Intervention de Frédérique Vidal

Commission spéciale sur la bioéthique — Réunion du 18 décembre 2019 à 16h30
Audition de mmes nicole belloubet garde des sceaux ministre de la justice et frédérique vidal ministre de l'enseignement supérieur de la recherche et de l'innovation et de M. Adrien Taquet secrétaire d'état auprès de la ministre des solidarités et de la santé

Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation :

On ne doit pas imposer aux couples hétérosexuels demandant une AMP avec tiers donneur de prouver une condition d'infertilité qui n'existe pas pour les couples homosexuels. Le parcours d'AMP est difficile. Par ailleurs, on demandait à ces couples une déclaration d'infertilité, et non des preuves scientifiques qu'il y avait un problème physiologique. Il nous a semblé plus simple d'enlever toute référence à l'infertilité.

Le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) et l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) ont recommandé de ne pas utiliser l'imagerie cérébrale fonctionnelle à des fins judiciaires. Tout est souvent une question d'interprétation. Ce n'est pas parce que l'on observe quelque chose sur l'imagerie que l'on peut catégoriser des personnes comme étant à risque criminel. Autant il est important de s'en servir pour déterminer des pathologies, autant on ne peut s'en servir par anticipation de faits qui ne se sont pas encore produits...

J'évoquerai le titre IV. Nous avons une première conviction, partagée par les parlementaires et la société : ce que la science sait rendre possible n'est pas nécessairement aligné sur ce que notre société souhaite. Résoudre cette tension entre ce que sait faire la recherche, avec les aspirations de notre société, c'est le coeur même de ces lois de bioéthique, régulièrement révisées. Le Sénat a joué un rôle considérable depuis 1994 dans la construction de ce droit. La communauté des chercheurs sait ce qu'elle doit au Sénat, notamment concernant l'autorisation de la recherche sur les cellules souches embryonnaires.

Nous ne devons pas sacrifier nos valeurs fondamentales à une quête éperdue et permanente du savoir, mais il ne faut pas non plus sacrifier l'espoir de développer la connaissance, de comprendre des thérapies innovantes, de guérir des maladies aujourd'hui incurables, sur des préjugés qui ne correspondent plus à l'état des connaissances.

Ce projet de loi réforme le cadre juridique de la recherche, avec de nouvelles facilités, mais aussi de nouvelles règles, compte tenu des avancées scientifiques sur la recherche de cellules souches embryonnaires ou de cellules souches induites.

Ce projet de loi autorise la recherche pour l'édition du génome de l'embryon sur des embryons ne faisant plus l'objet d'un projet parental. Un décret rappelle qu'aucun embryon n'est créé à des fins de recherche. Ce sont seulement des embryons conçus dans le cadre d'un projet parental qui sont, après arrêt de ce projet et demande aux parents, soit détruits, soit utilisés à des fins de recherche. La recherche sur l'édition du génome apporte des connaissances pour comprendre le rôle des différents gènes dans les mécanismes de différenciation cellulaire qui sont à l'oeuvre au cours du développement, mais aussi dans certains processus physiologiques - le vieillissement - ou pathologiques - le cancer...

Le projet de loi instaure une limite de 14 jours pour l'observation des embryons in vitro, afin qu'ils n'atteignent pas le stade de l'organogenèse. Cette limite n'existait pas auparavant, car on ne savait pas observer des embryons plus de quelques jours. Désormais, on sait le faire. Nous procédons d'une même logique : nous autorisons, mais lorsque les connaissances scientifiques l'exigent, nous mettons des limites.

Les interdits fondateurs de notre droit et les textes internationaux le confirment tous : on ne peut pas créer d'embryon à des fins de recherche ; on ne peut pas modifier le patrimoine génétique d'un embryon destiné à être implanté ; et on ne peut pas introduire de cellules animales dans un embryon humain. Ces trois principes ont été réaffirmés par le Gouvernement à l'Assemblée nationale.

Ce texte protège le statut particulier de l'embryon et par là même interdit le clonage et la modification de patrimoine génétique d'un embryon destiné à être réimplanté. Il ne nous prive pas des innovations thérapeutiques qui peuvent être mises au point, pour mieux comprendre les mécanismes de développement de différenciation cellulaire et de développement normal ou pathologique.

La question des chimères a suscité des interrogations. Dans le cadre de la loi de bioéthique actuelle, l'introduction d'une matière animale dans un embryon humain est interdite, mais rien n'est dit sur la réciproque. On pouvait introduire des cellules humaines dans un embryon animal. Cette possibilité nous permet de produire des modèles afin de comprendre les pathologies humaines et préparer des traitements. C'est pour cela que nous réaffirmons la première interdiction ; par contre, mettre des cellules humaines dans un embryon animal sera possible, mais soumis à un contrôle.

Les cellules souches embryonnaires sont capables de se transformer en n'importe quelles cellules. Elles sont à l'origine d'espoirs de thérapies cellulaires et de médecine régénérative pour des maladies comme Parkinson, le diabète ou l'insuffisance cardiaque.

Actuellement, les cellules souches sont soumises au même régime que les embryons. Or cela ne nous semble plus relever du même questionnement éthique. Auparavant, pour produire des cellules souches, il fallait détruire un embryon. Désormais, on utilise des cellules souches dérivées d'embryons utilisés il y a plusieurs années. On n'a plus besoin d'avoir accès à un embryon. Nous différencions donc la recherche sur les embryons de celle sur les cellules souches embryonnaires, à moins que ces dernières ne découlent d'un embryon ; auquel cas, elles sont soumises au même régime que la recherche sur les embryons. Nous allégeons la recherche sur les cellules souches embryonnaires, en les soumettant à une simple déclaration au lieu d'un processus d'autorisation.

Les cellules souches pluripotentes induites sont des cellules adultes que le scientifique fait revenir à un état proche des cellules souches embryonnaires. À partir d'elles, on peut produire certaines cellules, mais pas toutes. Une question éthique se pose lorsqu'elles sont induites en gamètes, pouvant porter du matériel génétique et repartir dans un cycle de reproduction. La recherche sur ces cellules souches pluripotentes induites est, dans ce cas, soumise à un régime d'autorisation. Il n'est pas sûr que l'on pourra un jour remplacer les cellules souches embryonnaires par des cellules souches pluripotentes induites. Il est donc important de garder les deux types de recherche.

C'est en ouvrant de nouvelles voies, en traçant de nouvelles limites, en réaffirmant des lignes rouges, que ce texte dessine les contours d'une recherche libre et responsable. La recherche et la connaissance rendent notre avenir possible, mais le législateur doit définir le chemin à emprunter, l'horizon souhaité et la couleur de notre avenir.

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