Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du 17 décembre 2019 à 14h30
Lutte contre les contenus haineux sur internet — Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Nicole Belloubet :

Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, j’ai retenu trois points des différentes interventions : la liberté d’expression, la question des textes européens et le droit pénal inabouti, terme que non seulement j’ai lu dans un quotidien de l’après-midi hier, mais également que j’ai entendu prononcer dans cette enceinte.

Pour ce qui concerne la liberté d’expression, je partage évidemment vos préoccupations sur la nécessité de trouver un équilibre entre la lutte contre la haine et la liberté d’expression. C’est sur les moyens qui nous permettent d’y parvenir que nous pouvons peut-être diverger.

La jurisprudence du Conseil constitutionnel est extrêmement forte. La liberté d’expression découle de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et le Conseil constitutionnel indique toujours dans ses considérants que cette liberté d’expression est d’autant plus précieuse « que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés. Les atteintes portées à cette liberté doivent donc être nécessaires, adaptées et proportionnées ». Il s’agit d’une exigence extrêmement puissante qui trouve ses racines au fondement même de la démocratie. Nous devons donc assurer cet équilibre.

La proposition de loi n’est pas liberticide. C’est ce que je pense profondément, pour plusieurs raisons. D’abord, les propos haineux sont clairement définis : nous avons repris les dispositions de la LCEN. Ils correspondent à des infractions limitativement énumérées et qui préexistent. Aucune infraction nouvelle n’est créée.

Cette proposition de loi garantit un équilibre : elle permet de lutter efficacement contre la haine tout en préservant la liberté d’expression. Cette lutte passe par les mesures administratives que vous avez relevées. Elle passe également par des mesures pénales, à savoir la création d’un délit et d’un parquet spécialisé. Nous disposons ainsi d’outils performants.

Au total, la protection de la liberté est garantie par le rôle du juge, qui, vous le savez, interviendra sur la base de propos manifestement illicites. À cet égard, les dispositions prévues sont, une fois de plus, très encadrées. Elles ont été conçues sur la base d’une jurisprudence du Conseil constitutionnel, et ce de manière très adéquate.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’en suis convaincue : le texte que nous proposons n’est ni liberticide ni disproportionné. Au contraire, nous avons réussi à trouver un équilibre ; naturellement, nous pouvons voir avec vous s’il est possible de l’améliorer.

J’en viens à la question des textes européens. J’étais présente – c’est mon rôle – au dernier conseil Justice et affaires intérieures.

La Commission a la volonté de proposer des textes permettant de lutter contre les propos haineux, contre les incitations au terrorisme. Nous parlons très régulièrement de ces sujets. Mais – il faut le savoir – certains pays européens s’opposent à ce que nous allions plus loin en la matière. Avant que la Commission ne parvienne à proposer une initiative, avant que cette dernière ne fasse l’objet de débat, deux ans au moins se seront écoulés !

Comme l’a dit Cédric O, nous ne pouvons pas attendre si longtemps. Les Allemands ont décidé d’agir sans délai. Nous avons fait de même à propos du RGPD. La France et l’Allemagne peuvent d’ailleurs avoir l’initiative de textes au sujet desquels l’Union européenne finira par nous suivre et dans lesquels elle trouvera sa force.

Certes, en la matière, la loi allemande diffère de la loi française. En particulier, un orateur a relevé que l’Allemagne ne prévoyait pas de mesures pénales. Mais j’ajoute un bémol : quand les sanctions pécuniaires sont extrêmement fortes, qu’elles soient pénales ou administratives, leur effet est le même et il est extrêmement puissant !

Enfin, selon plusieurs d’entre vous, nous proposons un droit pénal inabouti. Ces propos m’ont frappée.

Comment dire que ce droit pénal est inabouti tout en supprimant de facto l’article 1er, lors de l’examen en commission, alors même que cet article entreprend la construction de cet arsenal pénal ? Il y a là une forme d’incohérence.

Il faut préserver les premiers outils que nous créons, non seulement par l’article 1er, mais aussi – nous le verrons dans la suite du débat –, par l’article 6 et par d’autres articles encore. J’y insiste, nous garantissons un système pénal justement proportionné !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion