Intervention de Cédric O

Réunion du 17 décembre 2019 à 14h30
Lutte contre les contenus haineux sur internet — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Cédric O :

C’est pour répondre à cette urgence que le Président de la République a souhaité confier à la députée Laetitia Avia l’élaboration de cette proposition de loi qui vise à prendre en compte le rôle majeur que les réseaux sociaux jouent désormais dans nos relations sociales et les responsabilités qui leur incombent à ce titre.

Ce texte a été longuement mûri, d’abord grâce au rapport produit par Laetitia Avia, Gil Taïeb et Karim Amellal, ensuite dans le cadre de la mission lancée auprès de l’entreprise Facebook pour mieux comprendre le fonctionnement des processus de modération, mais aussi via les multiples consultations qui ont eu lieu avec la société civile et avec nos partenaires étrangers. Il a enfin été mûri lors de son examen à l’Assemblée nationale, puis par les trois commissions qui s’en sont saisies au Sénat, une au fond et deux pour avis. Au-delà de ce qui nous sépare – nous avons des divergences, nous les évoquerons –, je veux saluer le travail des rapporteurs MM. Frassa et Bouloux, ainsi que celui de la présidente Mme Morin-Desailly.

Le parcours parlementaire de ce texte a permis de préciser les trois objectifs forts qui sont ceux du Gouvernement et qui forment la colonne vertébrale de cette proposition de loi.

Tout d’abord, la conviction que c’est bien l’État qui est le premier responsable pour faire respecter les droits et libertés en ligne. C’est pourquoi il est déterminant de mieux outiller les autorités, en particulier les autorités judiciaires, pour lutter contre le sentiment d’impunité qui prévaut actuellement et punir effectivement les auteurs de contenus haineux. C’est pour cela que la garde des sceaux a annoncé la spécialisation d’un parquet sur ces enjeux numériques et le déploiement progressif de dispositifs de plainte en ligne. Le rôle de la justice est bien au cœur de ce texte qui a vocation à le renforcer.

Ensuite, une responsabilité particulière des plus grandes plateformes dans la lutte contre les contenus odieux est affirmée clairement. Cette proposition de loi ne fait que renforcer des principes déjà posés depuis la loi pour la confiance dans l’économie numérique, mais elle rend ces obligations opérationnelles, en les précisant et en les accompagnant d’obligations de moyens et d’une véritable supervision qui constituent le cœur et la vraie innovation de ce texte.

Enfin, la mobilisation de toutes les parties prenantes est organisée en matière d’éducation et d’information. Évidemment, il s’agit de priorités qui se prêtent moins à l’exercice législatif, mais nous avons la conviction que l’éducation, la sensibilisation des plus jeunes et l’information des victimes comme des auteurs constituent certaines des armes les plus efficaces pour éradiquer durablement la violence en ligne. Cette priorité est déclinée à la fois en matière d’éducation au sens strict, mais aussi via la création d’un observatoire de la haine en ligne pour mieux prendre en compte ce phénomène.

Bien sûr, nous avons entendu certaines inquiétudes sur l’impact de ce texte, notamment les craintes de sur-censure. Il s’agirait évidemment d’un écueil majeur, qui est au cœur de nos préoccupations depuis le début et contre lequel l’Assemblée nationale a déjà largement renforcé les garde-fous. Entre la protection nécessaire des victimes et le respect vigilant de la liberté d’expression, j’ai parlé à l’Assemblée nationale d’une ligne de crête qu’il nous faut respecter.

Tout en soulignant et en saluant le nouveau cadre de régulation créé par la loi, le Sénat s’est inquiété de ce risque de sur-censure et a, conséquemment, apporté un certain nombre de modifications à l’article 1er. J’estime que ces modifications sont en partie excessives, notamment s’agissant de la suppression du délai de vingt-quatre heures. Le Gouvernement n’est pas fermé à des évolutions qui permettent de mieux préciser le texte et de prévenir une potentielle surinterprétation des acteurs, mais nous estimons qu’il nous faut conserver un cadre qui fixe le niveau d’ambition pour les réseaux sociaux concernés. Nous aurons l’occasion de revenir sur ces éléments durant nos débats.

Nous avons aussi entendu certaines questions juridiques soulevées notamment par la Commission européenne sur l’articulation de cette proposition de loi avec le cadre réglementaire européen. Il s’agit bien évidemment d’un enjeu important que nous avons pris en compte dès l’origine de ce texte et nous sommes ouverts à affiner encore le dispositif. La commission des lois a entamé cette tâche et je veux saluer l’esprit constructif qui a présidé à ses travaux, sous l’impulsion du rapporteur Frassa.

Structurellement, nous nous inscrivons résolument dans une perspective européenne sur ce sujet et, je le dis très clairement, nous soutenons pleinement les pistes esquissées par la Commission européenne que nous avons d’ailleurs appelées de nos vœux depuis le début. Le moment venu, cette régulation devra constituer le cadre de référence.

Mais ce travail prendra des mois ou des années et, dans cette attente, nous avons la responsabilité d’agir dès maintenant selon les marges que nous ménage le droit européen, afin de ne pas rester sans réponses face aux demandes de nos concitoyens. La question urgente de la haine en ligne doit être traitée maintenant, et non demain.

Un échange récent avec les institutions et les parties prenantes, notamment américaines, de la régulation des contenus me conduit du reste à penser que les travaux menés en France sont observés avec beaucoup d’intérêt à l’étranger, car ils jettent les bases d’une régulation inédite des réseaux sociaux : une régulation agile, capable de s’adapter à des acteurs en perpétuelle transformation, tout en étant ferme pour être véritablement dissuasive. Et les obligations seront d’autant plus fortes qu’elles feront l’objet d’une véritable supervision par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), future autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.

Je suis convaincu que cette supervision nouvelle des grandes plateformes est la clé d’une régulation beaucoup plus ambitieuse du numérique. Je sais que le Sénat a beaucoup travaillé sur cette question – je pense notamment à l’engagement constant et ancien de la présidente Morin-Desailly et aux initiatives de la commission des affaires économiques – et je ne doute pas que bon nombre d’entre vous seront en phase avec notre volonté de demander plus de comptes aux géants du numérique.

Nous avons aujourd’hui la chance de pouvoir poser un jalon historique sur ce sujet essentiel pour l’avenir de nos démocraties et de nourrir les futurs travaux européens qui seront menés sur ces sujets.

Mesdames, messieurs les sénateurs, jamais la haine en ligne n’a été aussi visible, destructrice, et jamais le sentiment d’impunité n’a été aussi largement répandu chez nos concitoyens, comme si la vie en ligne autorisait les propos les plus abjects hors le regard de la justice et loin de toute réponse de la société au travers de sanctions. Je n’ignore rien du chemin qu’il nous reste à accomplir pour garantir l’effectivité des mesures que nous prévoyons avec ce texte, mais je connais aussi la détermination en la matière du Président de la République, du Premier ministre et de la garde des sceaux.

J’entre dans ce débat avec la volonté de bâtir, avec le Sénat, un texte conforme à l’objectif politique initial et robuste juridiquement.

C’est pourquoi j’espère que nous serons en mesure lors des discussions qui s’ouvrent de parfaire les contours de ce cadre équilibré, efficace et ambitieux.

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