Intervention de Catherine Fournier

Réunion du 11 décembre 2019 à 15h00
Usages dangereux du protoxyde d'azote — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Catherine FournierCatherine Fournier :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’ordre du jour appelle l’examen d’une proposition de loi déposée par Valérie Létard et cosignée par quatre-vingt-quatorze de nos collègues issus de toutes les travées de cette assemblée. Ce soutien transpartisan est inhérent au sujet que nous allons étudier. Nous parlons d’une pratique aux conséquences très graves qui touche nos jeunes. Elle est répandue dans les Hauts-de-France, mais aussi dans nombre de grandes villes universitaires. Il s’agit ici de santé publique : la protection de nos jeunes face à l’usage détourné du protoxyde d’azote.

Nous connaissons ce produit dans nos cuisines, puisqu’il est utilisé dans les siphons à chantilly, mais son usage dévié à titre festif à proximité des établissements scolaires fait partie du folklore chez les lycéens et devient même dans les « soirées proto » une tradition chez les étudiants en médecine. Son inhalation procure un effet euphorisant pendant quelques secondes. L’effet est si fugace que les utilisateurs sont poussés à en consommer à répétition, donc à haute dose et à outrance.

Ce même gaz est utilisé dans le champ médical coupé avec de l’oxygène, sous le nom de Méopa. Loin de constituer une découverte récente, le protoxyde d’azote fait depuis les années 1800 l’objet d’un double usage, puisqu’il est à la fois anesthésiant et euphorisant.

Le Méopa est soumis à une réglementation stricte, qui impose notamment un stockage sécurisé et une déclaration obligatoire en cas de vol. Si le Méopa fait l’objet de contrôle, ce n’est pas le cas du protoxyde d’azote pur. Nos élus sont inquiets : au regard du volume de cartouches vides trouvées sur la voie publique, ils nous ont alertés. Notre rapporteure Jocelyne Guidez nous informe que la seule ville de Loos, 22 000 habitants, en périphérie de Lille, envoie au recyclage une centaine de kilos de cartouches par mois ! Ce sont des moyens légaux que les maires réclament, afin d’introduire de la teneur dans leurs arrêtés municipaux.

Cette proposition de loi est à destination de nos populations, des familles, pour assurer ce devoir de protection des enfants contre ce produit toxique, tout comme nous l’avons fait pour le tabac, l’alcool, ainsi que différentes colles.

Mes chers collègues, une telle pratique est sous-estimée par les autorités sanitaires. Toutefois, il semblerait que le Gouvernement s’interroge sur l’opportunité de légiférer pour un produit unique. Notre rapporteure a modifié le texte initial en commission pour répondre à cette réticence, qui ne peut donc plus nous être opposée.

Oui, il y a urgence à légiférer, à informer et à éduquer, parce que les retours de pratique sont là ! Le rapport de Jocelyne Guidez nous informe que le centre d’addictovigilance de Lille a été saisi à cette date de huit cas graves. Cinq d’entre eux, âgés de 23, 19, 18 et 17 ans, sont atteints de sclérose combinée de la moelle, de neuropathie sensitive et de paraplégie flasque. Ces pathologies sont, dans certains cas, irréversibles.

Ce phénomène, connu chez nos voisins britanniques, a provoqué le décès de trente-six personnes depuis 2001. Aux États-Unis, on en dénombre quinze par an. Pour la France, j’évoquerai le cas du jeune Yohan, qui est décédé après absorption de gaz hilarant au mois de décembre 2018 à Lacroix-sur-Meuse.

Au sein du groupe Union Centriste, nous estimons qu’il convient d’agir avant que le bilan ne soit plus lourd encore.

Il est nécessaire de lutter contre la banalisation et l’incitation à la consommation que nous pouvons constater sur bon nombre de sites internet ou chez des revendeurs classiques. Les cartouches coûtent en magasin rarement plus de 1 euro pièce. Avec la hausse de la demande, un nouveau marché s’est ouvert sur internet, où l’on trouve des bonbonnes à prix cassé, aux allures attrayantes, de surcroît offertes avec des ballons de baudruche, qui permettent l’inhalation en grande quantité et y incitent. En outre, sur Amazon, il est possible d’acheter pour une trentaine d’euros l’équivalent de quatre-vingts cartouches, soit à peine 30 centimes d’euros la dose.

Évidemment, une solution consisterait à interdire totalement la vente de ces cartouches. Cependant, Mme la rapporteure l’a évoqué, d’une part, cela serait problématique, puisque ce gaz n’a pas encore trouvé d’équivalent pour son usage domestique et, d’autre part, croyez l’élue du Pas-de-Calais que je suis, interdire dans notre pays n’est pas la bonne solution. Il sera bien facile aux contrevenants de franchir la frontière pour aller se procurer ce produit en Belgique ou aux Pays-Bas, voire de le commander sur internet. C’est à l’échelon européen que nous devons y travailler.

En attendant, force est de constater que le dispositif que nous nous apprêtons à adopter apporte une série de solutions pragmatiques et d’application rapide.

La première réside dans la pénalisation de l’incitation d’un mineur non seulement à consommer du protoxyde d’azote, mais, plus largement, à faire un « usage détourné d’un produit de consommation courante pour en obtenir des effets psychoactifs. »

La deuxième tient à l’interdiction de la vente aux mineurs du protoxyde d’azote, en commerce physique comme en ligne. C’est ce qu’ont fait le Royaume-Uni, certains États américains, Chypre, la Croatie et la Corée.

La troisième a trait à l’accompagnement de la politique de prévention du Gouvernement, en obligeant d’assortir la commercialisation du protoxyde d’azote d’une indication rappelant sa dangerosité.

Les amendements de la commission sont venus opportunément compléter le dispositif initial en élargissant le champ de la proposition de loi à des mesures d’information et de prévention dans le cadre scolaire ou pour la vente en ligne.

Devant l’enjeu majeur de santé publique que constitue ce sujet, le groupe Union Centriste votera unanimement en faveur de ce texte, tout en comptant sur la clairvoyance du Gouvernement pour porter ce texte plus loin vers une issue favorable à l’Assemblée nationale.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion