Intervention de Jean-Yves Le Drian

Réunion du 12 décembre 2019 à 10h30
Situation et rôle de l'otan et place de la france en son sein — Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Jean-Yves Le Drian :

Nous poursuivrons notre combat pour affirmer le pilier européen de l’OTAN.

La contribution de l’Union européenne doit prendre plusieurs formes. Les Européens doivent se saisir des grands sujets stratégiques concernant directement leur sécurité, dont la reconstruction d’un agenda et la mise en œuvre de mesures tendant à la maîtrise des armements. Il faut, sur ce sujet, reconstruire un cadre de droit et appliquer des mesures de transparence pour limiter les risques d’escalade involontaire et fixer des contraintes sur les capacités de nos adversaires potentiels.

Pierre Laurent a rappelé les accords d’Helsinki. Nous célébrerons, en novembre 2020, les trente ans de la charte de Paris pour une nouvelle Europe, qui reprenait les dix principes des accords d’Helsinki de 1975. À cette occasion, nous souhaitons pouvoir réfléchir ensemble à la sécurité collective des Européens, en essayant de rendre opérationnels dans le contexte actuel les grands principes adoptés à Helsinki. En effet, avec la suppression du traité sur les forces conventionnelles en Europe, la fin du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire et les incertitudes qui pèsent d’ici à 2021 sur le traité New Start de réduction des armes stratégiques, l’Europe risque de devenir le théâtre passif d’une compétition militaire et nucléaire débridée. Il nous faut donc prendre des initiatives à cet égard. J’ai pu m’exprimer longuement sur ce sujet à Prague cette semaine. Il importe que l’Europe puisse intégrer cette nouvelle donne et fasse de cet anniversaire le moment d’une relance de l’architecture européenne de sécurité collective.

Bien évidemment, cette contribution européenne a une dimension financière, qui tient à la poursuite de la remontée en puissance des budgets de défense européens, mais aussi une dimension opérationnelle, car les Européens doivent se montrer plus proactifs et assumer davantage de responsabilités.

Le troisième et dernier enjeu de la refondation stratégique, c’est celui de nos droits et de nos devoirs en tant qu’alliés. Je l’ai souligné précédemment, interviennent ici les enjeux de la confiance, de la solidarité et de la responsabilité. Cela implique notamment, pour les alliés, de mieux se coordonner et de mener davantage de consultations de nature politique. Les discussions avec la Turquie qui ont pu se tenir à Londres ont évidemment porté sur cette nécessaire coordination. Un allié ne peut pas intervenir militairement contre nos partenaires dans le combat contre Daech, alors même que nous luttons conjointement contre les groupes terroristes. Ses stratégies d’acquisition de matériels militaires doivent être cohérentes avec l’interopérabilité militaire entre alliés que nous recherchons. Il ne peut pas empiéter sur la souveraineté de ses alliés ; le Président de la République a marqué sur ce point sa solidarité à l’égard de notre allié grec, à la suite de la signature de l’accord entre le gouvernement libyen et la Turquie, qui suscite des préoccupations fortes et légitimes.

Tel est l’agenda de la réflexion stratégique que nous nous sommes donné et sur lequel les chefs d’État et de gouvernement ont pu échanger lors du sommet de Londres.

À l’issue de ce sommet, je constate que nous avons obtenu des résultats significatifs.

D’abord, je le répète, la réflexion stratégique est engagée. Elle se poursuivra dans les mois qui viennent sous l’égide du secrétaire général de l’OTAN. Un groupe d’experts de haut niveau sera constitué pour réfléchir à la manière dont l’Alliance doit se saisir des trois thèmes principaux que j’ai évoqués. Ce travail permettra d’aboutir à un mandat, qui sera proposé par les ministres des affaires étrangères au printemps de 2020, puis à des propositions concrètes.

Ensuite, nous avons rappelé clairement la solidarité de la France à l’égard de nos alliés de l’OTAN. Le Président de la République a réaffirmé le sens de l’article 5 du traité. L’OTAN l’a fait jouer, je le rappelle, une seule fois, après les attentats de 2001 aux États-Unis. Nous avions alors considéré que ce pays était victime d’une agression et nous avions été au rendez-vous. Nous continuons à dire que le respect de cet engagement mutuel est une priorité intangible.

Concernant la Russie, nous avons rappelé, lors du sommet de Londres, qu’il était indispensable de rechercher un équilibre entre la posture de défense et de dissuasion de l’Alliance et le dialogue solide et exigeant qu’il faut avoir avec Moscou, l’un n’allant pas sans l’autre.

Ce dialogue doit permettre de défendre les intérêts de tous les Européens, sans négliger les intérêts de sécurité de nos partenaires, car ce sont aussi les nôtres.

Ce dialogue doit permettre d’avancer sur un dossier comme celui de l’Ukraine. Nous l’avons vu lundi dernier, avec la tenue à Paris d’un nouveau sommet au format Normandie sur le conflit dans le Donbass, le premier depuis trois ans. Ce sommet a permis de trouver des points d’accord sur différents sujets, notamment humanitaires – échanges de prisonniers, cessez-le-feu et déminage –, et a marqué un réengagement clair en faveur du rétablissement de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Un nouveau rendez-vous a été fixé dans quatre mois pour évoquer l’ensemble de ces sujets.

S’agissant de notre relation avec la Turquie, les discussions que nous avons eues ont permis des clarifications. Sur la question du terrorisme, nous n’accepterons pas que notre partenaire, le PYD, avec qui nous continuons le combat contre Daech dans le nord-est syrien, soit qualifié d’organisation terroriste. Nous avons nettement affirmé nos divergences sur un certain nombre de sujets, mais il faut poursuivre notre dialogue avec ce pays sur la question syrienne, ainsi que sur la question libyenne, notamment dans le format nouveau mis en place à Londres, associant la Turquie, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France. Le mouvement est lancé, puisqu’une réunion de suivi des échanges qui se sont déroulés à Londres aura lieu à Istanbul au mois de février prochain.

Ce réengagement du dialogue doit aussi permettre de lever, à l’avenir, l’ambiguïté concernant la compatibilité des systèmes de missiles S-400 acquis par la Turquie auprès de la Russie avec les capacités des autres alliés de l’OTAN. Cette compatibilité est bien évidemment un atout et l’une des forces de l’Alliance.

Enfin, je crois que notre message sur la nécessité, pour les Européens, d’être plus responsables et plus capables au sein d’une alliance refondée et rééquilibrée, a pu être exprimé avec force et sans aucune ambiguïté.

Voilà, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, la contribution que je voulais apporter au débat dont vous avez pris l’initiative. Nous sommes au début de cette réorientation stratégique, et nous aurons l’occasion, au cours des semaines à venir, de prolonger cette discussion. Ce débat doit permettre d’aboutir à des adaptations et à des réorientations ; je suis convaincu que le dialogue que nous avons entre nous contribuera à ce que la France tienne toute sa place dans cette affaire majeure.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion