Intervention de Jean Dupont-Cariot

Commission spéciale sur la bioéthique — Réunion du 10 décembre 2019 à 13h45
Auditions de M. Guillaume Drago président et de Me Geoffroy de Vries délégué général de l'institut famille et république

Jean Dupont-Cariot, membre de l'Institut Famille et République :

J'interviens en tant que notaire, en mon nom et au nom des quelques notaires qui m'ont fait part de leur malaise par rapport à ce sujet.

Je vous remercie de bien vouloir entendre les interrogations des notaires face au souhait du législateur de nous confier une nouvelle mission. Si cette mission constitue une marque de confiance à l'égard de notre profession, il est nécessaire d'en mesurer les conséquences.

En effet, le nouvel article 342-10 du code civil prévu ouvre le recours à la PMA aux couples de femmes et aux femmes non mariées. Ainsi, la PMA n'a plus seulement pour objet de pallier une infertilité, mais également de répondre à un projet parental. Pour ce faire, le législateur a envisagé de demander aux notaires de recevoir une déclaration anticipée qui sera faite par des couples de femmes ou des femmes non mariées désirant recourir à une AMP.

Quelles en seront les conséquences pour les notaires ?

Le notaire devra recevoir aux termes d'un acte authentique la volonté de deux femmes de recourir à l'AMP. Or la mission d'authentification d'un acte consiste non seulement à conférer l'authenticité à cet acte, mais également à en assurer l'efficacité.

Comment le notaire peut-il participer à la reconnaissance d'une filiation totalement dérogatoire au droit commun de la filiation ? La Cour de cassation a d'ailleurs rappelé en octobre 2019 que le droit de la filiation est impératif et d'ordre public. Le point important est bien cette reconnaissance conjointe prévue à l'article précédemment cité, qui établit la filiation de l'enfant non encore conçu.

Toutefois, le législateur prévoit dans le même article que le consentement est privé d'effet en cas de décès, d'introduction d'une demande de divorce, de cessation de communauté de vie, mais aussi en cas de révocation du consentement avant la réalisation de l'insémination. Ainsi, la caducité d'un acte authentique peut résulter de la seule volonté de l'une des parties à l'acte.

Par ailleurs, comment le notaire peut-il s'assurer que le consentement de l'un des déclarants n'est pas vicié - élément essentiel d'un acte authentique ? Sachant que l'acte n'indique pas laquelle des femmes accouchera, nous pouvons craindre que ne se produise au moment de l'insémination un désaccord entre elles et que l'une d'elles considère que son consentement a été vicié.

Sur ce point, deux objections s'imposent à nous en tant que notaires. Le notaire ne peut pas participer à l'authentification d'une filiation fictive au point de vue biologique et généalogique, dont l'objet n'est encore qu'à l'état de projet, à savoir celui d'un enfant non encore conçu.

De plus, le notaire ne peut pas authentifier une situation qui n'existe pas dans la réalité et qui n'est que fiction - aujourd'hui encore, un enfant ne peut naître que de la réunion d'un gamète masculin et d'un gamète féminin. A priori, deux femmes ne sauraient donc être mères du même enfant. En outre, n'y a-t-il pas risque que le notaire participe à une marchandisation du corps en établissant ces actes, puisque nous savons déjà qu'il existe une pénurie de gamètes en France ?

Par ailleurs, l'acte authentique fait foi à l'égard des tiers des faits que le notaire y a constatés. Face à l'enfant qui sera né de cette PMA, quelle sera la responsabilité du notaire qui aura reçu un acte authentique ayant pour conséquence de priver cet enfant de la possibilité de faire établir sa filiation paternelle ? Le notaire peut se voir reprocher d'avoir reçu un acte portant préjudice à un tiers. Et nous sommes tout à fait dans ce cas, le tiers étant l'enfant non encore conçu.

En effet, le législateur souhaite interdire toute action aux fins d'établissement ou de contestation de la filiation et prive donc l'enfant, qui serait ainsi reconnu par l'acte authentique, d'un droit fondamental dont jouissent les enfants nés dans d'autres conditions, ce qui crée pour lui une vraie injustice.

Vous comprendrez que cette mission que veut confier le législateur aux notaires crée pour un certain nombre d'entre nous un grand malaise dans l'exercice de leur profession.

Dans ces conditions, et compte tenu du fait que cette loi dérogatoire ne peut être appliquée sans scrupules, voire objections, je vous demande de reconnaître une liberté de conscience pour les notaires qui ne souhaiteraient pas authentifier ce type d'acte. Il pourrait ainsi être prévu, pour permettre l'application de cette loi si elle venait à être adoptée, d'organiser un déport du notaire en saisissant la Chambre des notaires et en demandant la nomination d'un notaire qui accepterait de recevoir cet acte.

C'est cette demande que je formule pour les confrères qui partagent cette interrogation sur la portée de cet acte dans notre exercice en tant qu'officiers publics et ministériels, c'est-à-dire l'exercice d'une liberté de conscience.

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