Intervention de Joëlle Garriaud-Maylam

Réunion du 5 décembre 2019 à 14h30
Loi de finances pour 2020 — Compte de concours financiers : avances à l'audiovisuel public

Photo de Joëlle Garriaud-MaylamJoëlle Garriaud-Maylam :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’interviens ici en mon nom propre, mais aussi au nom de mon collègue rapporteur pour avis Raymond Vall.

L’année 2020 ressemble, hélas !, à 2019. Nous restons dans la même logique d’application du programme d’économies imposé aux entreprises du secteur public de l’audiovisuel.

Pourtant, rien ne justifie que les opérateurs de l’audiovisuel extérieur soient taxés parce que les autres le sont. Ce serait en effet nier leurs spécificités et leur importance, dont on se gratifie plus facilement dans les discours que dans les actes.

Chacun s’alarme du regain des luttes d’influence sur les ondes et dans l’espace numérique ; chacun déplore la multiplication des actions de désinformation et de déstabilisation ; chacun s’émeut du développement des médias extérieurs par les États puissances, des restrictions portées à la liberté d’information et du maintien de la propagande des groupes terroristes sur internet et sur les réseaux sociaux ; chacun reconnaît qu’il est essentiel et de bon sens que la France puisse être présente et ne laisse pas à la merci de la propagande de nos adversaires des populations pour lesquelles elle engage, parfois, la vie de ses soldats – nous ne le savons que trop cruellement !

Chacun s’agite, mais personne n’agit ! De cela découle notre agacement, voire notre vraie colère.

Où est donc la cohérence entre les belles paroles au sommet de l’État, dans lesquelles nous nous reconnaissons, et les moyens comptés de nos opérateurs ?

TV5 Monde est confrontée à la même réalité qu’en 2018, quand ses crédits avaient baissé de 1 million d’euros, et qu’en 2019, quand ils avaient perdu 1, 2 million d’euros. Son allocation stagne à 76, 2 millions d’euros, alors que le plan stratégique appelait des financements plus importants. Ses objectifs de transformation numérique et de déploiement en Afrique auront été anticipés, mais ne pourront être entièrement réalisés.

Sa distribution sera réduite de 370 à 364 millions de foyers, avec l’abandon de la diffusion en Grande-Bretagne et en Irlande. En 2020, elle abandonnera le Brésil et l’Europe continentale, soit 32 millions de foyers en moins, ce qui aura une incidence sur son audience et sur ses ressources propres.

Elle aura beaucoup de difficultés à financer la plateforme numérique de fictions francophones, initiée par le Canada, qui met au pot 9, 5 millions d’euros, et à renouveler son outil de production et de diffusion. Ainsi, 12 millions d’euros sur quatre ans sont nécessaires. Il faudra encore restreindre la distribution et couper dans les programmes.

La France est le seul pays à avoir réduit sa contribution depuis la création de TV5 Monde et ne respecte plus ses engagements. Cela ne la place pas dans une bonne situation au moment où un nouveau plan stratégique est en préparation.

Les perspectives de France Médias Monde ne sont pas meilleures, hélas ! Ses crédits baissent de 1 million d’euros, alors qu’elle continue d’afficher de bons résultats d’audience en linéaire comme en numérique.

Elle réalise les objectifs de son contrat : enrichissement des grilles de programme, ouverture d’un service en espagnol, adaptation aux évolutions des modes de diffusion ; elle produit, depuis cette année, un très important programme diffusé sur Radio France internationale (RFI) en langues peule et mandingue, indispensable dans une zone où nos armées sont engagées.

Pour financer les impasses budgétaires, après avoir raclé les fonds de tiroir, elle est toutefois contrainte d’allonger la programmation à l’antenne des grilles d’été, moins coûteuses, mais de moindre qualité, et de rogner sur les coûts de distribution en abandonnant les États-Unis, la Scandinavie et l’Europe centrale, en gelant les passages en haute définition ou en TNT payante en Afrique, en supprimant la diffusion en onde moyenne vers le Moyen-Orient, sur la TNT outre-mer et, peut-être, en Île-de-France en 2020.

Le groupe fonde quelques espoirs sur la participation de l’AFD pour de nouveaux programmes en langue africaine et de l’Union européenne pour des programmes numériques avec Deutsche Welle, mais ces développements ont un coût et cela ne répond que de façon adjacente au besoin de financement du socle des activités.

Nous avions fondé des espoirs, l’année dernière, en imaginant rééquilibrer les allocations de la contribution à l’audiovisuel public, en imaginant que l’on pourrait créer une ligne budgétaire pour financer un certain nombre de programmes, comme le font les Allemands et les Britanniques : la Deutsche Welle reçoit 350 millions d’euros et BBC World, un quart de son budget, soit 430 millions d’euros, du Foreign Office. En vain !

Nous sommes en colère et découragés, car nous avons le sentiment que plus personne au sommet de l’État ne porte cette ambition autrement que par de belles paroles. Cela ne coûte rien, effectivement, mais c’est en train de saper progressivement les capacités de nos opérateurs, comme la confiance générale.

Pourtant, nous continuerons à soutenir cette ambition parce que nous la croyons juste et parce que nous respectons les dirigeants et les personnels de ces médias, qui travaillent avec dévouement, talent et honnêteté, à promouvoir l’image et les valeurs de notre pays hors de ses frontières.

Au-delà pèse évidemment une grande incertitude liée au projet de réforme de l’audiovisuel. Il est prévu dans le projet de loi de faire chapeauter France Télévisions, Radio France et France Médias Monde par une holding chargée de superviser et de coordonner les filiales, mais aussi de répartir le montant de la contribution à l’audiovisuel public qui lui sera désormais attribué, privant au passage le Parlement d’une partie du pouvoir de décision, que, mes chers collègues, nous exerçons ce soir même, ce qui n’est tout de même pas rien.

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