Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, une semaine après le sommet de Londres, je suis très heureux que le Sénat ait souhaité se saisir de la question du devenir de l’OTAN. Je tiens à remercier M. Pierre Laurent d’avoir pris l’initiative de ce débat. Il fait écho aux questionnements soulevés par le Président de la République en amont du sommet de l’OTAN et au débat stratégique et politique qui s’est engagé sur cette base avec nos alliés de l’Alliance atlantique.
Nous sommes partis d’un constat, auquel nombre des interrogations que vous venez de soulever, les uns et les autres, font écho : l’Alliance se trouve dans une situation de trouble politique. Les manifestations de ce trouble sont claires.
Il y a d’abord un enjeu de confiance sur la force de la relation transatlantique. Le président des États-Unis et son prédécesseur ont fait de l’Asie leur principale priorité stratégique. L’importance politique donnée à la relation transatlantique dans cette nouvelle vision est donc incertaine, même si nous constatons que, curieusement, la présence des forces américaines en Europe a pu augmenter ces dernières années. Par ailleurs, la décision de l’administration américaine, début octobre, d’engager sans consultation préalable un retrait du nord-est syrien, à la suite de l’offensive engagée par la Turquie, a créé un trouble. L’ensemble de ces éléments constitue un changement de nature stratégique, dont il faut tirer les conséquences.
Il y a ensuite un enjeu de solidarité, car l’offensive engagée par la Turquie a visé nos partenaires de la coalition contre Daech. Il n’était pas acceptable que les intérêts des alliés de la coalition puissent être mis en jeu de cette manière, par l’un des membres de l’Alliance, sans que nous ayons pu l’évoquer au préalable.
Il y a, enfin, un enjeu de responsabilité, car nous observons, outre les facteurs que je viens d’évoquer, que l’environnement stratégique dans lequel évoluent les Européens est rendu plus complexe par des menaces et des défis plus nombreux. Il convient, monsieur Cambon le rappelait, de partager l’analyse de ces menaces et de bien les identifier. Les Européens n’agissent pas assez en matière de dépenses de défense ou d’opérations, pour assumer davantage de responsabilités dans le contexte transatlantique que j’ai décrit.
C’est pour toutes ces raisons, mesdames, messieurs les sénateurs, que la France, après l’interpellation faite par le Président de la République, a souhaité engager un débat stratégique sur la situation et les finalités de l’OTAN. Cela répond au refus du statu quo exprimé tout à l’heure par M. Vallini.
Ainsi, lors de la réunion ministérielle du 20 novembre, avant le sommet de Londres, j’avais proposé, avec mon collègue allemand Heiko Maas, que nous engagions une réflexion stratégique, afin que ce sommet du 70e anniversaire donne lieu à un véritable débat de substance et ne soit pas uniquement commémoratif.
Je constate que cette réflexion s’est engagée en amont du sommet et lors du sommet de Londres. Elle s’est incarnée dans des discussions que le Président de la République a eues d’abord avec le président Trump, puis avec le président Erdogan, conjointement avec la Chancelière allemande et le Premier ministre britannique. Elle s’est bien évidemment poursuivie dans le cadre de la réunion du Conseil de l’Atlantique Nord, qui a rassemblé les chefs d’État et de gouvernement, le 4 décembre.
Ce débat, que nous avons voulu et qui va se poursuivre, doit porter sur trois enjeux fondamentaux liés aux finalités stratégiques qui sont celles de notre Alliance.
Le premier enjeu, c’est la définition des finalités stratégiques de l’Alliance, qui implique, plusieurs d’entre vous l’ont dit, d’avoir une vision partagée des risques et des menaces. En d’autres termes, qui est l’ennemi ? C’est une question que nous devons nous poser, car le contexte stratégique que nous connaissons aujourd’hui n’est plus celui dans lequel s’est formée l’Alliance. Le pacte de Varsovie a été dissous, et il nous faut aboutir à une analyse partagée de la définition des finalités stratégiques.
Le Président de la République l’a rappelé lors de sa conférence de presse finale à Londres, la Russie constitue une menace : c’est une réalité que nous constatons dans le domaine cyber, et elle peut l’être aussi dans son voisinage, comme la crise ukrainienne l’a montré. C’est bien la raison pour laquelle l’Alliance a mis en place une posture de dissuasion et de défense renforcée, à laquelle la France participe pleinement.
Mais la Russie est aussi un voisin sur le plan géographique et un partenaire potentiel. Nous devons donc la traiter comme telle, en assumant un dialogue de confiance et de sécurité avec elle, sans naïveté ni complaisance. C’est le sens de l’initiative en faveur de la restauration d’un climat de confiance prise par le Président de la République lors du sommet de Brégançon avec le président Poutine.
Nous savons par ailleurs que la montée en puissance militaire et technologique de la Chine impose une réflexion stratégique. Toutefois, ce pays n’est pas l’objet désigné de notre défense collective et ce sujet stratégique ne se pense pas dans des termes simplement militaires.
L’ennemi, comme je l’ai déjà dit à plusieurs reprises, ce sont d’abord les groupes terroristes, que nous devons continuer à combattre sans relâche, au Levant comme au Sahel. Pour cela, il est urgent que nos alliés s’impliquent davantage. Cela ne signifie pas automatiquement que l’OTAN en tant qu’organisation doive prendre des initiatives, mais les alliés qui la composent savent bien que là est l’enjeu de sécurité.
Plusieurs d’entre vous ont évoqué la question du Sahel. Si elle n’est pas au centre de ce débat, elle en relève néanmoins au titre de la définition des menaces principales. Le sommet dit de Barkhane, qui devait se tenir lundi, a été repoussé à la suite des événements tragiques survenus hier soir au Niger, où 71 soldats nigériens ont été tués lors d’une attaque de groupes terroristes. Ce sommet, nécessaire, aura lieu au début de l’année 2020, pour permettre au président Mahamadou Issoufou et aux autorités nigériennes de conduire à Niamey les cérémonies de deuil et les manifestations de solidarité.
Le Président de la République a souhaité une clarification et une remobilisation concernant la question du Sahel. La clarification avec les pays du G5 doit porter sur les trois points suivants : il doit être bien clair que nous poursuivons ensemble, solidairement, le combat contre le terrorisme ; nous devons apprécier de façon nouvelle les modalités de la mobilisation militaire et de la coordination des uns et des autres ; enfin, chacun des pays concernés doit prendre les engagements politiques nécessaires, en particulier pour la mise en place de l’accord de paix au Mali.
L’indispensable remobilisation doit également concerner l’action en faveur du développement, M. Laurent l’a souligné, et l’Europe. Le Haut Représentant de l’Union européenne, Josep Borrell, qui a fait part de sa volonté de faire en sorte que l’Union européenne soit davantage impliquée dans la réponse à ces risques, a été invité au sommet de Barkhane. C’est en effet de la frontière sécuritaire de l’Europe qu’il s’agit. Sera également présent le président de la Commission de l’Union africaine, M. Moussa Faki. L’enjeu de la lutte contre le terrorisme est permanent ; il convenait de le rappeler ici, en saluant la mémoire des soldats tués au combat.
Le deuxième enjeu, c’est la contribution des Européens à l’Alliance atlantique. Chacun le comprend, le temps où l’Europe pouvait confier entièrement à d’autres le soin d’assurer sa sécurité et se reposer sur eux exclusivement est révolu. Ce que nous appelons, en Europe, l’autonomie stratégique, que nous devons renforcer, recouvre en fait une conception élargie du partage du fardeau invoqué par notre allié américain. C’est aussi un partage de la responsabilité.
C’est le sens des initiatives que nous prenons dans le cadre de l’Europe de la défense. La défense européenne n’est pas une alternative à l’OTAN, elle en est un pilier, car il n’y aura pas plus de défense européenne sans OTAN que d’OTAN crédible et soutenable sans renforcement des responsabilités européennes. C’est ce que MM. Vallini et Cambon appellent l’« européanisation » de l’OTAN. Les initiatives que nous avons prises en faveur de la coopération structurée permanente et du Fonds européen de la défense sont toujours soutenues par de nombreux pays européens. Si la présidence finlandaise a souhaité réduire le montant financier prévu initialement pour le Fonds européen de la défense, telle n’est pas la position de la France.