Je rappelle que la liberté de conscience est liée à la liberté d'opinion et qu'elle fait référence à plusieurs normes constitutionnelles qu'il faut avoir à l'esprit : le premier alinéa de l'article 1er de la Constitution ; l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 - « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi » - ; l'alinéa 5 du préambule de la Constitution de 1946 - « Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances » - et l'article 34 de la Constitution, dont l'un des alinéas signifie que la loi fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques. Il revient donc au législateur de garantir l'exercice effectif de ces libertés.
À ces règles constitutionnelles s'ajoute une jurisprudence constitutionnelle depuis la décision du Conseil constitutionnel du 23 novembre 1977 relative à la liberté de conscience des professeurs, qui a été confirmée ensuite à plusieurs reprises : en 1985 tout d'abord, puis à l'occasion de la loi du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception.
Cette jurisprudence signifie que la liberté de conscience ne relève pas seulement du for intérieur, mais inclut aussi le droit d'extérioriser ses convictions et d'y conformer son attitude. Il ne s'agit donc pas seulement d'une liberté personnelle.
De ce point de vue, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) souligne dans son arrêt du 26 mai 2011 que « les États sont tenus d'organiser leurs services de santé de manière à garantir que l'exercice effectif de la liberté de conscience des professionnels de la santé dans un contexte professionnel n'empêche pas les patients d'accéder à des services auxquels ils ont légalement droit ».
Il existe donc un équilibre fondamental entre l'exercice d'une profession, l'accès à un service public, mais aussi la nécessité pour le législateur d'organiser un exercice effectif de la liberté de conscience des professionnels. C'est la raison pour laquelle, dans le projet de loi relatif à la bioéthique, il nous paraît important d'instituer pour cette législation très largement dérogatoire à la loi commune une clause de conscience et un droit de retrait pour les professionnels de santé en cas d'assistance médicale à la procréation (AMP), en cas éventuel de gestation pour autrui (GPA) et en matière de recherche sur l'embryon, en renforçant ce qui est déjà inscrit dans le code de la santé publique.
Nous soutenons également la nécessité de reconnaître une clause de conscience pour les notaires, ou au moins une clause de déport concernant les actes authentifiant les déclarations de volonté des couples avant la naissance.
Nous soutiendrons également, comme nous l'avions fait en 2013 devant le Conseil constitutionnel à l'occasion d'un contentieux de question prioritaire de constitutionnalité (QPC), la même possibilité de déport pour les officiers et agents d'état civil en renvoyant au représentant de l'État dans le département, préfet ou sous-préfet, la désignation d'un autre officier d'état civil pour répondre aux demandes formulées d'enregistrement des actes.
La jurisprudence européenne, comme les résolutions de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, insiste sur le fait que l'État doit lui-même agir expressément, explicitement, pour assurer l'équilibre entre ces prétentions en organisant dans le système de santé ou pour les autres professionnels la possibilité d'exercer leur droit à l'objection de conscience, tout en organisant l'accès aux services publics ou aux prestations prévu par la législation.
Il faut bien comprendre le sens de la demande de reconnaissance de ces différentes clauses de conscience.
Il s'agit d'équilibrer les droits des usagers de différents services publics avec les droits légitimes des professionnels concernés en présence d'une législation intrinsèquement dérogatoire au droit commun. Il s'agit seulement de permettre une forme de déport fondée sur une liberté constitutionnelle - la liberté de conscience -, qui n'est en aucun cas une forme de désobéissance civile.
Le professionnel qui invoque sa liberté de conscience ne s'oppose pas à la loi de la majorité, ne conteste pas la généralité de la loi, mais souligne son désaccord par un mécanisme de retrait, de déport, d'objection, qui est le contraire de la rébellion ou de la désobéissance civique. Ce n'est que si cette clause de conscience n'était pas reconnue que la tentation de la désobéissance à la loi pourrait voir le jour.