Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’extension de l’OTAN a conduit à une grande diversité des intérêts géopolitiques, qui sont parfois contradictoires.
En témoigne l’invasion du nord-est de la Syrie par la Turquie, qui a fait du Rojava une zone occupée, pour y déplacer les 3, 6 millions de réfugiés syriens, mais aussi et surtout pour « résoudre » la question des Kurdes, dits « terroristes » par Erdogan.
Après avoir chassé plus de 300 000 personnes de ce territoire proche de sa frontière, l’État turc s’efforce à présent d’y installer des gouverneurs, une administration, des élus, bref une présence institutionnelle permanente dans une région maintenant annexée, avec la complicité silencieuse de l’OTAN.
Les Kurdes sont massacrés, un véritable nettoyage ethnique est à l’œuvre… La Turquie incite des islamistes en provenance d’États dits « turcs » comme l’Ouzbékistan, le Turkestan oriental ou même l’Afghanistan à s’installer dans cette zone occupée de Syrie, le tout au mépris du droit international et des règles mêmes de l’OTAN.
Mais nous pourrions citer les exemples de l’Afghanistan, de la Syrie, de la Libye, de l’Irak, du Kosovo, d’autres encore : partout les interventions militaires, engagées avec ou sans mandat, ont laissé derrière elles le chaos, des pays enlisés dans la crise, le nationalisme, le fanatisme, l’obscurantisme…
L’intervention en Afghanistan en 2001 m’avait beaucoup marquée : dix-huit ans après, les talibans et les « seigneurs de guerre » sont toujours là, actifs, attendant le retrait des troupes pour constituer un nouvel État islamique, encore pire que le précédent. Ne doutons pas que les atrocités, particulièrement envers les femmes, comme les exécutions publiques dans les stades, reprendraient alors.
Quel est le sens de notre participation aux interventions de l’OTAN dans ces pays, sous couvert de protection des populations, si on laisse ensuite ces mêmes populations aux mains de leurs bourreaux ?
Les interventions de l’OTAN n’ont rien réglé. Au contraire, elles contribuent parfois à empirer des situations déjà dramatiques. Dans tous les cas que je vous ai cités, l’OTAN reste sourde. Monsieur le ministre, nos gouvernements successifs n’ont pas pris de décisions suffisamment drastiques contre les États qui enfreignent le droit des peuples. Il y a une incohérence totale entre les principes affichés par les pays qui composent l’OTAN et les actions ou objectifs de celle-ci.
Mes chers collègues, il est temps de se poser la question de notre participation à cette organisation. Nous en sommes aujourd’hui réduits à attendre les conclusions d’une hypothétique réunion en février entre la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne pour discuter des perspectives de l’Alliance.
À rebours de la stratégie du choc et du rapport de force de l’OTAN, l’ONU propose le multilatéralisme et le dialogue. Certes, l’Organisation des Nations unies doit faire l’objet de réformes – je pense notamment à la suppression du droit de veto des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, qui bloque toute résolution ou décision, quelle que soit l’opinion majoritaire, mais si nous souhaitons pouvoir résoudre des conflits ou des crises, il n’y a pas d’autre solution que d’agir dans le cadre de cette instance. L’ONU n’est pas un organisme militaire, et c’est là sa force : il s’agit de la seule institution où les discussions ne sont pas envisagées sous l’angle militaire.
Si nous nous inscrivons dans la seule perspective de la course à l’armement, nous nous engageons dans une impasse dangereuse. Ainsi, le projet d’Europe de la défense n’est que la traduction d’un renforcement militaire de l’Europe, de la mise en place d’une force armée supplémentaire. Or la stabilité et la sécurité mondiales ne peuvent reposer sur une nouvelle institution militaire. Une Europe des peuples et de la paix : c’est cette Europe-là que nous avons voulue.
Face à l’OTAN, nous préconisons de renforcer l’ONU, de réguler, voire de stopper, dans bien des cas, le commerce des armes et enfin de renforcer la mission de contrôle du Parlement. Aucun engagement dans un conflit armé ne doit être décidé sans l’approbation des élus nationaux que nous sommes. Il en est déjà ainsi dans quelques pays, et ce serait un minimum.