Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner la proposition de loi de notre collègue Valérie Létard, que je salue, tendant à protéger les mineurs des usages dangereux du protoxyde d’azote. Cosigné par quatre-vingt-quatorze sénateurs, issus de tous les groupes politiques, ce texte vise à s’attaquer à un problème sanitaire réel, majeur.
S’il devient nécessaire de légiférer, de poser un cadre pour limiter les dérives, c’est bien parce que la consommation récréative de protoxyde d’azote, détournée donc de ses usages originels, est une pratique qui se répand, particulièrement dans le Nord de la France. Utilisé dans le domaine médical pour pratiquer des anesthésies et dans la vie courante, notamment dans les siphons servant à faire de la crème chantilly, ce gaz, par les sensations euphorisantes qu’il procure, séduit de plus en plus d’adeptes, principalement des jeunes.
Comme en témoigne son surnom de gaz « hilarant », ce produit jouit d’une image positive. Légal, il ne fait actuellement l’objet d’aucune restriction à la vente. Il est facilement disponible sur internet, mais aussi dans les commerces de proximité, les supermarchés. Il est très bon marché et coûte moins de 1 euro la cartouche. D’où sa triste popularité…
Une étude de la mutuelle étudiante Smerep, dévoilée l’an dernier, classait le protoxyde d’azote au troisième rang des drogues les plus consommées par les étudiants, derrière le cannabis et le poppers. Drogue tendance, ce gaz fait donc fureur chez nos jeunes, créant une véritable dépendance à l’effet euphorisant.
Aucun visuel ou pictogramme sur l’emballage n’alerte sur les dangers d’inhalation de ce produit. Pourtant, comme le souligne plusieurs études scientifiques, et comme le rappelait il y a moins d’un mois les autorités sanitaires, l’usage détourné du protoxyde d’azote expose à des risques majeurs.
Il expose à des risques immédiats tout d’abord : asphyxie par manque d’oxygène, perte de connaissance, brûlures par le froid du gaz expulsé de la cartouche, notamment. Plus grave encore, lorsqu’il est consommé de manière régulière et/ou à forte dose, les médecins parlent de carence en vitamine B12, d’anémie, d’atteinte de la moelle épinière et de toxicité directe sur les cellules nerveuses pouvant entraîner des dégâts neurologiques définitifs. La consommation associée à d’autres produits, comme l’alcool, majore bien évidemment ces risques.
Depuis le début de l’année, vingt-cinq signalements d’effets sanitaires sévères ont été enregistrés en France, dont dix cas graves avec des séquelles pour certains, comme des paralysies des membres, à des degrés divers. En Grande-Bretagne ou aux États-Unis, où le phénomène est plus ancien, le protoxyde d’azote tue. On comprend mieux pourquoi de plus en plus d’États dans le monde restreignent la vente et l’usage récréatif de ce gaz.
Si, dans son usage détourné, ce gaz provoque en quelques inspirations un fou rire irrépressible, on voit bien qu’il devient urgent de débanaliser une pratique, qui n’a décidément rien d’hilarante, et de faire des propositions, sans pour autant mettre en œuvre une politique de répression ou d’interdiction d’un produit domestique et médical, dont l’usage reste indispensable.
Aujourd’hui, comme trop souvent, les maires se retrouvent seuls, en première ligne, pour faire face à ce phénomène. Ils sont contraints de prendre des arrêtés pour interdire la vente aux mineurs ou la consommation de protoxyde d’azote afin de faire cesser des troubles à la sécurité, à la tranquillité ou à la salubrité publiques. Les limites de tels arrêtés sont évidentes : ils ne peuvent s’appliquer que s’il existe une force publique pour constater les infractions. En outre, rien n’empêche évidemment les consommateurs d’aller acheter des cartouches dans les communes voisines.
En 1998, Bernard Kouchner, alors secrétaire d’État à la santé, envisageait déjà de restreindre la vente de protoxyde d’azote aux seuls utilisateurs industriels. La législation n’a malheureusement pas évolué depuis.
La mesure phare du texte examiné ce jour est l’interdiction de vendre ce gaz aux mineurs, y compris sur les sites de commerce en ligne. Les industriels auraient en outre l’obligation de mentionner sur l’emballage la dangerosité du protoxyde d’azote. Il est également prévu de pénaliser le fait d’inciter un mineur à faire un usage détourné de ce produit de consommation courante pour en obtenir des effets psychoactifs. Toutes ces mesures vont dans le bon sens, comme tout ce qui permettra de renforcer la prévention en direction de nos jeunes, collégiens et lycéens, notamment.
Pour les sénateurs du groupe socialiste et républicain, dont certains sont aussi des parents, des élus locaux, cet encadrement législatif va dans le bon sens. C’est pourquoi, vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous voterons cette proposition de loi.