Intervention de Bertrand Munch

Commission des affaires économiques — Réunion du 11 décembre 2019 à 9h30
Audition en application de l'article 13 de la constitution de M. Bertrand Munch candidat proposé à la fonction de directeur général de l'office national des forêts

Bertrand Munch, candidat proposé à la fonction de directeur général de l'Office national des forêts :

J'ai effectivement l'honneur de vous soumettre ma candidature à la direction générale de l'Office national des forêts. Cette candidature repose sur une expérience, mais aussi une motivation et elle emporte un projet pour l'établissement.

Je ne suis pas un professionnel de la forêt ; pour autant, les expériences que j'ai connues dans les différents postes qui m'ont été confiés me permettent d'essayer de vous convaincre qu'elles peuvent constituer une base de départ pour répondre aux défis notamment internes qui se posent à l'ONF et assurer son pilotage.

Premier élément : issu du métier préfectoral, je suis convaincu de la dimension et de l'importance des territoires, du travail - et non pas seulement du dialogue - à mener avec les élus et les acteurs locaux. Je suis profondément imprégné de ces nécessités depuis mon entrée dans la fonction publique, ce qui est important dans le contexte de l'ONF.

J'ai commencé en 1985 ma carrière préfectorale au lendemain des lois de décentralisation qui ont changé non seulement le contexte, mais aussi l'état d'esprit sur le terrain. Là aussi, l'ONF doit prendre en considération ces évolutions de fond.

Deuxième élément : l'interministériel. L'ONF est profondément intégré - certains diraient « ballotté » - dans le dialogue interministériel : non seulement Bercy, madame la présidente, mais aussi le ministère de l'agriculture et le ministère de la transition écologique et solidaire. De même, l'ONF, depuis 1964, est traditionnellement à l'écoute des services de la présidence de la République et de Matignon. En tant que directeur financier du ministère de l'intérieur, puis en tant que secrétaire général de la préfecture de Paris, j'ai eu l'occasion de traiter des dossiers requérant de la persévérance pour obtenir des réponses.

La difficulté à équilibrer le budget est une question centrale pour l'établissement public. Dans plusieurs de mes postes, j'ai pu travailler sur les questions d'organisation, de logistique et de modernisation. Comme directeur de l'information légale et administrative, qui est ma responsabilité actuelle, je crois avoir agi en faveur d'une meilleure gestion avec des résultats mesurables. En tout cas, je suis convaincu qu'il n'est pas possible de transposer des recettes toutes faites ou des prescriptions d'économies, d'une structure à une autre ; chacune a sa vie propre et ses logiques propres.

J'ai également assumé la responsabilité des ressources humaines et du dialogue social dans plusieurs postes. Certes, ces organisations étaient plus petites que l'ONF et ses 8 500 fonctionnaires et salariés. J'ai la conviction qu'un projet ne peut pas aboutir « contre » les membres d'une organisation. Au poste que j'occupe aujourd'hui, nous avons vraiment travaillé avec les organisations syndicales, dont la tradition est forte dans la presse parisienne. Je pratique aujourd'hui quotidiennement la mixité - je ne parle pas simplement de coexistence - entre des salariés de droit privé et des fonctionnaires. Cet aspect est important s'agissant de l'ONF.

Enfin, mon parcours est marqué par l'appartenance au service public et cette sensibilité me paraît très importante pour l'avenir de l'Office. Je comprends le service public aujourd'hui comme une formidable exigence de la part des citoyens et en termes d'adaptation. C'est aussi la nécessité de rendre un service meilleur et moins cher - cela s'impose à toutes les structures publiques, qu'elles soient étatiques ou locales.

Ces éléments me permettent de penser que ma candidature est recevable, mais mon ambition n'est pas seulement d'animer un opérateur de l'État : elle est d'abord d'oeuvrer dans et pour la forêt publique. Je ne peux pas prétendre rivaliser avec la passion que les agents de l'ONF manifestent dans le travail quotidien : je souhaite leur dire mon respect pour cette vocation, qui est une chance pour l'Office et pour la forêt. Mon incompétence technique, qui est certaine, sera palliée par les cadres de haut niveau qui animent cette maison. Je signale cependant que ma vie privée fait une bonne place à la forêt, à l'arbre et au bois et je réfute ceux qui mettraient en doute a priori cette profonde motivation. Comment d'ailleurs, sans passion, relever les défis auxquels est confronté l'ONF ?

De ces défis, je vais maintenant vous parler avec une certaine prudence puisque je ne suis pas encore directeur général. Le contexte, les enjeux, les axes d'ores et déjà fixés me paraissent effectivement suffisants pour aborder devant vous les principales thématiques, celles que vous avez citées dans votre propos introductif, madame la présidente.

Un certain nombre d'éléments de cadrage actuels n'existaient pas il y a encore un an : le rapport conjoint des inspections que vous avez évoqué et la communication gouvernementale du 27 juin. Il existe d'autres contributions comme le rapport de Mme Anne-Catherine Loisier, présidente du groupe d'études « forêt et filière bois », le résultat à venir de la mission que le Premier ministre a confiée à la députée Anne-Laure Cattelot et la préparation de la contractualisation 2021-2026 ; sur ce point, les six premiers mois de l'année 2020 seront consacrés à discuter et à formuler le projet de l'Office.

Ce projet s'articule autour de quatre points : le retour à la confiance par le dialogue social ; l'amélioration du modèle économique ; la refonte des relations avec les partenaires et spécialement avec les collectivités forestières ainsi que le rôle que peut jouer l'ONF dans la réponse au changement climatique et aux attentes environnementales.

Ma priorité immédiate sera de restaurer la confiance des agents de l'ONF dans leur avenir et dans celui de l'Office. Leur engagement et leurs compétences sont reconnus par tous, et je serai fier de les rejoindre, si vous ne vous y opposez pas.

La concertation doit être rétablie dans la durée. Jean-Marie Aurand, le directeur général par intérim, et l'équipe de direction ont travaillé en ce sens et restauré les conditions préalables à un dialogue qui était effectivement rompu. Je rejoins les déclarations faites par l'intersyndicale pour dire que le respect mutuel et la clarté sont les conditions d'un travail efficace. Des évolutions fortes sont en cours et la lucidité conduit à les accepter pour travailler à leur mise en oeuvre dans des conditions satisfaisantes pour tous.

Je m'inscris dans l'augmentation du nombre des salariés de droit privé et je constate qu'une évolution à la baisse des effectifs est à nouveau prévue par le projet de loi de finances pour 2020, avec une diminution du plafond d'emploi de 51 postes. Cette évolution est inscrite dans les documents triennaux, sous réserve de vos votes à venir sur les prochains budgets. Pour moi, il est nécessaire de travailler aux garanties à assurer aux fonctionnaires de l'établissement, mais aussi aux ouvriers forestiers, dont le métier évolue considérablement.

Mon second objectif est l'amélioration du modèle économique. Le budget pour 2020 récemment adopté par l'établissement enregistre un déficit de l'ordre de 50 millions d'euros. Le rapport des inspections indique des pistes d'économies internes, comme la rationalisation des fonctions support. Certaines de ces économies impliquent dans un premier temps des efforts en matière d'investissements, notamment l'amélioration et la refonte des systèmes d'information. Mais la maîtrise des coûts n'est pas seulement un sujet interne. Le niveau du compte d'affectation spéciale « CAS Pensions », le niveau des taxes foncières sur le domaine forestier - avec la fin de l'exonération dont bénéficiait l'ONF en Guyane - ont des conséquences financières importantes, qui doivent être traitées dans le cadre du projet de contrat 2021-2026.

Ce modèle économique mérite d'être clarifié. Le Gouvernement a posé le principe de la création d'une filiale pour les activités concurrentielles de travaux et de services. Plus encore que d'autres réformes, cette mesure ne peut être traitée dans une perspective uniquement comptable. L'enjeu est d'abord celui des ressources humaines, mais, là aussi, des voies ont été tracées.

L'expérience a montré par ailleurs que le retour à l'équilibre ne viendra pas principalement d'une augmentation du produit des ventes de bois. La logique profonde de l'ONF, en tant qu'EPIC, est d'exploiter et de vendre le bois dans les meilleures conditions de transparence. Cela vaut pour les forêts domaniales et territoriales. Pour autant, la crise sanitaire actuelle ne fait que renforcer une nécessaire prudence sur les prévisions de recettes.

Enfin, et pour ne les aborder que sous leur aspect financier qui est un peu réducteur, les activités d'intérêt général ne sont pas correctement financées. Je pense, en particulier, à la contrepartie des aménités environnementales.

Ces enjeux internes sont considérables et nécessitent un vrai travail, même si les 8 500 agents de l'ONF agissent sur le terrain, comme on l'a vu ces dernières semaines.

J'en viens aux enjeux externes. Le premier concerne l'amélioration du travail avec les partenaires, en premier lieu les collectivités forestières. Un certain nombre de sujets font l'objet de débats, mais je note que l'État a maintenu le versement compensateur dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020.

La relation avec les collectivités territoriales implique un dialogue quotidien de terrain, qui peut être clarifié. Je pense notamment à la transparence sur les coûts et les produits de l'exploitation du bois dans les forêts communales et territoriales ainsi qu'à la manière d'élaborer les documents d'aménagement.

Le dialogue peut et doit évoluer tant entre la direction de l'ONF et la Fédération nationale des communes forestières qu'entre forestiers et élus. L'immense majorité des collectivités reconnaît l'utilité du régime forestier et l'utilité de l'ONF, qui est le mieux à même de mutualiser les compétences et les moyens. Mais il est indispensable d'intégrer définitivement le fait que les collectivités sont propriétaires de leurs forêts. Le poids des ventes de l'ONF à l'aval de la filière bois - qui représente 440 000 emplois - est à lui seul un motif pour approfondir le travail avec la profession.

Dans un passé récent, des progrès certes limités, mais réels, ont été enregistrés, avec, par exemple, la création par l'ONF de la filiale bois énergie. S'agissant des relations entre l'Office et l'industrie de transformation, je serai prudent, madame la présidente, pour deux raisons : d'une part, je n'ai pas rencontré les professionnels de la filière, n'étant pas directeur général de l'ONF ; d'autre part, la responsabilité première du dialogue avec la filière, de sa structuration, relève en premier lieu des services du ministère de l'agriculture.

Il en va de même pour les relations entre la forêt publique et la forêt privée. Compte tenu de la complexité des sujets à régler s'agissant de la forêt publique, il n'y aura pas de tentation « invasive » vers la forêt privée et, plus précisément, vers les organismes qui la représentent. Pour autant, le travail en commun est indispensable et plus que jamais nécessaire. Vous avez évoqué la gestion par massif et, en tout état de cause, la prise en compte du changement climatique affecte de la même manière les parcelles privées et les parcelles publiques. Qui d'autre que l'ONF, structure nationale, peut apporter les solutions à mettre en oeuvre au regard du changement climatique, la forêt privée étant caractérisée par la multitude des propriétaires ? Là encore, le ministère de l'agriculture a un rôle de coordination à jouer. Je n'énoncerai pas a priori ce que sont les attentes des propriétaires forestiers : c'est à eux de les exprimer. Une intervention volontariste de l'ONF n'est pas nécessairement la solution pour régler les problèmes auxquels sont confrontés aujourd'hui les propriétaires forestiers, souvent de nature diverse.

Ces objectifs de partenariat me semblent non seulement compatibles, mais même plus accessibles qu'avant grâce à la réforme de la gouvernance de l'ONF que l'État a annoncée le 27 juin. Mon premier objectif externe est donc le dialogue avec les partenaires, au premier rang desquels les collectivités forestières. Le second, plus ambitieux, est de renforcer le rôle de l'ONF dans la réponse au changement climatique et aux attentes environnementales.

Ce changement profond est double. Un des facteurs objectifs, c'est le changement climatique, qui bouleverse durablement les conditions de vie de la forêt, publique ou privée.

L'évaluation du risque pour notre forêt et plus encore les réponses techniques et de gestion ne sont pas aujourd'hui stabilisées. L'ONF a déjà travaillé sur ces sujets et peut avoir l'ambition d'être un lieu central de recherche de solutions avec le patrimoine dont il a la responsabilité, mais aussi de mise à disposition de ces solutions au bénéfice de la forêt privée. Je ne vous préciserai pas ce matin les solutions techniques pour la replantation, le choix des essences, les résineux - avec, en particulier les attaques de scolytes contre les épicéas - ou encore la stratégie adéquate pour s'adapter au déplacement des lignes climatiques.

L'ONF a donc un vrai rôle à jouer, nouveau pour lui, mais qui apparaissait déjà en filigrane lorsque les forêts ont été attaquées par les pluies acides. Les défis d'aujourd'hui ont une autre dimension.

Le changement est aussi un changement de société, ne serait-ce qu'en raison de l'évolution de nos concitoyens - riverains des forêts et urbains - dans leur représentation de la forêt, spécialement de la forêt publique. Une ambition pour la forêt est possible, comme elle l'a été pour le littoral ou la montagne. Je crois comprendre que l'intention du chef de l'État et du Gouvernement, dans les mois qui viennent, est de formuler une ambition pour la forêt. Cette ambition ne peut se construire qu'en fonction des attentes actuelles de nos concitoyens. L'ONF s'étant structuré en fonction des attentes des années 1960 et 1970, une adaptation est nécessaire. Cela peut expliquer pour partie la difficulté sur certains points - je pense aux coupes rases - du dialogue entre ceux qui détiennent le savoir technique et ceux qui vivent la forêt par des usages plus ou moins réguliers. Ces changements prennent des dimensions supplémentaires dans nos outre-mer, et pas seulement en Guyane. Au début de mon propos, j'ai évoqué les questions de financement soulevées par ces évolutions.

Sur un autre plan, l'ONF prend toute sa part actuellement à la crise des scolytes. Il est le mieux à même de mobiliser les moyens d'expertise, d'assurer une fonction de conseil et aussi de participer à la régulation du marché par nombre d'actions très concrètes.

Pourquoi la République française mobilise-t-elle 16 millions d'euros tandis que notre voisin allemand mobilise 800 millions d'euros ? Je ne répondrai pas, madame la présidente, à cette question. Cette comparaison doit être faite avec prudence. Ces deux chiffres ont une force symbolique évidente et il est évident que ces 16 millions d'euros ne suffiront pas pour régler les problèmes financiers engendrés par la crise. Cependant, il faut rappeler que nos voisins allemands ont une approche de la forêt différente de la nôtre, qu'il s'agisse de son mode d'exploitation, de sa composition beaucoup plus résineuse ou de la répartition des rôles entre l'État fédéral, les Länder et les autres collectivités. Je souligne également que le bouleversement des conditions d'évolution de nos forêts va au-delà des questions financières.

Pour conclure, je dirai que, pour moi, pour les acteurs et pour nos concitoyens, l'ONF incarne toujours la forêt publique. De ce fait, cette exigence d'adaptation est plus forte que jamais.

Les agents de l'ONF apportent leur passion et leur compétence, et le Gouvernement vient de réaffirmer le principe de l'existence de cet établissement - cela n'allait pas de soi - ainsi que les axes d'une évolution importante. Les attentes des partenaires sont fortes et le changement climatique va bouleverser ce qui apparaît à certains comme un statu quo.

Face à de tels enjeux, je n'affirme que ma volonté de dialogue, l'ambition de la persévérance et ma foi dans l'avenir de la forêt publique.

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