ».
Justice
Après le premier alinéa de l’article 375-4 du code civil, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Dans le cas mentionné au 3° de l’article 375-3, le juge peut, à titre exceptionnel et sur réquisitions écrites du ministère public, lorsque la situation et l’intérêt de l’enfant le justifient, charger un service du secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse d’apporter aide et conseil au service auquel l’enfant est confié et d’exercer le suivi prévu au premier alinéa du présent article. »
L’article 76 undecies est adopté.
Au premier alinéa de l’article 7 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, le mot : « troisième » est remplacé par le mot : « quatrième ». –
Adopté.
I. – La loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique est ainsi modifiée :
1° L’article 4 est ainsi rédigé :
« Art. 4. – I. – Les plafonds annuels d’éligibilité des personnes physiques à l’aide juridictionnelle sont fixés par décret en Conseil d’État.
« II. – Le caractère insuffisant des ressources des personnes physiques est apprécié en tenant compte :
« 1° Du revenu fiscal de référence ou, à défaut, des ressources imposables dont les modalités de calcul sont définies par décret ;
« 2° De la valeur en capital du patrimoine mobilier ou immobilier non productif de revenus et du patrimoine mobilier productif de revenus ;
« 3° De la composition du foyer fiscal.
« III. – Les biens qui ne pourraient être vendus ou donnés en gage sans entraîner un trouble grave pour les intéressés ne sont pas pris en compte dans le calcul du montant des ressources auquel s’appliquent les plafonds d’éligibilité. » ;
2° L’article 5 est ainsi rédigé :
« Art. 5. – L’appréciation des ressources est individualisée dans les cas suivants :
« 1° La procédure oppose des personnes au sein d’un même foyer fiscal ou bien il existe entre eux, eu égard à l’objet du litige, une divergence d’intérêt ;
« 2° La procédure concerne une personne majeure ou mineure rattachée au foyer fiscal de ses parents ou de ses représentants légaux, lesquels manifestent un défaut d’intérêt à son égard. » ;
3° Au premier alinéa de l’article 7, après le mot : « manifestement, », il est inséré le mot : « abusive, » ;
4° L’article 13 est ainsi modifié :
a) Le deuxième alinéa est ainsi rédigé :
« Ce bureau est établi au siège des juridictions dont la liste et le ressort en cette matière sont définis par décret. » ;
b) Le dernier alinéa est ainsi modifié :
– à la première phrase, les mots : « ou, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État » sont supprimés et sont ajoutés les mots : « ou par voie électronique » ;
– à la deuxième phrase, les mots : « établi au siège de la juridiction dans le ressort de laquelle se trouve » sont remplacés par les mots : « dont relève le siège de » ;
5° L’article 21 est ainsi modifié :
a) À la fin du premier alinéa, les mots : « sur la situation financière de l’intéressé » sont remplacés par les mots : « permettant d’apprécier l’éligibilité de l’intéressé à l’aide juridictionnelle » ;
b) Au deuxième alinéa, les mots : « sur sa demande, » sont supprimés ;
c) Après le même deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les sociétés d’assurances et les organisations professionnelles intervenant dans ce secteur sont tenues de communiquer au bureau, sans pouvoir opposer le secret professionnel, tous renseignements permettant de vérifier que l’intéressé ne bénéficie pas d’un contrat d’assurance de protection juridique ou d’un système de protection à même de prendre en charge les frais couverts par l’aide juridictionnelle. » ;
6° L’article 36 est ainsi rédigé :
« Art. 36. – L’avocat désigné peut conclure avec son client une convention écrite préalable qui fixe, en tenant compte de la complexité du dossier, des diligences et des frais imposés par la nature de l’affaire, le montant et les modalités de paiement des honoraires qu’il peut demander si le bureau d’aide juridictionnelle ou la juridiction saisie de la procédure prononce le retrait de l’aide juridictionnelle.
« Lorsque l’avocat perçoit des honoraires de la part de son client après que l’aide juridictionnelle lui a été retirée, l’avocat renonce à percevoir sa rétribution au titre de l’aide juridictionnelle. » ;
7° À la première phrase du deuxième alinéa de l’article 37, après le mot : « État », sont insérés les mots : « majorée de 50 % » ;
8° L’article 50 est ainsi rédigé :
« Art. 50. – Sans préjudice des sanctions prévues à l’article 441-7 du code pénal, le bénéfice de l’aide juridictionnelle est retiré, en tout ou partie, même après l’instance ou l’accomplissement des actes pour lesquels il a été accordé, dans les cas suivants :
« 1° Si ce bénéfice a été obtenu à la suite de déclarations ou au vu de pièces inexactes ;
« 2° S’il survient au bénéficiaire, pendant cette instance ou l’accomplissement de ces actes, des ressources excédant les plafonds d’admission à l’aide juridictionnelle ;
« 3° Lorsque la décision passée en force de chose jugée a procuré au bénéficiaire des ressources excédant les plafonds d’admission à l’aide juridictionnelle ;
« 4° Lorsque la procédure engagée par le demandeur bénéficiant de l’aide juridictionnelle a été jugée dilatoire, abusive, ou manifestement irrecevable ;
« 5° Lorsque les éléments extérieurs du train de vie du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle apparaissent manifestement incompatibles avec le montant des ressources annuelles pris en compte pour apprécier son éligibilité. » ;
9° L’article 51 est ainsi rédigé :
« Art. 51. – Le retrait de l’aide juridictionnelle peut intervenir en cours d’instance et jusqu’à un an après la fin de l’instance. Il peut être demandé par tout intéressé et notamment par l’avocat du demandeur. Il peut également intervenir d’office.
« Le retrait est prononcé par le bureau qui a accordé l’aide juridictionnelle ou par la juridiction saisie de la procédure. » ;
10° Les articles 69-5, 69-11 et 69-12 sont abrogés ;
11° L’article 70 est ainsi modifié :
a) Le 1° est ainsi rédigé :
« 1° Le montant des plafonds prévus à l’article 4 ainsi que leurs modalités de révision, les correctifs liés à la composition du foyer fiscal, les modalités d’estimation du patrimoine et des ressources imposables à prendre en compte lorsque le revenu fiscal de référence n’est pas applicable ; »
b) Au 2°, après le mot : « juridictionnelle, », sont insérés les mots : « les modalités de leur saisine par voie électronique, ».
II. – L’ordonnance n° 92-1147 du 12 octobre 1992 relative à l’aide juridictionnelle en matière pénale en Nouvelle-Calédonie et dans les îles Wallis et Futuna est ainsi modifiée :
1° L’article 3 est ainsi rédigé :
« Art. 3. – I. – Les plafonds annuels d’éligibilité des personnes physiques à l’aide juridictionnelle sont fixés par décret en Conseil d’État.
« II. – Le caractère insuffisant des ressources des personnes physiques est apprécié en tenant compte :
« 1° Du revenu fiscal de référence ou, à défaut, des ressources imposables dont les modalités de calcul sont définies par décret ;
« 2° De la valeur en capital du patrimoine mobilier ou immobilier non productifs de revenus ;
« 3° De la composition du foyer fiscal.
« III. – Les biens qui ne pourraient être vendus ou donnés en gage sans entraîner un trouble grave pour les intéressés ne sont pas pris en compte dans le calcul du montant des ressources auquel s’appliquent les plafonds d’éligibilité. » ;
2° L’article 4 est ainsi rédigé :
« Art. 4. – L’appréciation des revenus est individualisée dans les cas suivants :
« 1° La procédure oppose des personnes au sein d’un même foyer fiscal ou bien il existe entre eux, eu égard à l’objet du litige, une divergence d’intérêt ;
« 2° La procédure concerne une personne majeure ou mineure rattachée au foyer fiscal de ses parents ou de ses représentants légaux, lesquels manifestent un défaut d’intérêt à son égard. » ;
3° L’article 11 est ainsi modifié :
a) À la fin de la première phrase, les mots : « sur la situation financière de l’intéressé » sont remplacés par les mots : « permettant d’apprécier l’éligibilité de l’intéressé à l’aide juridictionnelle » ;
b) À la deuxième phrase, les mots : « sur sa demande » sont supprimés ;
4° L’article 22 est ainsi rédigé :
« Art. 22. – Sans préjudice des sanctions pénales éventuellement encourues, le bénéfice de l’aide juridictionnelle est retiré, en tout ou partie, même après l’instance ou l’accomplissement des actes pour lesquels il a été accordé, dans les cas suivants :
« 1° Si ce bénéfice a été obtenu à la suite de déclarations ou au vu de pièces inexactes ;
« 2° S’il survient au bénéficiaire, pendant cette instance ou l’accomplissement de ces actes, des ressources excédant les plafonds d’admission à l’aide juridictionnelle ;
« 3° Lorsque la décision passée en force de chose jugée a procuré au bénéficiaire des ressources excédant les plafonds d’admission à l’aide juridictionnelle ;
« 4° Lorsque la procédure engagée par le demandeur bénéficiant de l’aide juridictionnelle a été jugée dilatoire ou abusive ;
« 5° Lorsque les éléments extérieurs du train de vie du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle apparaissent manifestement incompatibles avec le montant des ressources annuelles pris en compte pour apprécier son éligibilité. »
III. – Le I du présent article est applicable en Polynésie française.
IV. – Le présent article entre en vigueur à une date fixée par décret, et au plus tard le 1er décembre 2020.
Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° II-22 est présenté par M. Lefèvre, au nom de la commission des finances.
L’amendement n° II-514 est présenté par M. Détraigne, au nom de la commission des lois.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur spécial, pour présenter l’amendement n° II-22.
Cet amendement vise à supprimer la réforme de l’aide juridictionnelle proposée au présent article.
Nous avons déjà beaucoup parlé de cette réforme, qui traduit une partie des préconisations du rapport de la mission d’information sur l’aide juridictionnelle menée par nos collègues députés Naïma Moutchou et Philippe Gosselin.
Alors que le demandeur de l’aide juridictionnelle doit actuellement justifier du fait que ses ressources mensuelles soient inférieures à 1 000 euros, pour l’aide juridictionnelle totale, et à 1 500 euros, pour l’aide juridictionnelle partielle, et que les bureaux d’aide juridictionnelle doivent tenir compte des ressources de toute nature dont dispose le demandeur, il est proposé de retenir comme critère d’éligibilité le revenu fiscal de référence, afin de garantir une application équivalente de ces critères par tous les bureaux d’aide juridictionnelle.
Or le présent article renvoie à un décret en Conseil d’État la définition des plafonds annuels d’éligibilité à l’aide juridictionnelle, alors même que les plafonds actuels sont actuellement fixés par la loi. Cette approche ne permet pas au Parlement d’évaluer les impacts de la mesure proposée, notamment quant à la population éligible à l’aide juridictionnelle. De même, les modalités d’estimation du patrimoine et des ressources imposables à prendre en compte lorsque le revenu fiscal de référence n’est pas applicable sont renvoyées à un décret.
De plus, alors qu’un bureau d’aide juridictionnelle est actuellement établi au siège de chaque tribunal de grande instance, l’article prévoit que le bureau d’aide juridictionnelle serait désormais établi au siège de juridictions dont la liste et le ressort en cette matière seraient définis par décret. On prévoit donc la suppression de certains bureaux d’aide juridictionnelle et on renvoie leur localisation au pouvoir réglementaire.
Enfin, aucune étude d’impact n’accompagne ces propositions, puisque cet article résulte de l’adoption par l’Assemblée nationale d’un amendement portant article additionnel.
Pour toutes ces raisons, il y a lieu de supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur pour avis, pour présenter l’amendement n° II-514.
Vos amendements, messieurs les rapporteurs, visent à supprimer les éléments de réforme de l’aide juridictionnelle adoptés par l’Assemblée nationale lors de la première lecture de ce projet de loi de finances.
Je dois vous avouer que je suis un peu gênée par l’un des arguments que vous avez avancés, à savoir celui qui a trait à l’absence d’étude d’impact.
Cet article, comme vous l’avez souligné vous-même, est d’origine parlementaire. Le dépôt de l’amendement dont il est issu faisait suite au rapport élaboré par Mme Moutchou et M. Gosselin, députés. Cet amendement a été adopté par l’Assemblée nationale d’une manière complètement transpartisane. Or les amendements parlementaires, comme vous le savez, ne nécessitent pas d’études d’impact. À suivre votre raisonnement, en invoquant cette irrégularité, vous semblez considérer que les parlementaires ne peuvent pas prendre l’initiative de réformes ambitieuses à la suite d’un véritable rapport qui, au fond, sert en lui-même d’étude d’impact. Cette démonstration m’étonne donc quelque peu.
Au demeurant, l’incidence financière de cet article sera relativement faible. Son objet est de fixer le bénéfice de l’aide juridictionnelle en se fondant – vous l’avez rappelé – sur le revenu fiscal de référence. Cela ne devrait pas modifier sensiblement le périmètre actuel des bénéficiaires de cette aide. En outre, cet article comporte des mesures d’économie.
Je ne partage pas non plus, monsieur le rapporteur spécial, un autre des arguments qui ont été avancés, selon lequel les plafonds devraient être fixés dans la loi. Les plafonds d’admission à de très nombreuses aides sociales sont d’ores et déjà fixés par le pouvoir réglementaire. C’est le cas des aides au logement, du revenu de solidarité active, et de bien d’autres encore. Le pouvoir réglementaire peut donc fixer le montant des plafonds de ressources ouvrant droit à certaines aides, dès lors que la loi en fixe le cadre.
De ce point de vue, l’article adopté par l’Assemblée nationale fixe clairement l’objectif et les limites de ces plafonds, ainsi que les correctifs à prendre en compte dans l’octroi de l’aide juridictionnelle.
Enfin, s’agissant du dernier point que vous avez évoqué, à savoir la nécessité de maintenir un bureau d’aide juridictionnelle au sein de chaque tribunal judiciaire et de faire figurer cette obligation dans la loi, il faut savoir que, dans la réalité actuelle, un très grand nombre de bureaux d’aide juridictionnelle sont gérés par une ou deux personnes. Dès lors, garantir la continuité du service, la qualité du traitement des demandes et la durée de leur instruction s’avère extrêmement difficile dans de nombreuses juridictions.
Dans ce contexte, il n’apparaît pas anormal que le législateur octroie au pouvoir réglementaire la capacité de mieux organiser les circuits d’instruction des demandes d’aide juridictionnelle. Cela permettrait d’éviter des situations dans lesquelles l’absence d’un agent peut mettre en péril le bon fonctionnement d’une juridiction. Contrairement à ce que vous semblez redouter, cette disposition, tout comme celle qui porte sur les critères de ressource, ouvre la perspective d’un octroi beaucoup plus rapide et sécurisé de l’aide juridictionnelle, ce qui permettra de répondre bien mieux qu’aujourd’hui à l’urgence en matière pénale.
Cela ne signifie pas qu’il n’y aura plus de contact de proximité pour le justiciable. J’ai eu l’occasion de vous répondre à ce sujet en clôture de la discussion générale : le service d’accueil unique du justiciable présent dans chaque juridiction sera ce contact ; il pourra évidemment recevoir les dossiers et répondre aux questions qui seront formulées.
Grâce à un système informatique national performant, comme celui que nous voulons créer, système qui pourra contrôler automatiquement le revenu fiscal de référence, l’instruction de la demande d’aide juridictionnelle pourra être organisée d’une manière différente de celle qui se pratique aujourd’hui. Nous travaillons d’ailleurs actuellement avec six juridictions pilotes pour définir la meilleure organisation.
Pour toutes ces raisons, je regrette que vous n’approuviez pas ces dispositions, qui vont selon moi rendre le dispositif d’aide juridictionnelle plus efficace et performant. J’émets donc un avis défavorable sur ces deux amendements de suppression.
J’estime moi aussi – c’est d’ailleurs le sens de mon amendement n° II-344 rectifié bis – qu’une étude d’impact aurait été utile.
Vous affirmez, madame la ministre, que l’adoption par l’Assemblée nationale de l’amendement portant création de cet article a été transpartisane, mais je ne vois pas en quoi cela viendrait invalider le fait qu’une évaluation, prenant éventuellement la forme d’une étude d’impact, était nécessaire avant la prise d’une telle décision.
J’estime que la suppression de cet article, qui nous est proposée au travers de ces amendements, aurait l’avantage de maintenir en vigueur la loi du 10 juillet 1991 et, partant, les bureaux d’aide juridictionnelle dans chaque siège de juridiction. Je ne pense pas que la liste et le ressort de ces bureaux puissent être fixés par décret.
Au demeurant, le maintien des BAJ dans leur état actuel au sein des tribunaux de grande instance me paraît être le choix pertinent pour tenir compte du lien propre qui existe entre ces tribunaux et le barreau. C’est particulièrement vrai en matière pénale, parce que le fonctionnement des juridictions est dans ce cas spécialement dépendant des pratiques en matière d’aide juridictionnelle. Il faut en effet maintenir le lien étroit qui existe, notamment, entre le président du tribunal, le procureur, le bâtonnier et le BAJ.
Je veux répondre à Mme la garde des sceaux que le sujet de la réforme de l’aide juridictionnelle n’est pas nouveau : cela fait très longtemps que l’on en parle. Alors, voir cette réforme arriver par surprise, d’une manière sinon sournoise, du moins relativement inopportune, par le biais d’un amendement, ne me paraît pas logique par rapport au travail accompli par le Parlement.
On aurait d’ailleurs pu faire figurer cette mesure dans le texte initial de ce projet de loi de finances ; cela aurait été plus logique et aurait permis de bénéficier d’une étude d’impact. Je le répète : l’estimation du coût de cette mesure est importante afin de nous permettre de juger en toute connaissance de cause de l’efficacité de cette réforme.
Je partage ce qui vient d’être dit par M. le rapporteur spécial. Le Sénat a beaucoup réfléchi à la question de l’aide juridictionnelle. Je ne sais pas combien de rapports nous avons produits à ce sujet ; l’un des derniers est, si je ne m’abuse, l’œuvre de Mme Joissains et de M. Mézard, qui y formulaient beaucoup de propositions très importantes.
Que la réforme de l’aide juridictionnelle, sujet somme toute essentiel, arrive de la sorte, en plein projet de loi de finances, par le truchement d’un amendement adopté par l’Assemblée nationale sans que soient aucunement prises en compte les réflexions du Sénat, qui ont pourtant été très approfondies, nous paraît procéder d’une méthode insatisfaisante.
De la même manière, nous n’avons pas été ravis d’apprendre que la justice des mineurs serait réformée par ordonnance. Certes, je n’ignore pas qu’elle est actuellement régie par une autre ordonnance, mais nous serons très vigilants sur ce sujet. J’espère que, comme vous l’avez promis, madame la garde des sceaux, un profond débat aura lieu avant l’adoption de ces mesures.
Pour revenir à la question de l’aide juridictionnelle, j’avais déposé au nom de mon groupe trois amendements dont l’inspiration était exactement la même que celle des amendements de MM. les rapporteurs, quoique les moyens retenus fussent différents. En effet, nous pensons qu’il se pose un vrai problème quant à la prise en compte des ressources. Se fonder sur le revenu fiscal de référence ne permet pas de prendre en compte l’ensemble des revenus du justiciable.
Par ailleurs, nous sommes attachés à ce qu’il existe un bureau d’aide juridictionnelle dans chaque tribunal de grande instance, quand bien même cela peut susciter des difficultés pratiques. Prenons garde à ne pas éloigner de nos concitoyens qui viennent demander l’aide juridictionnelle le lieu où les décisions seront prises.
Enfin, le fait que le bureau d’aide juridictionnelle pourra refuser des mesures qui lui paraîtront ne pas pouvoir être acceptées ouvre une porte à l’arbitraire.
Nous sommes donc vraiment déçus, car nous avions beaucoup travaillé sur ce sujet ; nous aurions vraiment dû être associés à cette réforme. Nous estimons que celle-ci a été faite trop rapidement et qu’elle risque d’entraîner des conséquences très défavorables à un certain nombre de nos concitoyens.
C’est dans cet esprit que notre groupe soutiendra ces amendements de suppression, qui ont au fond le même objet que les trois amendements que nous avions déposés.
Les amendements sont adoptés.
En conséquence, l’article 76 terdecies est supprimé et les amendements n° II-344 rectifié bis, II-772, II-773, II-897 rectifié et II-774 n’ont plus d’objet.
Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Justice ».
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, vendredi 6 décembre 2019, à neuf heures trente, quatorze heures trente et le soir :
Suite du projet de loi de finances pour 2020, adopté par l’Assemblée nationale (texte n° 139, 2019-2020) ;
Mission « Travail et emploi » et articles 79 à 82 ;
Discussion des articles de la seconde partie non rattachés aux crédits.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée à vingt-trois heures trente.