Intervention de Bruno Retailleau

Réunion du 17 décembre 2019 à 14h30
Lutte contre les contenus haineux sur internet — Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Bruno RetailleauBruno Retailleau :

J’espère, monsieur le président de la commission des lois, que, tout comme les présidentes des commissions de la culture et des affaires économiques, vous avez bien lu le texte, de même que les membres de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), du Conseil d’État, ainsi que Mme von der Leyen et les membres de la Commission européenne. D’ailleurs, j’ai bien noté que, au-delà de l’avis très critique de la Commission européenne, la nouvelle présidente proposerait prochainement une initiative législative.

Il eût été beaucoup plus prudent, beaucoup plus sage, me semble-t-il, d’attendre cette initiative européenne plutôt que de se précipiter et d’élaborer un texte bâclé, parce qu’il malmène l’une de nos libertés importantes à nos yeux, qu’il soulève un problème d’applicabilité et que son efficacité – elle paraît plus que douteuse – suscite des questions.

Un grand juriste anglo-saxon a déclaré un jour, en parlant d’internet : « code is law ». Malheureusement, sur la toile, la limite provient souvent de la technologie. Je me suis suffisamment intéressé, pendant des années, au sujet du digital pour avoir vu tant d’initiatives, toujours inspirées par de bonnes intentions, se fracasser contre cet écosystème particulier du numérique.

Nous ne disons pas, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, qu’il faille ne rien faire. La preuve ? Nous aurions pu rejeter le texte, mais nous ne l’avons pas souhaité. Les rapporteurs ont travaillé, ils vous ont proposé un certain nombre d’aménagements et de modifications.

Mes chers collègues, internet n’est pas une zone de non-droit. Nous avons un arsenal juridique et déjà, madame la garde des sceaux, une jurisprudence. Mais nous voulons aller plus loin et proposer des dispositifs plus opérationnels, tout en protégeant nos libertés en termes de viralité, de célérité et d’interopérabilité pour que ceux et celles qui pourraient être concernés par cette haine – il faut bien sûr la dénoncer et la condamner – puissent se réfugier sur d’autres plateformes. Ces points importants ont été étudiés et ont fait ou feront l’objet d’amendements.

Pour terminer, je signalerai deux contradictions politiques.

Si les réseaux sociaux donnent fréquemment le sentiment d’être les grands déversoirs des mauvaises humeurs, c’est parce qu’ils sont aussi souvent le grand défouloir d’une parole empêchée. Je ne veux rien justifier et surtout pas excuser l’inexcusable, mais beaucoup de Français ont le sentiment de ne pas avoir suffisamment droit au chapitre. Et ce fait est au cœur du malaise de nos démocraties occidentales.

Il faut évidemment poser des limites, et nous vous le proposons. Néanmoins, les propos que vous avez tenus, monsieur le secrétaire d’État, comprennent une contradiction. En disant qu’il ne fallait pas que seuls les pays autoritaires puissent se saisir de ces armes, vous êtes entré dans cette contradiction que je veux dénoncer, parce que nous ne devons pas raisonner de la sorte. Attenter à l’une de nos libertés sous prétexte de lutter contre la tentation libérale, c’est tomber dans le panneau.

Autre contradiction : cela fait des années que l’on nous exhorte à réguler internet, à réguler les géants, les Gafam, ce n’est pas Gérard Longuet, qui a été rapporteur de la commission d’enquête sur la souveraineté numérique, qui me contredira. Et vous nous proposez de leur confier ce que nous avons de plus précieux, c’est-à-dire la capacité de censure ! Privatiser la censure revient en fait à leur demander de réguler une de nos libertés publiques importante pour nous, Français. Cela ne va pas !

En outre, cette faculté de censure serait concédée non pas à des hommes ou à des femmes, mais à des robots, à des algorithmes dont nous ne connaîtrons jamais les codes sources, mes chers collègues. Voilà le problème ! Ce n’est pas une société de vigilance qu’on nous propose, c’est une société d’une surveillance généralisée. Nous ne le voulons pas.

Bernanos a dénoncé la civilisation des machines dans son livre La France contre les robots. Cette France des robots, nous n’en voulons pas. Nous voulons la France avec l’esprit français, attaché à toutes nos libertés publiques et tout spécialement à la liberté d’expression.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion