Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les crédits de la mission « Travail et emploi » se stabilisent en 2020, certes, mais cette stabilisation fait suite à deux années de très importante baisse. Depuis 2017, ces crédits ont en effet connu une diminution de près de 25 %.
L’amélioration apparente du taux de chômage ne saurait justifier une telle cure d’austérité pour le ministère du travail. Car les statistiques sont à prendre avec précaution. Force est de constater que certaines catégories d’actifs restent très éloignées de l’emploi.
Je rappellerai quelques chiffres : le taux de chômage des jeunes s’établit à 19, 2 % en 2019, soit 0, 6 point de plus qu’un an plus tôt. Le taux de chômage des travailleurs handicapés s’élève également à 19 %.
Ces évolutions s’inscrivent également dans un contexte d’augmentation constante des emplois précaires, qui est une tendance de fond du paysage social français liée aux politiques de flexibilisation du marché du travail. Là encore, les chiffres sont formels : les contrats à durée déterminée (CDD) représentent aujourd’hui près de 84 % des créations d’emploi pour les entreprises de plus de 50 salariés ; la part des CDD de moins d’un mois est passée de 57 % en 1998 à 83 % en 2017.
La traduction la plus regrettable de ces orientations budgétaires est la baisse constante des effectifs du ministère du travail. Les emplois sous plafond ont diminué de près de 10 % depuis 2017, alors même que la situation de l’emploi, comme je viens de le démontrer, nécessite plus que jamais un renforcement de l’accompagnement et des moyens humains.
« Action publique 2022 » et « organisation territoriale de l’État » sont les autres noms de l’affaiblissement de la présence du ministère du travail sur le territoire.
La hausse des effectifs de Pôle emploi cette année est louable en soi, mais celle-ci ne compense pas les réductions d’effectifs de ces deux dernières années. L’on ne saurait de surcroît attribuer le mérite de cette hausse au Gouvernement, car nous constatons cette année une nouvelle diminution, à hauteur de près de 10 %, de la subvention pour charges de service public de Pôle emploi. La hausse du nombre d’emplois à Pôle emploi est financée par une augmentation de 1 point de la contribution de l’Unédic, ainsi portée à 11 % de ses ressources.
L’État, qui a par ailleurs imposé une réforme de l’assurance chômage restreignant considérablement les droits des demandeurs d’emploi dans le seul but de générer 4, 5 milliards d’euros d’économies, fait ainsi supporter aux chômeurs eux-mêmes le coût du service public de l’emploi.
C’est dans ce financement du service public de l’emploi et non dans une prétendue générosité excessive du système d’assurance chômage qu’il faut chercher la cause de la dette de l’Unédic.
On peut également souligner la baisse très importante – ils ont presque été divisés par cinq – des moyens consacrés aux contrats aidés sur les dernières années. Cela a notamment un impact fort sur le tissu associatif, où ces personnes accomplissaient des missions diverses et très utiles socialement.
J’aimerais revenir maintenant sur l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée ».
Je rappelle son fonctionnement : dans dix territoires pilotes, des entreprises à but d’emploi (EBE) ont pour charge de recruter en contrat à durée indéterminée (CDI) à temps choisi tous les demandeurs d’emploi volontaires du territoire au chômage depuis plus d’un an. Les entreprises doivent, dans ce cadre, développer des activités économiques non concurrentes de celles qui sont déjà présentes sur le territoire. Depuis le lancement de l’expérimentation, un emploi a ainsi été trouvé à 900 personnes qui en étaient privées durablement.
Le dispositif devait démontrer que son coût ne dépasserait pas la dépense directe et indirecte de la collectivité liée à la prise en charge du chômage de longue durée. S’il est un peu tôt pour évaluer avec précision le gain ainsi généré pour les finances publiques, les premières évaluations parviennent à un montant de près de 14 000 euros par ETP.
Surtout, d’un point de vue plus qualitatif, le fait d’inclure dans l’emploi des chômeurs de longue durée non par des contrats précaires ou aidés, mais bien par des CDI, génère une dynamique très positive pour leur parcours de vie comme pour leur territoire. Le tissu associatif se trouve renforcé, de même que l’économie locale, qui bénéficie de leur pouvoir d’achat accru.
Dans un souci de transition écologique, les EBE favorisent également le développement d’une économie circulaire dans ces territoires, grâce à des activités diverses comme le recyclage ou le maraîchage.
L’heure est à l’accélération du calendrier législatif. Le dernier rapport du comité scientifique d’évaluation confirme qu’une extension de l’expérimentation est désormais envisageable. Une centaine de territoires y sont prêts.
Madame la ministre, vous pourrez peut-être nous éclairer sur le calendrier que vous pensez adéquat pour faire en sorte d’étendre cette expérimentation réussie dans nos territoires, puisque certains y sont prêts.
Pour conclure, ce budget ne me semble répondre ni aux attentes ni aux besoins de nos concitoyens les plus en difficulté, de ceux qui sont les plus éloignés du marché du travail, ou de ceux qui sont contraints d’enchaîner les emplois précaires et les périodes de chômage.
La très importante baisse des moyens du ministère du travail et de ses opérateurs est en net décalage avec les ambitions affichées en matière d’inclusion.
Aussi, bien que la commission des finances, comme l’a indiqué Emmanuel Capus, appelle à voter les crédits de cette mission, à titre personnel, je vous invite à les rejeter. Si vous décidiez de les voter, je vous inviterais cependant à voter les deux amendements que j’ai cosignés avec Emmanuel Capus, en particulier celui qui vise à augmenter les moyens des maisons de l’emploi, qui nous semblent à tous les deux des outils extrêmement utiles pour les territoires qui en disposent encore, au service des politiques locales pour l’emploi et des personnes les plus éloignées de l’emploi.