Je tiens à souligner que le texte soumis aujourd’hui à notre assemblée fait écho au travail mené par Stéphane Linou, pionnier du mouvement locavore en France et ancien conseiller général de l’Aude. Depuis près de vingt ans, il conduit une action de sensibilisation des populations, des administrations et des élus à l’alimentation en circuit court et à son intérêt au regard du continuum sécurité-défense. Il a récemment mené une enquête auprès de différentes personnalités et institutions sur les rapports entre ordre public et non-territorialisation de la production et de la consommation alimentaires, dont il a récemment publié les conclusions sous le titre : « Résilience alimentaire et sécurité nationale ». Le résultat de cette étude est édifiant : nous sommes confrontés à un risque réel, mais celui-ci n’a jamais été envisagé en tant que tel, et encore moins évalué.
En effet, alors que, au fil des scandales sanitaires survenus ces dernières années, le « bien manger » s’est imposé comme enjeu de santé publique, un pan entier du sujet n’est jamais évoqué : celui de l’articulation entre l’ordre public et la continuité alimentaire.
Par le passé, garantir les conditions d’une sécurité alimentaire minimale était un pilier de la légitimité politique des élus. Il est vrai que notre modèle agricole a longtemps reposé sur une conception du foncier nourricier, s’appuyant sur un aménagement multifonctionnel du territoire local qui occupait une place stratégique.
Aujourd’hui, production et consommation ne sont plus territorialisées ; même les zones rurales sont dépendantes et vulnérables, « alimentairement malades », car elles aussi sont perfusées par le ballet des camions de la grande distribution.
À l’heure des cyberattaques, du dérèglement climatique, du délitement du lien social et du terrorisme, la production, la distribution et l’approvisionnement alimentaires ne semblent pas suffisamment analysés en termes de risque stratégique.
Il suffit d’une annonce de blocage routier pour que les magasins ou les stations-services soient vidés et deviennent le théâtre d’émeutes, avant même toute pénurie.
Force est de constater un déficit avéré s’agissant de notre capacité à subvenir localement à l’un de nos besoins élémentaires, celui de se nourrir à un niveau suffisant en cas d’événement majeur. Cette situation est d’autant plus inquiétante qu’il n’existe pas, à ce sujet, de véritable plan de préparation des populations.
Pour l’heure, l’exécutif ne dispose que de réponses ponctuelles d’urgence telles que les plans Orsec, qui ont démontré leur efficacité en cas d’événements exceptionnels, qu’il s’agisse de phénomènes climatiques ou de conflits sociaux. Ces plans, néanmoins, n’offrent pas le recul suffisant en cas de réel changement climatique ou de pénurie due à une crise systémique et s’étendant sur une plus longue période.
C’est pourquoi nous formulons six propositions, assez simples à mettre en place, pour commencer à réorganiser plusieurs secteurs de la production, de l’alimentation et de la préparation des populations.
Il nous faut d’abord définir une réelle stratégie de territorialisation des productions alimentaires. Pour cela, une révision de certains textes de loi serait urgente – je pense notamment à la loi de modernisation de la sécurité civile et à la loi de programmation militaire. Il conviendrait en effet d’ajouter la production alimentaire et le foncier agricole nourricier à la liste des secteurs d’importance vitale pour notre pays.
Autre piste de travail : se doter d’un texte pour protéger, sauver dirais-je même, le foncier agricole, en partenariat avec tous les acteurs de la filière. Un tel texte est attendu avec impatience, tant par les élus que par les agriculteurs eux-mêmes. Un appel a d’ailleurs été signé, le 27 novembre dernier, par de nombreuses collectivités territoriales, associations ou ONG, et surtout par des organisations représentatives du monde agricole telles que la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), la Confédération paysanne, Jeunes agriculteurs, la Coordination rurale et même l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture. Il s’agit d’inscrire l’environnement, les ressources naturelles et le foncier dans une véritable stratégie de solidarité territoriale.
Garantir les conditions d’un niveau minimal de sécurité et d’approvisionnement alimentaires est un devoir pour les autorités. Il y va de leur responsabilité et du lien de confiance qu’elles entretiennent avec la population. Qu’il s’agisse des élus ou des autorités institutionnelles, les instances décisionnelles devraient s’assurer d’être en mesure de garantir l’existence d’une chaîne résiliente allant du foncier agricole jusqu’au consommateur. Ce dernier devrait quant à lui être incité à acheter des produits alimentaires issus de son territoire.
Cette proposition de résolution cosignée par l’ensemble des membres du groupe RDSE vise à nous conduire à nous interroger collectivement sur la souveraineté et la sécurité nationales. Je remercie les nombreux collègues qui ont manifesté leur intérêt pour ce texte, qui permet d’ouvrir un débat et de faire de la pédagogie.
Alors que les pouvoirs publics perdent peu à peu la main sur des infrastructures d’intérêt vital, telles que les plateformes aéroportuaires, ou sur la gestion de l’eau, il est essentiel et urgent de se préoccuper de la résilience alimentaire des territoires, pour des raisons évidentes de sécurité nationale. C’est pourquoi, au nom des membres du groupe RDSE, je vous invite à adopter cette proposition de résolution et vous remercie par avance, mes chers collègues, pour votre soutien.