Le problème auquel la proposition de loi souhaite s'attaquer est réel. Mais apporte-t-elle une bonne ou une mauvaise réponse à cette bonne question, qui est comment lutter contre les contenus haineux ?
La proposition du rapporteur de rééquilibrer et de sécuriser le texte me semble pertinente, et je la partage. Une partie du texte, de l'article 2 à la fin de l'article 6, ne me paraît pas soulever de débat. Il en va bien autrement pour l'article 1er...
L'approche par la régulation ne pose pas, à mon sens, de difficulté. Il s'agit en partie d'une nouveauté dans le domaine du numérique, qui s'inscrit dans le prolongement des réflexions et initiatives nées après la rencontre entre le Président de la République et le président-directeur général de Facebook. Les propositions présentées sont intéressantes et mènent à des solutions crédibles. L'idée est de regarder la façon dont les plateformes s'organisent et les moyens qu'elles mobilisent pour mettre en oeuvre le contrôle des contenus haineux. Ce sont des sujets très concrets : nombre de modérateurs, modalités de leur formation et de leur qualification, mode de financement, etc. Au-delà des grands principes, il est effectivement nécessaire de « mettre les mains dans le cambouis ». Et le régulateur aura la possibilité de contrôler et de s'assurer de la mise en oeuvre cette obligation de moyens. Il s'agit là d'une véritable avancée positive, sur un sujet insoluble depuis plusieurs années, et douloureux pour de nombreuses victimes de propos inacceptables sur internet.
Reste le dispositif d'obligation de résultat prévu à l'article 1er, qu'accompagne une forte dimension pénale. J'y suis pour ma part extrêmement défavorable. L'article 1er pose un problème majeur quant aux principes de légalité des peines et de proportionnalité des sanctions. Si ce texte poursuivait sa route, l'article 1er ferait d'ailleurs l'objet d'un tel nombre de réserves neutralisantes de la part du Conseil constitutionnel qu'il serait probablement difficilement opérationnel.
Un problème de conventionalité se pose également, au regard du droit de l'Union européenne. L'auteure de la proposition considère qu'il est possible de faire jouer des dérogations à la directive « e-commerce » en vertu d'une atteinte à la dignité de la personne humaine. Mais il faudrait pour cela que la dérogation soit ciblée et proportionnée.
À mes yeux, le dispositif pénal de l'article 1er ne répond pas au principe de légalité des peines, n'est pas suffisamment ciblé quant au principe de proportionnalité - du fait de l'ampleur des sanctions proposées - et viole le droit européen.
Je regrette aussi que ce texte soit examiné en procédure accélérée. Sur ce type de sujet, c'est une erreur, d'autant qu'une solution plus satisfaisante pourrait être trouvée pour l'article 1er en laissant se poursuivre la navette entre l'Assemblée et le Sénat.
C'est enfin un sujet évolutif. Des propositions de la Présidente de la commission, Ursula von der Leyen, prévoient ainsi la réforme de la directive « e-commerce ». À cette occasion, ce point méritera de faire l'objet d'un suivi particulier.