Intervention de David Delaunay

Commission d'enquête Incendie de l'usine Lubrizol — Réunion du 12 décembre 2019 à 9h00
Audition de Mm. Jérôme Bertin directeur général de france victimes et david delaunay directeur général de l'association d'aide aux victimes et d'information sur les problèmes pénaux avipp76

David Delaunay, directeur général de l'association d'aide aux victimes et d'information sur les problèmes pénaux (Avipp76) :

Je suis salarié de l'association et riverain de Lubrizol, donc j'ai entendu les explosions, à quatre heures et demie du matin... Mon premier réflexe, professionnel, a été de me demander s'il y avait des personnes décédées ou blessées. Vu la taille du panache de fumée, nous avons tout de suite pris conscience qu'il allait falloir mettre un dispositif en place pour toutes les personnes qui avaient été impactées.

Dès le vendredi 27 septembre, une cellule a été créée, avec des personnes ayant des connaissances particulières en matière d'accidents collectifs, et évidemment d'assurance, puisque nous anticipions de nombreux dommages. Dès le lundi suivant, nous nous sommes rapprochés du procureur pour nous mettre à disposition de l'autorité judiciaire, qui nous réquisitionne en cas d'événements collectifs. Il n'a pas été possible de réunir rapidement le comité local d'aide aux victimes (CLAV). Il s'est réuni après quinze jours, et c'est alors qu'on a décidé l'ouverture d'un espace d'accueil spécifique au sein de la mairie annexe, qui se trouvait au coeur du quartier le plus impacté à Rouen. Le barreau de Rouen y a participé et, en trois semaines, nous avons reçu plus de 120 personnes. Des communes un peu plus éloignées ayant aussi été fortement impactées, le CLAV a mis en place une équipe mobile. Nous avons eu le soutien de l'Association des maires de France (AMF), qui s'est rapprochée des différentes municipalités afin de cibler le plus précisément possible les communes concernées. Certaines n'ont pas souhaité d'intervention. D'autres nous ont recontactés, c'est le cas de Préaux et Buchy, ainsi que de Neuchâtel-en-Bray et des permanences y ont été tenues.

Nous avons travaillé en bonne intelligence grâce à notre accord interassociatif de Seine-Maritime, qui prévoit une convention d'entraide en cas d'accident collectif. Nous sommes une petite association : cinq salariés et une dizaine de bénévoles. Si de nombreuses victimes s'étaient présentées, nous n'aurions pas pu prendre en charge tout le monde. Aussi nous sommes-nous rapidement mis en lien avec notre fédération, et avec le numéro national d'aide aux victimes, pour pouvoir gérer un afflux massif d'appels téléphoniques. Nous avons communiqué de notre côté, et pré-mobilisé le réseau d'accueil alentour.

Toutes permanences confondues, 254 personnes nous ont demandé de l'aide. Les questions portaient principalement autour de sujets d'assurance, avec des inquiétudes sur la mise en oeuvre des contrats d'assurance. Il y avait aussi des questions autour de la santé et sur la qualité de l'air. Nous avons noté, enfin, un souhait massif de déposer plainte afin de signifier le mécontentement.

Quand on s'éloigne de Rouen, les personnes ont parfois moins de ressources, et des contrats d'assurance de moins bonne qualité. Certains se sont éloignés du centre-ville pour des raisons matérielles. J'ai ainsi reçu des personnes âgées, par exemple un retraité dont la pension de retraite était d'environ 700 euros et qui se servait de son potager comme moyen de subsistance et pour obtenir un complément de revenu. Les dépôts de suie ont détruit complètement cette ressource et, si les assurances ont souvent accepté de couvrir le nettoyage des maisons et du bâti, tout ce qui est extérieur n'est pas pris en charge. Il y a aussi des difficultés liées à la franchise : les assurances prennent en charge le nettoyage et les réparations, mais les franchises restent à la charge des particuliers. Et plus les contrats sont bon marché, plus les franchises sont importantes. Cela peut aller de 130 à 300 euros. C'est une somme importante, qui peut dissuader de faire des déclarations de sinistre. De plus, il arrive que les assurances ne mobilisent pas la bonne garantie et ouvrent des dossiers de protection juridique, et non de sinistre. Plus on s'éloigne de la couronne rouennaise, plus les difficultés sont importantes. Et 254 personnes reçues, c'est peu par rapport à l'immensité des dégâts... Cela ressemble plus à une marée noire dans les jardins qu'à de vagues dépôts de suie ! Le nettoyage d'une habitation coûte entre 7 000 et 8 000 euros.

Il y a une incompréhension, car les premières indemnisations sont arrivées, notamment pour les collectivités. Les agriculteurs ont aussi fait des demandes, même si elles s'accompagnent d'abandons de recours. Les commerçants aussi. Mais, pour les particuliers, rien ! Pour beaucoup, 300 euros de franchise, c'est une somme importante - sans compter les quantités d'eau utilisées pour le nettoyage. Sur tout cela, nous n'avons pas de réponse à apporter aux personnes, et nous n'avons rien entendu du côté de Lubrizol. Habituellement, pour les particuliers, un accord-cadre est proposé. Pour l'instant, nous n'avons rien de tel. L'association d'aide aux victimes ne peut pas agir à la place des victimes, mais celles-ci constituent un groupe atomisé, qui n'a pas forcément les ressources pour se mobiliser et entamer une démarche collective.

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