Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du 17 décembre 2019 à 14h30
Lutte contre les contenus haineux sur internet — Article 1er, amendement 25

Nicole Belloubet :

Internet est un formidable espace de liberté, mais, dans les replis de cette liberté, des abus très inquiétants peuvent se développer : infox, cyberattaques, infractions de haine, entre autres. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement propose d’agir avec les grands opérateurs en ligne. On ne peut pas se résoudre à l’inaction !

Le présent amendement vise à réintroduire l’obligation renforcée de retrait des contenus haineux pénalement sanctionnés, que la commission des lois du Sénat a supprimée. Pesant sur les grands opérateurs de plateforme en ligne dont l’activité sur le territoire français dépasse des seuils fixés par décret, cette obligation consiste à retirer ou à déréférencer les contenus signalés par un ou plusieurs utilisateurs.

J’insiste sur un point capital : en application de ce mécanisme, seuls seront obligatoirement retirés les contenus manifestement illicites, c’est-à-dire constituant de manière évidente une infraction. Par exemple, s’agissant des injures discriminatoires, le dispositif vise des propos pour lesquels aucune contextualisation n’est nécessaire pour caractériser l’infraction.

Le non-respect de l’obligation de retrait constituera un délit, puni d’un an d’emprisonnement et de 250 000 euros d’amende. Les personnes morales, principalement visées par ce délit, encourront une amende de 1, 25 million d’euros et les peines complémentaires d’affichage et de diffusion de la décision de condamnation et d’interdiction, pour une durée de cinq ans au plus, d’exercer directement ou indirectement l’activité professionnelle dans l’exercice ou à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise.

Contrairement à ce qui a été précédemment affirmé, ce dispositif est conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Celui-ci, en effet, juge que la responsabilité pénale des opérateurs de plateforme ne peut être engagée en cas de non-retrait de contenus illicites que si l’illicéité est manifeste, c’est-à-dire évidente ou déclarée telle par le juge.

La France, je le répète, n’est pas le seul pays à mettre à la charge des opérateurs une obligation renforcée de retrait. Le législateur allemand l’a fait en 2017.

Dans ce pays, l’examen du texte avait provoqué des débats, notamment autour du risque de sur-censure, d’aucuns craignant, comme certains orateurs dans cet hémicycle, que le dispositif ne conduise les opérateurs à retirer, de manière pour ainsi dire préventive, tous les contenus faisant l’objet d’un signalement, y compris ceux qui ne présentent pas de caractère illicite. Or l’expérience allemande montre que ces craintes n’étaient pas fondées : depuis l’entrée en vigueur de la loi, le taux de suppression des contenus signalés est relativement peu élevé – sur les six premiers mois d’application, 27, 13 % et 10, 8 % pour les contenus signalés à YouTube et Twitter respectivement.

Ayant entendu un certain nombre de critiques et de suggestions, le Gouvernement propose deux améliorations.

D’une part, s’agissant des opérateurs concernés, nous prévoyons une rédaction plus précise que le dispositif initial en ce qui concerne les moteurs de recherche, afin d’éviter les effets de bord et les risques de sur-censure de pages intégrales du web. Les moteurs de recherche devront retirer de la page de résultats les seuls contenus manifestement illicites, et non l’ensemble du site.

D’autre part, pour ce qui est des contenus visés, le Gouvernement propose d’exclure du dispositif quelques infractions qui ne peuvent être caractérisées à raison d’un contenu, comme les infractions de proxénétisme.

Par ailleurs, je suis défavorable à l’amendement n° 25. Si nous partageons l’objectif de réintroduire l’obligation renforcée de retrait des contenus haineux, l’amendement vise un champ d’infractions trop large. En particulier, le délit de vente à distance des produits du tabac ne correspond absolument pas à l’objet du présent texte : la lutte contre les contenus haineux.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion