Séance en hémicycle du 12 décembre 2019 à 14h30

Résumé de la séance

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La séance

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La séance, suspendue à midi, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Philippe Dallier.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, de la proposition de résolution sur la résilience alimentaire des territoires et la sécurité nationale, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par Mme Françoise Laborde et plusieurs de ses collègues (proposition n° 588, 2018-2019).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Françoise Laborde, auteure de la proposition de résolution.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Laborde

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet de la résilience alimentaire n’est pas nouveau : sans en constituer le thème en tant que tel, il est déjà abordé dans plusieurs rapports sénatoriaux. Il existe de nombreux signaux qui se recoupent et qui m’ont incitée à vous présenter aujourd’hui cette proposition de résolution.

Les mesures préconisées dans notre texte doivent contribuer au développement d’une stratégie qui assure la résilience alimentaire de nos territoires tout en l’articulant avec la sécurité nationale.

Nos collègues Ronan Dantec et Jean-Yves Roux consacrent une grande partie de leur rapport réalisé dans le cadre des travaux de la délégation sénatoriale à la prospective sur l’urgence de l’adaptation de la France aux dérèglements climatiques à l’horizon 2050 aux déficits hydriques à venir et à la nécessaire adaptation de nos modes de production agricole.

Quant au rapport sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer dont notre collègue Guillaume Arnell est l’un des auteurs, il montre combien certaines zones peuvent être vulnérables en cas de pénurie alimentaire, cette vulnérabilité se doublant, dans le cas des territoires ultramarins, d’une grande dépendance aux approvisionnements.

La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a, de son côté, remis en 2017 un rapport sur la nécessité de repenser l’aménagement du territoire en cohérence avec les changements climatiques à venir.

Enfin, dans son rapport de 2012 sur le défi alimentaire à l’horizon 2050, Yvon Collin mettait déjà en exergue l’importance de la préparation des pouvoirs publics à la gestion des flux alimentaires, s’agissant notamment des zones les moins bien loties en termes de production.

Par conséquent, nous n’inventons rien ; en regroupant l’ensemble de ces signaux épars, nous retraçons très concrètement les risques de pénuries ou de vulnérabilité de nos systèmes de production et de distribution.

Rassurez-vous, mes chers collègues, je ne suis pas collapsologue

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Laborde

Je tiens à souligner que le texte soumis aujourd’hui à notre assemblée fait écho au travail mené par Stéphane Linou, pionnier du mouvement locavore en France et ancien conseiller général de l’Aude. Depuis près de vingt ans, il conduit une action de sensibilisation des populations, des administrations et des élus à l’alimentation en circuit court et à son intérêt au regard du continuum sécurité-défense. Il a récemment mené une enquête auprès de différentes personnalités et institutions sur les rapports entre ordre public et non-territorialisation de la production et de la consommation alimentaires, dont il a récemment publié les conclusions sous le titre : « Résilience alimentaire et sécurité nationale ». Le résultat de cette étude est édifiant : nous sommes confrontés à un risque réel, mais celui-ci n’a jamais été envisagé en tant que tel, et encore moins évalué.

En effet, alors que, au fil des scandales sanitaires survenus ces dernières années, le « bien manger » s’est imposé comme enjeu de santé publique, un pan entier du sujet n’est jamais évoqué : celui de l’articulation entre l’ordre public et la continuité alimentaire.

Par le passé, garantir les conditions d’une sécurité alimentaire minimale était un pilier de la légitimité politique des élus. Il est vrai que notre modèle agricole a longtemps reposé sur une conception du foncier nourricier, s’appuyant sur un aménagement multifonctionnel du territoire local qui occupait une place stratégique.

Aujourd’hui, production et consommation ne sont plus territorialisées ; même les zones rurales sont dépendantes et vulnérables, « alimentairement malades », car elles aussi sont perfusées par le ballet des camions de la grande distribution.

À l’heure des cyberattaques, du dérèglement climatique, du délitement du lien social et du terrorisme, la production, la distribution et l’approvisionnement alimentaires ne semblent pas suffisamment analysés en termes de risque stratégique.

Il suffit d’une annonce de blocage routier pour que les magasins ou les stations-services soient vidés et deviennent le théâtre d’émeutes, avant même toute pénurie.

Force est de constater un déficit avéré s’agissant de notre capacité à subvenir localement à l’un de nos besoins élémentaires, celui de se nourrir à un niveau suffisant en cas d’événement majeur. Cette situation est d’autant plus inquiétante qu’il n’existe pas, à ce sujet, de véritable plan de préparation des populations.

Pour l’heure, l’exécutif ne dispose que de réponses ponctuelles d’urgence telles que les plans Orsec, qui ont démontré leur efficacité en cas d’événements exceptionnels, qu’il s’agisse de phénomènes climatiques ou de conflits sociaux. Ces plans, néanmoins, n’offrent pas le recul suffisant en cas de réel changement climatique ou de pénurie due à une crise systémique et s’étendant sur une plus longue période.

C’est pourquoi nous formulons six propositions, assez simples à mettre en place, pour commencer à réorganiser plusieurs secteurs de la production, de l’alimentation et de la préparation des populations.

Il nous faut d’abord définir une réelle stratégie de territorialisation des productions alimentaires. Pour cela, une révision de certains textes de loi serait urgente – je pense notamment à la loi de modernisation de la sécurité civile et à la loi de programmation militaire. Il conviendrait en effet d’ajouter la production alimentaire et le foncier agricole nourricier à la liste des secteurs d’importance vitale pour notre pays.

Autre piste de travail : se doter d’un texte pour protéger, sauver dirais-je même, le foncier agricole, en partenariat avec tous les acteurs de la filière. Un tel texte est attendu avec impatience, tant par les élus que par les agriculteurs eux-mêmes. Un appel a d’ailleurs été signé, le 27 novembre dernier, par de nombreuses collectivités territoriales, associations ou ONG, et surtout par des organisations représentatives du monde agricole telles que la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), la Confédération paysanne, Jeunes agriculteurs, la Coordination rurale et même l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture. Il s’agit d’inscrire l’environnement, les ressources naturelles et le foncier dans une véritable stratégie de solidarité territoriale.

Garantir les conditions d’un niveau minimal de sécurité et d’approvisionnement alimentaires est un devoir pour les autorités. Il y va de leur responsabilité et du lien de confiance qu’elles entretiennent avec la population. Qu’il s’agisse des élus ou des autorités institutionnelles, les instances décisionnelles devraient s’assurer d’être en mesure de garantir l’existence d’une chaîne résiliente allant du foncier agricole jusqu’au consommateur. Ce dernier devrait quant à lui être incité à acheter des produits alimentaires issus de son territoire.

Cette proposition de résolution cosignée par l’ensemble des membres du groupe RDSE vise à nous conduire à nous interroger collectivement sur la souveraineté et la sécurité nationales. Je remercie les nombreux collègues qui ont manifesté leur intérêt pour ce texte, qui permet d’ouvrir un débat et de faire de la pédagogie.

Alors que les pouvoirs publics perdent peu à peu la main sur des infrastructures d’intérêt vital, telles que les plateformes aéroportuaires, ou sur la gestion de l’eau, il est essentiel et urgent de se préoccuper de la résilience alimentaire des territoires, pour des raisons évidentes de sécurité nationale. C’est pourquoi, au nom des membres du groupe RDSE, je vous invite à adopter cette proposition de résolution et vous remercie par avance, mes chers collègues, pour votre soutien.

Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot.

M. Jean-Michel Houllegatte applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Tissot

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de résolution sur la résilience alimentaire traite d’une question essentielle pour nos territoires, celle de leur autonomie alimentaire, à travers le prisme inédit de la sécurité en cas de situations extrêmes.

Nous partageons pleinement le constat dont partent les auteurs de ce texte. En effet, les grands bouleversements climatiques et économiques que nous connaissons imposent de repenser notre modèle de production et de consommation alimentaires.

Ce nouveau modèle – nous en reparlerons tout à l’heure en examinant la proposition de loi de Henri Cabanel – devra aussi être plus protecteur de la santé et du bien-être des producteurs eux-mêmes.

Il est évident que, face à la récurrence des aléas, climatiques comme économiques, notre agriculture devra être plus résiliente, plus diversifiée. Nous avons plus que jamais le devoir de protéger nos terres agricoles de l’artificialisation.

Si l’on se réfère à l’excellente note du centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) sur la résilience des territoires, la « résilience » des sociétés humaines peut être définie comme leur capacité à « s’adapter à des aléas qui les menacent ».

Il se trouve que les sénateurs du groupe socialiste ont fait de nombreuses propositions, ces dernières années, pour améliorer la résilience de notre agriculture. Outre nos interventions sur les différents textes agricoles ou au moment de la discussion du budget, nous avons déposé plusieurs textes qui ont été examinés en séance publique.

Je citerai, premièrement, une proposition de résolution visant à encourager le développement d’outils de gestion de l’aléa économique en agriculture, adoptée le 6 avril 2016. Nous préconisions notamment d’activer le mécanisme de stabilisation des revenus au sein du deuxième pilier de la politique agricole commune, comme le permettent les règlements européens, de travailler sur le sujet de l’assurance récolte, dispositif que vous semblez vouloir promouvoir, monsieur le ministre, ou de construire un système de mutualisation du risque économique en agriculture.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Tissot

Nous avons présenté, deuxièmement, une proposition de loi visant à mettre en place des outils de gestion des risques en agriculture, qui a été adoptée le 30 juin 2016. Elle s’inscrivait dans la continuité de la proposition de résolution que je viens de mentionner. Nous proposions de mettre en place des fonds de stabilisation des revenus agricoles dans chaque région, d’expérimenter la mise en œuvre dans les territoires de mécanismes de gestion mutualisée des risques économiques agricoles, d’augmenter le taux de soutien à la souscription d’assurances par les agriculteurs ou encore de doubler la taxe sur les terres agricoles rendues constructibles.

Troisièmement, nous avons soumis au Sénat une proposition de résolution en faveur de la création de paiements pour services environnementaux (PSE) rendus par les agriculteurs, qui a été rejetée le 12 décembre 2018. L’objectif était d’encourager le développement des PSE, entendus comme les externalités positives de l’agriculture, c’est-à-dire l’ensemble des effets positifs susceptibles d’être engendrés par des modes de production ou des pratiques agricoles adaptés. Nous proposions ainsi de rémunérer de façon permanente les pratiques agricoles ayant une plus-value environnementale et climatique.

La problématique spécifique de la résilience alimentaire, objet de la proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui, est une question centrale. Elle est en effet au cœur de nombreux enjeux de résilience de nos territoires, tant environnementaux qu’économiques, sociaux ou sociétaux : la réduction des émissions de carbone liées aux transports ; la diminution de la vulnérabilité et de la dépendance aux matières premières importées ; la sécurisation des approvisionnements ; l’amélioration de la qualité et de la traçabilité des produits consommés ; la maîtrise de la consommation individuelle et de la pollution associée ; la relocalisation des emplois sur les territoires ; le développement d’une économie locale plus inclusive qui fasse une place à tous et redonne du sens aux missions fondamentales des agriculteurs locaux, à savoir nourrir le territoire et entretenir ses paysages.

Or, en matière d’alimentation, nos territoires ne maîtrisent qu’une part infime des ressources agricoles qui serviront à la consommation de leurs populations. Une étude du cabinet Utopies a ainsi évalué le taux d’autonomie alimentaire des cent premières aires urbaines françaises à seulement 2 % en moyenne ! Cela signifie que la production agricole locale est à l’origine de seulement 2 % des produits alimentaires consommés localement pendant une année. Les situations varient à peine d’un territoire à l’autre. Le meilleur élève, Avignon, dépasse à peine les 8 % d’autonomie alimentaire, et seules sept autres aires urbaines dépassent les 5 %, tandis que cinquante-huit sont sous la barre des 2 %. C’est le cas, notamment, de l’aire urbaine que je connais le mieux, celle de Saint-Étienne, dont le taux d’autonomie alimentaire n’est que de 1, 7 %.

Le pire, dans cette situation d’ultra-dépendance alimentaire, c’est qu’elle n’est même pas due à une carence de la production alimentaire dans nos territoires. En effet, la même étude fait apparaître que la production de l’agriculture locale de ces aires urbaines est à 97 % consommée à l’extérieur du territoire ! Le résultat le plus visible de cet état de fait est le fameux « ballet de camions » pointé dans l’exposé des motifs de la proposition de résolution. L’absurdité de la situation atteint là son comble, puisque ces camions apportent et emportent parfois les mêmes aliments !

Si l’autarcie alimentaire complète n’est pas réalisable, ni même souhaitable, l’objectif d’un taux d’autonomie de 50 % est tout à fait atteignable. En effet, le potentiel agricole local des cent premières aires urbaines pourrait permettre, en moyenne, de couvrir plus de 54 % des besoins alimentaires de leurs habitants. Même s’il existe de vraies disparités, près des deux tiers des aires urbaines disposent d’« actifs agricoles » suffisants pour assurer leur autonomie à hauteur de plus de 50 %.

Sur une vaste partie de notre territoire national, il ne manque donc plus que la volonté politique pour organiser la reconnexion entre production et consommation de produits agricoles destinés à l’alimentation. Les territoires à forte densité urbaine ou dont les caractéristiques géographiques limitent le potentiel agricole – Paris, Marseille, Bordeaux, Nice, Montpellier, Creil, Forbach… – devront, plus encore que les autres, être accompagnés dans le développement de nouvelles formes d’agriculture urbaine ou semi-urbaine.

Nous partons de loin et, pour accroître significativement l’autonomie alimentaire de nos territoires, il faudra la mobilisation de tous – pouvoirs publics nationaux, élus locaux, citoyens – autour d’une prise de conscience partagée des enjeux. À ce titre, je souhaite remercier Françoise Laborde et son groupe : la discussion de la présente proposition de résolution contribue à cette nécessaire prise de conscience.

Je voudrais maintenant revenir sur l’angle choisi pour aborder cette question fondamentale de la résilience alimentaire. Les auteurs de la proposition de résolution ont fait le choix de l’appréhender au travers de la dimension du maintien de l’ordre public. Leur texte relaie les travaux de recherche de Stéphane Linou, l’un des pionniers du « manger local » en France.

Ils proposent d’anticiper une conséquence de la multiplication des aléas climatiques et des crises économiques, qui serait un « angle mort » de nos politiques publiques : le déclenchement de troubles importants de l’ordre public sous forme d’émeutes, de blocages, etc. Cette approche, qui aurait pu être qualifiée de catastrophiste, voire prêter à sourire, il y a quelques années, ne peut plus être négligée.

Deux études publiées cette semaine viennent leur donner raison.

Premièrement, des chercheurs autrichiens ont analysé les chiffres de production issus de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) pour les principales zones de production mondiales de blé, de maïs et de soja. Il en ressort « une augmentation significative de la probabilité » de mauvaises récoltes liées au climat dans plusieurs régions productrices en même temps. Cela conduit l’auteure principale de cette étude à nous alerter sur le fait que « les chocs climatiques subis par la production agricole contribuent aux pics de prix et à la famine et pourraient déclencher d’autres risques systémiques, comme des troubles politiques ou des migrations ».

Deuxièmement, des chercheurs de l’Institut sur le changement climatique de Potsdam, en Allemagne, mettent en garde contre le risque « multiplié par vingt » de canicules simultanées affectant des zones de l’hémisphère Nord représentant jusqu’à un quart de la production mondiale. Ces canicules plus nombreuses et de plus en plus sévères menacent « la disponibilité en nourriture non seulement dans les régions affectées mais dans des régions plus lointaines qui peuvent enregistrer pénuries et augmentations des prix ».

Les effets critiques des bouleversements climatiques anticipés ne peuvent donc plus être assimilés à des scénarios de science-fiction.

Si je suis les auteurs de la proposition de résolution s’agissant de l’importance fondamentale de la résilience alimentaire ou de son lien avec la sécurité nationale, je m’interroge en revanche sur l’outil principal qu’ils préconisent de mettre en place, à savoir la reconnaissance de notre agriculture comme secteur d’activité d’importance vitale (SAIV).

Cette interrogation ne porte pas sur le bien-fondé de l’intention. Il est évident que la préservation de nos terres et la protection de nos agriculteurs doivent être des priorités nationales. La reconnaissance de la production alimentaire et du foncier agricole nourricier en tant que SAIV ne pose donc pas un problème de fond. Toutefois, en vue de sa mise en œuvre, cette préconisation nécessiterait une analyse plus fine que celle figurant dans le très court exposé des motifs de la proposition de résolution. Celui-ci laisse en effet un certain nombre de questions en suspens.

Concrètement, comment la reconnaissance du foncier agricole en tant que SAIV permettrait-elle de lutter contre l’artificialisation des sols ou l’achat de nos terres par des investisseurs étrangers ? Comment pourrait-elle encourager la relocalisation de nos productions dans les territoires ?

Comment seront désignés les opérateurs d’importance vitale parmi la multitude de structures ou d’organisations agricoles ?

Quels seront les sites plus particulièrement sensibles désignés points d’importance vitale : les terres d’élevage extensif seront-elles traitées sur le même pied que les grands vignobles, par exemple ?

Par ailleurs, il faut rappeler que l’alimentation est déjà reconnue comme un SAIV. Le ministère de l’agriculture a d’ailleurs publié un guide des recommandations pour la protection de la chaîne alimentaire contre les risques d’actions malveillantes, criminelles ou terroristes en 2014. Dans ce cadre, faut-il vraiment envisager la création d’un nouveau SAIV ? Un simple « élargissement » de l’existant ne pourrait-il suffire ?

Même si ces interrogations, essentiellement d’ordre technique, restent entières en l’état du texte de la proposition de résolution, nous considérons, avec mes collègues du groupe socialiste et républicain, que les questions fondamentales soulevées méritent d’être très sérieusement prises en compte, non seulement par notre assemblée, mais aussi et surtout par les ministères concernés. C’est pourquoi nous voterons en faveur de l’adoption de cette proposition de résolution.

Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et RDSE. – Mme Michelle Vullien applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de François Bonhomme

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution qui nous est soumise cet après-midi met en exergue une réalité qu’aucun d’entre nous ne saurait contester.

Sécheresses, catastrophes naturelles ou encore inondations affectent directement notre production agricole. Nos agriculteurs doivent faire face à des phénomènes de plus en plus nombreux fragilisant leurs exploitations. Il est évidemment de la responsabilité de l’État de prendre en compte cette situation afin d’assurer une meilleure protection de nos agriculteurs, mais aussi de la population.

De ce point de vue, l’État a très largement échoué à assumer pleinement ce rôle de prévention qui lui revient. Dans cette optique, le récent rapport d’information de nos collègues Nicole Bonnefoy et Michel Vaspart rappelait que l’État a ponctionné le fonds de prévention des risques naturels et majeurs.

Les communes constituent le premier échelon de prévention des catastrophes naturelles. Pourtant, dans leur rapport relatif à la gestion des catastrophes naturelles dans les outre-mer, nos collègues Mathieu Darnaud, Victoire Jasmin et Guillaume Arnell soulignaient que, à ce jour, seules trois communes de Guyane, une de La Réunion et une de Mayotte disposent d’un plan communal de sauvegarde. Il est donc important, pour nos territoires insulaires, de renforcer la prévention, afin d’apporter des réponses concrètes à la menace de la survenance de catastrophes climatiques majeures.

Certes, les plans Orsec permettent à l’État de répondre à ces situations d’urgence et leur efficacité a été prouvée. Mais celle-ci dépend aussi de la capacité des communes à anticiper la survenance de pareils événements.

Dès lors, je ne peux qu’être sceptique à l’égard de cette proposition de résolution qui, à mon sens, fait l’impasse sur les plans de prévention déjà en place et repose sur l’hypothèse que l’État ne serait pas capable de gérer des situations de crise. Par ailleurs, cette proposition de résolution relève d’une vision ultra-collectiviste de l’agriculture française, en prévoyant une forme de collectivisation au bénéfice de l’État de terres agricoles et des ressources qui leur sont liées.

Il est heureux que les agriculteurs comme les consommateurs n’aient pas attendu l’État pour changer et adapter leurs modes de production et de consommation à de nouvelles exigences ; je pense notamment aux circuits courts.

Dans le même esprit, il faut saluer les initiatives des collectivités territoriales visant à favoriser des circuits courts d’approvisionnement et les changements des modes de consommation particuliers. Il peut s’agir là d’une opportunité de taille pour les agriculteurs qui vendent leurs produits sans avoir recours à des intermédiaires.

Permettez-moi enfin de rappeler le mouvement de démocratisation de la consommation d’aliments issus de l’agriculture biologique. À ce titre, le cap des 2 millions d’hectares cultivés en agriculture biologique a été franchi. Ce modèle d’agriculture devrait renforcer la prééminence des circuits courts et du local sur le global dans les choix de consommation à l’avenir.

Pour toutes ces raisons, comme la plupart des membres de mon groupe, je ne voterai pas cette proposition de résolution.

Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Théophile

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à saluer l’initiative de Mme Françoise Laborde. Je la remercie, au nom du groupe La République En Marche, pour l’ensemble de son travail.

C’est la première fois, en effet, que le Sénat se saisit de la question de la résilience alimentaire. Le sujet n’est pourtant pas nouveau. Depuis plusieurs décennies, la communauté scientifique nous alerte sur les risques que le réchauffement climatique fait peser sur nos systèmes de production et de consommation ; nous y reviendrons.

La question occupe par ailleurs une place de plus en plus importante dans le débat public. Au-delà de l’enjeu purement alimentaire, c’est la résilience même de nos sociétés face aux crises environnementales, économiques ou politiques qui est en cause. La littérature sur ce sujet est foisonnante ; je ne m’y attarderai pas.

Cette proposition de résolution n° 588 sur la résilience alimentaire des territoires et la sécurité nationale est donc un premier pas vers le traitement de ce sujet par les parlementaires. Ses auteurs entendent alerter le Gouvernement sur notre vulnérabilité alimentaire et sécuritaire en cas d’événements de force majeure. Ils proposent de mettre en place une stratégie de « territorialisation » des productions alimentaires, d’établir une cartographie des flux de production et de développer une culture du risque. Ils entendent, par ailleurs, inciter le Gouvernement à présenter un projet de loi de sauvegarde du foncier agricole, à engager une révision de la loi de programmation militaire et à intégrer la notion de résilience alimentaire des territoires dans la loi du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile.

Force est de constater, mes chers collègues, que l’actualité de ces dernières années leur donne en grande partie raison.

En août 2019, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) s’est ainsi penché sur la question de la sécurité alimentaire dans son rapport spécial consacré aux terres émergées. Ce rapport souligne notamment que le changement climatique a une incidence sur les quatre piliers de la sécurité alimentaire, à savoir la disponibilité des produits agricoles, l’accès à la nourriture, l’utilisation qui en est faite et la stabilité de l’approvisionnement.

Ces dernières années, la résilience des systèmes alimentaires a par ailleurs occupé une place centrale dans la stratégie des institutions et des ONG d’aide aux populations les plus démunies. La répartition géographique de celles-ci coïncide, en effet, avec la carte des régions du monde le plus durement affectées par le changement climatique. Les périodes de sécheresse, combinées à un fort accroissement du nombre et de la gravité des catastrophes naturelles, augmentent leur vulnérabilité face aux pénuries alimentaires.

La récurrence des crises dans le monde a ainsi mis en lumière la nécessité de faire porter la réflexion sur l’urgence et le développement. L’aide humanitaire ne préparant que rarement les populations aux crises futures, il est nécessaire de traiter la question de la sécurité alimentaire de manière plus intégrée et durable.

Les risques pesant sur la sécurité alimentaire ne s’arrêtent toutefois pas aux frontières des pays défavorisés. La France, comme l’ensemble des pays industrialisés, est elle aussi directement concernée, malgré une production de denrées agricoles importante et supérieure à ses besoins.

La réduction des surfaces agricoles, l’artificialisation des terres, la raréfaction des ressources hydriques, l’hyper-sophistication des chaînes d’approvisionnement et la dépendance extrême aux énergies fossiles sont autant de facteurs qui rendent notre système alimentaire particulièrement vulnérable face aux menaces systémiques.

Cette vulnérabilité est exacerbée dans les territoires d’outre-mer, en raison de leur isolement et de leur insularité. Ces dernières années, ces territoires ont été confrontés à des crises naturelles et politiques qui ont affecté parfois durablement leur approvisionnement. Permettez-moi de m’y attarder un instant.

En septembre 2017, l’ouragan Irma a frappé de plein fouet les îles de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, provoquant des difficultés d’accès aux produits de première nécessité dans les heures et les jours qui ont suivi la catastrophe. Le manque d’organisation et de réserves de nourriture a été à l’origine de scènes de violences et de pillages.

En mai 2018, les îles de la Désirade et de Terre-de-Bas, en Guadeloupe, ont vu leurs ports bloqués par l’arrivée d’immenses radeaux d’algues sargasses, les coupant presque entièrement du monde. Si le phénomène n’est pas ancien, il devrait s’accentuer dans les années à venir.

En décembre 2018, l’île de la Réunion a connu elle aussi une rupture d’approvisionnement en biens de première nécessité en raison du mouvement des « gilets jaunes ». Près d’un millier de conteneurs renfermant des produits frais, des matières premières destinées à la fabrication d’aliments pour animaux ou des médicaments et du matériel médical sont ainsi restés en attente de livraison.

Ces situations sont d’autant plus problématiques que les territoires d’outre-mer connaissent une dépendance croissante aux importations. Tous territoires confondus, les marchandises produites localement ne représentent que le quart des marchandises vendues par les distributeurs. Près de 95 % de ces marchandises sont d’ailleurs acheminées par voie maritime. Ces importations agroalimentaires sont rendues nécessaires par l’insuffisance de la production locale, malgré la mise en place de régimes d’aide. Il est donc, là aussi, nécessaire d’encourager davantage le développement des filières de diversification.

Compte tenu de ces éléments, notre groupe votera en faveur de l’adoption de cette proposition de résolution.

Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et SOCR.

Debut de section - PermalienPhoto de Fabien Gay

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant toute chose, je tiens à souligner que si Marie-Noëlle Lienemann et moi-même sommes physiquement et intellectuellement présents dans cet hémicycle, notre cœur est avec l’ensemble des manifestants qui battent aujourd’hui le pavé pour manifester contre la réforme des retraites du Gouvernement !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Fabien Gay

J’y viens !

Le scénario de l’effondrement est aujourd’hui de plus en plus présent dans notre société. La succession d’événements climatiques extrêmes, les rapports successifs du GIEC, tout comme ceux du Haut Conseil pour le climat et de toutes les instances chargées de mesurer les effets de l’action humaine sur le climat, ainsi que l’impératif de réduire nos émissions de gaz à effet serre, l’exploitation irrationnelle de ressources naturelles finies : tout cela peut susciter un sentiment de désespoir, de colère, de sidération, voire de dépression, mais aussi, chez certains, un déni de la réalité du changement climatique, tant les défis environnementaux et économiques auxquels nous sommes confrontés sont redoutables.

L’urgence n’a sans doute jamais aussi prégnante : il nous faut changer radicalement nos modes de production et de consommation, ce qui peut parfois faire peur.

D’abord ressentie pour les générations futures, cette peur est devenue très présente, voire quotidienne. Pour 60 % de nos concitoyens, « les conditions de vie deviendront extrêmement pénibles à cause des dérèglements climatiques », selon une étude de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’Ademe. Cette peur peut nous tétaniser, elle peut nous faire baisser les bras : en effet, à quoi bon agir si la fin du monde est imminente ? À quoi bon se mobiliser si le monde de demain sera celui de Mad Max, marqué par un repli sur soi exacerbé ?

M. Roger Karoutchi s ’ esclaffe.

Debut de section - PermalienPhoto de Fabien Gay

Il faut donc nous garder du catastrophisme, qui peut mener à une forme de résignation et à la négation de toute possibilité d’action pour une transition écologique. Or nous pouvons encore agir ! Des centaines de milliers de personnes marchent pour le climat ; des milliers de jeunes se mobilisent ; on voit partout émerger d’autres manières de vivre, des propositions pour promouvoir un mode de vie respectueux de la planète.

C’est pourquoi, si nous partageons le point d’arrivée de la proposition de résolution du groupe RDSE, nous n’en approuvons pas les préconisations.

En matière agricole, cela fait des années que l’obsession de l’accroissement de la productivité a pris le pas sur toute autre considération et a provoqué la disparition massive des petites exploitations, jugées moins rentables et moins capables de faire face au défi de la concurrence, notamment dans le cadre d’une libéralisation des marchés agricoles.

Pour notre part, nous avons toujours défendu l’idée que seule une agriculture à visage humain, une agriculture locale et paysanne permettra de relever les défis environnementaux auxquels nous sommes confrontés.

Cela fait des années que nous défendons une agriculture familiale, locale, permettant une production de qualité, un « réinvestissement » des campagnes et une transition écologique, ayant pour objectifs la souveraineté alimentaire et une rémunération juste pour celles et ceux qui travaillent la terre.

Pour cela, il faut une relocalisation de la production afin de privilégier les circuits courts, qui permettent une meilleure traçabilité des produits et favorisent de nouvelles formes de distribution. Il faut un assouplissement du code des marchés publics, par exemple en faveur de ces circuits courts, et promouvoir une capillarité la plus fine du fret ferroviaire, plutôt que d’abandonner cet outil écologique.

Ces propositions, nous les défendons non par peur des émeutes et de la pénurie, mais bien parce que leur mise en œuvre permettrait d’éviter une fracture territoriale et sociale en matière d’accès à une alimentation de qualité.

Dans le même ordre d’idées, il est impératif de s’opposer aux traités de libre-échange, qu’il s’agisse de l’accord économique et commercial global (CETA), du Mercosur ou de l’accord de libre-échange entre le Japon et l’Union européenne (Jefta), car c’est ce libéralisme effréné qui met en cause la sécurité alimentaire à l’échelle de la planète, monsieur Karoutchi !

Debut de section - PermalienPhoto de Fabien Gay

C’est ce même libéralisme qui fait le départ entre, d’un côté, ceux qui pourront monter en gamme, et, de l’autre, la majeure partie des gens, ceux qui devront acheter à manger au prix le plus bas, dans les conditions environnementales les plus sévères.

Malgré ces réserves, nous soutenons l’initiative des auteurs de la proposition de résolution. Si la peur ne peut être un moteur, il n’en demeure pas moins que les questions soulevées et l’invitation faite au Gouvernement d’amorcer un changement radical en matière agricole sont pertinentes.

Oui, la résilience alimentaire doit devenir un sujet prioritaire dans l’agenda politique, pour que les élus, les experts en sécurité et en gestion de risques, les représentants de la production et de la distribution alimentaires s’en emparent et pour qu’une stratégie de prévention et un plan de résilience soient élaborés afin de prévenir le risque de pénurie.

Oui, la dissociation entre les territoires où sont produits les aliments et ceux où ils sont consommés constitue un risque réel. Il est indispensable de le prendre en compte dans la législation et dans les plans de gestion des risques.

Non, le foncier agricole n’est pas sécurisé par un corpus législatif le protégeant de l’accaparement par des puissances étrangères. En outre, l’artificialisation des terres réduit les surfaces agricoles.

Dès lors, relocaliser la production, accélérer le passage à l’agriculture biologique, privilégier les circuits courts, cartographier tous les producteurs, évaluer différentes possibilités en matière de transport et de distribution sont des enjeux essentiels en vue de répondre, outre aux défis environnementaux et sociaux que doit relever notre agriculture, à une possible crise systémique.

Si nous saluons le travail de Françoise Laborde et de nos collègues du groupe RDSE, l’orientation essentiellement sécuritaire de leurs propositions ne nous convainc pas. C’est une démarche holistique qu’il faut dès à présent amorcer. La majorité des membres du groupe CRCE s’abstiendront, quelques-uns voteront cette proposition de résolution.

Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Franck Menonville

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pas une année ne passe sans que nous ne recevions des images venues d’ailleurs montrant les désastres de la faim.

La faim frappe presque toujours les pays meurtris par les conflits et les guerres. Elle en constitue bien souvent l’une des conséquences malheureuses. La faim se trouve aussi à la source de nombreuses tensions qui déchirent les sociétés et ébranlent les régimes politiques. La stabilité politique et l’émergence de régimes démocratiques sont donc incontestablement des leviers de la résilience alimentaire.

Les images que j’évoquais à l’instant nous rappellent aussi que la France a déjà conquis sa souveraineté alimentaire grâce à son agriculture, qui nourrit les Français et exporte ses denrées en Europe et dans le monde.

Tel est aujourd’hui le véritable fondement de notre résilience alimentaire. Il ne faut donc pas se tromper de combat. L’agriculture française, la première d’Europe, est aussi l’une des plus diversifiées au monde. C’est une garantie incontestable en matière de sécurité alimentaire.

Je salue l’initiative du groupe RDSE. Cette proposition de résolution, même si elle nourrit un discours trop alarmiste fondé sur un constat quasiment apocalyptique, a le mérite d’attirer notre attention sur cette problématique. C’est l’occasion de mettre en relief ce qui nous semble essentiel pour véritablement garantir notre autonomie et notre souveraineté alimentaires.

Cette problématique n’est pas nouvelle, mais elle se présente aujourd’hui sous un jour inédit, notamment en raison de l’effet combiné de la mondialisation des échanges et du dérèglement climatique. Ces deux tendances transformeront encore à l’avenir nos modes de production agricole, ainsi que nos habitudes de consommation. C’est dans ce cadre que nous devons proposer une vision ambitieuse et pragmatique de la résilience alimentaire.

Cependant, cette vision ne doit pas se développer au gré des tendances consuméristes et au mépris de notre passé, notamment de notre passé récent. Il n’y a pas si longtemps encore, tout particulièrement au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la France souffrait massivement de la faim. Notre pays est parvenu à l’éradiquer ; c’était d’ailleurs un objectif fondateur de l’Union européenne, qui a pu être atteint au travers notamment de la PAC.

Or ce résultat n’a pu être obtenu que par le développement d’une agriculture robuste, modernisée, performante et celui des échanges commerciaux, notamment avec nos partenaires européens. En effet, ne l’oublions pas, l’agriculture a très rapidement constitué un pilier essentiel de la construction européenne ! Il ne s’agit pas de nier les défis auxquels notre modèle agricole devra faire face dans le futur. Il s’agit seulement de se souvenir d’où l’on vient pour bien comprendre où l’on veut aller.

Aujourd’hui, notre pays a toutes les raisons d’être fier de son agriculture. La France est le premier producteur agricole européen, devant l’Allemagne et l’Italie. Alors que notre pays affiche malheureusement, depuis plusieurs années, un déficit commercial structurel, notre industrie agroalimentaire présente, elle, un excédent structurel.

La France se trouve d’ores et déjà en situation d’autosuffisance alimentaire. Elle concourt également à l’autosuffisance de l’Europe et contribue à alimenter le marché mondial, ce qu’elle doit continuer à faire.

Certes, l’autosuffisance n’implique pas nécessairement la résilience, de même qu’autonomie ne rime pas forcément avec autarcie. Néanmoins, nous devons prendre garde à ne pas céder trop facilement au chant des sirènes qui ne jurent plus que par un « localisme » forcément réducteur.

Si nous avons conquis notre indépendance alimentaire, c’est d’abord par le développement de nos capacités de production et des échanges commerciaux avec nos partenaires européens.

Certes, l’agriculture française montre des signes de fragilité. Notre production nationale tend à stagner, notre rang dans les échanges internationaux se détériore et la place qu’occupent les importations dans notre alimentation augmente, comme l’a mis en exergue un récent débat au Sénat.

Conserver la performance de notre agriculture et son rang en Europe, là est le véritable enjeu qui doit tous nous mobiliser. Je sais, monsieur le ministre, que cela vous tient à cœur !

Alors que notre planète devrait compter 10 milliards d’êtres humains en 2050, notre capacité collective à nourrir tout ce monde est incertaine. Si notre agriculture est à la pointe en matière environnementale et figure parmi les plus durables au monde, elle peut encore réaliser d’importants progrès en termes de productivité, en misant sur l’innovation.

Dans cette optique, toutes les évolutions sociétales qui concourent à soutenir une agriculture nationale, et donc locale, vont dans le bon sens. Le développement des circuits courts ou la transition de notre agriculture participent d’une politique agricole ambitieuse. Nous ne souhaitons aucunement opposer les modèles ; au contraire, il faut les rendre complémentaires et les combiner.

La résilience alimentaire de notre pays passe avant tout par une politique agricole ambitieuse. Nous ne partageons pas la philosophie de cette proposition de résolution, même si nous en partageons les objectifs.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Férat

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier Françoise Laborde, dont l’initiative nous permet d’échanger sur ce sujet fondamental de notre quotidien : notre alimentation.

La proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui a pour objet de remettre au centre du débat la question de la résilience alimentaire et de la capacité de nos territoires à faire face à des crises profondes et durables.

Mon propos se déclinera selon deux axes : la protection du foncier agricole nourricier et la promotion d’une production alimentaire locale de qualité, d’une part ; les craintes qu’inspirent les dispositifs préconisés au travers de la proposition de résolution, d’autre part.

Cette proposition de résolution démontre encore une fois qu’une grande loi agricole est nécessaire, comme je l’ai déjà expliqué lors de la discussion budgétaire, monsieur le ministre.

La protection du foncier agricole français est bien évidemment d’une importance primordiale pour notre système de production. La question de l’obsolescence de ses outils de gestion a été soulevée à maintes reprises depuis deux ans. À cet égard, nous appelons à une réflexion sur leur modernisation : nous attendons toujours de pouvoir débattre d’un texte de loi sur le foncier agricole !

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Férat

Il manque, dans le présent texte, la référence à un élément indispensable lorsque l’on évoque le foncier, à savoir la mise en place d’une fiscalité soutenant la transmission des terres agricoles.

La raréfaction des terrains, notamment aux abords des villes, en fait une ressource convoitée qu’il faut préserver, par exemple contre les appétits de puissances étrangères.

Par ailleurs, l’agriculture de proximité et le développement des circuits courts sont une source de revenus supplémentaires pour les agriculteurs. Nous sommes d’accord sur ce point.

Cette évolution recoupe de véritables revendications des consommateurs : en témoignent de nombreuses initiatives, telles que les associations pour le maintien d’une agriculture de proximité (AMAP).

Les projets alimentaires territoriaux (PAT) sont des outils déterminants aux mains des collectivités territoriales, par exemple pour concevoir et mettre en œuvre une organisation agricole locale. Les circuits courts accentuent les liens entre la ville et les agricultures périphériques.

Même si l’alimentation est la base de la vie, la référence, dans la proposition de résolution, à la loi de programmation militaire m’a surprise. Elle ne manquera pas de faire sursauter les agriculteurs !

Certaines préconisations de cette proposition de résolution semblent de nature à imposer de nouvelles contraintes à des agriculteurs déjà assujettis à de nombreux impératifs. Appuyons-nous plutôt sur les dizaines de solutions agroécologiques qu’ils nous proposent !

Par ailleurs, je constate que de nombreux enjeux qu’il est nécessaire de prendre en compte pour appréhender la filière agricole dans son ensemble sont absents du texte : je pense notamment à la compétitivité des exploitations – il faut bien en parler – et aux distorsions de concurrence résultant de normes plus strictes dans notre pays qu’ailleurs.

Enfin, j’observe une certaine contradiction entre une localisation stricte des productions et le défi de nourrir 10 milliards d’habitants !

En tant qu’élus des territoires, nous devons veiller à ce que les textes que nous votons prennent la mesure des difficultés actuelles des agriculteurs, à l’instar de la proposition de loi que nous examinerons tout à l’heure. L’agri-bashing ambiant doit être combattu.

Pour conclure, j’indique que les votes des membres du groupe Union Centriste seront partagés. Personnellement, je ne pourrai approuver cette proposition de résolution.

Applaudissements sur les travées du groupe UC.

Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Chantal Deseyne

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de résolution de notre collègue Françoise Laborde sur la résilience alimentaire des territoires et la sécurité nationale.

Ce texte trouve son origine dans un mémoire de recherche intitulé « Résilience alimentaire et sécurité nationale ». Il s’agit d’une enquête menée au sein des milieux de la défense, de l’agriculture, de la sécurité et de l’alimentation, dont l’auteur analyse un impensé : la France est-elle préparée à une pénurie alimentaire ?

Ainsi, cette proposition de résolution souligne « l’importante vulnérabilité de notre Nation en cas d’événements de force majeure » et évoque un « risque systémique majeur ». J’estime qu’elle décrit un risque dont la probabilité n’est pas démontrée.

En cas de catastrophes naturelles, la chaîne d’approvisionnement est déjà prise en compte dans le cadre des plans Orsec, qui s’appuient sur la préparation commune de tous les acteurs publics et privés. L’ensemble est coordonné par le préfet.

Le plan Orsec permet de faire face à tous types de situations d’urgence, de protéger les populations, l’environnement et les biens. Il est mis à jour par l’actualisation des bases de données réalisée par chacune des personnes publiques et privées, conformément à l’article R. 741-6 du code de la sécurité intérieure.

En outre, cette proposition de résolution dénonce « la logique de marché qui ignore la sécurisation du foncier agricole nourricier ». Est-ce à dire qu’il faudrait envisager la collectivisation des terres agricoles afin de protéger les populations ?

M. Joël Labbé s ’ exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Chantal Deseyne

La question du foncier agricole est complexe et mérite mieux que des postures idéologiques éloignées du quotidien des agriculteurs. Les outils de protection et de régulation du foncier agricole sont élaborés aux fins de préserver les exploitations agricoles dans le respect du droit de propriété.

Les auteurs de la proposition de résolution affirment ensuite que « le foncier agricole n’est pas sécurisé par un corpus législatif qui protège nos terres nourricières de l’accaparement par des puissances étrangères ». Je rappelle que la loi du 20 mars 2017 relative à la lutte contre l’accaparement des terres et au développement du biocontrôle a instauré un dispositif législatif tendant à renforcer la transparence des acquisitions du foncier agricole par les sociétés, en les obligeant à s’appuyer sur une société dédiée au portage du foncier pour toute nouvelle acquisition ou tout apport de foncier. La transparence de ces opérations est ainsi assurée.

Pour construire des solutions qui répondent aux besoins des agriculteurs en matière de foncier agricole, il est préférable d’être à l’écoute des agriculteurs sans les stigmatiser. L’évolution du foncier agricole doit se construire avec les agriculteurs, et non contre eux.

Les auteurs de la proposition de résolution observent avec raison que les agriculteurs exploitent ou utilisent des installations indispensables à la vie de la Nation, mais soulignent qu’ils ne sont pas considérés comme des opérateurs d’importance vitale. Ceux-ci sont désignés, pour chaque secteur d’activité d’importance vitale, par arrêté. Ils ont pour obligation d’analyser les risques, d’établir un plan de sécurité prenant en compte les attendus de la directive nationale de sécurité au titre de laquelle ils ont été désignés et d’identifier leurs points d’importance vitale, qui feront l’objet d’un plan particulier de protection à leur charge et d’un plan de protection externe à la charge du préfet de département. Rappelons que les agriculteurs ont toujours joué un rôle vital pour les populations et l’économie de notre pays sans qu’il soit nécessaire de les considérer comme des opérateurs d’importance vitale. Tout cela n’a pas de sens !

Le changement climatique influe sur la production et les agriculteurs sont en première ligne pour en mesurer les effets. Oui, le climat peut bousculer notre destin ! Il y a des catastrophes naturelles et il y en aura encore. Cela ne signifie pas, pour autant, qu’il faille changer de système et mettre les agriculteurs sous la tutelle de l’État.

Je ne voterai pas cette proposition de résolution qui instrumentalise les peurs et ne se fonde sur aucune démonstration probante.

Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.

Applaudissements sur des travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Nadia Sollogoub

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, « résilience alimentaire des territoires » et « sécurité nationale » : intuitivement, ces notions vont effectivement de pair !

Reprenons plus en détail les termes de la proposition de résolution.

« La production locale agricole demeure essentielle à la vie et appartient au patrimoine français » : nous sommes d’accord.

« La planète comptera 10 milliards d’habitants à l’horizon 2050, il est donc primordial de préserver les terres arables » : nous sommes d’accord.

« La logique de marché menace la sécurisation du foncier agricole nourricier » : nous sommes d’accord.

« L’environnement et les ressources sont des biens qui doivent être gérés dans une véritable stratégie de solidarité territoriale » : nous sommes d’accord.

L’excellent rapport de nos collègues Ronan Dantec et Jean Yves Roux fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective nous a tous ébranlés : oui, le changement climatique est là, il n’est pas pour demain.

L’agriculture doit évoluer. Les ressources hydriques doivent être gérées autrement, il faut désormais s’organiser collectivement pour parer aux pénuries d’eau. L’ensemble de nos pratiques doivent être adaptées. Nous devons collectivement nous préparer à des situations extrêmes et à des événements climatiques exceptionnels.

En cela, chère Françoise Laborde, votre proposition de résolution emporte ma pleine et entière adhésion : soyez remerciée de votre initiative.

Sur les réseaux sociaux, beaucoup de citoyens se sont émus et nous ont appelés à vous soutenir : nous avons tous reçu un message en ce sens dans nos boîtes mail.

Cependant – il y a un « mais », hélas ! –, la lecture de cette proposition de résolution m’amène également à émettre des objections.

De fait, la notion de « bien commun » se heurte au droit de la propriété tel qu’il est défini dans le code civil.

Debut de section - PermalienPhoto de Nadia Sollogoub

De même, la perspective d’une révision de la loi de programmation militaire pour intégrer la production et le foncier agricoles comme secteurs d’activité d’importance vitale suscite les plus vives inquiétudes dans le monde rural, qui anticipe toutes les lourdeurs et complications supplémentaires qui pourraient en découler.

Une résolution, ce n’est pas rien : elle appelle à la prise de mesures législatives. L’adoption du présent texte placerait le foncier agricole dans une situation particulière : devenu un enjeu de défense nationale, il pourrait faire l’objet d’une réquisition par les forces armées ! Les ministères de l’intérieur et de la défense ont-ils été consultés sur ce point, car ils seraient en première ligne de ces éventuelles réorganisations ?

L’instruction générale interministérielle relative à la sécurité des activités d’importance vitale prévoit bien le point clé suivant : « La constitution d’une zone d’importance vitale doit apporter une plus-value opérationnelle. » Est-ce le bon outil pour éviter « le risque d’accaparement par des puissances étrangères » ?

Ma dernière réserve est la suivante : cette proposition de résolution, en posant la proximité comme valeur absolue, envoie un message qui pourrait être perçu comme tenant du repli sur soi.

Un éleveur de mon département, la Nièvre, terre de production de l’excellente viande charolaise, m’a tenu les propos suivants : « Tout le monde nous vante les vertus des circuits courts, mais moi, je produis de quoi nourrir 1 000 personnes, et j’habite un village de 200 habitants. »

Les choses ne sont donc pas si simples. Même si le ballet des camions de la grande distribution apparaît comme une aberration environnementale, les comportements du consommateur ont changé. Les circuits courts ont leurs limites et ne peuvent être la solution universelle. Les marchés agricoles sont mondiaux, et si la « territorialisation des productions alimentaires » est un concept rassurant, elle n’est pas toujours possible. Quelqu’un faisait remarquer ce matin qu’il faudrait alors oublier l’idée de boire du café…

Votre proposition de résolution, qui nous inspire des « plus », des « bravos » et des « oui, mais », nous fait en tout cas réfléchir ; cela mérite encore un « bravo » !

(Sourires.) En ce qui me concerne, je m’abstiendrai.

Mme Michèle Vullien applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Nadia Sollogoub

Au sein du groupe Union Centriste, les votes seront partagés – un vrai vote de centristes ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Guillaume Chevrollier

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’échéance de 2050, il faudra nourrir 10 milliards de personnes dans un contexte de réchauffement climatique qui va accentuer la pression sur les terres agricoles. Seuls les pays qui auront su préserver leur agriculture de la pression foncière et des aléas climatiques seront en mesure de répondre à la demande mondiale.

La France, puissance agricole de premier plan, en est-elle seulement encore capable ? Peut-elle encore aujourd’hui assurer son indépendance alimentaire ?

Ce sont les questions que soulève cette proposition de résolution, qui vise à alerter l’exécutif « sur l’importance d’une prise en compte de la territorialisation de la production, de la transformation et de la distribution alimentaires ». Elle rappelle aussi que les autorités publiques doivent être en mesure de « garantir les conditions d’un niveau minimum de sécurité et d’approvisionnement alimentaire ». Il est en effet de la responsabilité de l’État de garantir notre souveraineté alimentaire, que le général de Gaulle qualifiait d’ailleurs d’« ardente obligation ».

Souveraineté alimentaire et autonomie stratégique militaire sont liées. Trouvez-vous d’ailleurs normal, monsieur le ministre, que l’économat des armées françaises ne s’approvisionne pas uniquement avec des produits agricoles français ? Soutien aux armées, soutien aux agriculteurs !

Ces agriculteurs, qui affrontent tellement de difficultés et qui travaillent sans relâche, ne pourront supporter très longtemps l’absence de mesures concrètes pour améliorer leur situation.

Le défi qui nous attend consiste à redonner un équilibre à la mondialisation. Pendant trop longtemps, nous n’avons pas su prendre la mesure de l’évolution de celle-ci. Nous avons appliqué des normes plutôt que de définir une stratégie, et, dans certains secteurs, comme l’agriculture, nous nous sommes retrouvés en compétition avec des concurrents qui ne respectent aucune des règles imposées ; nous avons perdu des batailles.

Le rapport de nos collègues Sophie Primas et Laurent Duplomb souligne très bien les menaces qui pèsent sur notre agriculture ; l’une d’entre elles nous intéresse plus particulièrement dans le cadre de cette discussion.

Les importations de produits agricoles et alimentaires augmentent, alors qu’elles ne respectent pas nécessairement les normes de production imposées en France. Entre 8 % et 12 % des denrées alimentaires importées de pays tiers ne respectent pas les normes européennes de production. En plus de mettre en péril la sécurité sanitaire de nos concitoyens, ce phénomène autorise une concurrence déloyale au détriment de nos producteurs. Si rien n’est fait, cette tendance va s’accentuer.

Je rappelle que les notions d’autosuffisance et de sécurité alimentaires, qui tiennent aux besoins les plus fondamentaux de la personne, doivent être au cœur de toute vraie politique agricole.

Plus que d’une « stratégie de territorialisation des productions alimentaires, d’une cartographie des flux de production alimentaire et d’une préparation des populations » ou « d’une loi de sauvegarde du foncier agricole », comme le prévoit la proposition de résolution, à l’instar d’une sorte de Gosplan, nous avons besoin, me semble-t-il, d’une vraie politique agricole, d’un vrai soutien politique et d’une vraie lutte contre l’agri-bashing, pour le dire en bon français.

Le Gouvernement n’est certes pas responsable de ce dont il a hérité, mais il l’est, en revanche, de ce qu’il a ou non entrepris. Il a fait adopter la loi Égalim, qui a suscité un immense espoir chez les agriculteurs. Mais, aujourd’hui, sur le terrain, ceux-ci nous disent que, pour l’heure, cette loi n’a servi à rien et ne leur a en tout cas apporté aucun retour sur le plan financier. L’État doit agir pour que notre agriculture devienne plus compétitive. Vous avez donné à penser, monsieur le ministre, que vous aviez trouvé la solution au problème de la faiblesse des revenus agricoles : or non seulement la loi Égalim n’améliore en rien la situation sur ce point, mais elle déstabilise aussi des acteurs économiques de la filière.

Les agriculteurs ont besoin de solutions pérennes, concrètes, immédiates. Il n’y a aucune raison que l’agriculture française ne se redresse pas. Il le faut, c’est un impératif pour notre pays. Je fais partie de ces élus qui pensent que la France a une grande vocation agricole et que notre souveraineté est garantie pour autant que notre autosuffisance alimentaire soit assurée. Notre pays est capable d’atteindre cet objectif.

Cette proposition de résolution permet de mettre en débat le sujet de notre souveraineté alimentaire. C’est une bonne chose, mais les orientations proposées sont inadaptées. En conséquence, une très large majorité des membres du groupe Les Républicains voteront contre cette proposition de résolution.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte dont nous discutons aujourd’hui aborde une thématique essentielle, puisqu’il traite d’un enjeu de sécurité nationale : la résilience alimentaire.

Je salue la très heureuse initiative de ma collègue Françoise Laborde, qui a entraîné derrière elle l’ensemble du groupe RDSE pour soutenir cette proposition de résolution. Il ne s’agit en effet que d’une proposition de résolution, il importe de le souligner !

La sécurité alimentaire est un enjeu de premier plan. Historiquement à la base de l’action publique et de l’ordre public, son importance pour la sécurité civile est aujourd’hui oubliée.

Pourtant, dans un contexte marqué par des aléas climatiques de plus en plus nombreux et graves, par des pénuries d’eau inquiétantes, par des prix fluctuants de l’énergie, cette question semble plus que jamais d’actualité.

Françoise Laborde a déjà cité, très justement, les nombreux rapports sénatoriaux mettant en avant la nécessité d’anticiper les risques qui pèsent sur notre production alimentaire.

Face à ces menaces, nos villes, comme nos campagnes, ne sont pas préparées. En effet, elles sont sous perfusion des grandes surfaces et de leurs systèmes logistiques. Leur taux d’autonomie alimentaire est particulièrement faible : de l’ordre de 2 % pour les aires urbaines, et guère plus pour les territoires ruraux, qui dépendent en définitive quasiment des mêmes circuits d’approvisionnement.

De plus, comme l’a souligné Dominique Théophile, la question des outre-mer est ici particulièrement prégnante, puisqu’une part très importante de leur alimentation est importée, depuis des territoires éloignés et via des circuits d’approvisionnement vulnérables aux événements climatiques.

Face à ces menaces, les pouvoirs publics manquent de réponses : les plans Orsec, prévus pour gérer des crises exceptionnelles et de courte durée, sont insuffisants pour faire face à des aléas climatiques ou à des pénuries de plus long terme. S’ils font la preuve de leur efficacité quand ils sont mis en œuvre, ils ne sont pas conçus pour parer à un risque systémique.

Toutes ces questions ont été mises en lumière par le travail de Stéphane Linou, pionnier du mouvement Locavore. Françoise Laborde l’a rappelé, ce texte fait écho à ses recherches. Je viens d’apprendre que M. Linou, qui est présent dans nos tribunes, est lauréat d’un prix national sur l’information, la prévention et la résilience. Il s’agit d’une véritable reconnaissance de son travail de chercheur. Sa démarche innovante a montré la pertinence du sujet et la carence actuelle en termes de prise en compte de ces enjeux. Des militaires et de nombreuses personnes, au sein des services de l’État et des collectivités locales, se sont montrés très intéressés par son travail.

Pour remédier à cette carence, la proposition de résolution comporte des recommandations pertinentes et de bon sens : préparation des populations, intégration du lien entre les questions militaires, de sécurité et alimentaires, notamment via l’ajout de la production alimentaire et du foncier agricole à la liste des secteurs d’importance vitale pour notre pays.

Outre cet aspect organisationnel, certains des leviers que la proposition de résolution appelle à mettre en œuvre touchent à un sujet sur lequel je travaille depuis longtemps, avec d’autres : la relocalisation de l’alimentation, ou du moins d’une part, la plus importante possible, de celle-ci – je ne veux pas être accusé d’intégrisme ! Au travers des politiques publiques, de premiers pas ont été faits à cet égard, par exemple avec les projets alimentaires territoriaux ou l’approvisionnement local de la restauration collective.

Pour assurer la résilience des territoires, il faut toutefois aller aujourd’hui plus loin, comme le souligne le texte, qui prévoit d’agir sur le foncier et de favoriser le développement local de systèmes agricole et alimentaire résilients. Les pistes proposées entrent en forte résonance avec trois événements, auxquels j’ai eu la chance de participer dans ces dernières semaines.

Tout d’abord, j’ai pris part à un colloque organisé par l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) sur la question de la « reterritorialisation de l’alimentation ». Monsieur le ministre, les chercheurs de l’INRA travaillent sur ces sujets : j’ai découvert l’importance et l’intérêt de leur contribution.

Ensuite, j’ai assisté au colloque sur la question foncière organisé notamment par Dominique Potier à l’Assemblée nationale, intitulé « Partager et protéger la terre, plaidoyer pour une loi foncière ». Cela a déjà été dit, nous attendons avec impatience de pouvoir débattre d’une telle loi ! Le foncier nourricier est un bien stratégique qu’il nous faut à tout prix protéger, à l’instar d’un bien public, même si c’est un bien privé. J’espère que la loi foncière promise par le Gouvernement sera prochainement annoncée.

Enfin, l’Association française pour l’étude du sol organisait à Vannes, la semaine dernière, un colloque sur l’érosion des sols, afin de définir des solutions locales et territoriales.

Pour conclure, si j’ai bien compris, il n’y aura pas de majorité pour adopter cette proposition de résolution.

Exclamations amusées sur diverses travées.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Il s’agit d’une simple résolution, qui vise à envoyer un signal fort à notre population, mais aussi à nos agriculteurs. Certains ont prétendu qu’elle visait à l’ultra-collectivisme, à placer l’agriculture sous la tutelle de l’État : ce n’est pas du tout cela ! Il s’agit de faire en sorte que la puissance publique joue son rôle, dans l’intérêt des populations et des agriculteurs. La relocalisation de l’alimentation est avant tout dans l’intérêt de ces derniers, qui doivent en être les premiers bénéficiaires.

On dit que nous avons la meilleure agriculture du monde. Mais dans quelle situation se trouvent un grand nombre de nos agriculteurs ?

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

M. Joël Labbé. Il faut prendre les mesures qui conviennent. Quelquefois, des miracles surviennent à l’approche de Noël

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

: peut-être cette proposition de résolution sera-t-elle adoptée ?

Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, CRCE et SOCR.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie, chère Françoise Laborde, d’avoir fait inscrire cette proposition de résolution à l’ordre du jour du Sénat. Je ne sais pas quelle sera l’issue du vote, mais l’important est que le débat sur la résilience alimentaire des territoires et la sécurité nationale puisse avoir lieu. Je sais que cette question vous tient à cœur ; j’ai lu le communiqué consécutif à la conférence de presse que vous aviez tenue en juillet dernier.

Un tel sujet ne peut pas être pris à la légère. On peut être ou non d’accord avec cette proposition de résolution, mais la question du lien entre la résilience alimentaire des territoires et la sécurité nationale mérite d’être pleinement prise en compte, eu égard à l’actualité.

Le Gouvernement partage évidemment votre objectif d’atteindre la souveraineté alimentaire. Il importe de pouvoir compter sur nos agriculteurs pour préserver notre agriculture et, partant, notre alimentation. Enfin, nous partageons l’ambition de conserver nos terres, de garder nos agriculteurs et de protéger nos territoires, dans lesquels les diverses activités doivent pouvoir coexister sereinement. Je souhaite que nos agriculteurs puissent continuer à nourrir durablement nos concitoyens partout en France, que ce soit en métropole ou en outre-mer. À cet égard, je tiens à saluer particulièrement l’intervention de M. Théophile, car les outre-mer, qui dépendent beaucoup d’un approvisionnement externe, sont les plus touchés par la problématique soulevée par Mme Laborde.

Le changement climatique est plus prégnant que jamais. Je suis convaincu que, face au dérèglement climatique, l’agriculture est non pas un problème, mais une solution.

M. Joël Labbé approuve.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

J’étais à Madrid pour la COP25 mardi et mercredi derniers. Je suis intervenu pour évoquer l’initiative « 4 pour 1 000 », qui avait été prise par la France. Elle vise à l’enrichissement des sols, afin de permettre l’indispensable résilience alimentaire. Il n’y aura pas d’adaptation de notre agriculture pour relever les défis qui ont été évoqués sans transition agroécologique.

Il faut aborder la question de la cohabitation de l’agriculture avec le logement et les infrastructures. Pendant trop d’années, dans tous nos départements, nous n’avons cessé de construire, parce qu’il fallait loger la population. On a réalisé des lotissements, des centres commerciaux, des zones artisanales, des zones industrielles… Je ne jette la pierre à personne, parce que cela devait être fait. À l’époque, il y a vingt ou trente ans, nous n’avions pas la même vision des choses qu’aujourd’hui.

Je me suis rendu lundi dernier dans le Var et les Alpes-Maritimes : j’y ai constaté que les inondations dramatiques d’il y a quelques jours étaient en grande partie liées à une hyper-artificialisation des sols, ayant conduit à la formation de véritables « autoroutes » pour l’eau.

MM. Henri Cabanel et Joël Labbé opinent.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

C’est une des raisons pour lesquelles nous travaillons à une loi foncière, que j’ai annoncée lors du dernier congrès de la Fédération nationale des sociétés d’aménagement et d’établissement rural (FNSafer). Nous avons interrogé l’ensemble des acteurs et reçu plus de 400 contributions, que nous sommes en train de compiler pour établir une liste des sujets consensuels et une liste de ceux qui font débat. Nous avancerons le plus vite possible sur ce qui fait consensus, le cas échéant en prenant un décret ou un arrêté. Zéro artificialisation nette des sols : tel est l’objectif du Gouvernement. Cela va dans le sens de votre proposition de résolution, madame Laborde.

Nous devons aussi permettre la transmission des exploitations et l’installation des jeunes. Je travaille sur un projet de décret visant à encadrer les investissements étrangers dans le foncier : aujourd’hui, des terres agricoles sont achetées par des fonds de pension ou de grandes sociétés. Il s’agit de protéger notre foncier agricole non pas pour rester entre nous, mais afin de pouvoir préserver notre agriculture française, qui est à la source de l’une des alimentations les plus saines, les plus sûres et les plus durables du monde.

Concernant la raréfaction des ressources hydriques, je veux saluer le rapport de MM. Dantec et Roux : décidément, le groupe RDSE est très proactif sur ces sujets !

Mme Françoise Laborde acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Par ailleurs, nous travaillons avec Bruno Le Maire à la mise en place d’un pacte productif pour les entreprises, visant notamment à renforcer la souveraineté agroalimentaire et la compétitivité. N’opposons pas l’alimentation de 10 milliards d’individus dans les années à venir au développement des circuits courts et de l’alimentation locale. Ce serait, selon moi, une erreur ! Les populations du Sud doivent pouvoir manger à leur faim, ce qui n’est pas toujours le cas aujourd’hui, et consommer des produits alimentaires de qualité ; parallèlement, nous devons continuer la transition agroécologique en promouvant les projets alimentaires territoriaux, les circuits courts et l’approvisionnement local. Il faut éviter que les riches du Nord s’alimentent bien, et les pauvres du Sud mal. En cas de pénurie ou de difficultés, ces derniers seront toujours les plus touchés.

Quant aux projets alimentaires territoriaux, qui ont été inscrits dans la loi à plusieurs reprises, ils consolident vraiment l’ancrage de notre alimentation. Il y en a aujourd’hui soixante-quatorze : sans doute faut-il aller plus loin, mais ces soixante-quatorze PAT nous permettent déjà d’avancer dans quarante-sept départements métropolitains ou ultramarins.

J’y insiste, il faut faire vibrer de nouveau nos couleurs républicaines, promouvoir le patriotisme alimentaire. Dans cette perspective, nous travaillons sur la question de l’étiquetage. En effet, le consommateur qui pousse son chariot dans une grande surface a le droit d’acheter ce qu’il veut, mais il doit pouvoir savoir ce qu’il achète. On ne doit pas pouvoir vendre sous étiquette bleu-blanc-rouge un produit qui a seulement été conditionné et empaqueté en France ; la provenance des matières premières doit être précisée.

Les PAT nous permettront, dans le cadre de la restauration collective – qu’il s’agisse des écoles, des armées, des hôpitaux, des Ehpad –, de prolonger notre souveraineté alimentaire grâce à un approvisionnement local et des circuits courts, incluant des produits bio.

À ce titre, l’agriculture périurbaine doit être mise en avant et développée autour des grandes métropoles. Je suis convaincu que tous les maires, quelle que soit leur orientation politique, souhaitent alimenter leurs cantines scolaires le mieux possible, avec des produits bio ou issus de l’agriculture raisonnée et par des circuits courts. Il faut s’en donner les moyens, et l’agriculture périurbaine constitue l’une des solutions pour alimenter durablement les métropoles. L’objectif d’intégrer, dans l’approvisionnement des restaurants collectifs, 50 % de produits bénéficiant de signes officiels de la qualité et de l’origine (SIQO), dont 20 % de produits bio, me paraît tout à fait atteignable.

Nous travaillons à la mise en place d’un grand plan Protéines végétales. Je l’ai déjà présenté aux instances de l’Union européenne, et nous le lancerons au début de l’année 2020. Il devrait nous permettre de répondre aux besoins de l’alimentation animale et de l’alimentation humaine. Nous ne pouvons plus continuer à importer d’outre-Atlantique des tourteaux de soja génétiquement modifié.

Le rapport sénatorial Se nourrir en 2050 nous aidera. Le Gouvernement est globalement d’accord avec l’esprit et les orientations de cette proposition de résolution. Il entend vos craintes et vos interrogations. L’alimentation fait partie des secteurs d’activité d’importance vitale. Il est important que ce débat sur la résilience alimentaire ait pu avoir lieu, quelle que doive être l’issue du vote. Continuons de travailler ensemble. Le sujet est vaste, il dépasse le cadre de cette proposition de résolution, qui aura au moins permis d’éclairer la Haute Assemblée et, à travers elle, le public sur la nécessité d’assurer notre sécurité alimentaire. C’est un travail au long cours, car il faut faire évoluer en profondeur les mentalités, notre agriculture et notre système agroalimentaire. Le Gouvernement est, sachez-le, pleinement investi dans cette tâche !

Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

La discussion générale est close.

Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.

Le Sénat,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu le I de l’article L. 1 du code rural et de la pêche maritime,

Vu l’article L. 1111-1 du code de la défense,

Vu le rapport d’information du Sénat sur l’adaptation de la France aux dérèglements climatiques à l’horizon 2050 (511, 2018-2019) – 16 mai 2019 – de MM. Ronan Dantec et Jean-Yves Roux, fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective,

Vu le rapport d’information du Sénat sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer (588, tomes I et II, 2017-2018) – 24 juillet 2018 – de MM. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur, Mathieu Darnaud et Mme Victoire Jasmin, fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer,

Vu le rapport d’information du Sénat intitulé : « Aménagement du territoire : plus que jamais une nécessité » (n° 565, 2016-2017) – 31 mai 2017 – de MM. Hervé Maurey et Louis-Jean de Nicolaÿ, fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable par le groupe de travail sur l’aménagement du territoire,

Vu le rapport d’information du Sénat sur le défi alimentaire à l’horizon 2050 (504, 2011-2012) – 18 avril 2012 – de M. Yvon Collin, fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective,

Considérant l’absence totale de la question de l’alimentation dans la loi n° 2004-811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile ;

Considérant que la production locale agricole demeure essentielle à la vie des populations et appartient au patrimoine français ;

Observant que le foncier agricole n’est pas sécurisé par un corpus législatif qui protège nos terres nourricières de l’accaparement par des puissances étrangères ;

Constatant une réduction des surfaces agricoles compte tenu de la pression urbaine, de l’artificialisation des terres et du surenchérissement du prix du foncier ;

Considérant que la planète comptera 10 milliards d’habitants à l’horizon 2050, il est primordial de préserver les terres arables ;

Dénonce la logique de marché qui ignore la sécurisation du foncier agricole nourricier ;

Estimant que l’agriculture locale façonne les paysages qu’elle utilise au bénéfice d’autres activités économiques comme le tourisme vert et les filières d’excellence ;

Observe que, même si les exploitations agricoles et le foncier qui leur est lié sont des établissements, ouvrages ou installations qui fournissent des services indispensables à la satisfaction des besoins essentiels pour la vie des populations, ils ne sont pas considérés comme des points d’importance vitale (PIV) ;

Observe, en outre, que les agriculteurs exploitent ou utilisent des installations indispensables à la vie de la Nation (foncier agricole), alors qu’ils ne sont pas considérés comme des opérateurs d’importance vitale (OIV) ;

Souligne que le changement climatique menace directement la production agricole ;

Juge préoccupante la raréfaction en ressources hydriques et les perturbations qui en découlent sur le secteur agricole ;

Estime urgent de mettre à niveau les dispositifs territoriaux, de cartographie et d’équipements, notamment pour parer aux situations extrêmes de pénurie d’eau ;

Juge indispensable de renforcer la capacité d’anticipation et de prévention des pénuries avec, en particulier, une meilleure préparation des populations à des situations de crises majeures ;

Constate la détresse et les émeutes des populations, notamment en outre-mer, lors d’évènements climatiques exceptionnels ou de blocages ;

Observe que, si les plans d’urgence dits « ORSEC » ont prouvé leur efficience sur des périodes courtes de quelques jours, lors d’épisodes météorologiques exceptionnels, ils ne pourraient pas répondre aux besoins de la population sur une temporalité plus longue et des territoires plus vastes ;

Rappelle que l’environnement et les ressources sont des biens communs, qui doivent être gérés dans le cadre d’une véritable stratégie de solidarité territoriale ;

Rappelle l’importance du soutien au développement de l’agroécologie en tant que pratique agricole, limitant le recours aux intrants de synthèse et se basant sur le fonctionnement des écosystèmes, qui est la plus à même de garantir la résilience alimentaire ;

Constate que les vulnérabilités évidentes de notre système de production et d’approvisionnement alimentaire existent aussi dans le domaine de la production et de l’approvisionnement en médicaments, sur le territoire national ;

En conséquence,

Invite le Gouvernement à développer des mesures alternatives aux dispositifs de gestion de crises de force majeure pouvant survenir sur le territoire ;

Appelle le Gouvernement à mesurer l’importance d’une stratégie de territorialisation des productions alimentaires, d’une cartographie des flux de production alimentaire et d’une préparation des populations ;

Appelle à la rénovation urgente du cadre de la loi n° 2004-811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile pour y intégrer la résilience alimentaire des territoires ;

Incite le Gouvernement à promouvoir le lien entre résilience alimentaire et sécurité nationale, à travers le continuum sécurité-défense ;

Encourage le Gouvernement à engager une révision de la loi de programmation militaire pour réfléchir à l’intégration de la production et du foncier agricole nourricier comme « secteur d’activité d’importance vitale » (SAIV), tel que défini à l’article R. 1332-2 du code de la défense comme « secteurs qui ont trait à la production et la distribution des biens ou de services indispensables (dès lors que ces activités sont difficilement substituables ou remplaçables) : satisfaction des besoins essentiels pour la vie des populations ; exercice de l’autorité de l’État ; fonctionnement de l’économie ; maintien du potentiel de défense ; ou sécurité de la Nation » ;

Encourage enfin le Gouvernement à présenter au Parlement une loi de sauvegarde du foncier agricole, en lien avec tous les acteurs concernés, notamment la Fédération nationale des SAFER.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explications de vote.

Je mets aux voix la proposition de résolution.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe RDSE.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 60 :

Le Sénat n’a pas adopté.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à quinze heures cinquante-cinq.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, de la proposition de loi visant à prévenir le suicide des agriculteurs, présentée par M. Henri Cabanel et plusieurs de ses collègues (proposition n° 746 [2018-2019], résultat des travaux de la commission n° 172, rapport n° 171).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Henri Cabanel, auteur de la proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Cabanel

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le compteur tourne – celui des vies arrachées par le sang de la terre, du prix non rémunérateur, du travail acharné qui ne paie plus, de l’aléa qui fait tout basculer, d’un endettement qui étouffe la vie de l’exploitant et de sa famille, de la peur de recevoir une énième lettre de mise en demeure avant saisie ou de se voir agresser par des associations, mais aussi celui de la perte d’humanité d’une administration devenue frileuse et qui gère des dossiers avant de parler à des femmes et à des hommes. Lentement arrive le burn-out, sujet tabou de notre société.

Le suicide en agriculture, c’est tout cela. Alors que faire, tellement la tâche est lourde ? Par quel bout prendre ce fléau ?

La loi Égalim avait cerné le cœur du problème : le partage de la valeur, la nécessité d’un juste prix, à la hauteur des heures de travail et des frais de production. Toutes les parties prenantes, réunies autour d’une table, avaient validé une méthode de coconstruction, mais la loi du marché a vite repris le dessus…

Dans une économie libérale et mondialisée, dans un commerce visant toujours au prix le plus bas, l’humain n’a que peu de place. Oubliées les heures passées dans le froid ou dans la chaleur estivale ; oublié le réveil qui sonne à 5 heures du matin pour la traite ou la cueillette des légumes ; oubliées les factures de semis et de matériel ; oubliés le salaire des ouvriers agricoles et les charges à payer : tout cela ne compte pas. La valeur travail est reléguée loin derrière cette loi du marché, qui seule fait le prix, qui fait la peine.

Voilà quelques mois, en présentant son texte portant création d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques, ma collègue Nicole Bonnefoy avait cité les noms des agricultrices et des agriculteurs décédés de maladie. J’aurais voulu faire de même pour rendre hommage à tous ces oubliés de la terre, mais les chiffres sont écrasants : chaque jour, un agriculteur se suicide. En septembre dernier, la Mutualité sociale agricole (MSA) a livré une information effroyable : 605 suicides pour la seule année 2015 !

Alors, il faut agir ; vite. Cette proposition de loi a été faite avec le cœur, avec les tripes. Je l’ai conçue en visionnant le film d’Édouard Bergeon, Au nom de la terre, qui raconte la vie de son père, Christian : son installation dans l’exploitation familiale, en 1979, la tête pleine d’espoir et de rêves, puis sa lente descente aux enfers, jusqu’au jour fatal.

Vous le savez, je ne suis jamais intervenu sur l’agriculture dans cet hémicycle sans aborder ce sujet. Je glisse toujours cette phrase : « et pendant ce temps, un agriculteur se suicide tous les deux jours » ; mais aujourd’hui, c’est un agriculteur tous les jours…

Je remercie Édouard Bergeon d’avoir réalisé ce film et de m’avoir ainsi donné l’électrochoc qui m’a poussé à prendre ce sujet à bras-le-corps. Je veux remercier mon groupe, le RDSE, qui m’a permis de bénéficier de cette niche ; ses membres, dont notre président, Jean-Claude Requier, sont ancrés dans les territoires et défendent la ruralité, c’est pourquoi ils ont été sensibles à ma demande.

Je veux encore remercier Guillaume Canet, qui est devenu, à l’instar d’Édouard Bergeon et de Christophe Rossignon, le producteur du film, un militant inlassable. Engagés pour défendre les paysans, ils sont venus débattre avec nous, mercredi dernier, comme ils l’avaient fait à l’Assemblée nationale et comme ils le feront au Parlement européen, à Bruxelles.

Pour comprendre ce phénomène, j’ai écouté et j’ai lu les messages d’épouses ou de membres de la famille, reçus sur ma boîte aux lettres électronique. Ces femmes m’ont écrit après l’annonce du dépôt de ma proposition de loi dans La France agricole. Elles m’ont autorisé à les citer ; c’est pour moi un honneur de vous lire quelques témoignages.

Séverine s’inquiète : « En mars 2018, mon frère a tenté de mettre fin à ses jours. Depuis, que de douleurs pour toute la famille : inquiétude, doute et peur… C’est un homme courageux qui ne peut vivre de son travail. Et je sais ce dont je vous parle, car ma sœur et moi avons repris toute l’administration de son exploitation : trop de papiers à faire ; des délais, des dates et des larmes… »

Sylvie et Pascal m’indiquent : « Le problème du suicide en agriculture est tabou, les témoignages rares. Une libération de la parole réduirait sensiblement le problème. L’administration a un grand rôle à jouer ; qu’elle remette de l’humain dans ses relations avec les paysans. L’agri-bashing est aussi administratif. »

Pascale témoigne : « Femme d’agriculteur depuis plus de vingt ans, j’espère que vous arriverez à faire changer les choses. Mon mari n’a encore jamais sauté le pas, mais j’ai passé des soirées à avoir peur qu’il ne revienne. Je prenais mon téléphone ; s’il ne répondait pas, je recommençais. Je pense qu’il ne s’est jamais douté de mes peurs, mais elles sont bien là et on est impuissant face à ce mal-être. »

Aurore, femme d’agriculteur dont l’exploitation est en redressement judiciaire, s’indigne : « Il serait bien que cette loi porte le nom de M. Bergeon, ou de sa femme ou de ses enfants, car ce qu’il faut dire, c’est que la famille est à bout de porter les devoirs, les factures, la comptabilité, les enfants, la maison, son propre travail… Et tout le monde survit. »

Mes chers collègues, je pense que ces quelques témoignages – le ministère en tient des dizaines à votre disposition – posent mieux que de grands discours le problème de fond : la non-rémunération. Le paysan que je suis a sans doute abordé maladroitement ce sujet, par le seul prisme de l’endettement et des finances.

Même si le suicide est présenté, dans l’exposé des motifs, comme multifactoriel, j’ai choisi d’inscrire les banques au dispositif de prévention, car je reste persuadé qu’elles ont un rôle majeur à jouer : elles sont au premier plan pour voir les comptes d’exploitation, mais aussi les comptes privés, virer au rouge.

Alors, on me rétorque que c’est trop compliqué, qu’on ne peut responsabiliser, par la loi, des personnels déjà soumis à des objectifs et à des procédures de qualité, qu’on ne peut confier cette mission de vigilance à un seul partenaire, que le problème économique n’est pas le seul, que des outils existent déjà depuis 2011, quand le Gouvernement avait demandé à la Mutualité sociale agricole de s’emparer du sujet de la prévention.

J’entends tout cela, mais le constat est là, froid et effroyable : il y a toujours plus de suicides d’agriculteurs, malgré tous les moyens mis en place – Agri’écoute, opération Sentinelle, service de remplacement, psychologues, assistantes sociales…

J’ai interpellé des conseillers juridiques, des agriculteurs ; tous relèvent une contradiction : comment peut-on demander à un organisme d’être à la fois celui qui prélève les cotisations sociales, souvent sans ménagements, et celui qui doit vous aider quand ça va mal ? Celui qui montre le bâton et celui qui vous tend la main ? Pourquoi n’y aurait-il pas un organisme qui prélève et un autre qui aide, à l’instar des Urssaf et des caisses primaires d’assurance maladie ?

Il est temps de poser les vraies questions, de mettre tout à plat. Le politiquement correct n’a plus de place quand une filière est décimée par les suicides.

Françoise Férat, rapporteur de cette proposition de loi, la présidente de la commission des affaires économiques, Sophie Primas, et moi-même avons réfléchi. Pourquoi précipiter l’adoption d’un texte alors que ce phénomène, bien qu’ancien et de grande ampleur, est soumis, pour la première fois aujourd’hui, dans cet hémicycle, au débat public et politique ? Nous avons opté pour une motion, qui vous sera présentée tout à l’heure, tendant au renvoi du texte à la commission des affaires économiques.

En effet, l’objectif premier était pour moi de libérer enfin la parole sur un sujet tabou, sur un geste que certains taisent, préférant la version de l’accident du travail, qui ouvre des droits.

Il reste désormais à travailler pour trouver des solutions, d’autres solutions. Pourquoi continuer à énumérer les outils, alors que l’on constate leur manque d’efficience ? L’évidence est là : il faut changer de méthode.

Si les enjeux sont l’avenir de notre agriculture et le juste prix rémunérateur dans un marché mondialisé et libéral, notre mission sera bien de prévenir le suicide en agriculture, avec un objectif essentiel : comment introduire plus d’humanité dans les démarches administratives et les contrôles ? C’est tout un système social qui doit-être réformé.

Le combat pour une vie meilleure pour nos agriculteurs doit être mené parallèlement au travers de toutes les actions nationales et européennes. Pour ce faire, nos échanges ne devront pas être clivés par des convictions politiques ; la vie de milliers de paysans en dépend, et on ne peut plus, face à un constat dramatique, en rester à des postures tranchées, qui nient le désarroi des agriculteurs et font offense à la souffrance paysanne. Nous n’avons plus le temps de croiser le fer en opposant les agricultures : conventionnelle, bio, à haute valeur environnementale, raisonnée, à circuit court… Je vois d’ailleurs avec inquiétude les syndicats s’opposer dans un débat stérile sur l’agri-bashing.

Finissons-en avec les postures d’élus, politiques ou professionnels, et parlons vraiment avec la voix des paysans. Unissons-nous pour avancer, au lieu de nous combattre et de scléroser l’action.

Je conclurai en donnant la parole à deux femmes.

Bénédicte Bergeon, la mère d’Édouard, est toujours exploitante, vingt ans après le suicide de son époux, et essaie de trouver des solutions. Avec une colère contenue, elle énumère des pistes pour aider les agriculteurs à s’en sortir, à ne pas choisir la mort comme solution ultime.

Elle propose de mettre autour d’une même table les banques, la MSA, les experts-comptables pour qu’ils discutent en toute confiance et trouvent des solutions : par exemple, simplifier les mesures, comme l’année blanche de cotisations sociales et bancaires. Elle suggère aussi la mise à disposition d’aides de ménage, de gardes d’enfants, afin de soutenir les femmes dont les maris vivent une période difficile, car les compagnes doivent alors prendre le relais et faire face à la multiplication des démarches administratives, tout en gérant leur travail et la famille.

Bénédicte Bergeon m’a dit une phrase très belle : « On n’arrache pas les pages, on les tourne. » Tournons donc la page et récrivons ensemble le chapitre de la prévention.

Camille Beaurain, veuve à 24 ans, a cosigné un livre avec le journaliste Antoine Jeandey, présent aujourd’hui dans nos tribunes. Elle y décrit le bonheur d’une vie rurale, puis l’inquiétude, la dépression, le premier geste, enfin le second, qui sera fatal… Dans ce livre, Camille se révolte, à bon droit : « Tu ne t’es pas suicidé, tu as été tué, tué par tous ceux qui ont voulu profiter de toi, tué par le manque d’humanité, tué par les institutions, par tout un système qui a vu en toi un travailleur acharné créateur de richesses auxquelles tu n’as pratiquement jamais eu accès. Notre monde est devenu fou ; il tue les paysans qui l’alimentent. »

Ces mots très durs nous confrontent à nos défaillances. Nous nous rendons tous coresponsables, en nous taisant, en acceptant l’inacceptable, en nous arrangeant de solutions qui ne fonctionnent pas, en ne dénonçant pas un système qui privilégie la dématérialisation et qui oublie l’humain.

Le compteur tourne. Ce soir, en vous couchant, chers collègues, pensez qu’il y aura un paysan de moins, et demain, un autre, et après-demain, encore un autre. Notre devoir est de faire en sorte que cela cesse.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Férat

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet dont nous discutons aujourd’hui est un drame qui frappe nos campagnes un jour sur deux, qui est peu documenté, peu médiatisé et qui est pourtant la manifestation la plus flagrante de la détresse du monde agricole : le suicide des agriculteurs.

Je tiens à remercier notre collègue Henri Cabanel, auteur de la proposition de loi, de son initiative importante, qui permet à notre chambre de se saisir de cette question.

Les chiffres glaçants des disparitions sont souvent rappelés ; il convient désormais de proposer des solutions. J’y insiste, monsieur le ministre : les pouvoirs publics doivent en faire une priorité. Ce n’est pas un débat théorique qui nous réunit cet après-midi ; c’est une réalité de terrain, qui meurtrit toutes les familles.

Trois convictions sont nées des auditions préparatoires menées avec M. Cabanel. Elles sont partagées par l’ensemble des membres de la commission des affaires économiques.

La première est que le phénomène n’est pas appréhendé assez finement. Seules trois études ont été réalisées sur le sujet et leurs auteurs n’ont pas suivi la même méthodologie, ce qui ne les rend pas comparables et nuit à la compréhension du problème. Pourtant, il est impossible de traiter cette problématique importante sans en avoir une bonne connaissance statistique.

Une première étude, menée par Santé publique France, recense 781 décès, pour cause de suicide, d’exploitants agricoles entre 2007 et 2011, soit un suicide tous les deux jours. Nous ne disposons pas de chiffres plus récents, ce qui représente un véritable obstacle à la mise en place d’une politique publique efficace. Selon cette étude, les exploitants agricoles font face à une surmortalité par suicide de 20 % par rapport au reste de la population, à trois reprises au cours des cinq années étudiées. Ces éléments démontrent déjà toute la complexité du problème.

Évidemment, au-delà de ces statistiques, malheureusement froides et impersonnelles, chaque histoire est unique, singulière, avec ses drames et ses souffrances.

Santé publique France a réalisé une seconde étude, portant cette fois sur les salariés agricoles, qui conclut qu’il n’existe pas de surmortalité chez ces derniers par rapport à la population générale. Les chiffres démontrent même une sous-mortalité de 20 % chez les hommes et de 57 % chez les femmes, mais avec des biais statistiques importants, comme l’exclusion des salariés-exploitants.

Une troisième étude, réalisée par la MSA et publiée en juillet 2019, démontre, avec une autre méthodologie, une surmortalité par suicide des assurés du régime agricole. Centrée sur les assurés ayant reçu un soin dans l’année, cette étude fait apparaître, contrairement à celle de Santé publique France, une surmortalité chez les salariés agricoles.

Les divergences entre ces trois études montrent bien que l’appréhension statistique du sujet n’est pas suffisante. Il est absolument nécessaire que des études incontestables viennent objectiver ces éléments. Disposer de chiffres fiables est un prérequis incontournable, tant pour le législateur que pour le Gouvernement, lorsqu’il s’agit d’élaborer des solutions pratiques.

Notre seconde constatation est que ce n’est pas une loi qui permettra de résoudre, une fois pour toutes, le problème du suicide des agriculteurs.

Nous avons tous été confrontés, sans doute, dans nos territoires respectifs, à des cas tragiques d’agriculteurs ayant mis fin à leur jour. Ces décisions sont, le plus souvent, l’aboutissement d’une accumulation de difficultés, d’une concordance de différents drames individuels.

Parmi ceux-ci figurent bien entendu les difficultés financières, mais ces dernières ne sont que la face émergée de l’iceberg. Il y a surtout les drames personnels, l’isolement social et géographique, la perte d’estime de soi, l’absence de reconnaissance, la surcharge de travail.

Il y a d’autres difficultés, comme les injonctions contradictoires d’une société qui a oublié que ses agriculteurs la nourrissent au quotidien, ou qui développe des fantasmes sur le prétendu subventionnement des agriculteurs, alors qu’il s’agit avant tout de la garantie de prix bas pour le consommateur.

Le phénomène d’agri-bashing est en outre un facteur supplémentaire de pression sur nos agriculteurs, dans un contexte de crise de l’agriculture dans son ensemble.

La loi peut être utile pour créer des dispositifs de prévention, les coordonner et les faire connaître, mais l’édiction d’une norme générale par le législateur ne permettra pas de répondre aux défis posés par ces centaines de situations individuelles. Chaque cas est singulier. Par exemple, les réactions à adopter en cas de signalement d’un agriculteur en difficulté diffèrent selon que l’alerte a été donnée par l’agriculteur lui-même, de façon volontaire, par ses proches ou par des professionnels en contact avec lui.

S’il est nécessaire que la loi intervienne pour déterminer de grands principes, elle le fera, mais ce besoin n’a pas été identifié lors des auditions : les actions à mettre en place semblent, au contraire, relever du terrain, au mieux du pouvoir réglementaire.

Notre troisième constatation, c’est qu’il convient de remettre l’humain au cœur des dispositifs préventifs déjà en place. Ils sont nombreux : Agri’écoute, de la mutualité sociale agricole, la MSA ; les cellules de prévention disciplinaires et les réseaux de sentinelles ; l’aide à la relance de l’exploitation agricole, l’ex-Agridiff.

Depuis 2017, des cellules départementales d’accompagnement ont en outre été mises en place pour rassembler les principaux acteurs, en relation avec les exploitants.

Enfin, de nombreux territoires ont fait le choix de solutions intéressantes, comme la Marne, avec le dispositif Réagir, qui coordonne les outils de prévention des différents organismes.

Malheureusement, ces dispositifs pâtissent d’une faible lisibilité et d’une faible articulation. Il importe donc, en tout premier lieu, de faire connaître ces outils aux agriculteurs et à leurs proches.

En tout état de cause, on ne peut que regretter le caractère impersonnel de ces dispositifs préventifs. Face à un homme ou une femme en détresse, c’est l’humain qui doit être au cœur de la détection et de la prévention. C’est en mobilisant les forces de chacun, dans une logique collective, et non pas individuelle, que l’on peut espérer aider les agriculteurs en difficulté.

À cet égard, la présente proposition de loi présente quelques écueils. Elle crée une obligation pour une banque, en cas de déficit récurrent du compte de l’agriculteur, de l’informer de la nécessité d’alerter les organismes sociaux, puis de le faire après accord du client.

Ce faisant, le salarié bancaire deviendrait le principal lanceur d’alerte, et toute la responsabilité morale pèserait sur lui. Les banques doivent, bien entendu, participer, comme tout le monde, à cet effort collectif de prévention, mais il ne paraît pas souhaitable de faire porter directement et uniquement au chargé de clientèle la responsabilité morale, voire juridique, d’un éventuel suicide de l’agriculteur.

En outre, techniquement, la rédaction pose plusieurs questions, notamment dans le cas où le client serait « multi-bancarisé », ou bien dans le cas où son compte serait partagé avec son conjoint.

Pour qu’un dispositif de prévention fonctionne, trois impératifs doivent être réunis : la transparence, l’effort collectif et l’humanisation des procédures. Apporter, à notre juste place, les solutions qui relèvent de notre responsabilité exige humilité et absence de précipitation.

Pour toutes ces raisons, l’ensemble des membres de la commission des affaires économiques a décidé de ne pas adopter la proposition de loi en l’état, précisément pour poursuivre et approfondir nos travaux sur ce sujet.

Mes chers collègues, à l’issue de la discussion générale, vous sera proposée, au nom de la commission et en accord avec les auteurs de la proposition de loi, l’adoption d’une motion tendant au renvoi à la commission de ce texte. Si vous l’adoptiez, un groupe de travail dédié à ce sujet, trop longtemps resté à l’écart du débat public, serait parallèlement créé, afin de produire un rapport faisant état de la situation et formulant les recommandations qui lui sembleraient les plus utiles.

En travaillant de façon transpartisane et collégiale, nous aboutirons à un rapport de qualité et à des solutions concrètes pour améliorer les outils de prévention mis en œuvre par l’État.

Un problème aussi grave que celui-ci ne peut pas rester sans solution, et j’ai confiance dans la capacité du Sénat à réaliser un travail fin et précis, qui permette d’avancer dans la bonne direction sur ce sujet. Notre chambre représentant les territoires, notre action s’inscrit donc logiquement aux côtés de ceux qui les font vivre.

Il n’y a pas de tendance qui soit irréversible ou de drame qui ne puisse être évité : nos travaux, j’en suis sûre, le prouveront.

Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, Les Indépendants et Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur Cabanel, madame Férat, je vous remercie d’avoir choisi de mettre à l’ordre du jour de cette après-midi cette proposition de loi, même s’il est sage, je crois, de la renvoyer en commission, comme vous prévoyez de le faire, afin de retravailler ce sujet.

Dans cet hémicycle, comme ailleurs, il faut parler de ce fléau qu’est le suicide. Mais comment en parler ? Peut-on seulement se figurer ce qui pousse un homme à mettre fin à ses jours, à trouver la vie tellement insupportable que la mort est une délivrance ?

Cet acte ultime, radical, n’appartient qu’à celui qui le commet. Il faut, je pense, respecter la singularité de ce geste. Le suicide est évidemment un geste individuel, mais il a aussi des causes plus profondes, plus larges, sociales, collectives.

Le père de la sociologie française, Émile Durkheim, en a fait la démonstration en 1897 dans un ouvrage fondateur, Le Suicide. Il y pointait les risques d’un défaut de reconnaissance et d’un délitement des liens sociaux. Je ne citerai qu’une phrase de cet ouvrage : « Le suicide varie en fonction inverse du degré d’intégration des groupes sociaux dont fait partie l’individu. » C’est tout à fait ce qui sous-tend cette proposition de loi.

Le débat que nous menons aujourd’hui a donc tout son sens. Le suicide, en l’occurrence celui des agriculteurs, relève de l’intime, certes, mais aussi du collectif, évidemment. Notre organisation sociale et certains de nos choix peuvent expliquer en partie ce phénomène ; et dire cela n’est pas anodin, mesdames, messieurs les sénateurs.

Je suis, dans ma fonction, le défenseur des agriculteurs, comme vous. Tous, nous ne pouvons accepter que ceux qui nous nourrissent le fassent sous une pression telle que certains finissent par se donner la mort. Personnellement, je ne puis me résoudre, et nous ne pouvons nous résoudre ensemble à ce que des paysans de France vivent si mal leur travail que certains ne voient d’issue que la mort pour retrouver leur dignité.

Le débat que vous provoquez aujourd’hui est salutaire. Plus encore, il est absolument nécessaire.

Il est difficile de parler du suicide, mais nous devons le faire, dans cet hémicycle, dans les médias, au cinéma, partout, parce que cette situation ne peut être banalisée. Je me joins d’ailleurs à vous pour rendre hommage à Édouard Bergeon, réalisateur du film Au nom de la terre, qui retrace la vie de son père agriculteur, jusqu’à son suicide et à ses conséquences.

Il faut que chacun s’interroge sur les raisons qui conduisent à ce phénomène. Le masquer relèverait d’un aveuglement irresponsable, mais s’en servir à d’autres fins que son élimination serait manquer de respect à la mémoire de ces personnes. Ce serait inacceptable.

Les derniers travaux de la MSA pour l’année 2015 confirment bien une surmortalité par suicide des assurés au régime agricole, de 15 ans à 64 ans. Cette surmortalité par rapport au régime général est estimée à 12 %.

Ces travaux nous semblent les plus solides, mais vous avez raison, madame le rapporteur, il faut s’assurer que nous parlons tous de la même chose.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Cette étude dénombrait, en 2015, 605 suicides d’assurés du régime agricole. Parmi eux, 372 exploitants et 233 salariés agricoles, pour la très grande majorité des hommes. Les taux de décès par suicide progressaient jusqu’à 40 ans, puis restaient stables, avant d’augmenter de nouveau nettement chez les plus de 65 ans. C’est plus d’un exploitant par jour qui se donnait la mort à l’époque ; ce chiffre est terrible !

Il faut admettre que nous ne connaissons pas bien les évolutions de ce drame à l’échelon national. C’est en ce sens que votre réflexion a toute sa pertinence.

Certes, des études ont été réalisées, ces dernières années, et vous les avez évoquées, mais elles l’ont été avec des méthodes et des échantillons différents, donnant des résultats variables, voire contradictoires avec cette dernière étude de la MSA, ce qui ne nous permet pas d’étudier tranquillement ce qu’il en est. Les travaux que vous allez mener, dans les semaines qui viennent, avec votre commission, permettront, me semble-t-il, d’éclairer la société.

Nombreux sont ceux qui avaient retenu des travaux précédents la statistique d’un suicide tous les deux jours. L’honnêteté m’oblige à dire qu’aucune étude ne permet de confirmer une augmentation ou une réduction du nombre de suicides dans le monde agricole ces dernières années. Il faut que nous soyons clairs sur l’ensemble de ces chiffres. C’est bien là un chantier important à mener : mieux connaître la situation et son évolution.

Malgré ces difficultés à objectiver le phénomène, nombre d’autres indicateurs sont alarmants : 3 560 exploitants ont dû bénéficier d’une aide au répit en 2017 et environ 300 appels sont donnés par mois au dispositif d’écoute pour les agriculteurs en situation de détresse, Agri’écoute. Les cellules pluridisciplinaires de prévention, constituées dès 2012 dans les 35 MSA, ont détecté 1 654 situations problématiques en 2018.

Vous entendez chez chiffres : ils sont énormes ! Les cellules d’identification et d’accompagnement pour les agriculteurs en difficulté, mises en place par l’État dans plus de soixante-quinze départements, en sont à 2 100 signalements depuis septembre dernier.

Affirmer que la faiblesse des revenus et l’endettement sont les seules causes du suicide serait, à mon sens, une simplification qui ne servirait pas notre objectif de mieux le prévenir. Cependant, il ne faut pas réfuter l’évidence : le manque de ressources et de visibilité sereine constitue certainement la cause principale du désarroi du monde agricole.

Le revenu est crucial, mais il n’est évidemment pas le seul facteur. Différentes études mettent en évidence une conjonction de causes : au-delà de la pression financière et de l’endettement, il y a les problèmes interpersonnels dans la famille ou dans le groupement sociétaire, les événements particuliers de vie, les problèmes médicaux, les tracas administratifs, que vous avez évoqués, et, enfin, le temps de travail, qui est très élevé pour les agriculteurs et les éleveurs.

Les études montrent aussi une forte pression sociale, qui pèse sur les agriculteurs. Il existe un sentiment de honte en situation d’endettement ou de difficulté. Les paysans veulent payer leurs fournisseurs rubis sur l’ongle et ne pas avoir de dette. Ils n’aiment pas devoir de l’argent aux gens. Ils sont ainsi ; c’est dans leurs gènes ! Vous le savez, vous qui connaissez très bien le monde rural.

Il existe une autre forme de pression, celle de l’attente sociétale, qu’a évoquée M. Cabanel, celle d’une transition des modèles agricoles et agroalimentaires. La société leur demande toujours plus, et, parfois, ils sont démunis pour répondre à ces chamboulements.

Votre proposition de loi, monsieur le sénateur, offre des solutions pour prévenir l’acte irréparable. C’est absolument nécessaire.

À ce stade, je veux rappeler ce qui est fait par l’État et ses partenaires, aujourd’hui, au travers du plan national de prévention. Notre action est triple : mieux connaître les données chiffrées ; proposer un dispositif d’écoute pour les agriculteurs en situation de détresse, à savoir Agri’écoute, qui est accessible à tout moment ; créer des cellules de prévention.

Le ministère a revu son dispositif et instauré une cellule d’identification et d’accompagnement dans plus de soixante-quinze départements.

Ces cellules réunissent des représentants des chambres d’agriculture, de la MSA, des centres de gestion, des coopératives, des banques bien évidemment, car celles-ci jouent un rôle important, des directions départementales des territoires (DDT), des directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP), des directions départementales des finances publiques, des conseils départementaux et régionaux. Elles garantissent la confidentialité à l’agriculteur et elles ont déjà reçu, je le répète, plus de 2 000 signalements.

Il existe d’autres dispositifs d’identification : ceux de la MSA, ceux de l’association Solidarité Paysans et ceux de divers réseaux, comme le réseau Agri-sentinelles, porté par Allice et Coop de France et animé par l’Institut de l’élevage.

L’État se mobilise aussi une fois que l’agriculteur en difficulté est identifié. Le ministère a développé une aide à l’audit global de l’exploitation agricole, qui vise à établir un bilan de la situation technique, économique, financière et sociale de l’exploitation. Celui-ci se fait en concertation avec l’agriculteur.

Pour les difficultés économiques, une aide à la relance de l’exploitation agricole (AREA), qui permet un plan de restructuration et un suivi techno-économique sur la durée, est en place. Pour les exploitants en situation de burn-out, l’aide au répit, ouverte à tous les agriculteurs, est soutenue financièrement par l’État.

Tous ces dispositifs sont opérationnels et ont été revus, ces dernières années, afin d’améliorer la prévention, qui est, je le répète, absolument indispensable.

Madame le rapporteur, vous avez proposé une motion de renvoi à la commission. Cette décision est sans aucun doute la bonne. Elle permettra de conforter notre réflexion. Nous attendons beaucoup du Sénat et des travaux que vous mènerez pour nous aider à agir.

Nous pouvons collectivement progresser, en connectant mieux tous les acteurs déjà engagés, aux niveaux consulaire, syndical, associatif, bancaire, étatique, médical et social. C’est la condition d’une identification précoce qui, tout le monde le reconnaît, est la clé de la réussite.

Nous devons continuer à libérer la parole, en communiquant et en débattant du sujet du suicide dans le monde agricole. À la campagne, on n’aime pas évoquer ces sujets délicats, mais il est très important d’y parvenir.

Il nous faut également rendre plus visibles les acteurs de proximité susceptibles d’aider un agriculteur. Aujourd’hui, il y a une marge de progression assez sensible. Néanmoins, nous devons dépasser la logique de guichet et systématiser, comme certains le font, la logique de démarche vers les agriculteurs en difficulté.

Nous devons aussi travailler sur le suivi des personnes ayant tenté de se suicider et améliorer l’offre de formation et la sensibilisation des acteurs. Enfin, il nous faut affiner notre compréhension sociale et nos statistiques sur la question du suicide.

L’analyse approfondie, avec la mobilisation de tous les acteurs, est, pour moi, la condition du succès. Le travail de votre commission y contribuera.

Parallèlement aux travaux que vous allez mener ici, le Premier ministre a souhaité confier une mission à un parlementaire sur le sujet du suicide. Elle sera soutenue par les inspections des ministères de l’agriculture et de la santé.

En liaison avec vos travaux et les nôtres, cette mission doit nous permettre de nous mettre d’accord sur les chiffres. Certes, ils ne sont pas essentiels : on parle non pas de statistiques, mais d’êtres humains, d’hommes et de femmes qui aiment leur métier, mais qui, finalement, en arrivent à commettre l’irréparable. Néanmoins, nous avons besoin de la base chiffrée la plus fiable possible pour enclencher ce travail.

Monsieur Cabanel, les lettres de témoignage que vous avez lues sont bouleversantes. J’en ai moi-même reçu beaucoup et, à chacun de mes déplacements, j’entends parler de ce sujet.

C’est pourquoi, ensemble, quelles que soient nos sensibilités politiques – la discussion générale, je l’espère, en apportera la preuve –, nous devons refuser ce qui n’est pas une fatalité.

La raison d’être d’un agriculteur, sa mission, c’est de faire vivre 65 millions de Français tout en leur donnant du plaisir. Au-delà, l’agriculture française a un rôle prépondérant à jouer pour nourrir la population mondiale, qui atteindra demain 10 milliards d’habitants. Comment accepter que l’accomplissement de cette noble tâche conduise à la mort de celui sur qui elle repose ?

C’est la raison pour laquelle, au nom du Gouvernement et en mon nom personnel, je remercie solennellement le groupe RDSE, Mme Férat, rapporteur, et M. Cabanel d’avoir permis ce débat, qui n’est qu’un début.

Souvent, nous nous déchirons sur des futilités, nous nous opposons sur des questions qui n’en valent pas la peine. Rassemblons-nous sur un élément : l’être humain, qui est plus important que tout le reste, qui doit dépasser tous les clivages. C’est en pensant à ces êtres humains engagés dans l’agriculture que nous pourrons être utiles et contribuer au vivre ensemble dans la République.

Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants, RDSE et UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est un sujet particulièrement sensible que mon groupe a décidé de porter aujourd’hui dans cet hémicycle.

Au détour du travail législatif que nous menons régulièrement pour le secteur agricole, nous évoquons de plus en plus systématiquement la détresse morale que vivent beaucoup d’agriculteurs et qui peut malheureusement conduire certains d’entre eux à mettre fin à leurs jours. Sur le terrain, dans nos terroirs, dans nos villages, lequel d’entre nous n’a jamais été confronté à cette tragédie humaine ?

Aussi, je remercie mon collègue Henri Cabanel d’avoir formalisé cette préoccupation au travers d’une proposition de loi visant à prévenir le suicide des agriculteurs. Sans prétendre, avec ce texte, trouver dès aujourd’hui la réponse à un phénomène complexe, nous nous devons d’ouvrir ce débat pour jeter les bases d’un travail collectif autour de la question du suicide au sein du monde agricole et pour voir, ensemble, ce qui pourrait relever de notre responsabilité de législateur.

Si les chiffres méritent d’être actualisés, comme l’a très justement souligné notre collègue rapporteur, les différentes études témoignent d’un phénomène alarmant, avec un taux annuel de suicide chez les exploitants qui est supérieur à celui de la population générale. Un suicide quasiment tous les jours – voilà une réalité sans concession ! Les agriculteurs sont confrontés, dans l’exercice de leur métier, à des difficultés spécifiques indéniables, qui se cumulent négativement comme nulle part ailleurs.

On le sait, le monde paysan est sans cesse sous pression. Pression des consommateurs, pression du marché, pression des distributeurs, pression des aléas climatiques, de la biodiversité et des aléas sanitaires, pression des néo-ruraux qui s’installent à la campagne ; s’y ajoute plus récemment, pour les éleveurs, la pression, particulièrement agressive, d’associations antispécistes ou, pour les viticulteurs, celles des lobbies anti-alcool.

Pour autant, tenaillés entre urgence économique, urgence écologique et attentes de la société, les exploitants ne ménagent pas leur peine, aujourd’hui comme hier, pour exercer la mission vitale qui leur incombe : nourrir l’humanité !

Souvenons-nous, après la guerre, il fallait faire de la France une grande nation agricole. À force de modernisation, les exploitants ont atteint l’objectif, au point que l’on a pu parler à l’époque de « pétrole vert ».

Aujourd’hui, on leur demande de produire mieux et de s’engager dans la transition écologique. Là encore, la plupart d’entre eux sont au rendez-vous du défi environnemental, malgré les contraintes que cela implique en matière d’appropriation des normes et d’engagements financiers. Au bout du compte, c’est une vie d’investissement sans limites, de sacrifices personnels et, presque toujours, d’endettement, sans avoir la certitude qu’ils auront de quoi vivre.

Je rappellerai que, en 2017, près de 20 % des exploitants n’avaient pu se verser de salaire, et près d’un quart d’entre eux vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté. Quant à la reconnaissance de la société, elle se mesure à l’aune de ce mot barbare, mais si parlant : l’agri-bashing. Il est de notre devoir de tirer la sonnette d’alarme : une société qui ne respecte plus ses agriculteurs et qui n’est plus en mesure d’assurer son indépendance alimentaire est une société en perdition.

Cette proposition de loi vise à créer une alerte par l’intermédiaire des banques, en fonction de la situation financière des exploitants. Certes, cela n’est pas suffisant pour appréhender toutes les situations. Toutefois, mon collègue Henri Cabanel l’a souligné, les services du ministère de l’agriculture ont observé un lien prépondérant entre endettement et suicide.

Soyons clairs, ce texte est, à ce stade, un appel, qui est urgent. Il doit permettre, je l’espère, monsieur le ministre, d’apporter rapidement des réponses, que celles-ci soient nouvelles ou généralisent les dispositifs qui existent – vous les avez rappelés –, mais qui sont si souvent méconnus. À défaut, le retour de manivelle sera encore plus violent.

En attendant un examen du texte plus poussé en commission, il est indispensable de poursuivre au Sénat notre travail plus général de soutien au monde agricole, ce qui revient à s’attaquer aussi aux causes profondes des situations de détresse.

Comme je l’ai déjà indiqué, il est essentiel d’accompagner les mutations demandées au secteur, pour que celles-ci soient économiquement supportables. À cet égard, nous attendons avec impatience l’évaluation de la loi Égalim, en particulier de ses dispositions censées améliorer les revenus des agriculteurs. Il faut également se battre pour maintenir les moyens de la PAC, monsieur le ministre.

Je pense aussi à l’assurance récolte, qu’il serait souhaitable d’améliorer, comme le souligne la proposition de résolution sur ce sujet que j’ai déposée avec mes collègues Yvon Collin et Henri Cabanel.

Enfin, au-delà du soutien que l’on doit porter à l’activité, je n’oublie pas ce qu’il nous faudra faire pour rompre la solitude dans laquelle sont plongés des milliers d’hommes et de femmes sur nos territoires, rompre l’isolement du monde rural, de « ces hautes terres où la solitude a rouillé l’herbe » pour reprendre quelques mots de Jean Giono. Cela passe par le maintien des services publics auprès de ces hommes et de ces femmes, qui sont eux-mêmes, par leur présence sur leur terre et par leurs activités, de puissants acteurs de l’aménagement du territoire.

N’oublions pas cette réalité et rappelons simplement à tous nos concitoyens que les agriculteurs sont les garants de nos vies.

Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, Les Indépendants, UC et SOCR.

Debut de section - PermalienPhoto de Noëlle Rauscent

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes invités aujourd’hui à nous prononcer, non sans émotion, sur une proposition de loi visant à prévenir le suicide des agriculteurs.

Nous avons tous en tête ce chiffre terrible : un agriculteur se suicide tous les deux jours en France.

Je voudrais en premier lieu remercier notre collègue, Henri Cabanel, d’avoir porté cette proposition de loi, qui nous permet aujourd’hui d’aborder ce sujet si délicat au sein de notre hémicycle.

Pendant des années, cette détresse des agriculteurs a été occultée, comme un tabou dans notre société. Il a fallu attendre 2011 pour que l’État, avec la MSA, s’engage sur cette question. La caisse centrale de la mutualité sociale agricole a été chargée par Bruno Le Maire, alors ministre de l’agriculture, de mettre en œuvre un programme national d’actions, afin de recueillir des données chiffrées sur la réalité du suicide chez les exploitants et les salariés agricoles.

Répondre aux alertes, accompagner, orienter et suivre ces personnes en détresse : tels sont les axes qu’il faut suivre aujourd’hui. Toutefois, il est impossible de prétendre traiter cette problématique sans avoir une bonne connaissance des différentes dynamiques qui mènent un individu à des pensées noires et qui le poussent in fine à passer à l’acte.

Certes, nous pouvons présumer que ces drames sont intimement liés à la situation financière du défunt. En effet, on observe une proportion bien plus grande de suicides d’agriculteurs dans les filières les moins rémunératrices ou durant les périodes où les prix de vente de ces mêmes filières sont les plus bas. Je pense tout particulièrement aux éleveurs bovins laitiers et allaitants.

Cependant, il est très réducteur de réduire le problème des suicides aux seules difficultés financières. Le sujet est complexe ; méfions-nous des raccourcis.

Les agriculteurs font face aux risques économiques de leur métier, au surendettement, mais aussi aux aléas de la vie, comme la solitude ou la maladie. La pression exercée sur eux est aussi un facteur à prendre en considération. Nous ne le répéterons jamais assez : il faut que l’agri-bashing cesse !

Cette proposition de loi entend apporter une solution de prévention pour éviter ces suicides. Elle vise à améliorer le système de détection des personnes en situation de fragilité dans le monde agricole, en instaurant un repérage ciblé des personnes à risque en fonction de leur niveau d’endettement ou de leurs difficultés financières et en plaçant les établissements bancaires au cœur du dispositif d’alerte. Ces derniers sont en effet les premiers au courant de ces situations.

Sensibiliser les banques sur cette question en les obligeant à repérer les difficultés d’un client agriculteur et à l’orienter vers un accompagnement social et psychologique est une mesure de bon sens. Elle rejoint l’action menée par le Gouvernement dans la prévention du risque psychosocial et de l’épuisement professionnel ; monsieur le ministre, je connais votre engagement en la matière.

L’instauration d’une visite médicale annuelle pour les agriculteurs avec un médecin du travail est également une bonne chose. Elle doit faire l’objet d’une concertation avec les partenaires sociaux concernés.

Nous savons que ces drames ont des causes multiples. Toutefois, ne nous leurrons pas : si nous nous préoccupons aujourd’hui de la dimension financière, bien qu’elle ne doive pas être dissociée du reste, c’est parce que l’augmentation de la rémunération de nos agriculteurs les plus en difficulté doit leur permettre de vivre dignement de leur activité, améliorant ainsi significativement leur situation au regard du risque dont nous débattons aujourd’hui.

En vérité, mes chers collègues, aucune loi ne permettra de résoudre, une fois pour toutes, le problème du suicide en général, et celui des agriculteurs en particulier.

C’est pour cette raison que je rejoins l’avis de Mme le rapporteur : nous devons prendre le temps de mieux étudier et de comprendre ce phénomène – j’irai plus loin, ce désastre – dans toute sa complexité, d’explorer l’ensemble des pistes et d’apporter, autant que possible, des idées permettant d’améliorer la prévention.

Le groupe La République En Marche votera donc la motion de renvoi à la commission, et je participerai au groupe de travail qui va être créé par la commission des affaires économiques.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, RDSE et UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Fabien Gay

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, évoquer, échanger et débattre sur le suicide, en particulier sur celui des agriculteurs, suppose un débat exigeant et sérieux, pour apporter des réponses justes et adaptées.

Tout d’abord, parce que les chiffres sont glaçants. Une enquête de Santé publique France estime que le suicide des agriculteurs est supérieur de 20 % à celui de la population générale – cet écart atteint 30 % pour les seuls éleveurs de bovins laitiers. Selon cette même enquête, on compte presque un suicide par jour ; ce sont surtout des hommes, âgés de 45 ans à 54 ans.

Ensuite, parce que nous touchons à l’humain. Se suicider, mettre fin à sa vie, c’est l’un des gestes les plus terribles qui soient. Il n’y a pas une seule cause ; elles sont multiples : rupture, maladie, isolement, problèmes personnels, financiers ou professionnels, etc. Prévenir les suicides demande donc de prendre l’ensemble de ces facteurs en compte et de tenter d’y apporter une réponse globale, mais adaptée à chacune et à chacun.

C’est pour cela que nous partageons l’avis de la commission et de l’auteur de la proposition de loi, Henri Cabanel – je tiens d’ailleurs à le remercier sincèrement de son travail –, de prendre le temps de débattre ensemble, de réaliser des auditions et de confronter nos avis et nos solutions.

Il est vrai, comme ma collègue Cécile Cukierman l’a souligné il y a quelques jours lors du vote du projet de loi de finances, que les agriculteurs de notre pays sont, depuis des années, en butte à des injonctions contradictoires.

Le monde paysan a été confronté à des changements radicaux depuis la fin des années 1960 : mécanisation, impératifs d’augmentation de la productivité, utilisation de nouveaux pesticides, perte d’autonomie sur les semences, informatisation, charges administratives et comptables toujours plus importantes. Bref, nos agriculteurs font face à un changement permanent.

Or toutes ces adaptations ont eu pour conséquence ce que l’on a appelé « l’endettement obligé » – élément prétendument indispensable pour s’inscrire dans la modernité… – et la pression de plus en plus grande de cet endettement sur la vie quotidienne. Tout cela dans un contexte de libéralisation croissante des échanges et des marchés et de pression des agro-industriels et de la grande distribution. Sans compter la volonté de multiplier encore et toujours les accords de libre-échange qui sont et seront les fossoyeurs du modèle agricole familial que nous défendons !

Que dire encore de l’envolée des prix du foncier et de la défiance que suscite cette profession parmi une population qui ne veut plus de pesticides, qui refuse la malbouffe et qui est de plus en plus sensible aux scandales sanitaires et environnementaux, souvent à raison ?

Ainsi, les agriculteurs sont pris en tenaille. D’un côté, il y a les remboursements des emprunts et le coût exorbitant des produits et pesticides, qui s’accompagne d’une sorte de captivité des agriculteurs face aux entreprises « phyto », comme nous avions pu le dénoncer lors de l’examen de la loi Égalim. De l’autre, il y a les prix tirés vers le bas par la grande distribution, prix qui ne permettent plus de vivre décemment.

Il est insupportable de se dire que, aujourd’hui, ces hommes et femmes qui nous nourrissent vendent leurs productions à perte et n’arrivent même pas à se payer un SMIC, alors qu’ils travaillent sept jours sur sept, plus de dix heures par jour.

Tout cela pour subir finalement un niveau de retraite indécent après une longue vie de dur labeur. À cet égard, et sans polémiquer, comment ne pas rappeler aujourd’hui que votre gouvernement a empêché l’adoption de notre proposition de loi revalorisant les pensions de retraite agricole, en utilisant la procédure de l’article 44, alinéa 3, alors même que ce texte avait été adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale et que les groupes du Sénat étaient également unanimes pour le voter ?

Cette proposition de loi était simple, et son adoption aurait eu pour effet immédiat la garantie d’une retraite des exploitants agricoles à 85 % du SMIC – et Dieu sait que, à ce niveau de ressources, on ne vit pas !

Comment ne pas rappeler qu’il s’agissait alors, comme aujourd’hui, de répondre à une urgence sociale, celle des retraités agricoles qui ne peuvent pas vivre dignement ? En effet, comment parler de dignité quand le niveau de revenu se situe entre 700 et 800 euros en métropole et se réduit parfois à seulement 100 euros dans nos territoires ultramarins ? Comment peut-on vivre avec moins que le seuil de pauvreté et que le minimum vieillesse ?

Puis, il y a la culpabilité parfois, face aux enjeux environnementaux et à l’agri-bashing, et le sentiment d’appartenir à une profession qui est stigmatisée et incomprise du monde urbain et qui n’est plus reconnue comme essentielle pour notre sécurité et notre souveraineté alimentaires.

Je rappelle ces éléments, car c’est en les prenant tous en compte que nous pourrons travailler efficacement ensemble à prévenir les suicides dans le monde agricole.

Enfin, nos agricultrices et agriculteurs vivent dans ce que l’on appelle les zones blanches. Alors que toutes les politiques accélèrent la métropolisation, en concentrant les lieux de pouvoir, de savoir et d’activités économiques, ceux qui vivent en ruralité ont l’impression d’être abandonnés.

Les écoles ferment, les services publics fuient les uns après les autres, les centres-bourgs se dévitalisent et l’essence qui est nécessaire pour se déplacer – il n’existe aucun transport public – coûte de plus en plus cher.

Quand il faut mettre une heure de voiture pour se rendre en ville ou aller se faire soigner ou qu’il faut parcourir plus de 25 kilomètres pour aller chercher une baguette de pain, le sentiment d’abandon et d’injustice est renforcé.

C’est donc, là aussi, les politiques d’austérité publique qu’il faut questionner et l’égalité territoriale qu’il faut exiger pour nos territoires ruraux, au même titre que pour nos quartiers populaires et nos territoires ultramarins.

Les gouvernements successifs portent la responsabilité de cette souffrance sociale, et le vôtre, malgré les promesses de la loi Égalim, n’a rien fait, bien au contraire, pour enrayer cette spirale mortifère. Nous pensons donc que le mécanisme d’alerte proposé par la proposition de loi ne règlera pas seul le problème, mais je suis certain que nous réussirons, ensemble, à trouver une solution.

C’est pourquoi le groupe CRCE votera la motion de renvoi à la commission, d’autant qu’Henri Cabanel en est d’accord – je tiens à le remercier de nouveau d’avoir permis aujourd’hui ce débat.

Applaudissements sur les travées des groupes SOCR, RDSE et UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Émorine.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Emorine

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord remercier Henri Cabanel d’avoir eu le courage de présenter cette proposition de loi visant à prévenir le suicide des agriculteurs.

Monsieur le ministre, vous reconnaissez cette réalité. Il faut pourtant savoir qu’elle touche des hommes et des femmes qui ont aujourd’hui un niveau de formation exceptionnel et qui sont passionnés par leur métier, mais qui ne peuvent plus en vivre.

Je vous ai entendu dire, monsieur le ministre, que le revenu n’est pas nécessairement le premier élément explicatif. Pour ma part, il me semble que c’est l’élément premier. D’autres facteurs s’y ajoutent, bien sûr, mais le niveau des revenus est absolument déterminant pour expliquer ce choix de la fin de la vie.

Je l’évoquais la semaine dernière, c’est un drame, d’autant que le niveau de formation de nos agriculteurs est élevé. Malgré ce niveau de formation, un tiers des agriculteurs français a un revenu au-dessous de 500 euros par mois, et quelquefois pas de revenu du tout ; un autre tiers touche environ 1 000 euros, et le dernier tiers est légèrement au-dessus. Vous vous doutez bien que, avec des revenus de ce niveau, les agriculteurs n’ont pas de perspective.

Aujourd’hui, les agriculteurs ont besoin d’espérer. Vous évoquez, monsieur le ministre, les négociations qui ont lieu actuellement dans le cadre de la loi Égalim. Je compte sur vous pour donner de l’espoir et établir des prix de vente qui prennent en compte les coûts de production, mais aussi le besoin d’un niveau de revenu décent pour les agriculteurs de notre pays.

Pour ce qui concerne les procédures à mettre en place, je vous entends dire qu’elles existent dans soixante-quinze départements. Mais c’est un mouvement récent, monsieur le ministre. Il se trouve que j’ai une expérience professionnelle en agriculture de plus de quarante-deux ans et que je siège au Parlement depuis plusieurs décennies, et c’est la première fois que nous parlons du suicide en agriculture.

Tout à l’heure, Henri Cabanel évoquait le film Au nom de la terre. Les événements que celui-ci retrace remontent aux années 1998-1999. Or j’ai siégé dans des commissions d’agriculteurs en difficulté, et il n’y avait pas un suicide par jour ; les cas étaient exceptionnels, comme vous avez pu le voir dans ce film.

Aujourd’hui, monsieur le ministre, il faut prendre en compte cette problématique, profondément humaine, que nous n’avons pas connue dans les décennies passées. La première des solutions consiste à redonner de l’espoir aux agriculteurs en ce qui concerne leurs revenus.

En termes de procédures, monsieur le ministre, c’est aux services de l’État de prendre l’initiative, en premier lieu les directions départementales de la protection des populations, qui comprennent les services vétérinaires – on sait que les problèmes sanitaires aggravent la situation, en particulier dans les élevages. Certes, les caisses de la mutualité sociale agricole, les coopératives, les banques et les organismes qui assurent la comptabilité des exploitations, entre autres, doivent être sensibilisés, mais il revient aux services de l’État d’être au cœur du dispositif pour donner une réponse rapide.

Je le redis, les organismes qui assurent la comptabilité des exploitations ont leur rôle à jouer : quand une personne n’a pas de revenu depuis plusieurs années, on peut se douter que les problèmes sont importants, au-delà du seul endettement. C’est dans ces situations que l’agriculteur perd espoir.

Monsieur le ministre, j’ai entendu les conclusions de notre rapporteur, qui nous propose d’adopter une motion de renvoi à la commission. C’est un sujet délicat, mais il faut réagir très vite pour faire face à ces situations. Nous comptons sur vous !

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, Les Indépendants et RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Franck Menonville

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis 2015, on compte plus d’un suicide par jour chez les agriculteurs.

Les chiffres sont alarmants, et la réalité est encore plus sinistre. C’est pourquoi je tiens à saluer et à remercier le groupe RDSE, en particulier notre collègue Henri Cabanel, qui a mis ce sujet dramatique et bouleversant au cœur de l’agenda de notre assemblée des territoires.

Comme l’a si bien rappelé Mme le rapporteur en commission la semaine dernière, ce sujet révèle « la manifestation la plus flagrante de la détresse du monde agricole ». Force est de constater que ce fléau qui touche nos territoires ruraux est malheureusement plus présent dans le monde agricole que dans d’autres secteurs d’activité.

Les causes de ce phénomène dramatique sont multiples : difficultés financières, drames personnels, maladie, isolement social et territorial, surcharge de travail, agri-bashing, aléas climatiques, manque de visibilité sur l’avenir.

Ces situations irrémédiables sont le plus souvent le fruit d’une accumulation de difficultés et de la concordance de drames personnels de toute nature, même si le contexte économique est sans doute déterminant. Ce phénomène touche toutes les tranches d’âge, les jeunes comme les moins jeunes, tous les métiers du secteur, les salariés et les exploitants.

Les chiffres sont clairs, ils parlent d’eux-mêmes et sont glaçants : la MSA relève 605 décès par suicide par an dans le milieu agricole, exploitants et salariés confondus, parmi lesquels 274 avaient plus de 65 ans ; quatre sur cinq sont des hommes.

Ce chiffre explose chez les agriculteurs les plus modestes : les bénéficiaires de la couverture maladie universelle sont particulièrement touchés. De plus, deux activités sont particulièrement concernées : les éleveurs bovins et les producteurs laitiers. En France, les agriculteurs ont un risque de suicide plus élevé de 12 % comparé au reste de la population.

Pour agir efficacement contre ce fléau dramatique, il faut au préalable en avoir une meilleure connaissance statistique – M. le ministre et Mme le rapporteur en ont parlé – et identifier précisément ses causes. Malheureusement, une loi ne permettra sans doute pas à elle seule de résoudre ces situations tellement diverses.

De multiples leviers doivent donc être actionnés, afin de proposer une solution concrète et complète aux agriculteurs de notre pays. Je pense d’ailleurs que les actions les plus efficaces à mettre en place relèvent du terrain. Il est néanmoins impératif que ces initiatives fassent l’objet de davantage de visibilité : force est de constater que, aujourd’hui, les dispositifs locaux sont encore trop mal connus, ce qui est dommageable pour leur efficacité.

Dans mon département, la Meuse, la chambre d’agriculture a mis en place un numéro vert départemental. Ce dispositif permet une orientation vers des personnes formées et des entités compétentes en fonction des besoins, qu’ils soient économiques, de santé ou autres. Le travail d’accompagnement se fait ensuite en coopération avec les acteurs en présence – la chambre d’agriculture, la MSA, l’État, les banques, etc. Il a d’ailleurs été constaté que la formation et l’écoute sont primordiales dans l’identification des situations problématiques.

Dans le département de la Corrèze de mon collègue Daniel Chasseing, la MSA et l’agence régionale de santé ont instauré des processus similaires dès les années 2000. Un guichet unique a été créé en 2018 ; il est accompagné d’initiatives qui ont prouvé leur efficacité : aide financière au soutien psychologique, aide pour la comptabilité ou encore aide au répit.

Néanmoins, force est de constater que les signaux d’alerte se déclenchent souvent trop tard. La détection est certes complexe, et des pistes d’amélioration du dispositif d’accompagnement sont à trouver. Aussi, il est nécessaire d’identifier, d’une part, les initiatives locales efficaces et, d’autre part, les secteurs en besoin.

Je crois que la coordination et la formation des acteurs sont indispensables pour anticiper et identifier les signes précurseurs. À mon sens, une adaptation territoriale est donc un axe de réflexion à approfondir.

L’aide doit être plus globale et inclure des volets financier, économique, social et technique, ainsi qu’un accompagnement plus individualisé. Il faut remettre de l’humain dans un dispositif qui, souvent, est trop impersonnel.

En résumé, il est nécessaire d’anticiper les risques et de coordonner les acteurs. Le groupe Les Indépendants tient à saluer les réflexions engagées sur ce sujet. Il s’associera à la recherche de solutions adaptées et efficaces pour combattre ce fléau.

Nous devons tous nous mobiliser ! Je remercie de nouveau le groupe RDSE, Henri Cabanel et Mme le rapporteur Françoise Férat.

Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, UC et RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Tissot

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’entrer dans l’analyse de cette proposition de loi, je voudrais tout d’abord remercier notre collègue Henri Cabanel, qui nous donne l’occasion de consacrer une séance publique de la Haute Assemblée à cette terrible réalité qu’est la surmortalité par suicide des agriculteurs.

Les chiffres sont alarmants : la récente étude de la MSA fait état de 605 décès par suicide en 2015, dont 372 chefs d’exploitation – 292 hommes et 80 femmes, soit un suicide par jour environ – et 233 salariés agricoles. Le risque de se suicider est plus élevé de 12, 6 % chez les agriculteurs que chez les autres actifs. Pour les agriculteurs les plus pauvres, ce chiffre atteint 57 %.

Ce n’est pas un phénomène nouveau. Depuis la fin des années 1960 et l’apparition des données de suicide par catégories socioprofessionnelles, on constate que les agriculteurs sont au sommet de la pyramide des suicides.

Toutefois, pendant longtemps ces données sont restées dans l’ombre. Comme dans le reste de la société, le suicide est un tabou dans le monde agricole, et peut-être plus encore, car, au-delà de la honte associée à ce décès, le suicide a souvent été exclu des garanties des assurances. Aussi, des générations de paysans ont tu les suicides de leurs collègues, les faisant passer pour des accidents.

Cette problématique a commencé à percer dans le débat public au moment de la crise du lait en 2009. Aujourd’hui encore, les éleveurs bovins et les producteurs laitiers sont particulièrement touchés.

Le film Au nom de la terre, sorti il y a quelques mois, a également contribué à mettre en lumière ce fait social majeur. Nous avons eu la chance de pouvoir assister à une projection-débat la semaine dernière au Sénat, en présence de l’équipe du film. Pour celles et ceux qui, comme moi, vivent ou ont vécu du travail de la terre, il sonne de manière très juste – si juste qu’il peut être extrêmement douloureux à regarder jusqu’à la fin.

Aujourd’hui, grâce à la proposition de loi de notre collègue Henri Cabanel, nous disposons d’un temps dédié dans cet hémicycle pour aborder les réponses que nous pourrions apporter en tant que législateurs.

Dès lors que nous n’acceptons pas le suicide comme une fatalité, la première de ces réponses est nécessairement la prévention. Le professeur Michel Debout, précurseur en France de l’approche en santé publique du suicide, plaide depuis longtemps en faveur d’une politique de prévention rénovée et renforcée, qui permettrait, comme dans d’autres pays, d’éviter de nombreux suicides.

Avec ce texte, notre collègue nous propose une piste pour contribuer à la détection des paysans en détresse : faire des agents bancaires des acteurs de cette prévention. Ainsi, ces agents qui repéreraient des signaux faibles financiers auraient la possibilité de signaler leurs clients agriculteurs en difficulté financière, avec leur accord exprès, à une structure de suivi et d’écoute de la MSA.

Si l’intention est incontestablement louable, les indicateurs, les outils de suivi et les acteurs responsabilisés dans cette proposition de loi ont été sérieusement mis en question tout au long des auditions que nous avons conduites ces dernières semaines.

Face à un fait social aussi complexe et multifactoriel que le suicide, une réponse aussi parcellaire ne peut bien évidemment pas être adéquate. Il nous semble que d’autres pistes pourraient être utilement explorées pour améliorer la détection et la prévention des passages à l’acte. Au-delà, il nous paraît fondamental de pouvoir intervenir à un niveau structurel pour lutter efficacement contre le suicide des agriculteurs.

Le « sursuicide » dans le monde agricole résulte d’une combinaison de plusieurs facteurs. La situation économique des agriculteurs ou leur surendettement n’explique pas à eux seuls la dépression profonde qui conduit au suicide.

À cette détresse économique s’ajoutent d’autres grands facteurs de risques : l’isolement social, une intrication tout à fait particulière entre vie familiale et vie professionnelle, l’effondrement du sens donné à sa vie face à l’impossibilité de transmettre l’exploitation, ce qui explique notamment la proportion importante de suicides chez les agriculteurs âgés, ou encore la perte brutale de repères ou de perspectives lors de la survenue d’événements climatiques lourds, par exemple.

Le paysan ne partage pas facilement ses difficultés avec son voisin ou même sa famille. Le fera-t-il plus facilement avec le gestionnaire de son compte en banque ?

C’est pour ces raisons que les membres du groupe socialiste et républicain estiment qu’un employé de banque n’est pas forcément le mieux placé ou formé pour aider un agriculteur en difficulté.

Comment un agent bancaire sans formation saura-t-il trouver les bons mots pour proposer à son client de le signaler à la MSA ? C’est une responsabilité bien lourde à confier à des personnes qui n’ont reçu aucune indication dans leur formation initiale pour intervenir de manière appropriée auprès de personnes particulièrement fragiles.

En outre, de par sa profession, l’employé de banque ne peut apprécier que la variable économique. Or être à découvert fait partie intégrante de la vie des agriculteurs ! Cet indicateur nous apparaît donc comme peu pertinent.

De même, les auditions ont fait ressortir que l’anonymat était l’un des facteurs permettant la réussite du système d’écoute proposé par la MSA. Un tel mécanisme mettrait nécessairement à mal ce préalable de l’anonymat pour un bénéfice difficile à appréhender en l’état.

Cependant, nous souhaiterions que d’autres pistes de réflexion puissent être explorées, pour enrichir le travail de notre collègue Cabanel. Ainsi, d’autres lanceurs d’alerte pourraient être mis à contribution, parmi ceux qui sont au contact direct des paysans. Il pourrait s’agir des vétérinaires, des coopératives agricoles, des syndicats, des chambres d’agriculture ou encore des travailleurs sociaux.

Édouard Bergeon, le réalisateur du film Au nom de la terre, appelle à soutenir davantage l’association Solidarité Paysans, dont les équipes accompagnent depuis plus de trente ans les agriculteurs en difficulté dans nos territoires. Elles ont la connaissance des mécanismes à l’œuvre et le savoir-faire pour y répondre, mais les moyens dont elles disposent sont loin d’être à la hauteur des enjeux.

Il pourrait également être intéressant de travailler sur des pistes ciblant précisément certains des facteurs de risques recensés, par exemple lutter contre l’isolement social dans nos campagnes – même aujourd’hui, au XXIe siècle, on se suicide quatre fois plus en milieu rural qu’à Paris –, ou encore organiser un meilleur accompagnement des agriculteurs victimes des aléas climatiques.

Cependant, nous n’aurons fait que la moitié du chemin tant que nous ne nous serons pas penchés sur les causes profondes de cette surexposition des agriculteurs au risque de suicide.

Le modèle productiviste actuel entraîne nos paysans dans une spirale de crédits et de factures à payer. Ils subissent ainsi la surenchère du « toujours plus grand », qu’il s’agisse des augmentations de rendement, des volumes de prêts bancaires contractés, des surfaces à cultiver, du nombre de bêtes à élever… Ce « toujours plus » crée un véritable cercle vicieux, qui entre en résonnance avec les autres problématiques des agriculteurs.

Or cette spirale financière et économique entraîne également l’épuisement moral et physique. En effet, si les surfaces et les nombres de têtes croissent, les bras manquent, tandis que les factures et les dettes s’accumulent.

Contrairement à ce qui est martelé, ce n’est pas l’agri-bashing qui pousse les paysans au suicide, mais le modèle d’agriculture productiviste. Aussi, l’évolution du modèle agricole vers un mode de production raisonné et raisonnable permettrait de préserver non seulement notre planète, mais aussi le bien-être au travail de nos agriculteurs.

Cette proposition de loi permet donc de mettre la question du suicide des paysans à l’ordre du jour de nos travaux. Elle offre l’occasion de mener un véritable travail parlementaire.

Cependant, le texte tel qu’il a été écrit ne permet pas d’embrasser l’ensemble des enjeux économiques, sociaux et structurels, qui sont au cœur du mal-être des paysans. En tant que parlementaires, nous devons construire un système plus complet de réponses à ce fait social inacceptable : ceux qui nous nourrissent ont de plus en plus de mal à vivre de leur travail et de plus en plus de raisons d’en mourir.

C’est pour cela que le groupe socialiste et républicain votera la motion de renvoi à la commission.

Applaudissements sur les travées des groupes SOCR, RDSE et LaREM.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Janssens

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Jean Giono, grand poète de la terre et des paysans, disait que « l’essentiel n’est pas de vivre, mais d’avoir une raison de vivre ».

Cette raison de vivre, de trop nombreux agriculteurs français semblent l’avoir perdue. Chaque année, des centaines d’entre eux commettent l’irréparable. Tous les jours, un agriculteur se suicide en France ; un chiffre glaçant, qui souligne l’urgence d’agir pour prévenir le suicide dans le secteur agricole.

Les raisons du malaise paysan sont aussi profondes que multiples.

Les causes les plus visibles sont souvent d’ordre financier. C’est cet axe qu’a choisi notre collègue Henri Cabanel pour proposer une réponse pragmatique et parer à l’urgence. Ne nous voilons pas la face ! La question des revenus agricoles est majeure et notre modèle économique agricole français nécessite d’être repensé en profondeur.

Trop peu d’agriculteurs vivent décemment du fruit de leur travail. Dans la plupart des domaines et des filières, les revenus se révèlent particulièrement éloignés de la qualité et de la quantité de travail fourni. Mes chers collègues, quand on est paysan, on l’est sept jours sur sept, trois cent soixante-cinq jours par an ! Cette réalité, je la connais pour être né dans une ferme et avoir exercé le beau métier d’agriculteur-éleveur pendant plus de quarante ans.

Au long de ces années, j’ai vu le système changer et prendre au piège les agriculteurs français. Cela a commencé dans les années 1960 par la transformation de notre agriculture sur le modèle agro-industriel américain. La France des Trente Glorieuses a demandé à ses agriculteurs de produire toujours plus, toujours plus vite, sur des surfaces toujours plus grandes, et souvent en monoculture. Ce gigantisme et cette course à la productivité ont obligé certains agriculteurs à s’endetter et à entrer dans la spirale du « marche ou crève ».

À cela est venue s’ajouter la politique agricole commune, une bonne idée qui s’est peu à peu transformée en un cercle vicieux. Il est indispensable de le rappeler : à l’origine, la PAC était conçue pour permettre aux consommateurs d’avoir accès à des produits agricoles de qualité et à bas coûts. Aujourd’hui, le système s’est transformé en une épée de Damoclès pour nombre de nos agriculteurs, pris en tenaille entre une exigence de qualité très élevée et une guerre des prix intenable.

La question financière ne touche pas que les agriculteurs actifs. Elle concerne également les travailleurs agricoles au chômage et les retraités.

Dans cet hémicycle, j’ai interpellé le Gouvernement, comme beaucoup d’autres de mes collègues, sur la question de l’assurance chômage des agriculteurs. La seule réponse a été : « Plus tard ». Même réponse pour les petites retraites. Mais plus tard, c’est trop tard ! Combien de nos agriculteurs touchent à peine 400 euros de retraite par mois ? Même pas l’équivalent du RSA pour toute une vie de travail et d’efforts. C’est inacceptable !

À cela s’ajoute un autre sujet, trop peu évoqué, celui des agricultrices sans statut, qui ont travaillé aux côtés de leur mari exploitant agricole et qui ne touchent aucune retraite.

Tous ces sujets méritent d’être enfin considérés comme une priorité, pour faire évoluer les revenus de nos agriculteurs et offrir des garanties économiques à la hauteur du travail fourni.

Cependant, la question financière est loin d’être la seule à alimenter le malaise paysan. Le sujet de la transmission me semble également central. Avoir travaillé toute une vie sans parvenir à passer le relais et revendre son affaire peut être vécu comme un véritable échec professionnel et personnel. Qu’il s’agisse du refus des descendants de poursuivre l’activité agricole ou de l’absence de repreneurs motivés, les difficultés de transmission nourrissent la souffrance psychologique.

Nombre de nos agriculteurs éprouvent un sentiment d’isolement, voire de marginalisation. Travailler sans relâche, ne s’autoriser ni vacances ni loisirs ou à peine, voir le fruit de son travail ruiné en quelques minutes par une inondation, le gel ou la sécheresse, tout cela peut créer beaucoup de frustrations et une impression de déconnexion avec une société de plus en plus tournée vers le loisir et le confort au travail.

Cette frustration se transforme en colère quand l’agri-bashing devient une mode. Je pense qu’aucun de nos collègues élus dans des territoires ruraux ne me contredira quand j’affirmerai que nos agriculteurs ont à cet égard une patience d’or.

C’est d’ailleurs bien l’un des problèmes actuels : la culture du silence et de la discrétion paysanne ronge nos agriculteurs, qui prennent tout sur leurs épaules. Dans mon département de Loir-et-Cher, l’adage dit : « Petit causeux, grand faiseux. » Il est précisément temps de libérer la parole et de changer les mentalités !

Il faudrait également évoquer le poids des normes et des charges, ainsi que la concurrence faussée entre nos paysans français et les producteurs d’autres pays, soumis à des normes moins strictes. Le sentiment d’injustice que ressentent beaucoup d’agriculteurs ne peut que renforcer leur impression d’être déconsidérés, voire méprisés.

Mon but est non pas d’établir un inventaire à la Prévert des raisons de ce malaise, mais de partager mon expérience en tant qu’ancien éleveur et élu de terrain, afin d’alimenter la réflexion que nous engageons, ensemble, aujourd’hui.

La proposition de loi de notre collègue Henri Cabanel est un point de départ indispensable pour, enfin, avancer sur ce sujet. Je tiens à saluer son remarquable travail, ainsi que celui de Françoise Férat, rapporteur du texte ; ils ont tous deux avancé avec intelligence, humilité et humanité sur ce sujet particulièrement difficile.

Avec l’esprit de dialogue et d’ouverture qui est le sien, le Sénat saura poser les bonnes questions et, je l’espère, apporter des réponses à la hauteur de cet enjeu majeur de société.

Je conclurai mon propos en soulignant que la détection des situations de détresse et la prévention du suicide des agriculteurs doivent s’accompagner d’un suivi sur le long terme.

Accompagner nos agriculteurs, c’est aussi les aider à se reconstruire, mais aussi, parfois, à se reconvertir et à dessiner des perspectives d’avenir motivantes. Ce ne sera possible qu’en brisant l’isolement de nos paysans et en unissant les forces et les compétences du plus grand nombre. L’agriculture est notre bien commun !

Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, RDSE et SOCR.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le chiffre fait froid dans le dos : tous les deux jours, en France, un agriculteur met fin à ses jours. Derrière ce geste irréparable, il y a parfois, à l’évidence, des raisons personnelles, mais il y a toujours le malaise qui ronge depuis plusieurs années l’agriculture française.

Le monde paysan va mal ! Les difficultés financières et les problèmes de trésorerie touchent aujourd’hui toutes les filières, ou presque. Le revenu moyen des agriculteurs est nettement inférieur au SMIC, pour une moyenne de 54 heures travaillées par semaine. Et combien d’entre eux vivent au-dessous du seuil de pauvreté ?

Le suicide est souvent l’acte ultime d’un homme ou d’une femme qui a tout tenté pour sauver son exploitation, en vain. À ce sentiment d’échec peuvent s’ajouter l’isolement social, la surcharge de travail, mais aussi le phénomène de l’agri-bashing, véritable guerre d’usure psychologique contre le monde agricole.

Cette pression supplémentaire sur la profession est d’autant plus insupportable que certains médias semblent davantage prêter attention aux pratiques totalitaires de certaines associations qu’aux graves difficultés des agriculteurs.

Comment comprendre que, un jour de tempête de neige, ils soient considérés comme des héros pour, les premiers, avoir dégagé nos routes, et que, le lendemain, ils soient montrés du doigt, pour ne pas dire jetés en pâture, lorsqu’un problème sanitaire ou environnemental resurgit dans le débat public ?

Pourtant, quel autre secteur d’activité a réussi, en à peine vingt ans, à réaliser autant d’efforts et à bouleverser autant ses pratiques pour réduire son empreinte écologique ?

Si notre pays a une longue tradition agricole, il semble aujourd’hui avoir l’agriculture honteuse. Pourquoi n’entend-on jamais rappeler que l’agriculture représente 7 milliards d’euros d’excédents commerciaux, ou encore que les agriculteurs soutiennent l’économie locale et assurent l’entretien des espaces naturels, ce que personne ne pourrait faire à leur place ?

Si nombre d’agriculteurs sont aujourd’hui désespérés, c’est parce qu’ils se sentent abandonnés. Ils sont abandonnés par la Commission européenne, tout d’abord, qui envisage, avec l’accord implicite du Président de la République, de baisser de 15 % le budget de la PAC.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Ils sont abandonnés, ensuite, par le Gouvernement, qui, malgré des États généraux de l’alimentation lancés en grande pompe, n’a toujours pas réglé la question des marges et des revenus agricoles.

Nos agriculteurs n’en peuvent plus des discours officiels de fausse compassion et des opérations de communication. Ce qu’ils attendent, ce sont des actes forts et réels !

Ils attendent l’arrêt de l’inflation de normes déconnectées des réalités du terrain. Ils attendent un gouvernement qui les défend à l’échelon européen et qui se bat pour redonner une préférence claire à nos produits agricoles.

La proposition de loi de notre collègue Henri Cabanel a le mérite d’ouvrir le débat sur le suicide des agriculteurs. Je l’en remercie sincèrement.

Le système de signalement qu’il propose est intéressant, dans la mesure où il vise à améliorer l’assistance humaine apportée aux agriculteurs. Il n’est pas logique qu’il revienne à l’agriculteur d’accomplir la démarche nécessaire pour obtenir une aide. La présente proposition de loi prévoit d’inverser le dispositif, de manière à mieux repérer les situations de mal-être.

Ajoutons que le suicide d’un agriculteur signifie souvent, à terme, la fin d’une exploitation agricole dans laquelle sa famille s’était investie depuis plusieurs générations.

Pensons aux difficultés que rencontre la veuve de l’agriculteur pour reprendre l’exploitation et la transmettre à ses enfants ! À la souffrance du deuil s’ajoute la solitude face à une administration qui est souvent aux abonnés absents. La longueur des procédures – parfois plus d’un an – pénalise les familles lorsqu’il s’agit, par exemple, de débloquer les comptes, ou encore d’obtenir une décision du juge des tutelles pour l’avenir des enfants.

Concernant les solutions à apporter, soyons réalistes : une loi seule ne permettra pas de résoudre définitivement ce problème. Le sujet est si vaste, si complexe ! Voilà pourquoi, comme vous, madame le rapporteur, j’estime qu’il est sage de renvoyer ce texte à la commission.

Ne pas adopter ce texte aujourd’hui ne signifie pas que nous nous désintéressions du sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Bien au contraire, nous estimons que la gravité du phénomène oblige à élargir la réflexion et à prendre le temps qui s’impose pour en appréhender la complexité et apporter les meilleures solutions.

Nous pourrions d’ailleurs élargir la réflexion aux chefs d’entreprise, qui connaissent eux aussi un taux de suicide élevé, phénomène que j’avais mesuré avec notre collègue Stéphane Artano lorsque nous avions rédigé notre rapport sur la santé au travail.

Mes chers collègues, on a longtemps cru que la ruralité protégeait du suicide et que la souffrance au travail était un problème des villes. Ce n’est plus vrai ! Chaque suicide d’agriculteur est un cri de désespoir qu’il faut entendre.

Ce sujet doit mobiliser l’ensemble de la communauté nationale, parce que nous sommes tous concernés. Si l’on veut encore manger demain des produits sains, qui ne viennent pas de l’autre bout du monde, nous avons besoin de nos agriculteurs. Leur bien-être au travail doit donc être une préoccupation majeure.

Je me réjouis que le Sénat, par cette proposition de loi, montre une nouvelle fois la voie à suivre. Qui n’a jamais eu à connaître de près un suicide doit du moins comprendre la détresse de la personne et de sa famille : un accompagnement est indispensable pour chacun.

Enfin, permettez-moi d’avoir en cet instant une pensée pour mon petit frère.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et SOCR.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Segouin

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi visant à prévenir le suicide des agriculteurs.

D’emblée, je tiens à exprimer mon soutien à ce texte, bien qu’il soit, reconnaissons-le, une bien modeste réponse face à l’ampleur du mal que nous avons pour ambition de combattre.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Segouin

Oui, mes chers collègues, il est temps de nous réveiller !

Réveillons-nous face à la souffrance que connaissent nos agriculteurs depuis tant d’années, depuis trop d’années maintenant. Je sais que, tous autant que nous sommes, élus des territoires, nous connaissons la beauté et l’importance du travail de nos agriculteurs, qui, chaque jour, permettent aux Français de remplir leurs assiettes de produits de qualité.

Si la France est un pays qui a la chance d’être indépendant dans sa production agricole, autonome dans sa consommation et, surtout, reconnu à travers le monde pour la qualité de ses produits, c’est parce que des hommes et femmes d’exception exercent ce métier, parfois au prix de leur vie.

Nous avons plus que jamais le devoir de répondre à une souffrance qui conduit parfois à commettre l’irréparable, une souffrance profonde, qui touche la plupart de nos agriculteurs.

Cette souffrance puise ses causes dans de nombreux facteurs ; ce sont eux que nous devons combattre pour endiguer les maux que nous souhaitons voir disparaître.

Le suicide chez nos agriculteurs n’est pas une fatalité. S’il est des exploitations qui prospèrent, ce dont nous nous réjouissons, d’autres subissent un préjudice dont il faut reconnaître qu’il est l’héritage des erreurs politiques passées et présentes.

N’oublions pas, avant tout, que nos agriculteurs sont des chefs d’entreprise qui, en plus de gérer leur exploitation ou leur élevage au quotidien, ont également la lourde responsabilité de pérenniser leur activité et de la maintenir viable.

Or comment faire quand l’on reçoit moins du produit que l’on vend que ce qu’il a coûté à produire ? On ne fait pas, on subit ! On est obligé d’emprunter, de s’endetter en espérant des lendemains meilleurs. Ce modèle économique n’est aucunement supportable.

Les agriculteurs sont devenus des chasseurs de prime : la PAC et les mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC), entre autres subventions, sont leurs bouées de survie.

Si seulement il n’y avait que cela ! Non, nous avons encore la folie de faire peser sur ces entreprises des charges qu’elles ne sauraient supporter : pression administrative et de contrôle, pression sanitaire et normative, pression financière et fiscale – le mal français en général. Comment ferions-nous, à la place de nos agriculteurs, pour gérer leur entreprise dans de telles conditions sans subir les conséquences physiques et psychologiques que tout cela implique ?

Comme si cela n’était encore pas suffisant, comme si notre propre modèle n’était pas déjà suffisamment contraignant et nocif pour nos agriculteurs, nous les jetons dans la broyeuse mondiale de la concurrence déloyale. Le CETA et le Mercosur sèment des doutes légitimes chez nos agriculteurs, qui finiront par subir, quoi qu’il en soit, les conséquences ravageuses de ces accords.

Je crois sérieusement, mes chers collègues, qu’il y a dans tout cela de la folie et une bonne dose d’hypocrisie ! C’est hypocrite, parce que nous faisons subir un diktat moralisateur à nos paysans, alors même que nous les livrons à la concurrence avec des pays dont les modèles agricoles sont beaucoup moins regardants en matière de normes sanitaires et écologiques.

Le climat social qui règne à l’égard de nos paysans doit également être inversé ; il y va de notre responsabilité collective. Ainsi, nous en finirons avec l’agri-bashing ambiant, qui fait constamment peser la suspicion sur les agriculteurs. Plusieurs éleveurs de mon département, victimes de divers actes, ont fait les frais de la folie véganiste et antispéciste.

Aussi, comment ne pas être dégoûté lorsque tant de pression vous accable et que, de surcroît, loin de recevoir un semblant même de compassion, l’on ne perçoit que mépris et acharnement ?

À l’époque où les consommateurs veulent bien manger, mieux manger, il faut saisir cette occasion de privilégier la consommation locale, que ce soit au travers des circuits courts ou de la grande distribution.

Surtout, attaquons-nous enfin aux racines du mal qui pousse chaque année tant de nos paysans à se donner la mort. C’est ainsi seulement que nous parviendrons réellement à éradiquer ce fléau.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, RDSE et SOCR.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de la motion tendant au renvoi à la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Je suis saisi par Mme Férat, au nom de la commission, d’une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des affaires économiques la proposition de loi visant à prévenir le suicide des agriculteurs (746, 2018-2019).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme le rapporteur, pour la motion.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Férat

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le silence qui règne au sujet du suicide des agriculteurs doit être brisé ; nous l’avons entendu dire sur toutes les travées de notre hémicycle.

L’occasion nous est donnée de le faire dans cette chambre. Je tiens donc à remercier de nouveau notre collègue Henri Cabanel pour son initiative importante.

Monsieur le ministre, vos propos ont été forts et nous ont touchés. Je veux croire que nous pouvons compter sur vous ; c’est ce que j’ai compris de vos paroles.

M. le ministre acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Férat

Ainsi que je l’ai déjà souligné, le suicide d’un agriculteur est l’aboutissement d’une accumulation complexe de facteurs, d’un ensemble de pressions, de drames, de craintes, d’injonctions contradictoires et de sentiments de déconnexion, le fruit, enfin, de l’absence de reconnaissance morale et financière. Il y a autant de causes qu’il y a de décès, ce qui limite d’autant la possibilité de légiférer sur le sujet.

En outre, la connaissance même de cette problématique n’est pas assurée. Trop peu d’études ont été réalisées ; leurs conclusions sont souvent divergentes. Nous ne pouvons pas édicter de normes à partir de données aussi parcellaires et incomplètes. Monsieur le ministre, nous avons évoqué ensemble tout à l’heure la nécessité de bâtir sur des bases très justes, pour avancer dans ce domaine de façon positive.

Une loi risquerait, au mieux, de n’aborder qu’une petite partie du problème et, au pire, de se révéler inapplicable sur le terrain et de susciter beaucoup de déception. Il faut donc commencer par mieux connaître et comprendre ce phénomène ; nous en sommes d’accord.

Certes, des dispositifs d’identification et de prévention existent, mais ils sont bien souvent peu coordonnés entre eux, quand ils le sont même. Ils sont aussi souvent mal connus des agriculteurs et de leurs proches. Des marges de progression existent donc en la matière ; on devra notamment accorder impérativement une place centrale à l’humanisation des procédures.

N’oublions pas qu’un agriculteur qui commet l’irréparable est un agriculteur qui se sent profondément seul ; il n’effectuera donc généralement pas la démarche d’aller signaler sa situation et l’exposer aux pouvoirs publics. Traiter ce sujet implique de l’humilité face à la situation ; il faut aussi du temps pour mener un travail transpartisan de qualité et de terrain.

C’est pour se donner ce temps nécessaire que la commission des affaires économiques vous propose, mes chers collègues, cette motion.

Si elle est adoptée, notre commission créera dans la foulée un groupe de travail transpartisan sur les moyens mis en œuvre par l’État en matière de prévention, d’identification et d’accompagnement des agriculteurs en situation de détresse. Nous nous sommes engagés à mener ce travail avec détermination, mais aussi avec l’écoute humaine indispensable.

Travailler sur ce sujet dans toute sa complexité, de façon transpartisane et collégiale, permettra d’aboutir, j’en suis sûre, à un rapport de qualité qui proposera des solutions concrètes.

Monsieur le ministre, vous nous avez dit : « Rassemblons-nous sur l’être humain. » La phrase est importante, mais je garde en même temps à l’esprit les témoignages poignants que nous a transmis Henri Cabanel.

Il nous revient de rendre hommage à ces agriculteurs et à ceux qui les ont rejoints ; c’est ce que nous allons faire au travers des travaux à venir, mes chers collègues, si vous en êtes d’accord.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Nous avons eu un excellent débat ; je tiens à saluer de nouveau M. le sénateur Cabanel, qui a été à son origine.

En réponse, notamment, aux propos que vient de tenir Mme le rapporteur, je puis vous confirmer, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement, le ministère de l’agriculture et de l’alimentation et tous leurs services se tiennent à votre entière disposition pour travailler, ensemble, et essayer d’aller de l’avant sur cette question.

Le Gouvernement émet donc un avis favorable.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Nous traitons ici d’un sujet particulièrement sensible et complexe, où se mélangent des aspects intimes, personnels et profondément humains, et des questions de politique globale qui portent sur notre modèle agricole et commercial. Il est donc important que le Sénat se penche de manière approfondie sur cette question.

Je voudrais à mon tour saluer notre collègue Henri Cabanel et le remercier de son travail et d’avoir permis l’inscription à notre ordre du jour de cette lourde thématique.

Comme Henri Cabanel l’a rappelé, les chiffres sont lourds : la situation est urgente et dramatique. Si le texte présenté aujourd’hui n’est pas encore véritablement finalisé, il n’en est pas moins important, car il permet d’amorcer un travail, de lancer l’alerte sur ce sujet sensible et, surtout, de briser le tabou qui l’entoure encore trop souvent.

Il sera également important de replacer cette thématique dans une réflexion plus globale sur le modèle agricole.

Comment rémunérer les agriculteurs au prix juste et rééquilibrer leur rapport de force inégal avec l’industrie agroalimentaire et la grande distribution ?

Comment maintenir le budget de la PAC et faire en sorte qu’il soit réparti de façon plus juste entre les agriculteurs ?

Comment accompagner les agriculteurs et leur donner les moyens de faire évoluer leurs pratiques afin d’aller vers des modèles de production plus résilients, plus rémunérateurs, plus vertueux et plus en phase avec les attentes de la société ?

Comment améliorer les relations des agriculteurs avec les institutions, en particulier dans des situations humaines complexes ?

Enfin, certains acteurs de terrain, comme l’association Solidarité Paysans, que M. le ministre a évoquée, parviennent à faire reprendre pied, via un accompagnement humain, à de nombreux agriculteurs en difficulté potentiellement exposés à des risques de suicide. Ces acteurs souffrent pourtant trop souvent d’un manque de moyens, et cela bien que l’essentiel de leur activité soit exercé par des paysans bénévoles, le plus souvent retraités.

Le lien humain et la solidarité rurale sont essentiels pour faire face à cette problématique. Toutes ces thématiques ne peuvent donc pas être écartées de la question du mal-être dans nos campagnes.

Je veux à mon tour saluer, au nom de mon groupe, cette motion de renvoi à la commission. Vous annoncez, madame le rapporteur, la mise en place d’un groupe de travail : c’est une bonne chose, car il faut se donner le temps et les moyens d’agir.

J’irai même au-delà, si Henri Cabanel le veut bien : je suggérerai que notre groupe demande une véritable mission commune d’information sur ce sujet, avec tous les moyens et la puissance du Sénat. Ce serait un très bon signe !

M. Henri Cabanel applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

En écoutant ce débat, j’ai été impressionnée par son importance et par son caractère émotionnel, comme on en a peu l’habitude dans cet hémicycle. Je soutiendrai évidemment cette motion de renvoi à la commission.

Dans l’Orne, comme dans tous les autres départements, le conseil départemental est aussi un acteur du monde agricole : il aide les agriculteurs, notamment les plus jeunes, dans leurs implantations ou pour la transmission d’exploitations.

Néanmoins, nous nous sommes également engagés dans une entreprise intéressante, monsieur le ministre : en coordination avec les barreaux et les experts-comptables, nous avons voulu mettre en place un chèque pour des consultations gratuites. En effet, quand on est dans la difficulté, il faut aussi parfois reconnaître son échec, ce qui est extrêmement difficile : il faut pouvoir surmonter ce malaise, qui est d’autant plus fort que l’écoute est difficile, voire impossible.

Il faudra évidemment associer au groupe de travail qui va être créé l’ensemble des acteurs : la mutualité sociale agricole, bien sûr, mais aussi les conseils départementaux, qui jouent déjà, d’ordinaire, un rôle d’accompagnement de tout le milieu agricole, et naturellement les collectivités territoriales.

J’ai certes envie de dire « bravo ! » à Henri Cabanel, mais je veux aussi interroger chacun d’entre nous : pourquoi entreprenons-nous ce travail si tard ? C’était tellement évident que l’on n’y avait pas pensé avant ! La gratitude que nous vous devons, mon cher collègue, va enfin nous permettre de progresser sur un sujet éminemment humain et important pour nos territoires, auxquels nous sommes évidemment très attachés.

Le groupe Union Centriste soutiendra bien sûr cette motion.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Je mets aux voix la motion n° 1, tendant au renvoi à la commission.

La motion est adoptée.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

En conséquence, le renvoi à la commission est ordonné.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 17 décembre 2019, à quatorze heures trente et le soir :

Projet de loi organique modifiant la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution (procédure accélérée ; texte de la commission n° 195, 2019-2020) et projet de loi modifiant la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et prorogeant le mandat des membres de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (procédure accélérée ; texte de la commission, n° 196, 2019-2020) ;

Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à lutter contre les contenus haineux sur internet (texte de la commission n° 198, 2019-2020).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

La séance est levée à dix-sept heures trente-cinq.