Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, alertée par des élus locaux du Nord de l’explosion du phénomène de consommation détournée du protoxyde d’azote chez les jeunes, j’ai pu constater l’ampleur de la consommation de ce gaz hilarant dans l’espace public et l’importance de la diffusion de ce produit. À l’évocation d’un « gaz hilarant », on pourrait imaginer un sujet léger, mais il n’en est rien !
L’usage par inhalation du protoxyde d’azote, connu depuis longtemps, est en augmentation significative chez les jeunes. Utilisé dans le champ médical pour ses propriétés anesthésiques et analgésiques, le protoxyde d’azote est aussi employé comme gaz de pressurisation pour les siphons à crème chantilly. Le protoxyde d’azote fait malheureusement aussi l’objet d’usages détournés en raison de son effet euphorisant.
Le protoxyde d’azote est devenu le troisième produit psychoactif le plus consommé chez les jeunes. Son inhalation s’est largement banalisée et devient pour de nombreux jeunes, notamment mineurs, une première expérience de consommation addictive, avec – on ne le sait que trop peu – des conséquences désastreuses pour la santé, selon les quantités et la fréquence de sa consommation.
Voilà un an, le rapport de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies relevait une évolution de l’usage et de la consommation du protoxyde d’azote, avec son irruption dans l’espace public. Alors qu’il était réservé jusqu’alors aux milieux festifs alternatifs, tels que les teknivals, nous assistons depuis deux ans à une banalisation de la consommation de ce produit : de nombreuses petites cartouches grises contenant le gaz sont retrouvées, de façon continuelle et en quantité importante, dans l’espace public de nombreux territoires. Dans nombre de villes du Nord, le sol des espaces publics est aujourd’hui jonché de ces cartouches grises. Si la région des Hauts-de-France est particulièrement touchée par ce phénomène, d’autres régions ne sont désormais plus épargnées.
Nouvelle drogue à la mode, ce gaz fait fureur chez les jeunes majeurs, mais aussi chez les mineurs adolescents – collégiens comme lycéens –, et on constate une véritable addiction à son effet euphorisant. Accessible librement pour son usage domestique, il est vendu dans les commerces de proximité, épiceries, supermarchés, certains bars qui mettent en avant ces cartouches comme des produits d’appel ou sur internet, sans aucune restriction, et à un coût relativement modique – entre 30 centimes et 1 euro la cartouche. On en trouve aussi dans les établissements de type discothèques, bars de nuit, qui vendent à côté des alcools, des ballons de protoxyde à des prix constatés entre 3 et 5 euros le ballon.
En l’état actuel de notre droit, nous sommes donc face à un phénomène de consommation d’ampleur d’un produit psychoactif, loin d’être anodin, et face à un phénomène d’addiction facilité par une commercialisation ordinaire du produit, sans pouvoir ni agir, ni protéger les mineurs de ces comportements à risques, ni prévenir les problèmes sanitaires.
Cela nous renseigne sur plusieurs points.
Tout d’abord, le caractère récréatif du produit le consacre auprès des consommateurs jeunes comme un produit non dangereux, ce que renforce l’absence de visuel ou de pictogramme sur l’emballage, alors que cela permettrait de caractériser sa dangerosité.
Ensuite, la banalisation même de ce produit auprès d’un public jeune est en cours, puisqu’aujourd’hui des cartouches sont retrouvées aux abords des collèges et lycées et qu’un business avec commerce de revente s’organise parfois.
Après avoir discuté avec Frédéric Marchand de la proposition de loi que j’envisageais de déposer, j’ai décidé de la faire circuler d’abord auprès de tous nos collègues du Nord, puis, plus largement, sur toutes les travées. Aujourd’hui, ce texte compte plus de quatre-vingt-dix cosignataires, car, s’il est un problème transpartisan, c’est bien celui-là !
Par souci de clarté du message juridique, nous avons estimé qu’il fallait que la prévention puisse se faire autant en amont, c’est-à-dire au stade de la vente, qu’en aval. Il nous a semblé important que l’incitation à la consommation soit considérée comme répréhensible, notamment pour répondre au contournement de l’acte d’achat, au business de la revente ou encore au marché qui se développe, associant ballons de baudruche et contenants plus importants de protoxyde d’azote. Pour rendre opérant ce texte, la commission a maintenu le principe de ce double filtre en proposant d’utiles aménagements.
Par ailleurs, nous avons estimé que, pour contrer l’image festive du protoxyde d’azote, la réglementation en matière d’affichage sur le contenant devait évoluer et que la prévention devait être exercée auprès des populations jeunes pour leur exposer les conséquences sanitaires de l’inhalation de ces produits. Je retrouve avec le texte de la commission l’esprit qui était le nôtre lors de l’écriture de la proposition de loi.
Vous vous en souvenez, sans doute, monsieur le secrétaire d’État, le 5 février dernier, lors de la séance de questions d’actualité, je vous ai interrogé pour connaître la position du Gouvernement sur l’émergence de cette nouvelle pratique à la mode chez les jeunes. Vous m’avez répondu que le mieux était de communiquer sur les risques pour la santé des usages détournés de certains produits et que, selon vous, les actions les plus pertinentes relevaient de la prévention. Je serai heureuse, au regard des éléments qui vous seront présentés aujourd’hui et des cas médicaux de plus en plus documentés, que le Gouvernement fasse progresser sa réflexion sur ce sujet, comme nous l’avons nous-mêmes fait.
Si nous partageons bien évidemment l’idée d’accorder la priorité à la prévention, ce seul axe ne peut néanmoins pas être l’unique moyen de l’action publique, au risque d’acter notre impuissance en tant que législateur à protéger les populations les plus vulnérables, à réellement donner un signal politique et à compléter les outils à dispositions des acteurs de terrain, élus comme professionnels, pour essayer de lutter contre ce phénomène.
Pourquoi légiférer ?
Il faut légiférer, parce qu’il s’agit d’un problème qui fait irruption dans l’espace public. Des cartouches grises en nombre jonchant le sol ont alerté les maires. Les médecins, qui ont découvert le phénomène, l’ont rapidement identifié et s’en sont inquiétés, considérant qu’il ne s’agissait que l’aspect visible de la consommation réelle.
Il s’agit d’un phénomène massif. En trois mois, plus de 300 kilogrammes de cartouches vides ont été ramassés dans une commune périphérique de la métropole de Lille. Par ailleurs, 23 communes dans le Nord, 44 en France, ont d’ores et déjà adopté des arrêtés municipaux, qui sont un début de réponse, mais chacun sait qu’ils sont insatisfaisants s’ils ne s’appuient pas sur une base juridique qui seule les rend efficients.
Il faut légiférer, parce que c’est devenu un problème de santé publique. Les médecins sont clairs sur ce point : les dangers de l’inhalation du protoxyde d’azote sont bien réels, qu’ils soient immédiats ou à plus long terme en cas d’utilisation régulière. Le protoxyde d’azote n’étant pas métabolisé par l’organisme, ses utilisateurs se sentent souvent parfaitement normaux dans les deux minutes suivant l’inhalation, ce qui les conduit à poursuivre leur consommation.
La dimension addictive du protoxyde d’azote dans son usage détourné ne fait aucun doute. De plus, brûlures par le froid du gaz libéré, détresse respiratoire, asphyxie, vertiges, maux de tête, vision floue, malaises, crise de panique, problèmes cardiaques peuvent survenir. En outre, la consommation excessive de ce produit a des effets graves sur la santé, qu’ils soient psychiques, neurologiques ou encore liés à un déficit en vitamine B12, à l’origine d’une sclérose de la moelle épinière pouvant être irréversible.
Depuis 2001, on relève 36 décès en Grande-Bretagne et 2 cas de décès par arrêt cardiaque sont déjà connus en France.
Depuis le début de l’année, 25 signalements d’effets sanitaires ont été notifiés, dont 10 cas d’atteintes neurologiques graves, 8 dans les Hauts-de-France, selon les chiffres de la direction générale de la santé.
Ainsi, selon les mots du directeur général de la santé, « les éléments suffisent pour considérer qu’il s’agit d’un problème sanitaire ».
En quinze jours, 6 nouveaux cas supplémentaires ont été transmis au centre d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance (CEIP) de Lille, parce que le sujet commence à être médicalement documenté.
Dans son usage médical, s’il est aujourd’hui autorisé, le mélange équimolaire oxygène-protoxyde d’azote (Méopa) est un produit dangereux, puisqu’il est inscrit sur la liste 1 des stupéfiants. Paradoxalement, alors qu’il est plus concentré dans son usage domestique, ce produit ne fait l’objet d’aucune interdiction ou classification particulière. Monsieur le secrétaire d’État, nous comptons sur le travail du ministère en matière de réglementation pour rapidement élargir cette classification aux autres contenants, du fait de leur usage détourné. C’est aujourd’hui une urgence. Les Pays-Bas viennent de se livrer à cet exercice.
Monsieur le secrétaire d’État, ce texte est une première amorce pour mettre en place un arsenal législatif, car, comme vous, nous nous interrogeons beaucoup sur la nécessité d’une interdiction plus large. Il faut que celle-ci soit juridiquement solide.
La navette parlementaire doit être l’occasion d’engager les échanges avec l’Union européenne afin d’affiner la rédaction juridique des dispositions qui permettront de faire évoluer la réglementation, considérant le protoxyde d’azote comme un produit dangereux, comme c’est le cas pour son usage médical.
Je tiens à remercier tout particulièrement la rapporteure, Jocelyne Guidez, qui a su s’emparer de ce texte, venir sur le terrain, comprendre les enjeux nationaux de cette problématique et proposer des évolutions tout à fait pertinentes en commission. Je remercie également ceux de mes collègues qui y ont contribué par leurs amendements. Je remercie enfin chaleureusement mes collègues du Nord et tous ceux qui ont cosigné cette proposition de loi.
Monsieur le secrétaire d’État, je compte sur vous et sur Mme Buzyn pour faire en sorte que cette proposition de loi, au terme de la navette parlementaire, connaisse une issue favorable. Cela constituerait un bel exemple de coproduction législative et de réponse à un problème venant du terrain, dont l’intérêt pour la santé de nos jeunes concitoyens, mineurs comme majeurs, n’est plus à démontrer.
Après la discussion générale, je défendrai un amendement, dont je sais qu’il fait débat, mais dont je pense qu’il permet de donner un signal politique fort. Cette disposition pourra être améliorée au cours de la navette, mais il est indispensable d’en prendre acte assez rapidement.