Nous poursuivons nos travaux sur le projet de loi relatif à la bioéthique en recevant MM. Guillaume Drago et Geoffroy de Vries de l'Institut Famille et République à la demande de notre collègue rapporteur Mme Muriel Jourda. Ils sont accompagnés de M. Jean Dupont-Cariot.
- Présidence de M. Alain Milon, président -
Merci de nous avoir conviés à la présente audition. L'Institut Famille et République est un cercle d'une centaine de juristes de toutes professions, qui travaille sur des questions relatives au droit de la famille et aux droits de l'homme. Nous intervenons ce jour sur la question de la liberté de conscience.
Notre République est fondée sur des principes constitutionnels dont font partie les libertés fondamentales. L'une de nos libertés les plus fondamentales est la liberté de pensée, ou d'opinion, qui veut que nous soyons tous libres de penser ce que nous voulons de telle ou telle question.
Cette liberté de pensée en crée d'autres : la liberté d'expression de sa pensée, la liberté de manifestation ainsi que la liberté de conscience. La liberté de conscience est la liberté de ne pas être contraint d'agir contre ses convictions intimes et fondamentales.
La liberté de conscience est en quelque sorte la petite soeur de la liberté de pensée. Elle est plus jeune, elle est moins connue, elle est sans doute aussi plus timide. Elle peine, souvent, à s'exprimer. Mais elle a toute sa part dans la grande famille des libertés fondamentales. Elle est reconnue par le Conseil constitutionnel. Elle est prévue par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Elle consiste à pouvoir objecter sa conscience personnelle pour refuser de procéder à un acte la heurtant profondément, sans être passible de sanctions.
Liberté et objection de conscience sont en réalité deux mots servant à signifier le même concept, les deux faces d'une même pièce. Cette liberté de conscience est davantage que la liberté d'opinion, car elle comporte une indéniable approche personnelle d'ordre plus fondamental et intime que la simple opinion. Elle implique un engagement de la personne tout entière, une intime conviction, une adhésion profonde, en son for intérieur, qui peut être de nature philosophique ou religieuse - mais non politique.
Ainsi, en tant que citoyen - y compris notaire, médecin ou officier d'état civil -, on peut, en son for intérieur, persister à être opposé à la déréglementation de la procréation médicalement assistée (PMA) ou à la recherche sur l'embryon, facilitées par le projet de loi, sans être concrètement confronté à un acte de ce type. Nous sommes là dans le cadre de la liberté de pensée ou d'opinion. Mais on peut aussi, in concreto, en tant que notaire ou médecin, être concerné directement par une demande de PMA pour un couple de femmes ou une femme seule sans pouvoir y renoncer légalement ; et donc être confronté à un conflit intérieur.
La liberté personnelle serait abolie si la personne concernée était contrainte d'agir contre sa conscience.
En réalité, il s'agit de concilier deux droits fondamentaux : en matière de PMA, par exemple, le droit à la PMA pour toutes les femmes, pour tous les couples - si le Parlement en décide ainsi - et le droit pour les notaires ou les médecins de pouvoir objecter leur liberté de conscience.
En tout état de cause, la PMA aura bien lieu. La reconnaissance d'une clause de conscience n'aura pas pour effet ou objet d'empêcher sa réalisation. Elle aura simplement pour effet de préserver la liberté du notaire ou du médecin en organisant son déport au profit d'un autre.
En réalité, la clause de conscience est d'inspiration républicaine. Elle ne s'oppose pas à ce que la loi permet, mais elle organise le déport de personnes qui ne peuvent adhérer à l'acte concerné. Elle permet, en somme, l'application de la loi, mais par un autre. C'est le contraire de la rébellion civique ou de la désobéissance civile. La clause de conscience est une garantie du caractère général de la loi.
Le projet de loi relatif à la bioéthique qui vous est soumis apporte des réponses très particulières à des situations très particulières et à des demandes minoritaires telles que l'extension de la PMA aux couples de femmes pour des raisons qui ne sont pas thérapeutiques, et ce en dérogeant aux principes de la filiation et de la médecine ainsi qu'au caractère général et à l'objectif de la loi.
La clause de conscience permet en réalité de rétablir le caractère général de la loi. Petite soeur de la liberté de pensée, la liberté de conscience demande à être reconnue et protégée. La liberté de conscience est à la loi de bioéthique ce que la soupape est à la marmite : un gage de fonctionnement et de sécurité.
Je rappelle que la liberté de conscience est liée à la liberté d'opinion et qu'elle fait référence à plusieurs normes constitutionnelles qu'il faut avoir à l'esprit : le premier alinéa de l'article 1er de la Constitution ; l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 - « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi » - ; l'alinéa 5 du préambule de la Constitution de 1946 - « Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances » - et l'article 34 de la Constitution, dont l'un des alinéas signifie que la loi fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques. Il revient donc au législateur de garantir l'exercice effectif de ces libertés.
À ces règles constitutionnelles s'ajoute une jurisprudence constitutionnelle depuis la décision du Conseil constitutionnel du 23 novembre 1977 relative à la liberté de conscience des professeurs, qui a été confirmée ensuite à plusieurs reprises : en 1985 tout d'abord, puis à l'occasion de la loi du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception.
Cette jurisprudence signifie que la liberté de conscience ne relève pas seulement du for intérieur, mais inclut aussi le droit d'extérioriser ses convictions et d'y conformer son attitude. Il ne s'agit donc pas seulement d'une liberté personnelle.
De ce point de vue, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) souligne dans son arrêt du 26 mai 2011 que « les États sont tenus d'organiser leurs services de santé de manière à garantir que l'exercice effectif de la liberté de conscience des professionnels de la santé dans un contexte professionnel n'empêche pas les patients d'accéder à des services auxquels ils ont légalement droit ».
Il existe donc un équilibre fondamental entre l'exercice d'une profession, l'accès à un service public, mais aussi la nécessité pour le législateur d'organiser un exercice effectif de la liberté de conscience des professionnels. C'est la raison pour laquelle, dans le projet de loi relatif à la bioéthique, il nous paraît important d'instituer pour cette législation très largement dérogatoire à la loi commune une clause de conscience et un droit de retrait pour les professionnels de santé en cas d'assistance médicale à la procréation (AMP), en cas éventuel de gestation pour autrui (GPA) et en matière de recherche sur l'embryon, en renforçant ce qui est déjà inscrit dans le code de la santé publique.
Nous soutenons également la nécessité de reconnaître une clause de conscience pour les notaires, ou au moins une clause de déport concernant les actes authentifiant les déclarations de volonté des couples avant la naissance.
Nous soutiendrons également, comme nous l'avions fait en 2013 devant le Conseil constitutionnel à l'occasion d'un contentieux de question prioritaire de constitutionnalité (QPC), la même possibilité de déport pour les officiers et agents d'état civil en renvoyant au représentant de l'État dans le département, préfet ou sous-préfet, la désignation d'un autre officier d'état civil pour répondre aux demandes formulées d'enregistrement des actes.
La jurisprudence européenne, comme les résolutions de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, insiste sur le fait que l'État doit lui-même agir expressément, explicitement, pour assurer l'équilibre entre ces prétentions en organisant dans le système de santé ou pour les autres professionnels la possibilité d'exercer leur droit à l'objection de conscience, tout en organisant l'accès aux services publics ou aux prestations prévu par la législation.
Il faut bien comprendre le sens de la demande de reconnaissance de ces différentes clauses de conscience.
Il s'agit d'équilibrer les droits des usagers de différents services publics avec les droits légitimes des professionnels concernés en présence d'une législation intrinsèquement dérogatoire au droit commun. Il s'agit seulement de permettre une forme de déport fondée sur une liberté constitutionnelle - la liberté de conscience -, qui n'est en aucun cas une forme de désobéissance civile.
Le professionnel qui invoque sa liberté de conscience ne s'oppose pas à la loi de la majorité, ne conteste pas la généralité de la loi, mais souligne son désaccord par un mécanisme de retrait, de déport, d'objection, qui est le contraire de la rébellion ou de la désobéissance civique. Ce n'est que si cette clause de conscience n'était pas reconnue que la tentation de la désobéissance à la loi pourrait voir le jour.
J'interviens en tant que notaire, en mon nom et au nom des quelques notaires qui m'ont fait part de leur malaise par rapport à ce sujet.
Je vous remercie de bien vouloir entendre les interrogations des notaires face au souhait du législateur de nous confier une nouvelle mission. Si cette mission constitue une marque de confiance à l'égard de notre profession, il est nécessaire d'en mesurer les conséquences.
En effet, le nouvel article 342-10 du code civil prévu ouvre le recours à la PMA aux couples de femmes et aux femmes non mariées. Ainsi, la PMA n'a plus seulement pour objet de pallier une infertilité, mais également de répondre à un projet parental. Pour ce faire, le législateur a envisagé de demander aux notaires de recevoir une déclaration anticipée qui sera faite par des couples de femmes ou des femmes non mariées désirant recourir à une AMP.
Quelles en seront les conséquences pour les notaires ?
Le notaire devra recevoir aux termes d'un acte authentique la volonté de deux femmes de recourir à l'AMP. Or la mission d'authentification d'un acte consiste non seulement à conférer l'authenticité à cet acte, mais également à en assurer l'efficacité.
Comment le notaire peut-il participer à la reconnaissance d'une filiation totalement dérogatoire au droit commun de la filiation ? La Cour de cassation a d'ailleurs rappelé en octobre 2019 que le droit de la filiation est impératif et d'ordre public. Le point important est bien cette reconnaissance conjointe prévue à l'article précédemment cité, qui établit la filiation de l'enfant non encore conçu.
Toutefois, le législateur prévoit dans le même article que le consentement est privé d'effet en cas de décès, d'introduction d'une demande de divorce, de cessation de communauté de vie, mais aussi en cas de révocation du consentement avant la réalisation de l'insémination. Ainsi, la caducité d'un acte authentique peut résulter de la seule volonté de l'une des parties à l'acte.
Par ailleurs, comment le notaire peut-il s'assurer que le consentement de l'un des déclarants n'est pas vicié - élément essentiel d'un acte authentique ? Sachant que l'acte n'indique pas laquelle des femmes accouchera, nous pouvons craindre que ne se produise au moment de l'insémination un désaccord entre elles et que l'une d'elles considère que son consentement a été vicié.
Sur ce point, deux objections s'imposent à nous en tant que notaires. Le notaire ne peut pas participer à l'authentification d'une filiation fictive au point de vue biologique et généalogique, dont l'objet n'est encore qu'à l'état de projet, à savoir celui d'un enfant non encore conçu.
De plus, le notaire ne peut pas authentifier une situation qui n'existe pas dans la réalité et qui n'est que fiction - aujourd'hui encore, un enfant ne peut naître que de la réunion d'un gamète masculin et d'un gamète féminin. A priori, deux femmes ne sauraient donc être mères du même enfant. En outre, n'y a-t-il pas risque que le notaire participe à une marchandisation du corps en établissant ces actes, puisque nous savons déjà qu'il existe une pénurie de gamètes en France ?
Par ailleurs, l'acte authentique fait foi à l'égard des tiers des faits que le notaire y a constatés. Face à l'enfant qui sera né de cette PMA, quelle sera la responsabilité du notaire qui aura reçu un acte authentique ayant pour conséquence de priver cet enfant de la possibilité de faire établir sa filiation paternelle ? Le notaire peut se voir reprocher d'avoir reçu un acte portant préjudice à un tiers. Et nous sommes tout à fait dans ce cas, le tiers étant l'enfant non encore conçu.
En effet, le législateur souhaite interdire toute action aux fins d'établissement ou de contestation de la filiation et prive donc l'enfant, qui serait ainsi reconnu par l'acte authentique, d'un droit fondamental dont jouissent les enfants nés dans d'autres conditions, ce qui crée pour lui une vraie injustice.
Vous comprendrez que cette mission que veut confier le législateur aux notaires crée pour un certain nombre d'entre nous un grand malaise dans l'exercice de leur profession.
Dans ces conditions, et compte tenu du fait que cette loi dérogatoire ne peut être appliquée sans scrupules, voire objections, je vous demande de reconnaître une liberté de conscience pour les notaires qui ne souhaiteraient pas authentifier ce type d'acte. Il pourrait ainsi être prévu, pour permettre l'application de cette loi si elle venait à être adoptée, d'organiser un déport du notaire en saisissant la Chambre des notaires et en demandant la nomination d'un notaire qui accepterait de recevoir cet acte.
C'est cette demande que je formule pour les confrères qui partagent cette interrogation sur la portée de cet acte dans notre exercice en tant qu'officiers publics et ministériels, c'est-à-dire l'exercice d'une liberté de conscience.
Vous avez indiqué que cette liberté de conscience pourrait s'opposer à la mise en oeuvre d'un droit dérogatoire au droit commun. Dans la mesure où l'extension de l'AMP serait intégrée dans le code civil, en quoi s'agit-il d'un droit dérogatoire au droit commun ?
Sachant que la clause de conscience existe déjà, me semble-t-il, pour les professionnels de santé, est-il nécessaire de prévoir une législation spécifique pour qu'elle puisse être opposée ? Pour les notaires, je crois que la question se pose dans les mêmes termes.
Cette législation inscrite dans le code civil conduit à instaurer différents types de filiation et différents systèmes devant coexister. Le droit de la filiation, fondé sur les présomptions qui sont celles qui sont actuellement prévues dans le code civil, prévoira donc des systèmes différenciés.
Il est d'ailleurs tout à fait symptomatique que le projet initial, qui prévoyait un titre VII bis et un système dérogatoire - il souligne ainsi le caractère dérogatoire des dispositions prévues - ait été finalement intégré dans le droit commun via la coexistence de différents systèmes filiatifs. On ne peut donc pas considérer que cette législation est une législation qui proposerait un modèle unique en matière filiative.
À partir du moment où cette distinction est inscrite dans la loi, il conviendrait que les professionnels, qui auront à l'utiliser, aient la possibilité d'invoquer une clause de conscience.
Il n'existe pas de clause de conscience pour les notaires, comme il y en a pour le propriétaire foncier qui ne veut pas que la chasse soit pratiquée sur ses terres, les avocats, les journalistes ou les médecins dans le cas d'une IVG. La liberté de conscience est toutefois un principe fondamental reconnu par les lois de la République, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et la Convention européenne des droits de l'homme. Cependant, en pratique, pour pouvoir l'exercer, si l'on ne veut pas être contraint d'accomplir un acte qui heurte profondément sa conscience intérieure, il faut qu'une clause de conscience soit prévue dans la loi. C'est l'objet de notre discussion.
Vous avez évoqué la clause de conscience dans la recherche pour l'embryon. Pourriez-vous nous préciser votre pensée ?
Cette clause de conscience en matière de recherche sur l'embryon a été introduite, à l'initiative du Sénat, dans le code de la santé publique par la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, dont l'article 53 dispose « qu'aucun chercheur, aucun ingénieur, technicien ou auxiliaire de recherche quel qu'il soit, aucun médecin ou auxiliaire médical n'est tenu de participer à quelque titre que ce soit aux recherches sur des embryons humains ou sur des cellules souches embryonnaires ». Ce dispositif est donc très large, car il vise l'ensemble des professionnels de santé. Nous pourrions nous en inspirer pour définir une clause de conscience générale. Notre proposition n'est donc pas incongrue.
Le code de déontologie médicale comporte aussi une disposition prévoyant que les médecins peuvent refuser des soins pour des raisons professionnelles ou personnelles, hors cas d'urgence. C'est une clause de bon sens qui permet à un médecin de ne pas pratiquer un acte, hors cas d'urgence, s'il ne relève pas de sa spécialité. On ne peut pas demander à un généraliste de s'improviser rhumatologue ! Il ne s'agit donc pas vraiment d'une clause de conscience. La clause de conscience a été inscrite spécifiquement dans la loi de 1975 sur l'interruption volontaire de grossesse. Il ne faut donc pas confondre la clause de conscience et le déport pour des raisons professionnelles : leurs philosophies sont différentes. Le déport du code de déontologie ne serait pas adapté pour les dispositions de la loi de bioéthique que nous évoquons. Pour cela, il faut que la loi comporte une clause de conscience spécifique.
Cette demande de clause de conscience correspond-elle au souhait d'évolution éthique de votre profession ou bien vise-t-elle spécifiquement la PMA pour les couples homosexuels et pour les femmes seules ?
Certains peuvent être, à titre personnel, favorables à la loi, d'autres non, mais, en tant que notaires, notre réflexion est de nature juridique : comment reconnaître une filiation, par un acte authentique, alors que l'enfant n'est pas encore né, qu'il ne s'agit encore que d'un projet ? Il faut aussi évoquer l'inégalité entre un enfant légitime, qui peut effectuer une action en recherche de paternité, et l'enfant conçu dans le cadre d'une PMA qui ne pourra le faire. On peut donc comprendre que certains notaires considèrent qu'ils ne peuvent conférer l'authenticité à un tel acte. Dans ce cas, ils pourront se déporter et un autre notaire le fera.
Notre proposition serait d'introduire une clause de conscience dans l'ordonnance du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels, qui permettrait de ne pas bloquer la démarche : le notaire qui ne souhaiterait pas instrumenter demanderait au président de la chambre départementale ou interdépartementale de l'Ordre des notaires de désigner un autre notaire volontaire pour établir l'acte. Le notaire ne pourrait faire l'objet d'aucune sanction ou mesure discriminatoire dans le cas où son refus d'instrumenter serait fondé sur l'invocation de sa clause de conscience.
Pour les médecins, on pourrait ajouter après l'article L. 2141-12 du code de la santé publique un nouvel article, inspiré de l'article 53 de la loi de bioéthique de 2011.
Les médecins, en vertu du serment d'Hippocrate, ont pour mission première de donner la vie. L'IVG avait un autre but, et c'est pourquoi on a prévu une clause de conscience pour les médecins qui ne souhaitent pas la pratiquer. De la même façon, en 2011 - j'étais rapporteur de la loi au Sénat -, nous avions accordé la clause de conscience aux médecins et aux chercheurs ne souhaitant pas participer à des recherches sur les embryons ou les cellules souches embryonnaires parce que la recherche sur l'embryon entraîne sa destruction. Certains estimaient que cela pouvait être contraire au serment d'Hippocrate ; d'où, la clause de conscience.
Mais les notaires sont des officiers publics. Ils possèdent une délégation d'autorité de l'État pour appliquer la loi. Je comprends mal, dès lors, comment justifier une demande de dérogation pour ne pas appliquer la loi...
Vous dites que la première mission des médecins est de donner la vie. En l'occurrence, la PMA pour les femmes seules ou les couples de femmes n'a pas de visée thérapeutique, et si elle a pour effet de donner la vie, ce ne sera pas de manière naturelle, mais de manière quelque peu construite, pour ne pas dire déconstruite... On peut se demander comment évoluera l'enfant lorsqu'il grandira... Quant aux notaires, même s'ils sont dépositaires d'une mission d'autorité publique, il n'en demeure pas moins qu'ils pourraient être amenés à procéder à des actes qui heurtent profondément leur conscience. Il n'existe nul équivalent, nul cas où l'on soit contraint de faire quelque chose par la loi, si on ne l'a pas accepté dès le départ. Être notaire ne signifie pas accepter tout ce que le législateur peur lui demander de faire par la suite.
Le notaire, en tant qu'officier public, doit exécuter la loi. Le refus d'instrumenter est donc très encadré. Il vise des cas bien spécifiques, comme des actes concernant des fonds dont la provenance est douteuse, etc. C'est justement pour cette raison que nous demandons une clause de conscience. Certains notaires éprouvent un réel malaise au vu de la loi. Il ne s'agit pas de ne pas l'appliquer, car, grâce au déport, un autre notaire sera nommé qui recevra les actes. Les notaires réclament simplement une petite liberté de conscience dans l'exercice de leur profession.
Le Dr Galichon, qui devait faire partie de notre délégation, mais qui a été réquisitionné à cause des grèves, considère que la médecine est un art à visée thérapeutique et non une prestation de service pour répondre à des visées sociétales ou à des désirs personnels. La clause de conscience correspond à la demande d'exercer la médecine conformément à sa vocation professionnelle ou sociale.
Je suis médecin. J'ai bien suivi votre raisonnement sur la liberté de pensée, la liberté de conscience et l'objection de conscience. Sans opposer les juristes aux médecins, je suis un peu surpris que vous mettiez sur le même plan l'objection de conscience pour les médecins et les officiers d'état civil. Je précise que je ne suis pas favorable à ce qu'on appelle couramment la PMA pour toutes, mais pour d'autres raisons que celles que vous invoquez. Je ne crois pas, non plus, qu'il faille interpréter la clause de conscience des médecins prévue dans le code de déontologie, comme vous le faites. Le code de déontologie dit simplement que l'on a le droit de ne pas effectuer un acte médical contre son gré, sans détailler. Je ne vois pas un médecin être assez fou pour effectuer un acte qu'il ne saurait pas réaliser !
J'en reviens à votre proposition : si je vous comprends bien, un officier d'état civil pourrait refuser l'inscription de l'enfant après la naissance ?
Oui.
Je veux aussi, comme Mme Jourda, vous demander en quoi cette loi est dérogatoire au droit commun de la filiation ?
Si je vous comprends bien, la liberté de conscience n'aurait donc pas la même importance selon qu'il s'agit d'un médecin, d'un officier d'état civil ou d'un maire ?
Ce n'est pas une question d'importance. En tant que maire, je vois mal comment je pourrais refuser d'inscrire à l'état civil un enfant pour des raisons éthiques, même si je les partage, bien que pour d'autres motifs !
En tant que maire, vous serez donc conduit à reconnaître la filiation d'un enfant qui aurait deux mères et pas de père...
Ce dont il est question, c'est de retranscrire les actes de filiation, et non de dire que l'enfant existe. Nous affirmons que cela peut heurter certains officiers d'état civil, qui pourraient revendiquer la possibilité de faire jouer une clause de conscience.
Dès lors, que préconisez-vous ? Faudra-t-il envoyer les demandeurs chez le maire de la ville voisine ?
Comme un médecin, un notaire qui ferait jouer la clause de conscience serait remplacé par un collègue volontaire ou désigné par le président de la chambre professionnelle ; de même, le code général des collectivités territoriales prévoit que le préfet peut substituer un officier d'état civil à un autre, qui serait défaillant.
Nous considérons que la filiation issue d'une PMA organisée pour un couple de femmes est dérogatoire au droit commun, tout d'abord parce que le principe général est la filiation biologique : l'enfant est issu d'un homme et d'une femme ; dans son rapport, le Conseil d'État qualifie d'ailleurs la double filiation maternelle de « fiction juridique ». En outre, ce processus apparaît comme dérogatoire au principe même de la médecine, qui est, comme vous l'avez dit, monsieur le Président, de donner la vie. Nous estimons donc que cette loi est dérogatoire au droit commun de la filiation.
Je souhaite faire quelques rappels pour terminer. Tout d'abord, l'acte authentique est appelé, dans ce texte, à établir la filiation d'un enfant qui n'est pas encore conçu. Ensuite, j'insiste sur le fait que cet acte peut être dénoncé par une seule des deux personnes concernées. Enfin, je m'interroge sur la responsabilité vis-à-vis de l'enfant, qui, par cet acte authentique, se voit refuser par avance toute demande de recherche en paternité.
Ces trois éléments constituent pour moi autant de difficultés d'ordre juridique.
Le troisième point pose en effet problème.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 14 h 30.