Intervention de Claude Malhuret

Réunion du 17 décembre 2019 à 14h30
Lutte contre les contenus haineux sur internet — Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Claude MalhuretClaude Malhuret :

Je réponds, d’une part, que c’est bien le juge qui reste l’arbitre en dernière instance, et, d’autre part, que c’est aujourd’hui que la censure existe, et elle est toute-puissante ! La censure, ce sont les milliers d’internautes qui n’osent plus s’exprimer sur les réseaux sociaux, qui ont résilié leur abonnement pour ne plus s’exposer aux attaques racistes, antisémites, homophobes, sexistes, menées sous forme de raids en bande organisée submergeant les pages individuelles à partir de fermes à trolls. C’est là qu’est le scandale ; c’est là qu’est la censure. Il est urgent de défendre les victimes, pas de protéger les plateformes.

Quatrième réflexion : certains objectent que ce texte risque de porter atteinte à la liberté d’expression. Comment peut-on soutenir cette position, alors que le mécanisme va exactement dans le même sens que celui qui s’applique à la presse depuis 1881 ?

La loi précise que la presse n’a pas le droit de livrer de contenus haineux ou de diffamer. La presse se conforme depuis toujours à ces principes ; elle contrôle ses contenus et personne n’a jamais dit qu’on lui confiait le rôle du juge. Pourquoi y aurait-il deux poids deux mesures ?

L’erreur de raisonnement consiste à distinguer les éditeurs, c’est-à-dire la presse, et les hébergeurs, alors qu’ils ont un point commun : ce sont des diffuseurs. Or c’est la diffusion qui compte en la matière. De ce point de vue, plateformes et presse ont de toute évidence les mêmes responsabilités.

La liberté d’expression ne consiste pas à diffuser de la haine, des contenus violents, des appels au meurtre ou au viol ; elle ne consiste pas à empêcher les autres de s’exprimer par du harcèlement, des attaques massives ou des menaces. En confondant ces délits avec la liberté d’expression, ce sont, non pas les victimes, mais les agresseurs que l’on défend !

On nous dit, enfin, que la Commission européenne est hostile à ce texte. Elle est surtout hostile à ce qu’il révèle : elle n’a rien fait depuis des années !

La directive e-commerce date de 2000, à un moment où aucune des plateformes actuelles n’existait, ou presque. La présente proposition de loi va, évidemment, bien au-delà de cette directive, qui est d’un laxisme inimaginable, comme de nombreux textes européens dans ce domaine, gangrénés par les millions de dollars du lobbying des Gafam à Bruxelles.

Ce n’est que lorsque certains pays ont commencé à légiférer que la Commission européenne s’est réveillée sur le RGPD. Depuis que l’Allemagne a légiféré – bien plus durement que nous – et que la France commence à le faire, elle se réveille à propos des contenus haineux et, comme d’habitude, elle nous dit : « c’est notre affaire, pas la vôtre ! »

Je pense, pour ma part, que l’inaction passée n’est pas un gage d’efficacité future et que nous aurions tout à gagner à bousculer un peu la Commission européenne, plutôt que d’attendre qu’elle sorte de sa torpeur.

Je suis obligé de m’arrêter là, mais j’espère avoir fait comprendre mon point de vue favorable à cette proposition de loi, point de vue que je continuerai d’exprimer au cours de la discussion.

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