Nous sommes saisis d'un projet de loi et d'un projet de loi organique qui abordent deux sujets : le mandat des membres de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) et le contrôle, par les commissions parlementaires, des nominations du Président de la République.
Le Gouvernement présente ces textes comme un travail d'actualisation, voire de coordination, mais le diable se cache dans les détails et certaines maladresses devront être corrigées.
Le premier point pose peu de difficultés : le Gouvernement souhaite prolonger le mandat de six membres de la HADOPI pour une durée d'un an ou six mois. En effet, il ne souhaite pas nommer de nouveaux membres alors que la Haute autorité devrait fusionner avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) au 25 janvier 2021. Le Gouvernement souhaite également que l'actuel président de la HADOPI continue son travail de préfiguration pour bien préparer cette fusion. J'ai consulté de manière informelle Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, qui n'y voit pas d'opposition.
Créée par la révision constitutionnelle de 2008, la procédure prévue au cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution permet au Parlement de s'opposer à une nomination par le Président de la République lorsque l'addition des votes négatifs dans les commissions compétentes représente, au total, au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés. Cette procédure concerne aujourd'hui 54 emplois qui présentent une importance particulière pour les droits et libertés ou pour la vie économique et sociale de la Nation.
Comme l'avait souligné en son temps notre ancien président Jean-Jacques Hyest, cette procédure permet d'écarter des candidatures de complaisance et de renforcer la transparence des nominations, notamment grâce à l'audition des candidats pressentis.
Depuis 2011, le Parlement s'est exprimé à 109 reprises sur des nominations envisagées par le Président de la République. Il n'a jamais mis en oeuvre son pouvoir de veto, ce qui a d'ailleurs conduit le groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle à proposer une modification des règles de blocage. À cinq reprises, l'une des commissions compétentes a toutefois formulé un avis négatif, marquant son désaccord sur le projet de nomination.
Avec ces deux projets de loi, le Gouvernement propose d'actualiser la liste des nominations soumises à l'avis préalable des commissions parlementaires.
Certaines dispositions ne soulèvent aucune difficulté, notamment pour changer le nom de l'Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) devenue l'Autorité nationale des jeux, ou celui de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) devenue l'Autorité de régulation des transports (ART). Je vous proposerai de poursuivre cet effort de coordination, notamment en actualisant le nom de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP).
Le Gouvernement propose également de supprimer le poste de président-directeur général de la Française des jeux (FDJ) de la liste des emplois du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution. Nous gardons tous en mémoire l'opposition qu'avait exprimée le Sénat sur le projet de privatisation de cette société. Il s'agit toutefois, en l'espèce, de tirer les conséquences juridiques de ce processus. Depuis novembre dernier, le capital de la FDJ appartient en majorité au secteur privé ; son président-directeur général ne peut donc plus être nommé par le Président de la République.
Derrière ces aspects techniques, les textes du Gouvernement soulèvent des problèmes de méthode et de fond, qui dépassent le simple exercice de toilettage.
Sur le plan de la méthode, nous sommes invités à tirer les conséquences de trois ordonnances qui n'ont pas encore été ratifiées, sur des sujets aussi importants que la police des jeux ou l'organisation du réseau de transport. Alors qu'elle réorganise entièrement la SNCF, l'ordonnance du 3 juin 2019 n'a toujours pas été ratifiée, plus de six mois après sa publication. Interrogé à ce sujet, le Gouvernement n'envisage aucun calendrier de ratification, ce qui me semble contraire à l'esprit de l'article 38 de la Constitution.
Sur le fond, les textes du Gouvernement conduiraient à un recul, même léger, du contrôle parlementaire sur les nominations aux emplois publics. Au total, 51 emplois resteraient soumis à l'avis préalable des commissions compétentes, contre 54 aujourd'hui. Cette évolution irait à rebours des efforts fournis depuis 2009 pour renforcer cette procédure de contrôle et élargir son périmètre.
Ce recul concernerait tout particulièrement les dirigeants de la SNCF. Je remercie d'ailleurs la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et son rapporteur, Didier Mandelli, de s'être saisis aussi rapidement de ce dossier. Un seul dirigeant de la SNCF, le directeur général de la société mère, serait soumis à l'article 13 de la Constitution, contre trois dirigeants aujourd'hui. Le Parlement perdrait tout droit de regard sur la gouvernance du gestionnaire de l'infrastructure ferroviaire, SNCF Réseau. Ce serait une première depuis la création de notre procédure de contrôle en 2010 !
Ce recul paraît d'autant plus malvenu dans un contexte d'ouverture à la concurrence du secteur ferroviaire. SNCF Réseau doit, au contraire, bénéficier de garanties suffisantes d'indépendance pour éviter toute discrimination entre les entreprises de transport, dont SNCF Voyageurs. Lors de son audition, le président de l'Autorité de régulation des transports a d'ailleurs confirmé que l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution permettrait d'accroître l'indépendance et la légitimité des dirigeants de SNCF Réseau. La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable fera des propositions en ce sens et je lui apporterai mon soutien, sans aucune réserve.
Je vous proposerai d'ajouter le président de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) à la liste des emplois et fonctions pour lesquels le pouvoir de nomination du Président de la République s'exerce après avis des commissions parlementaires. Je remercie d'ailleurs Jean-Yves Leconte, qui a déposé un amendement identique. Le Sénat avait déjà adopté une telle disposition en 2017, à l'initiative de notre ancien collège Jacques Mézard. Elle me semble encore plus légitime aujourd'hui.
La CADA joue, en effet, un rôle essentiel dans la garantie, donnée à chaque citoyen, d'accéder aux documents administratifs. La loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique a même étendu ses missions, qui couvrent désormais la publication en open data des documents administratifs et la réutilisation d'informations publiques.
Aujourd'hui, la CADA rencontre d'importantes difficultés pour faire face au volume et à la complexité des demandes qu'elle reçoit. En 2018, elle a été saisie de 5 867 demandes d'avis. En moyenne, chaque dossier a été traité en 128 jours, alors que la loi prévoit un délai théorique de 30 jours. Le stock d'affaires s'élève à 1 800 dossiers, ce qui correspond à environ quatre mois d'activité pour la commission. De l'aveu même de son président, la CADA ne peut pas continuer ainsi... Je vous propose, mes chers collègues, d'interpeller le Gouvernement en séance sur ce sujet majeur et de l'interroger sur les réponses qu'il compte apporter.
Enfin, je soutiendrai l'initiative de Jean-Yves Leconte, qui souhaite ajouter le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) à la liste des emplois concernés par cette procédure de contrôle.