Intervention de Yves Bouloux

Réunion du 17 décembre 2019 à 14h30
Lutte contre les contenus haineux sur internet — Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Yves BoulouxYves Bouloux :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission des affaires économiques s’est saisie pour avis de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, car celle-ci modifie la loi pour la confiance dans l’économie numérique de 2004, dite LCEN, dont nous avions été saisis au fond. Même si son objectif relève de la protection des libertés fondamentales, elle affecte donc un secteur qui est aujourd’hui au cœur de la compétence de la commission.

Quelques considérations sur la méthode, d’abord. Nous regrettons que, malgré une longue gestation, le Gouvernement ait, de nouveau, choisi une proposition de loi plutôt qu’un projet de loi. Cette voie prive le Parlement d’une étude d’impact qui, en l’espèce, était plus que nécessaire.

Nous regrettons également que, malgré nos demandes, nous n’ayons pu prendre connaissance des observations de la Commission européenne que par voie de presse. Tout le monde en disposait, sauf les rapporteurs du Sénat ! Et je passe sur les réponses écrites envoyées moins d’une semaine avant le passage en commission, alors que le questionnaire avait été adressé près de deux mois auparavant…

J’en viens au fond. Cette proposition de loi s’attaque indéniablement à une question légitime. Si le phénomène est encore peu documenté, chaque utilisateur des réseaux sociaux peut aujourd’hui constater que les propos haineux répréhensibles s’y répandent quotidiennement.

Néanmoins, la réponse apportée à cette question est apparue inaboutie. C’est pourquoi nous soutenons le texte issu des délibérations de la commission des lois, qui permet de rendre le dispositif davantage susceptible d’atteindre son objectif, à savoir lutter contre les contenus haineux illicites en ligne, tout en limitant le risque d’atteinte à la liberté d’expression.

Les trois commissions saisies ont travaillé en bonne intelligence, avec un seul but : améliorer ce texte pour le rendre plus efficace.

La commission des affaires économiques a concentré son analyse sur le dispositif de régulation administrative confié au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). À nos yeux, il est intéressant pour plusieurs raisons.

D’abord, il paraît plus efficace et moins attentatoire aux libertés que les dispositions figurant initialement à l’article 1er de la proposition de loi. Il s’agit de prévoir des obligations de moyens, dont la portée est déterminée par un régulateur, lequel est en mesure de sanctionner sévèrement les acteurs qui ne joueraient pas le jeu.

La commission des affaires économiques a donc souhaité, en bonne entente avec la commission des lois, renforcer ce mécanisme. C’est pourquoi elle a proposé un amendement qui, dans le droit fil des conclusions de la « mission Facebook », permet au CSA d’imposer des obligations à des plateformes de moindre importance, mais sur lesquelles la tenue de propos haineux illicites serait régulièrement constatée. C’est aussi la raison pour laquelle nous avons souhaité permettre au CSA d’encourager le partage d’informations entre plateformes. Cela nous paraît être le levier essentiel d’une meilleure coopération entre ces dernières et donc d’une lutte plus efficace contre la diffusion de propos punis par la loi.

Nous avons également souhaité intégrer au texte un principe de proportionnalité, afin de nous assurer que les obligations de moyens mises à la charge des plateformes seront soutenables par les acteurs économiques, adaptées aux différents modèles que l’on peut trouver sur le marché, et qu’elles prendront en compte la viralité du contenu.

Par ailleurs, la commission s’est particulièrement intéressée à ce dispositif en ce qu’il semble poser le premier jalon d’un nouveau modèle de régulation de l’économie numérique. Notre assemblée l’a affirmé à plusieurs reprises, la directive e-commerce n’est pas l’alpha et l’oméga de l’économie numérique. Une régulation intelligente, agile et qui s’applique en priorité aux géants du numérique peut venir la compléter, même si, en l’état du droit européen, la ligne de crête est étroite.

La proposition de loi visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace, déposée par notre commission et cosignée par plus de la moitié des membres de notre assemblée, permettra de poursuivre ces travaux tendant à établir un nouveau modèle de régulation de l’économie numérique. Comme avec le texte qui nous occupe aujourd’hui, il est proposé d’agir d’abord à l’échelon national, dans l’attente d’une réponse pérenne à l’échelle européenne. Madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, nous espérons que le Gouvernement montrera autant d’allant sur ce sujet tout aussi fondamental.

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