Concernant la crise de confiance et les agences en charge de la protection de la santé et de la surveillance épidémiologique, ma propre expérience m'a permis de constater que le recours à certains outils de production de connaissances, tels ceux proposés par l'épidémiologie, fait parfois débat et pose la question de conditionner la prise de certaines décisions à l'existence de certains types de connaissances.
Par exemple, une investigation de clusters, donc d'agrégats de pathologies, en entreprise qui aboutit à conclure qu'on ne peut pas conclure, comme cela a été le cas dans différentes circonstances, peut conduire à un sentiment de frustration et d'incompréhension. Les données épidémiologiques sont longues à produire, coûteuses et parfois ne permettent pas de conclure. Dans le cas de Lubrizol, on peut se dire que l'absence de publications scientifiques qui permettent d'établir a priori la dangerosité des mélanges, qu'on ne connaît pas, ne devrait pas être un critère d'inaction ou de non prise de décision. Au contraire, l'absence de connaissance relative aux mélanges justifierait de mettre en place des études ad-hoc pour produire de nouvelles connaissances et en espérer des bénéfices directs pour la population. Cela pourrait redonner confiance. L'absence de connaissance ne devrait pas permettre de retarder la mise en place d'investigations, mais au contraire de fonder la mise en place de dispositifs parfois innovants pour mieux comprendre les faits.
Sur cette question de surveillance épidémiologique, nous ne disposons pas d'un registre qui couvrirait l'ensemble du territoire. Certes, nous avons maintenant un accès élargi, mais il ne représente que des consommations de soins et ne saurait remplacer des données beaucoup plus fournies.
Sur la question générale des décisions publiques mises en oeuvre et des modalités de suivi post crise, il me semble intéressant de mener une enquête de santé déclarée. Toutefois, la question de la modalité de l'échantillonnage se pose. Sur ce sujet, des études très sérieuses ont été faites dans le cas du World Trade Center, sur la base de santé déclarée et donc sans vérification des dossiers médicaux. Cela permet déjà d'établir des choses.
Caractériser les expositions me semble indispensable. Il est difficile de comprendre que l'on ne retrouve aucune trace d'amiante alors qu'une toiture de 8 000 m2 a explosé. En pratique, des échantillons biologiques auraient été pris très rapidement peu après l'accident. Effectivement, cette question du t zéro est importante en termes de pollution, d'imprégnation biologique, de santé. M. Denis, de Santé publique France, lors de son audition, a fait référence aux programmes de bio monitoring qui existent sur le territoire français et qui permettent de fournir un temps zéro pour la population française. Aujourd'hui, ils ne me semblent pas fournir un temps zéro pour la population concernée par Lubrizol. Alors que nous sommes dans un bassin industriel, nous ignorons quels éléments pourraient relever de l'accident et quels éléments seraient attribuables au bruit de fond. Une surveillance épidémiologique renforcée dans les bassins industriels, même hors situation accidentelle, me semble indispensable.