Intervention de Didier Guillaume

Réunion du 12 décembre 2019 à 14h30
Prévention du suicide des agriculteurs — Renvoi à la commission d'une proposition de loi

Photo de Didier GuillaumeDidier Guillaume :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur Cabanel, madame Férat, je vous remercie d’avoir choisi de mettre à l’ordre du jour de cette après-midi cette proposition de loi, même s’il est sage, je crois, de la renvoyer en commission, comme vous prévoyez de le faire, afin de retravailler ce sujet.

Dans cet hémicycle, comme ailleurs, il faut parler de ce fléau qu’est le suicide. Mais comment en parler ? Peut-on seulement se figurer ce qui pousse un homme à mettre fin à ses jours, à trouver la vie tellement insupportable que la mort est une délivrance ?

Cet acte ultime, radical, n’appartient qu’à celui qui le commet. Il faut, je pense, respecter la singularité de ce geste. Le suicide est évidemment un geste individuel, mais il a aussi des causes plus profondes, plus larges, sociales, collectives.

Le père de la sociologie française, Émile Durkheim, en a fait la démonstration en 1897 dans un ouvrage fondateur, Le Suicide. Il y pointait les risques d’un défaut de reconnaissance et d’un délitement des liens sociaux. Je ne citerai qu’une phrase de cet ouvrage : « Le suicide varie en fonction inverse du degré d’intégration des groupes sociaux dont fait partie l’individu. » C’est tout à fait ce qui sous-tend cette proposition de loi.

Le débat que nous menons aujourd’hui a donc tout son sens. Le suicide, en l’occurrence celui des agriculteurs, relève de l’intime, certes, mais aussi du collectif, évidemment. Notre organisation sociale et certains de nos choix peuvent expliquer en partie ce phénomène ; et dire cela n’est pas anodin, mesdames, messieurs les sénateurs.

Je suis, dans ma fonction, le défenseur des agriculteurs, comme vous. Tous, nous ne pouvons accepter que ceux qui nous nourrissent le fassent sous une pression telle que certains finissent par se donner la mort. Personnellement, je ne puis me résoudre, et nous ne pouvons nous résoudre ensemble à ce que des paysans de France vivent si mal leur travail que certains ne voient d’issue que la mort pour retrouver leur dignité.

Le débat que vous provoquez aujourd’hui est salutaire. Plus encore, il est absolument nécessaire.

Il est difficile de parler du suicide, mais nous devons le faire, dans cet hémicycle, dans les médias, au cinéma, partout, parce que cette situation ne peut être banalisée. Je me joins d’ailleurs à vous pour rendre hommage à Édouard Bergeon, réalisateur du film Au nom de la terre, qui retrace la vie de son père agriculteur, jusqu’à son suicide et à ses conséquences.

Il faut que chacun s’interroge sur les raisons qui conduisent à ce phénomène. Le masquer relèverait d’un aveuglement irresponsable, mais s’en servir à d’autres fins que son élimination serait manquer de respect à la mémoire de ces personnes. Ce serait inacceptable.

Les derniers travaux de la MSA pour l’année 2015 confirment bien une surmortalité par suicide des assurés au régime agricole, de 15 ans à 64 ans. Cette surmortalité par rapport au régime général est estimée à 12 %.

Ces travaux nous semblent les plus solides, mais vous avez raison, madame le rapporteur, il faut s’assurer que nous parlons tous de la même chose.

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