Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du 5 décembre 2019 à 14h30
Loi de finances pour 2020 — Justice

Nicole Belloubet :

Vous avez également évoqué, monsieur Lefèvre, la question de la numérisation, en souhaitant qu’elle demeure compatible avec un accès physique. Je partage complètement ce point de vue.

Nous souhaitons bien sûr développer les applications numériques ; c’est une demande, une exigence même, en particulier des avocats, des magistrats et des greffiers. Pour autant, nous faisons en sorte que, dans chaque juridiction – je précise de nouveau qu’elles seront toutes conservées –, il y aura un service d’accueil unique du justiciable qui permettra de recevoir physiquement tous les justiciables et de les accompagner dans leurs démarches, qu’il s’agisse de l’aide juridictionnelle ou d’autre chose.

Je rappelle par ailleurs que nous faisons un effort important dans la mise en place des maisons France services : j’ai souhaité la présence, dans chacune d’elles, d’un conciliateur de justice qui pourra apporter à nos concitoyens les éléments nécessaires d’information ou de résolution des litiges.

Vous avez également évoqué la baisse des moyens de l’aide juridictionnelle. Si vous le permettez, je répondrai sur ce point, lorsque nous examinerons les amendements, puisque l’un d’entre eux concerne ce sujet. À ce stade, je vous dirai simplement que les montants que nous inscrivons pour l’année prochaine correspondent en réalité à ceux qui auront été consommés effectivement cette année. En outre, comme vous le savez, une recette supplémentaire de 9 millions d’euros s’ajoutera aux chiffres qui ont été présentés.

Monsieur le rapporteur pour avis Détraigne, vous avez indiqué que vous ne souhaitiez pas apporter votre soutien à ce budget pour trois raisons.

Vous estimez tout d’abord que l’effort réalisé en faveur de la justice judiciaire est insuffisant. J’avoue avoir un peu de mal à comprendre ce point de vue, dans la mesure où le nombre de magistrats et de greffiers ainsi que les investissements en matière immobilière pour la justice judiciaire augmentent. Je rappelle qu’aujourd’hui l’école nationale des greffes fonctionne à plein régime – il y a trois promotions par an ! Nous ne pouvons pas faire davantage. Par conséquent, au regard de l’importance de l’effort que nous fournissons en faveur de la justice judiciaire, je ne peux pas partager votre opinion.

Vous avez par ailleurs évoqué la question de la baisse de l’aide juridictionnelle. J’ai donné à l’instant quelques éléments de réponse et nous en reparlerons plus longuement tout à l’heure.

Vous avez également évoqué la suppression de postes de juges d’instruction. Je reviens sur ce point qui est très important. Nous n’avons pas proposé de supprimer des postes de juges d’instruction, mais de regrouper, dans un souci d’efficacité, des fonctions de juges d’instruction dans des pôles de l’instruction. Croyez-vous vraiment pertinent, monsieur Détraigne, qu’un juge d’instruction gère moins de trente dossiers par an et travaille en tant que juge d’instruction pour une part faible de son temps ? Il ne s’agit pas de mettre en cause la qualité du travail ainsi réalisé, mais de réfléchir de manière globale à la meilleure façon d’organiser l’instruction. Ne pensez-vous pas qu’il est intéressant, dans ces situations, de regrouper fonctionnellement les emplois au sein d’un pôle de l’instruction ?

Je rappelle que le regroupement des fonctions n’entraîne pas la suppression du poste de juge. J’ai dit, et je me suis engagée sur ce point, que le nombre de juges affectés à un tribunal ne diminuera pas du fait du regroupement des fonctions de juge d’instruction.

Madame la sénatrice Costes, je salue par votre intermédiaire le rapporteur pour avis Alain Marc. Je vous remercie d’avoir souligné le chemin parcouru. Vous avez toutefois relevé l’incapacité à respecter la trajectoire budgétaire ; je crois avoir déjà répondu à cette observation.

Vous avez par ailleurs évoqué les questions liées à la protection judiciaire de la jeunesse. Je sais que c’est un sujet auquel vous êtes très attachée et qui vous intéresse beaucoup. Vous avez évoqué la réforme de l’ordonnance de 1945 que j’aurai l’occasion de présenter devant vous prochainement – je me suis également engagée sur ce point, car c’est important, et j’espère que nous pourrons inscrire ce sujet à l’ordre du jour du Parlement durant le premier semestre de 2020.

Vous avez ensuite évoqué plusieurs questions, notamment celle des centres éducatifs fermés. Pour 2020, ces centres représentent 6, 8 % de l’ensemble des coûts, l’hébergement collectif 25 %, les centres éducatifs renforcés 1 % et le placement familial et le placement diversifié 15 %. Vous voyez bien que les centres éducatifs fermés, contrairement à ce qui est parfois dit, ne représentent qu’une partie, et pas la plus importante, des solutions que nous offrons pour la prise en charge des jeunes.

Je rappelle également que, dans les mesures nouvelles pour 2020 – en disant cela, je m’adresse aussi à Mme la sénatrice Assassi qui a mis en avant cette problématique –, les centres éducatifs fermés ne représentent que 2, 47 millions d’euros sur un total de 11, 4 millions d’euros.

Vous avez enfin évoqué la question du traitement pénal des mineurs non accompagnés. C’est un véritable sujet, mais il ne peut pas être traité isolément de la prise en charge globale de ces jeunes. Ce n’est que l’un des aspects de cette question, par ailleurs extrêmement singulière.

Monsieur le sénateur Capus, vous avez vous aussi évoqué la question des juridictions judiciaires et vous estimez que c’est le budget qui augmente le moins. Je crois avoir déjà répondu à cette question. Le budget que je vous propose nous permet de recruter les personnels dont nous avons besoin et de poursuivre la programmation de l’immobilier judiciaire. Je rappelle, vous en avez parlé, que les crédits ont augmenté de 9 % cette année, ce qui nous permet de les stabiliser en 2020 à un niveau globalement comparable.

Vous avez évoqué la question du recrutement des personnels. Nous respectons nos engagements tant pour les magistrats et les personnels de surveillance pénitentiaire que pour les conseillers d’insertion et de probation – 400 postes sont ouverts cette année. Nous aurons ainsi la possibilité de faire face aux besoins.

Monsieur le sénateur Sueur, vous avez comparé le budget de la justice française à celui qui existe dans d’autres pays européens. Plusieurs organismes réalisent, souvent remarquablement, de telles comparaisons – je pense à la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (Cepej) qui dépend du Conseil de l’Europe ou à la Commission européenne elle-même.

Monsieur le sénateur, il n’y a jamais assez d’argent pour la justice – je vous rejoins aisément sur ce point !

Pour autant, les comparaisons doivent être faites avec beaucoup de précision et lues avec autant de distance. Je ne citerai qu’un exemple : les juges prud’homaux ou consulaires existent dans notre pays et tranchent des litiges, mais ils ne sont pas comptabilisés dans les études européennes. Je ne dis pas cela pour me dédouaner, mais ces aspects doivent être pris en compte précisément, si l’on veut comparer les situations de manière sérieuse. Je dis simplement : sachons de quoi nous parlons !

Vous évoquez également des baisses de crédits, mais j’ai l’impression que vous parlez en fait d’autorisations d’engagement. Or il est normal que les autorisations d’engagement baissent, puisqu’elles ont été ouvertes en 2018 et 2019 pour pouvoir lancer l’ensemble des opérations immobilières et les grands projets informatiques dont nous avons besoin. Une fois ces autorisations ouvertes, nous n’avons plus besoin de nouvelles, nous devons inscrire uniquement des crédits de paiement – ce sont eux qui permettent de réaliser effectivement les opérations qui ont été lancées. Il ne faut donc pas confondre autorisations d’engagement et crédits de paiement.

Vous avez ensuite évoqué la question des personnes détenues. Vous dites que leur nombre est en augmentation et que les mesures alternatives ne sont pas suffisantes. C’est vrai, nous sommes dans une situation difficile en termes de surpopulation carcérale.

Toutefois, j’ai quelques espoirs d’amélioration, puisque les tout derniers chiffres montrent une légère baisse du nombre de personnes détenues. Il me semble que ce début de baisse est dû aux mesures décidées dans le cadre de la loi de réforme pour la justice qui, vous le savez, a mis en place, à compter du 1er juin dernier, la libération sous contrainte aux deux tiers de la peine pour les peines de moins de cinq ans. Ces mesures commencent à s’appliquer et le nombre de décisions progresse de manière importante – il me semble qu’il a déjà progressé de 90 %.

L’application de ces mesures commence à se traduire sur le niveau de la population carcérale. J’allais dire que je touche du bois, mais l’expression n’est évidemment pas adaptée. En tout cas, je ne crie pas victoire, mais nous avons engagé une politique de traitement des peines et des parcours de détention extrêmement volontariste et je pense que tout cela devrait conduire à des améliorations dans quelque temps.

Sachez par ailleurs que nous sommes extrêmement volontaristes pour multiplier les peines autonomes autres que l’emprisonnement. Je pense aux travaux d’intérêt général ou au bracelet électronique.

Vous avez aussi évoqué, monsieur Sueur, la spécialisation des tribunaux. Vous estimez que cette spécialisation peut conduire à dépouiller certains tribunaux judiciaires, lorsqu’il y en a plusieurs dans un même département. Je ne suis pas du tout d’accord avec vous. Cette spécialisation est une façon de mieux rendre la justice et elle doit être équilibrée entre tous les tribunaux concernés – c’est ce que prévoit très précisément la loi de réforme que j’ai portée. Je le redis, il ne peut pas y avoir de situation où un tribunal serait dépouillé par un autre et nous devons trouver un équilibre pour spécialiser les magistrats sur quelques contentieux techniques. L’objectif est de mieux rendre la justice, pas de dépouiller quelque territoire que ce soit.

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