Intervention de Claude Malhuret

Réunion du 17 décembre 2019 à 14h30
Lutte contre les contenus haineux sur internet — Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Claude MalhuretClaude Malhuret :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne peux, au moment d’examiner cette proposition de loi, m’empêcher d’exprimer ma surprise sur la façon dont la discussion s’engage. Ce texte nous arrive de l’Assemblée nationale avec une disposition essentielle, selon les termes mêmes de Mme Laetitia Avia, son auteur : « Le cœur du texte est l’obligation pour les grandes plateformes de retirer les contenus manifestement haineux dans un délai maximum de vingt-quatre heures après leur signalement. Pour la mettre en œuvre, nous créons un nouveau délit, placé sous le contrôle du juge. »

La raison de cette proposition est assez évidente : la loi pour la confiance dans l’économie numérique, telle qu’elle est rédigée aujourd’hui, se révèle impuissante à enrayer le phénomène de la haine sur internet, qui ne fait que s’amplifier de jour en jour. Je pense que ce constat n’aura échappé à personne ici et que nous sommes tous d’accord.

Or, en supprimant la création de ce délit, la commission des lois a retiré de cette proposition de loi ce qui en fait la substance même. Ce qu’il en reste est un texte qui n’a plus grand intérêt. C’est non pas moi qui le dis, mais la Quadrature du Net, et ses membres connaissent le sujet : « Ainsi modifié, le texte n’a presque plus de substance, de sorte qu’il devient inutile de l’adopter. »

Je peux très bien comprendre que l’on soit contre l’article qui constitue le fond de ce texte, mais j’ai du mal à concevoir que l’on soit pour et contre à la fois.

Cet article a été adopté avec empressement à l’Assemblée nationale non pas seulement par LaREM et le Modem, mais par une très large majorité, seule l’extrême gauche ayant voté contre. Permettez-moi de citer Éric Ciotti pour le groupe Les Républicains : « Le texte en discussion est opportun, voire nécessaire. Il faut se protéger, réguler, bannir les propos de haine et de violence. Ce qui compte, c’est que nous obtenions des résultats. C’est pourquoi je voterai le texte. » Je cite encore Frédéric Reiss, dans son explication de vote pour le groupe Les Républicains : « J’invite le groupe des Républicains à voter en faveur de cette proposition de loi. » Je cite enfin M. Dunoyer pour le groupe UDI : « Je vais évidemment inciter avec la plus grande conviction les membres du groupe UDI à voter favorablement ce texte. » Quelques semaines plus tard, au Sénat, les représentants de ces mêmes partis adoptent une position opposée à celle qui a été défendue à l’Assemblée nationale. Ce qui était salué comme une avancée alors est aujourd’hui considéré, au Sénat, comme une incongruité à supprimer. Vous comprenez mon étonnement…

Pour ma part je suis partisan du texte initial, et je vais essayer, sans me faire d’illusion sur le résultat final, d’en expliquer les raisons.

Première réflexion : jusqu’à quand les Gafam vont-ils piétiner toutes les règles édictées par nos sociétés démocratiques ? Jamais dans l’histoire des propos publics d’une telle violence, d’une telle infamie, d’une telle obscénité, d’une telle pourriture n’ont été livrés, en toute impunité, à des millions de nos concitoyens. Les écueils des réseaux sociaux sont devenus majeurs, et nous en connaissons tous les conséquences : harcèlement, dépression, suicide parfois. Je ne crois pas que, sur ce point, quiconque ici soit en désaccord.

Deuxième réflexion, qui me paraît devoir aussi faire l’unanimité : la législation actuelle ne permet pas de faire face, puisque le phénomène ne fait qu’empirer. Le temps de la justice ou des autorités administratives n’est pas celui d’internet. Le CSA, l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse) ou la plateforme Pharos (plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements) sont dépassés. Les seuls qui disposent des énormes moyens humains, algorithmiques et financiers pour régler le problème sont ceux qui l’ont créé. Pour paraphraser un proverbe arabe, celui qui a fait monter l’âne en haut du minaret devra aussi l’en faire redescendre.

Troisième réflexion : ce texte reviendrait à une privatisation de la censure, et nous confierions aux plateformes ce qui doit être confié au juge.

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