Madame la présidente, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure – chère Jocelyne Guidez –, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi qui vous est soumise vise à protéger les mineurs contre les usages dangereux du protoxyde d’azote.
Vous le savez, la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, est pleinement engagée dans la prévention des consommations à risque et dans la lutte contre les addictions, engagement que je partage pleinement, en particulier pour protéger les plus jeunes.
Avec le plan Priorité prévention lancé en mars 2018 et ses deux plans thématiques de lutte contre le tabac et de mobilisation contre les addictions, nous avons fixé un cap ambitieux afin de lutter contre les consommations à risque, la priorité étant clairement donnée à la protection des jeunes. Il s’agit de prévenir les usages de drogues illicites aussi bien que la consommation de tabac et d’alcool. Ne l’oublions pas, les consommations problématiques des jeunes portent avant tout sur ces deux produits : 17, 5 % des lycéens étant des fumeurs quotidiens et 16, 7 % d’entre eux des usagers réguliers d’alcool.
L’usage détourné du protoxyde d’azote, inhalé pour rechercher des effets particuliers, n’est pas un phénomène nouveau. Depuis sa mise en place en 1999, l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies constate de façon discontinue des usages détournés de protoxyde d’azote en milieu festif.
Si la consommation de protoxyde d’azote ne fait pas l’objet d’un suivi en tant que tel en population générale adulte et adolescente, elle est bien prise en compte au titre des données de consommations. En 2017, nous le savons, 2, 3 % des 18-64 ans et 3, 1 % des jeunes de 17 ans avaient consommé un ou plusieurs produits à inhaler au cours de leur vie. L’Observatoire constate depuis 2017 l’extension des usages détournés du protoxyde d’azote et l’accroissement de la visibilité de ce phénomène dans l’espace public – vous l’avez très bien illustré par des exemples concrets, madame la sénatrice Létard –, ainsi qu’un abaissement de l’âge de consommation, cette consommation étant désormais le fait de collégiens et de lycéens.
Nous sommes d’accord avec votre analyse, le phénomène est plus préoccupant depuis le début de l’année, une trentaine d’effets sanitaires ayant été signalés aux centres d’addictovigilance, dont des cas graves ayant entraîné des séquelles importantes. Ces éléments suffisent à considérer qu’il s’agit d’un problème sanitaire devant faire l’objet de mesures de protection. Aussi le Gouvernement partage-t-il les objectifs de ce texte, qui sont de protéger les jeunes consommateurs de protoxyde d’azote et, plus généralement, d’empêcher le détournement de produits courants contenant des substances psychoactives.
Vous l’avez rappelé, madame la sénatrice Létard, une semaine à peine après ma nomination, vous m’interpelliez sur ce sujet lors d’une question d’actualité au Gouvernement. Nous nous sommes vus depuis. Vous avez pu commencer à travailler avec les services du ministère. Je salue d’ailleurs votre investissement et celui de l’ensemble des parlementaires, du Nord en particulier, et je vous remercie pour le travail réalisé depuis.
Dès le mois de mai, le Gouvernement a informé les préfectures et incité les acteurs régionaux à se rencontrer pour échanger sur les actions pouvant être mises en œuvre sur le territoire.
Il y a quelques semaines, le ministère des solidarités et de la santé a diffusé un message auprès du grand public pour l’informer sur le phénomène, sur les actions mises en place et sur celles qu’étudient les autorités sanitaires.
En parallèle, les dix-sept agences régionales de santé ont reçu les éléments d’information et de gestion leur permettant de mettre en place des actions de prévention, de favoriser le diagnostic et la mise en place d’une prise en charge thérapeutique rapide et adaptée des usagers concernés, de renforcer le signalement des cas et la diffusion de messages de vigilance aux usagers.
C’est dans ce contexte que s’inscrit cette proposition de loi, dont l’objectif de protection des plus jeunes est évidemment tout à fait légitime.
Nous devons être lucides : l’interdiction de la vente aux mineurs ne permettra pas, à elle seule, de mettre fin aux pratiques de détournement d’usage de produits de consommation courante et de protéger nos jeunes. Les difficultés de respect de l’interdiction de la vente des produits du tabac et de l’alcool aux mineurs, produits pourtant très réglementés, montrent les limites de ces mesures. C’est en soi un problème. Pour autant, nous ne souhaitons en aucun cas revenir sur ces mesures d’interdiction.
De plus, et il est important de le souligner, les intoxications graves observées en France, vous l’avez dit, madame la rapporteure, concernent principalement de jeunes adultes. La mesure aurait donc peu d’effets sur ce public. Il nous faut aussi réfléchir à ce qui peut être fait pour le public des jeunes majeurs.
La proposition de loi initiale prévoyait l’apposition d’un pictogramme sur les cartouches de protoxyde d’azote rappelant l’interdiction de vente aux mineurs, auquel vous avez substitué en commission une mention indiquant la dangerosité du produit à apposer sur les conditionnements. Cette mention nous semble en effet plus appropriée pour signaler le danger lié à l’inhalation du protoxyde d’azote et répondre à l’objectif d’information de tous sur les risques associés à des usages détournés du produit.
Par ailleurs, à la différence de la consommation du tabac et de l’alcool chez les jeunes, le protoxyde d’azote soulève la question plus générale de l’appréhension et de l’encadrement de l’usage détourné de produits de consommation courante et du déplacement de ces usages vers d’autres produits par effet de mode, ce qui rend la réponse particulièrement complexe. Nous en avons tous conscience.
Vous l’avez bien compris, c’est non pas le produit en lui-même qui pose difficulté – en l’occurrence, la cartouche pour siphon de crème chantilly –, mais son utilisation détournée potentielle par des publics en recherche d’effets psychoactifs. Or les usages détournés peuvent toujours, en effet, se déplacer vers d’autres produits.
En commission, vous avez élargi l’infraction d’incitation aux usages détournés dangereux de produits de consommation courante. C’est une bonne chose, même s’il nous faudra sûrement encore poursuivre la réflexion pour sécuriser cette disposition. Nous aurons l’occasion d’y revenir à l’occasion de l’examen de votre amendement, madame la sénatrice Létard. Si nous voulons que la mesure soit efficace, elle ne doit pas être source d’incertitude ou pouvoir être interprétée par les consommateurs, les commerçants ou les producteurs.
À côté de ces mesures normatives, nous devons continuer à travailler, aussi et sans doute surtout, madame la rapporteure, sur la prévention des usages détournés, par une meilleure information des jeunes sur les risques associés, dans une approche globale de prévention des consommations de tous les produits psychoactifs. Nos actions d’information envers les jeunes ne doivent évidemment pas avoir un effet contre-productif : la mise en lumière de cette pratique ne doit pas susciter un effet d’appel et de curiosité. Un tel risque existe. Nous devons donc informer sur les risques réels des usages détournés en général et de la consommation de substances psychoactives et ne pas uniquement focaliser nos messages sur le seul protoxyde d’azote. Ces actions passent en priorité par l’école, par les universités – je l’ai dit, les jeunes majeurs sont des consommateurs –, par les acteurs proches des jeunes. La modification du code de l’éducation que vous avez effectuée en commission va dans ce sens.
Il nous faut aussi également mieux faire connaître les dispositifs d’aide mis à disposition des jeunes, de leur entourage et du public en général, pour toutes les questions ou difficultés liées à la consommation de produits ou de drogues. C’est aussi l’objet du plan Priorité prévention que j’ai évoqué au début de mon intervention. Je pense en particulier aux Consultations jeunes consommateurs, qui proposent un service d’accueil, d’écoute, de conseil et d’orientation dédié aux jeunes et à leur entourage, lequel est assuré de manière totalement gratuite et confidentielle par des professionnels des addictions, mais qui est insuffisamment connu de nos concitoyens. Je pense également au dispositif d’aide à distance Drogues Info Service, qui constitue aussi un espace d’information et d’échanges.
Mesdames, messieurs les sénateurs, notre souhait commun est bien d’agir face à l’importance de cette problématique sanitaire, sur laquelle les leviers d’action sont complexes et multiples. Nous saluons l’initiative de cette proposition, et nous souhaitons poursuivre le travail pour parfaire collectivement le dispositif proposé.
Oui, madame la sénatrice, nous veillerons à ce que ce texte soit un bel exemple de coconstruction entre l’exécutif et le Parlement, sur le fondement de votre ressenti et de votre expérience du terrain, au bénéfice de nos plus jeunes !