Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu’est-ce que l’OTAN aujourd’hui ? L’OTAN est un facteur de paix, de stabilité et de liberté pour tous ses membres, mais aussi pour les pays n’appartenant pas à l’Alliance atlantique, qui bénéficient de son effet régulateur.
Il y a encore trois ans, les commentateurs comparaient l’Alliance atlantique à un point aveugle des politiques, des diplomates et des militaires français. Nous n’en sommes plus là et, si l’on peut regretter que le débat ait été hystérisé, la réflexion sur la clarification stratégique au sein de l’OTAN est, au moins, engagée. Elle était indispensable, pour trois raisons : l’évolution de la position américaine depuis une décennie au sein de l’Alliance, les dissonances stratégiques lourdes et la trop lente adaptation de l’OTAN à ces évolutions.
La première cause de questionnement sur l’OTAN est le positionnement de notre grand allié, les États-Unis. Le pivot stratégique vers l’Asie, entamé bien avant l’élection de Donald Trump, se double désormais d’un désengagement américain d’une lecture commune de l’Occident. L’Europe et les États-Unis sont de moins en moins identifiés par le président américain comme incarnant un seul bloc de valeurs, réunis autour d’un même enjeu stratégique, telles les deux faces d’une même pièce. La fin de la guerre froide oblige l’OTAN, comme les États-Unis, à se repositionner.
Après soixante-dix ans de stabilité de part et d’autre de l’Atlantique, l’OTAN peine à se redéfinir. Nos partenaires Américains cèdent de plus en plus à une lecture purement économique de l’Alliance. Le partage du fardeau entre les États-Unis et les autres membres est légitime. Il est devenu une obsession, monopolisant les discussions lors des sommets de chefs d’État, les uns après les autres. Paradoxe ultime, alors que les Européens investissent dans leur défense, avec le Fonds européen de la défense, le secrétaire général de l’OTAN leur reproche de ne pas ouvrir les financements prévus. La responsabilisation dans le domaine de la défense ne serait valable que si elle profitait encore à la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) américaine. L’OTAN et son assemblée parlementaire sont désormais une sorte de salon permanent de la base industrielle et technologique de défense (BITD) américaine… Nous avons tous en tête une illustration de cette prégnance : la « clause F-35 » remplace la « clause de l’article 5 », dont la force est devenue moins évidente à mesure que le président américain laisse entendre que son application est sujette à caution.
Enfin, en octobre dernier, les États-Unis, sans concertation avec leurs alliés, ont cautionné l’offensive turque dans le nord-est syrien, au détriment de nos alliés kurdes contre le terrorisme islamique. Désastre humanitaire, djihadistes étrangers libérés : cette intervention a été condamnée par la quasi-totalité des alliés.
Cette situation est symptomatique de divergences stratégiques de plus en plus affirmées et d’un réel enjeu de transformation de l’Alliance. La diversité des lectures des enjeux géopolitiques entre alliés ne doit plus être tue, car elle est une fragilité de l’OTAN. Nous n’avons pas, aujourd’hui, la même définition des menaces. L’Alliance, sortie de la grille de lecture de la guerre froide, peine à s’adapter aux nouvelles menaces. Qui est l’ennemi de l’OTAN aujourd’hui ? Son secrétaire général répète que, après la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, 80 % de la défense de l’Europe sera assurée par des pays non membres de l’Union. Mais contre quelles menaces cette défense doit-elle s’organiser ? Des divergences existent entre ceux qui ne voient la menace que sur le flanc Est et empêchent toute reprise d’un dialogue ferme et exigeant avec Moscou et ceux qui, comme la France, plaident pour une vision globale, à 360 degrés, des enjeux géostratégiques. Si nous ne parvenons pas à un consensus clair en la matière, pouvons-nous accepter que, au sein d’une alliance, des marchandages tiennent lieu de politique stratégique ? Le renforcement du flanc Est a été un temps subordonné par la Turquie à l’adoption par l’OTAN de sa définition nationale du terrorisme. Ce n’est pas une attitude digne d’une alliance qui a tant à affronter.
L’Alliance doit se réformer pour éviter de tels errements et garantir notre sécurité. Le commandant suprême allié Transformation (SACT), un Français, a la lourde tâche de gérer sa transformation. Notre pays est ainsi l’une des forces de proposition qui tâchent de rendre plus efficaces les processus décisionnels et budgétaires du traité de l’Atlantique Nord. Nous avons là un rôle essentiel à jouer, pour que l’Alliance puisse devenir une structure plus flexible et adaptable à son environnement.
Nous devons veiller à ce que ces réflexions progressent effectivement, ce qui implique une réelle appropriation du sujet par le secrétaire général, qui ne doit pas donner l’impression d’adopter systématiquement la grille de lecture du président américain. Il paraît indispensable que le Conseil de l’Atlantique Nord soit mieux informé, responsabilisé et, ainsi, à même de décider plus rapidement.
La revue stratégique proposée par le Président de la République lors du sommet de Londres va dans le bon sens. Encore faut-il que nos propositions soient audibles… Pour cela, chacun doit contribuer à un débat apaisé. Souffler sur les braises au lieu de souffler sur les bougies n’était sans doute pas le meilleur moyen d’endosser le rôle de facilitateur qui doit être le nôtre ! Nous ne devons pas empêcher le débat ; nous ne devons pas maintenir le statu quo. Au contraire, nous devons contribuer au récit, faire naître la discussion et partager l’effort avec nos alliés historiques, en affirmant notre puissance aux côtés et au sein de l’OTAN, pour que l’Alliance survive et perdure par conviction, et non par inertie.
En conclusion, nous connaissons le prix de l’engagement pour la sécurité collective et la paix : nos soldats et les soldats du G5 Sahel morts au Mali et dans la bande sahélo-saharienne, auxquels je veux rendre hommage aujourd’hui encore, nous obligent. Nous leur sommes reconnaissants et redevables.
Il importe que nous puissions partager avec nos alliés notre vision des menaces et des enjeux pour garantir la paix et la stabilité durant au moins encore soixante-dix ans.