Madame la ministre, mes chers collègues, depuis des années, le ministère de la justice n’a pas les moyens d’exercer convenablement ses missions, mais l’augmentation des moyens de la justice qui se matérialise depuis quelque temps produit lentement ses effets. Dans les tribunaux ou les établissements pénitentiaires, les personnels expriment leurs difficultés, voire leur désarroi, pour exercer leur métier, ce qui n’est d’ailleurs pas sans conséquence sur leur état de santé. En effet, la surpopulation carcérale ou des délais de jugement trop longs contribuent à décourager les agents qui, parfois, ne trouvent plus de sens à leur action.
C’est dans ce contexte de fortes attentes, et quelques mois après la promulgation de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, que s’inscrit ce projet de loi de finances pour 2020 : des attentes s’agissant des moyens, mais aussi en termes de fonctionnement de la justice.
Force est de constater que les crédits qui nous sont proposés aujourd’hui ne sont pas à la hauteur de ces attentes.
Madame la ministre, la commission des finances propose donc de ne pas adopter les crédits du ministère de la justice, considérant que, en dépit des transformations engagées, le Gouvernement s’affranchit des engagements pris devant la représentation nationale au moment du vote de la loi de programmation et de réforme pour la justice.
Avec un budget de 9, 38 milliards d’euros en 2020, le ministère de la justice bénéficierait de 242 millions d’euros supplémentaires par rapport à 2019, soit une hausse de 2, 7 % de ses moyens, à périmètre constant. Mais alors que la loi de programmation votée par le Parlement en février dernier prévoyait une augmentation de crédits de 400 millions d’euros entre 2019 et 2020, le projet de loi de finances propose une hausse près de deux fois inférieure : hors compte d’affectation spéciale « Pensions », les crédits augmentent de 2, 8 %, soit 205 millions d’euros.
Cet écart résulte des crédits immobiliers de l’administration pénitentiaire, ajustés au vu de l’avancement réel des opérations. Je m’interroge donc sur la sincérité de la programmation que nous avons adoptée, puisque le Gouvernement ne pouvait, il y a neuf mois, ignorer ces aléas inhérents à la construction de prisons ni, surtout, l’impossibilité de rattraper par la suite cette révision à la baisse des crédits : l’écart par rapport à la loi de programmation se porterait donc à 115 millions d’euros en 2022.
L’augmentation du budget de la mission est, pour 40 %, consacrée aux dépenses d’investissement, dont la majeure partie concerne l’administration pénitentiaire. Au lieu de construire 15 000 places de prison durant le quinquennat, ce sont 7 000 places qui seront créées d’ici à la fin du quinquennat et la construction des 8 000 autres serait lancée avant 2022. Il est pourtant urgent de garantir un encellulement individuel et des conditions de détention dignes, permettant également aux surveillants d’exercer convenablement leur travail.
S’agissant des recrutements, 300 des 1 000 emplois créés en 2020 au sein de l’administration pénitentiaire permettraient de combler des vacances de postes de surveillants pénitentiaires. Jusqu’à présent, l’administration pénitentiaire rencontrait des difficultés de recrutement, mais aussi de fidélisation des personnels. Gageons que la réforme de l’organisation de la formation des surveillants pénitentiaires portera ses fruits ; la prime de fidélisation prévue par le protocole d’accord signé en janvier 2018 a, quant à elle, bien été mise en œuvre, mais il est encore trop tôt pour en mesurer les effets.
Hors dépenses de personnel, l’augmentation de 3 % des dépenses du ministère de la justice s’explique également par la nécessité de mettre à niveau l’informatique du ministère : le plan de transformation numérique poursuit sa mise en œuvre. Ces investissements sont le signe du rôle crucial que le numérique doit jouer dans la modernisation de la justice. Il devra toutefois en résulter, à terme, la réalisation d’économies.
Il convient également de veiller à ce que la numérisation des procédures et des démarches demeure compatible avec un accès au droit sur l’ensemble du territoire afin qu’à la fracture sociale et territoriale ne s’ajoute pas la fracture numérique : ce n’est pas le chemin que propose l’article 76 terdecies du projet de loi de finances rattaché à la mission « Justice », qui prévoit une dématérialisation des demandes d’aide juridictionnelle combinée à une suppression du bureau d’aide juridictionnelle dans certains tribunaux de grande instance. Nous y reviendrons.
Enfin, je terminerai en évoquant une inquiétude concernant le niveau des dépenses d’intervention de la mission, dont la diminution résulte d’une baisse des moyens consacrés à l’aide juridictionnelle. En effet, la dépense relative à l’aide juridictionnelle diminuerait de 13 millions d’euros entre 2019 et 2020, grâce à une augmentation moins élevée de la dépense tendancielle et à un transfert de 9 millions d’euros du Conseil national des barreaux. Le Gouvernement a toutefois profité de la budgétisation de ressources jusqu’ici affectées au Conseil national des barreaux, d’un montant de 83 millions d’euros, pour diminuer le montant des crédits budgétaires alloués à l’aide juridictionnelle. La dynamique de cette dépense, qui résulte des réformes de 2015 et 2017, demeure en réalité identique.
Dans le contexte de croissance dynamique de l’aide juridictionnelle, une révision de ses modalités de financement paraît indispensable, mais la méthode proposée par l’article 76 terdecies du projet de loi de finances ne nous semble pas être la bonne. Nous en reparlerons tout à l’heure à l’occasion des amendements sur les articles rattachés à la mission « Justice ».
Telles sont, madame la ministre, les observations que je souhaitais faire sur ce projet de budget du ministère de la justice, que la commission des finances propose de rejeter, compte tenu du non-respect des engagements pris au moment du vote de la loi de programmation et de réforme pour la justice.