Comme vient de le souligner M. le président Éblé, le projet de loi de finances pour 2020 ne nous a pas encore été formellement transmis.
Tout d'abord, la commission mixte paritaire, qui s'est réunie mercredi 11 décembre, n'a pu aboutir favorablement compte tenu des divergences trop importantes sur les 282 articles restant en discussion.
En première lecture, l'Assemblée nationale et le Sénat avaient déjà adopté dans les mêmes termes 110 articles et confirmé la suppression d'un article. Lors de la nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, certains apports du Sénat ont été conservés. Je ne mentionnerai évidemment pas tous les articles concernés, d'importance inégale.
L'Assemblée nationale a repris les assouplissements des conditions requises pour l'imposition des gains et distributions perçus au titre des parts ou actions de « carried interest ».
À l'article 2 bis, elle a également conservé l'extension aux agents de la fonction publique hospitalière des critères de domiciliation fiscale applicables aux agents de l'État et aux agents des collectivités territoriales exerçant leurs missions à l'étranger.
Elle a partiellement entendu le Sénat concernant la domiciliation fiscale en France des dirigeants des grandes entreprises françaises, prévue à l'article 3. En effet, elle a maintenu l'exclusion du président du conseil de surveillance et du président du conseil d'administration lorsque ce dernier n'assume pas la fonction de président-directeur général. Il est regrettable qu'elle ait en revanche fait le choix de refaire entrer dans le champ d'application de cet article les directeurs généraux délégués et les membres du directoire. Il est également dommage qu'aient été supprimées les précisions concernant l'entrée en vigueur de cet article, ce qui pose à mon sens un problème constitutionnel.
Confirmant le vote du Sénat, l'Assemblée nationale est revenue sur la suppression de la taxe sur les spectacles perçue au profit de l'Association pour le soutien du théâtre privé ainsi que sur le bornage dans le temps de l'exonération d'impôt sur le revenu des gains nets réalisés lors des cessions à titre onéreux de titres de sociétés de capital-risque et du bornage dans le temps de l'éligibilité des distributions opérées par les sociétés de capital-risque au régime des plus-values à long terme.
L'Assemblée nationale a également conservé certains aménagements apportés au champ d'application du taux de TVA à 5,5 % dans le secteur du logement social, prévu à l'article 8.
Elle a adopté conforme l'article 50 octies relatif à l'aménagement de la réduction d'impôt Madelin en conservant le renforcement des clauses anti-abus adopté par le Sénat, sur l'initiative de notre commission.
Parmi les principaux apports, on peut également citer les modifications substantielles introduites à l'article 58 quater relatif à la création d'une réduction d'impôt pour les investissements au sein des foncières solidaires chargées d'un service économique d'intérêt général dans le domaine du logement, y compris aux foncières solidaires à vocation agricole.
L'Assemblée nationale a aussi repris plusieurs mesures de clarification ou de simplification des régimes juridiques portés par le Sénat. Il s'agit notamment de la clarification du régime juridique de la taxe sur la valeur ajoutée portant sur certains produits destinés à l'alimentation humaine et animale ou encore des simplifications de régime des accises.
Elle a, par ailleurs, retenu une disposition introduite par un amendement de notre collègue Roger Karoutchi visant à exonérer les chaînes d'information de la taxe sur les services de télévision due par les éditeurs et repris l'essentiel des modifications techniques que la commission des finances avait adoptées à l'article 68 relatif à l'interdiction de l'octroi de garantie de l'État au commerce extérieur pour la recherche, l'extraction et la production de charbon.
Elle a également adopté les modifications proposées par le Sénat à l'article 72 bis relatif à l'augmentation, à compter de 2021, des objectifs d'incorporation d'énergies renouvelables dans la filière essence.
A, par ailleurs, été confirmée à l'Assemblée nationale la suppression proposée par le Sénat de plusieurs articles, en particulier l'article 59 undecies, qui prévoyait l'extension du dispositif relatif aux aviseurs fiscaux aux sociétés d'investissement immobilier cotées (SIIC), et l'article 78 septdecies relatif à une expérimentation de la généralisation de la possibilité de réaliser des évacuations d'urgence de victimes par les associations agréées de sécurité civile. Elle nous a également suivis dans la suppression de plusieurs rapports jugés inutiles, notamment un rapport prévu à l'article 76 septdecies rattaché à la mission « Recherche et enseignement supérieur ».
Pour autant, des divergences importantes subsistent entre les deux assemblées.
Tout d'abord, d'un point de vue macroéconomique, le redressement des comptes publics est purement et simplement oublié. Le recul du déficit nominal masque l'absence d'amélioration structurelle de la situation des comptes publics. En outre, la baisse des prélèvements obligatoires ne s'accompagne pas de la maîtrise des dépenses publiques. L'Assemblée nationale n'a pas retenu les propositions d'économies que nous avons proposées en dépenses.
Ensuite, l'Assemblée nationale a également rétabli en nouvelle lecture certaines mesures auxquelles le Sénat s'était fermement opposé, telles que les modifications restrictives prévues à l'article 50 concernant le mécénat d'entreprises ou encore les nouvelles modalités de financement de la Société du Grand Paris : le nouveau zonage de la taxe sur les bureaux et le prélèvement sur les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) des départements.
Elle a conservé assez peu des amendements adoptés par le Sénat sur les articles les plus emblématiques. Ainsi en est-il de l'article 5, puisque l'Assemblée nationale n'a retenu aucun des amendements proposés par la commission des finances et adoptés par le Sénat à une très large majorité concernant le schéma de financement des collectivités territoriales. À cet égard, Alain Richard lui-même n'avait obtenu en séance aucune réponse du secrétaire d'État Olivier Dussopt, qui n'était pas en mesure de le faire.
L'on peut faire le même constat avec l'intervention de Mme la secrétaire d'État Agnès Pannier-Runacher, qui nous a expliqué que le bitcoin contribuait à l'économie française alors que, parallèlement, deux rapports récents, l'un émanant de Tracfin et l'autre de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), relevaient tous les risques entourant ces moyens de financement, notamment sous l'angle du blanchiment. Il faudrait que les ministres qui représentent le Gouvernement devant le Sénat aient la capacité d'intervenir sur les sujets examinés.
L'Assemblée nationale n'a pas repris l'idée de décaler d'un an la mise en place du schéma de financement des collectivités territoriales. Cela aurait pourtant permis de disposer de deux années pleines pour faire tourner « à blanc » la réforme avant son entrée en vigueur.
En outre, en ne retenant pas les aménagements proposés par le Sénat, le dispositif de financement adopté par l'Assemblée nationale ne garantit pas une réelle compensation à l'euro près. Il est notamment regrettable que ne soient pas maintenus la revalorisation des valeurs locatives en fonction du droit en vigueur, le mécanisme de garantie plus protecteur concernant le montant des fractions de TVA en cas de retournement conjoncturel, ainsi que l'annulation des effets de l'année blanche engendrés par le dispositif proposé.
L'Assemblée nationale est aussi revenue sur la compensation intégrale des exonérations au titre de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) en matière de logement social..
La fiscalité écologique reste une fiscalité du rendement ; l'Assemblée nationale l'a encore confirmé en rétablissant l'article 19 tendant à augmenter le prix du gazole pour les transporteurs routiers de marchandises ; en ne fléchant pas l'augmentation des tarifs de la taxe de solidarité sur les billets d'avion vers la transition énergétique, par exemple les biocarburants ; en refusant tous nos aménagements concernant le crédit d'impôt pour la transition écologique (CITE).
La priorité de la majorité gouvernementale de lutter contre la fraude peut être questionnée puisque l'Assemblée nationale n'a pas non plus conservé le mécanisme complet de lutte contre les opérations d'« arbitrage de dividendes ». Pourtant, un procès gigantesque a lieu actuellement en Allemagne, qui pourrait permettre au fisc allemand de récupérer des centaines de millions d'euros, voire des milliards, en se fondant sur le dispositif que nous avions adopté.
L'Assemblée nationale a également adopté un amendement du Gouvernement que le Sénat avait refusé en première lecture, qui fait supporter la hausse de la dotation particulière « élu local » par les départements et les régions. Elle a aussi supprimé la proposition du Sénat de relever le plafond du quotient familial.
Elle n'a pas non plus retenu plusieurs dispositions qui avaient pourtant été adoptées à l'unanimité ou à la quasi-unanimité par le Sénat : le dispositif de lutte contre les opérations d'« arbitrage de dividendes » déjà cité ; l'exonération de fiscalité des sommes misées dans le cadre du loto du patrimoine ; les aménagements à la révision des valeurs locatives prévue à l'article 52. Elle est aussi revenue sur le refus du Sénat que le transfert à la direction générale des finances publiques (DGFiP) du recouvrement de certains impôts indirects et amendes soit réalisé par voie d'ordonnance - c'était un minimum que le Parlement se penche sur cette question. Elle n'a pas non plus souhaité conserver le décalage de l'entrée en vigueur prévu par l'article 51 concernant la nouvelle taxe forfaitaire applicable aux contrats à durée déterminée d'usage, pas plus qu'elle n'a modifié les crédits des cinq missions que nous avions rejetés.
Comme vous le constatez, les sujets de désaccord entre nos deux assemblées sont nombreux. On peut déplorer que l'Assemblée nationale ne nous ait pas davantage rejoints sur de nombreux points. Même si le Sénat proposait des modifications, il est probable qu'une nouvelle navette ne serait pas de nature à faire évoluer les choses et à faire changer d'avis l'Assemblée nationale. C'est pourquoi je vous propose une motion tendant à opposer la question préalable sur le projet de loi de finances pour 2020.
Au demeurant, je tiens à remercier nos collègues d'avoir engagé, malgré des délais contraints, des débats relativement intéressants sur divers sujets, tels que la fiscalité de l'énergie.