Nous poursuivons nos travaux sur le projet de loi relatif à la bioéthique avec l'audition des membres du Gouvernement. Intervenant à la fin de nos travaux, il n'y a plus lieu de présenter les dispositions du texte, mais plutôt d'échanger avec les membres de la commission spéciale.
L'audition fait l'objet d'une captation en vidéo en vue de sa retransmission sur le site Internet du Sénat, où elle sera ensuite disponible à la demande.
La ministre des solidarités et de la santé est représentée par M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. Mme Nicole Belloubet, qui doit quitter notre réunion de manière anticipée, interviendra en premier. Je demande donc à nos rapporteurs et à nos collègues ayant des questions sur les sujets intéressant la chancellerie, c'est-à-dire, pour l'essentiel, sur l'article 4 relatif à l'établissement de la filiation des enfants nés d'assistance médicale à la procréation (AMP) avec tiers donneur réalisée par un couple de femmes, de les poser prioritairement.
Je dois effectivement intervenir à 17 heures 30 dans l'hémicycle pour les conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille.
Le projet de loi instituant l'AMP avec un tiers donneur pour les couples de femmes, il convenait d'en tirer les conséquences sur la filiation, ce à quoi procède l'article 4, qui a suscité de nombreuses interrogations légitimes. Plusieurs hypothèses ont été soumises par le Gouvernement au Conseil d'État, différentes options étant envisageables : l'extension du dispositif de droit commun, la création d'un régime ad hoc applicable à tous les couples réalisant une AMP avec un tiers donneur et la création d'un dispositif réservé aux couples de femmes. Les débats ont été intenses entre les tenants des différentes solutions, chacune présentant des avantages et des inconvénients, relevés par les avis et les rapports préparatoires au projet de loi qui ont opté pour l'une ou l'autre option. Les pays étrangers qui ont ouvert l'AMP aux couples de femmes ont également retenu des solutions diverses, signe de la complexité du sujet.
Plusieurs principes et objectifs se sont imposés à la décision du Gouvernement. Les quatre principes retenus sont simples : offrir les mêmes droits aux enfants concernés - le Gouvernement a affirmé le choix de l'égalité -, apporter une sécurité juridique aux deux mères et à leurs enfants - évolution forte et juste, la filiation n'est pas établie sur la vraisemblance biologique, mais sur un engagement commun -, créer une procédure simple, sans démarche supplémentaire pour les couples de femmes, éviter, enfin, de modifier le droit applicable aux couples hétérosexuels en matière de filiation. Dès lors, le Gouvernement a opté pour la création d'un régime spécifique aux couples de femmes faisant appel à un tiers donneur dans le cadre d'une AMP.
Le débat sur l'article 4 a été intense à l'Assemblée nationale, en commission comme en séance publique, et a permis d'enrichir le texte. L'article comporte trois éléments. D'abord, les deux femmes devront consentir devant notaire (comme les couples hétérosexuels) à réaliser une AMP avec un tiers donneur et s'engager à cette occasion à devenir les mères de l'enfant. Ensuite, cette reconnaissance conjointe devra être produite, avec le certificat d'accouchement, à l'officier d'état civil, afin de permettre l'établissement de la filiation. Enfin, l'acte de naissance devra faire mention de la reconnaissance conjointe.
Le dispositif a évolué à l'Assemblée nationale, sans que soient remis en cause ses objectifs. La place du nouveau régime dans le code civil a ainsi été modifiée : initialement, le projet de loi créait un nouveau titre VII bis au sein du titre Ier du code civil ; finalement un nouveau chapitre V sur le régime ad hoc relatif à l'AMP avec tiers donneur a été intégré au titre VII. Ce choix permet de mieux rendre compte du socle commun aux différents modes de filiation, sans bouleverser le droit de la filiation puisque les quatre premiers chapitres du titre premier concernant la filiation établie sur la vraisemblance biologique ne sont pas modifiés. En outre, les députés ont précisé la notion de reconnaissance conjointe. Initialement, il s'agissait d'une déclaration anticipée de volonté (DAV), mais le dispositif a fait l'objet de critiques quant à son caractère stigmatisant pour les couples de femmes. À la différence de la reconnaissance figurant à l'article 316 du code civil, qui intervient pendant la grossesse, voire après la naissance de l'enfant, la reconnaissance conjointe est réalisée avant la conception et ne concerne que les couples de femmes. Il ne peut y avoir de confusion possible entre les deux régimes.
Le Gouvernement a privilégié la voie de l'équité avec une solution juridique sûre et porteuse d'égalité. L'article 4 tire les conséquences indispensables à l'ouverture de l'AMP aux couples de femmes, afin de sécuriser la filiation, notamment à l'égard de la femme qui n'accouche pas. Le dispositif fait ainsi obstacle à l'éventuelle reconnaissance de l'enfant par un tiers. Il est simple et sécurisant pour les mères, comme pour les enfants.
M. Touraine, rapporteur du texte à l'Assemblée nationale, a estimé que le projet de loi conduisait à « légitimer une procréation sans sexe pour tous ». Est-ce votre philosophie ?
L'article 4 du projet de loi prive les enfants de filiation paternelle. Un sondage réalisé en 2018 indique que 93 % des personnes interrogées considèrent que le père joue un rôle essentiel pour l'enfant. Que leur répondez-vous ? Ce même article ne fait plus référence à la femme qui accouche pour qualifier la mère. Cette rédaction n'est-elle pas porteuse d'un risque juridique ?
Le texte a retenu le terme de « femme non mariée » pour qualifier une femme seule, suscitant des critiques. Existe-t-il une raison juridique à ce choix ?
Enfin, ne pensez-vous pas qu'il existe un risque de confusion à avoir choisi le terme de reconnaissance pour deux procédures distinctes ?
La promotion de la procréation sans sexe ne ressort pas de ma philosophie. L'ouverture de l'AMP avec un tiers donneur aux couples de femmes reconnait un choix de vie et l'existence d'une pluralité de modèles familiaux. Dans ce contexte, nous sécurisons la filiation pour l'enfant et pour ses mères.
Je répondrai aux 93 % de sondés que vous mentionnez que nous prenons en considération la pluralité des familles. De nombreuses études menées sur les enfants sans père montrent qu'ils peuvent avoir des références masculines hors du cercle de la famille nucléaire et que leur situation familiale n'a aucune incidence sur leur développement psychologique.
S'agissant du risque de confusion entre les deux types de reconnaissance, je ne crois pas qu'il existe. La procédure de l'article 316 du code civil et la reconnaissance conjointe créée par le texte n'interviennent pas dans la même temporalité.
Nous avons effectivement eu, à l'Assemblée nationale, un débat fourni sur la référence à la femme qui accouche. Dans le cadre d'une AMP réalisée par un couple de femmes, l'une d'elles doit évidemment accoucher. Pour établir la filiation de l'enfant, l'officier d'état civil devra d'ailleurs disposer du certificat d'accouchement, ainsi que de la reconnaissance conjointe pour sécuriser la filiation avec l'autre mère. La rédaction de l'article pourra évoluer, dès lors que les droits des deux mères restent identiques.
Enfin, s'agissant de la notion de femme non mariée, il s'agit d'une demande du Conseil d'État, afin de respecter le cadre juridique de l'établissement de la filiation.
Permettre à une femme mariée de pratiquer seule une AMP avec un tiers donneur aurait des conséquences juridiques complexes.
L'intérêt supérieur de l'enfant est au coeur des préoccupations du Gouvernement. Les études menées depuis quarante ans sur les familles monoparentales ou formées par un couple de femmes montrent qu'il n'existe aucun effet délétère sur les enfants ni aucune conséquence sur la construction de leur sexualité. Ce n'est pas la structure, mais la dynamique familiale qui importe. La conférence de consensus sur les besoins fondamentaux de l'enfant, lancée par Laurence Rossignol lorsqu'elle était ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes, a établi que la sécurité constituait un méta-besoin de l'enfant. L'altérité peut se construire hors de la famille. L'adoption par une femme seule est autorisée depuis 1996 et depuis 2013 pour les couples de même sexe : des millions de femmes ont élevé des enfants seules, de manière subie ou choisie. Être parent est une histoire de désir et d'amour.
L'article 21 bis a été ajouté au texte par l'Assemblée nationale. Il prévoit la prise en charge des enfants présentant une variation du développement génital par les centres de référence des maladies rares du développement génital. Il a possiblement des répercussions sur l'état civil. Quelle sera l'articulation entre ce dispositif et l'inscription des enfants à l'état civil ?
Nous avons abordé le sujet de la prise en charge des enfants présentant une variation du développement génital sous différents angles. Initialement, nous avions songé à décaler de trois mois l'établissement de leur état civil, mais les associations nous ont indiqué que le délai resterait insuffisant. Leur prise en charge relève d'équipes pluridisciplinaires spécialisées. Les centres de référence constituent un appui important pour les familles, une concertation entre professionnels y propose des pistes thérapeutiques.
Les parlementaires ont souhaité que les familles soient ainsi mieux accompagnées.
Nous avons bien compris l'objet de l'article, mais nous nous interrogeons sur ses conséquences en matière d'état civil.
Les rectifications simples d'état civil sont déjà possibles. Nous travaillons également à un possible report de la mention du sexe.
Si l'égalité devant le fait d'avoir des enfants, principe que je ne soutiens pas, préside aux articles 1er et 4 du projet de loi, pourquoi ne pas avoir étendu le texte, par cohérence avec le droit à l'enfant, à la gestation pour autrui (GPA) ?
Pour les couples hétérosexuels comme pour les couples de femmes, un consentement à l'AMP est prévu devant notaire. L'article 3 du projet de loi, pour sa part, affirme le droit, pour l'enfant né d'une AMP, d'accéder, à sa majorité, aux renseignements disponibles sur le donneur. Lorsque l'enfant sera issu d'un couple de femmes, ce sera simple, puisque le régime de filiation prévoit une reconnaissance conjointe figurant à l'état civil. En revanche, aucune mention équivalente n'existe sur l'acte d'état civil d'un enfant né d'une AMP au sein d'un couple hétérosexuel. Les parents peuvent donc garder confidentielle l'histoire de sa procréation. Par souci d'égalité entre les enfants, la procédure ne devrait-elle pas être identique ?
La question de M. Jomier faisait référence à la circulaire d'octobre 2011 sur le report de la mention du sexe à l'état civil. Vous avez également évoqué la possibilité de modifier l'acte de naissance, mais le sexe de naissance demeure inscrit et cela peut s'avérer discriminant. Parfois, mais difficilement, une annulation est possible. Par ailleurs, les rectifications apposées à l'acte de naissance sont payantes, sauf erreur médicale. Je vous rappelle que la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a été saisie, en octobre 2018, d'une action en responsabilité contre la France pour violation de ses obligations contre la torture envers les personnes intersexuées. Nos travaux sont attendus par toutes les organisations internationales. Clarifions le code civil.
Madame Belloubet, vous rappelez deux principes : il ne faudrait modifier le droit que si c'est indispensable ou utile, et il faut faire progresser l'égalité. Mais est-ce que vous ne vous écartez pas de ces deux principes dans l'établissement de la filiation de l'enfant par rapport à sa mère biologique ? Vous créez deux régimes différents selon que la mère vit avec un homme ou avec une femme, avec des conséquences juridiques en chaîne en cas de contentieux sur la maternité...
Cette rupture d'égalité n'est pas nécessaire pour reconnaître une deuxième filiation maternelle pour un couple de femmes. On pourrait définir un régime de reconnaissance de filiation par rapport à la compagne de la mère.
Vous modifiez une règle fondamentale, à savoir l'accès à l'AMP pour les couples hétérosexuels pour lesquels il existait auparavant une condition d'infertilité. Pourquoi changer ce régime alors que le seul objectif politique est d'ouvrir l'AMP aux couples dont la fertilité n'est pas causée par une stérilité médicalement constatée et aux femmes seules ?
Dans sa rédaction initiale, l'article 12 du projet de loi exclurait la possibilité de recourir à l'imagerie fonctionnelle pour l'expertise judiciaire. L'utilisation de l'imagerie est encadrée depuis 2011 et, semble-t-il, utilisée à bon escient par les juges. Quels risques avérés justifient cette interdiction ?
Cette réforme aura des conséquences anthropologiques importantes. Comment pouvez-vous affirmer qu'elle n'aura pas de conséquences psychologiques sur les enfants privés de père ? Au nom du principe d'égalité, vous ouvrez la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules. Comment, au nom de ce principe, êtes-vous sûre que les couples d'hommes ne revendiqueront pas la GPA ?
La première question rejoint la dernière... Monsieur Amiel, nous ne sommes pas allés jusqu'au bout avec la GPA, car le Conseil d'État l'affirme clairement : il n'y a pas de droit à l'enfant, l'enfant est inclus dans un projet familial et parental. Le principe d'égalité ne peut jouer de manière absolue, mais pour les personnes qui sont dans la même situation par rapport à la procréation. On peut ne pas appliquer à l'un des types de couples - couples d'hommes, de femmes, ou hétérosexuels - ce qu'on applique aux autres. Le Conseil d'État est très clair.
Ni le droit à l'enfant ni le principe d'égalité ne jouent pour la GPA. Dans le code civil, nous avons clairement inscrit l'interdiction de la GPA. On ne peut déduire de la PMA qu'il y aurait juridiquement une évolution vers la GPA.
Monsieur Bigot, vous évoquez une possible différenciation entre les enfants des couples de femmes, ayant accès à leurs origines, et ceux de couples hétérosexuels.
Dans le cas de couples hétérosexuels, nous avons fait le choix de laisser la famille déterminer le moment opportun pour dire à l'enfant quelles sont ses origines, sachant qu'il pourra faire une demande ensuite pour accéder à ses origines.
Madame Blondin, je vous entends évoquer les problèmes d'état civil et la jurisprudence de la CEDH. Il y a eu de nombreux débats à l'Assemblée nationale, et nous serons attentifs à ceux du Sénat. Il faut être vigilant et faciliter l'évolution des actes d'état civil. Je vois chaque semaine de nombreuses modifications d'état civil.
Monsieur Bas, il faut considérer l'égalité en matière de procréation par rapport aux couples. Un couple hétérosexuel est différent d'un couple homosexuel en ce qui concerne la procréation. Nous ne créons donc pas une rupture d'égalité. Selon vous, il n'est pas utile de reconnaître une double maternité. Nous avions cru utile, au contraire, de reconnaître au même moment la même qualité maternelle aux deux femmes du couple. Mais je ne suis pas sûre d'avoir totalement compris votre question.
Sur les incidences psychologiques pour les enfants, M. Taquet l'a rappelé, les différentes études nous laissent à penser qu'il n'y a pas d'incidence psychologique, les enfants pouvant trouver des figures masculines en dehors des parents.
On ne doit pas imposer aux couples hétérosexuels demandant une AMP avec tiers donneur de prouver une condition d'infertilité qui n'existe pas pour les couples homosexuels. Le parcours d'AMP est difficile. Par ailleurs, on demandait à ces couples une déclaration d'infertilité, et non des preuves scientifiques qu'il y avait un problème physiologique. Il nous a semblé plus simple d'enlever toute référence à l'infertilité.
Le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) et l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) ont recommandé de ne pas utiliser l'imagerie cérébrale fonctionnelle à des fins judiciaires. Tout est souvent une question d'interprétation. Ce n'est pas parce que l'on observe quelque chose sur l'imagerie que l'on peut catégoriser des personnes comme étant à risque criminel. Autant il est important de s'en servir pour déterminer des pathologies, autant on ne peut s'en servir par anticipation de faits qui ne se sont pas encore produits...
J'évoquerai le titre IV. Nous avons une première conviction, partagée par les parlementaires et la société : ce que la science sait rendre possible n'est pas nécessairement aligné sur ce que notre société souhaite. Résoudre cette tension entre ce que sait faire la recherche, avec les aspirations de notre société, c'est le coeur même de ces lois de bioéthique, régulièrement révisées. Le Sénat a joué un rôle considérable depuis 1994 dans la construction de ce droit. La communauté des chercheurs sait ce qu'elle doit au Sénat, notamment concernant l'autorisation de la recherche sur les cellules souches embryonnaires.
Nous ne devons pas sacrifier nos valeurs fondamentales à une quête éperdue et permanente du savoir, mais il ne faut pas non plus sacrifier l'espoir de développer la connaissance, de comprendre des thérapies innovantes, de guérir des maladies aujourd'hui incurables, sur des préjugés qui ne correspondent plus à l'état des connaissances.
Ce projet de loi réforme le cadre juridique de la recherche, avec de nouvelles facilités, mais aussi de nouvelles règles, compte tenu des avancées scientifiques sur la recherche de cellules souches embryonnaires ou de cellules souches induites.
Ce projet de loi autorise la recherche pour l'édition du génome de l'embryon sur des embryons ne faisant plus l'objet d'un projet parental. Un décret rappelle qu'aucun embryon n'est créé à des fins de recherche. Ce sont seulement des embryons conçus dans le cadre d'un projet parental qui sont, après arrêt de ce projet et demande aux parents, soit détruits, soit utilisés à des fins de recherche. La recherche sur l'édition du génome apporte des connaissances pour comprendre le rôle des différents gènes dans les mécanismes de différenciation cellulaire qui sont à l'oeuvre au cours du développement, mais aussi dans certains processus physiologiques - le vieillissement - ou pathologiques - le cancer...
Le projet de loi instaure une limite de 14 jours pour l'observation des embryons in vitro, afin qu'ils n'atteignent pas le stade de l'organogenèse. Cette limite n'existait pas auparavant, car on ne savait pas observer des embryons plus de quelques jours. Désormais, on sait le faire. Nous procédons d'une même logique : nous autorisons, mais lorsque les connaissances scientifiques l'exigent, nous mettons des limites.
Les interdits fondateurs de notre droit et les textes internationaux le confirment tous : on ne peut pas créer d'embryon à des fins de recherche ; on ne peut pas modifier le patrimoine génétique d'un embryon destiné à être implanté ; et on ne peut pas introduire de cellules animales dans un embryon humain. Ces trois principes ont été réaffirmés par le Gouvernement à l'Assemblée nationale.
Ce texte protège le statut particulier de l'embryon et par là même interdit le clonage et la modification de patrimoine génétique d'un embryon destiné à être réimplanté. Il ne nous prive pas des innovations thérapeutiques qui peuvent être mises au point, pour mieux comprendre les mécanismes de développement de différenciation cellulaire et de développement normal ou pathologique.
La question des chimères a suscité des interrogations. Dans le cadre de la loi de bioéthique actuelle, l'introduction d'une matière animale dans un embryon humain est interdite, mais rien n'est dit sur la réciproque. On pouvait introduire des cellules humaines dans un embryon animal. Cette possibilité nous permet de produire des modèles afin de comprendre les pathologies humaines et préparer des traitements. C'est pour cela que nous réaffirmons la première interdiction ; par contre, mettre des cellules humaines dans un embryon animal sera possible, mais soumis à un contrôle.
Les cellules souches embryonnaires sont capables de se transformer en n'importe quelles cellules. Elles sont à l'origine d'espoirs de thérapies cellulaires et de médecine régénérative pour des maladies comme Parkinson, le diabète ou l'insuffisance cardiaque.
Actuellement, les cellules souches sont soumises au même régime que les embryons. Or cela ne nous semble plus relever du même questionnement éthique. Auparavant, pour produire des cellules souches, il fallait détruire un embryon. Désormais, on utilise des cellules souches dérivées d'embryons utilisés il y a plusieurs années. On n'a plus besoin d'avoir accès à un embryon. Nous différencions donc la recherche sur les embryons de celle sur les cellules souches embryonnaires, à moins que ces dernières ne découlent d'un embryon ; auquel cas, elles sont soumises au même régime que la recherche sur les embryons. Nous allégeons la recherche sur les cellules souches embryonnaires, en les soumettant à une simple déclaration au lieu d'un processus d'autorisation.
Les cellules souches pluripotentes induites sont des cellules adultes que le scientifique fait revenir à un état proche des cellules souches embryonnaires. À partir d'elles, on peut produire certaines cellules, mais pas toutes. Une question éthique se pose lorsqu'elles sont induites en gamètes, pouvant porter du matériel génétique et repartir dans un cycle de reproduction. La recherche sur ces cellules souches pluripotentes induites est, dans ce cas, soumise à un régime d'autorisation. Il n'est pas sûr que l'on pourra un jour remplacer les cellules souches embryonnaires par des cellules souches pluripotentes induites. Il est donc important de garder les deux types de recherche.
C'est en ouvrant de nouvelles voies, en traçant de nouvelles limites, en réaffirmant des lignes rouges, que ce texte dessine les contours d'une recherche libre et responsable. La recherche et la connaissance rendent notre avenir possible, mais le législateur doit définir le chemin à emprunter, l'horizon souhaité et la couleur de notre avenir.
Un propos général n'ayant plus vraiment de sens à ce stade du débat, je reviendrai sur quelques sujets évoqués.
Monsieur Amiel, la loi de bioéthique n'est pas une loi d'égalité. Ce n'est pas cela qui nous guide. Nous voulons passer au prisme éthique les évolutions des techniques médicales. Il n'y a jamais eu, et il n'y aura pas effectivement de droit à l'enfant. Ce n'était pas le cas pour les couples hétérosexuels par le passé, cela ne sera pas le cas pour les couples homosexuels ou pour les femmes seules à l'avenir. Sinon l'enfant serait le simple produit d'un caprice ; ce serait dénigrer le projet parental. Or l'AMP est un parcours long, difficile, qui nécessite un accompagnement, que les députés ont renforcé.
Les familles homoparentales existent ; il serait hypocrite de ne pas le voir. Souvent, leur projet parental est bon, les enfants sont ardemment désirés. Si la famille est un point de repère, c'est d'abord une histoire et un parcours.
Connaître ses origines, c'est avoir une réponse légitime à la question : « d'où viens-je ? » Il faut rompre avec la dissimulation, avec la logique du secret qui abîme plus qu'elle ne protège.
Vous avez rencontré des enfants issus de l'AMP. Ces enfants ne sont pas à la recherche d'un père, mais d'un récit, d'une histoire importante pour se construire. La famille est le lieu où l'on doit se dire les choses. Pour une AMP avec don dans une famille hétérosexuelle, c'est aux parents de choisir de dévoiler les origines quand ils le souhaitent, dans l'intérêt de l'enfant. Nous voulons aussi permettre à chaque enfant d'accéder, à sa majorité, à ces informations. Un donneur n'est pas un parent. Ce n'est pas sa vocation, mais il est une pièce de l'identité de l'enfant. Nous sortons le don du secret, mais pas de l'anonymat, pour le reconnaître dans son côté profondément humain, altruiste et solidaire. Nous réaffirmons également la force des institutions, qui ont vocation à encadrer et protéger chacun avec un seul choix, celui de la responsabilité individuelle et collective. Cet esprit de responsabilité nous guide dans nos débats et dans les choix que nous vous proposerons de faire dans d'autres domaines, tout aussi complexes et variés que l'auto-conservation de gamètes pour les femmes comme pour les hommes, l'amélioration de la qualité de la sécurité des pratiques pour les dons d'organes, le développement de la médecine génomique.
Je le redis, avec tous les ministres qui seront sur le banc du Gouvernement, l'intérêt supérieur de l'enfant a guidé nos réflexions, notamment dans le cas de l'AMP post mortem. Même si le principe d'égalité peut être mis en avant, nous avons décidé de faire primer l'intérêt supérieur de l'enfant. Que signifie naître dans le deuil ? Autant de sujets qui susciteront de riches débats.
Madame Vidal, selon vous, le Gouvernement souhaite que ce projet de loi ne nous prive pas des évolutions scientifiques. Vous maintenez l'autorisation, par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), des recherches menées sur l'embryon dans le cadre de l'AMP, alors que la Cour des comptes critique une procédure lourde et complexe, qui décourage souvent les chercheurs. D'autant que ces recherches ne constituent pas le coeur de l'expertise de l'ANSM, qui doit s'en remettre, en pratique, à l'avis de l'Agence de la biomédecine. Souvent, l'avis de l'ANSM est conforme à celui de l'Agence de la biomédecine. Pourquoi ne pas confier tout simplement cette mission à cette dernière, qui dispose déjà de l'expertise nécessaire sur l'assistance médicale à la procréation et sur la recherche sur l'embryon, quitte à lui faire appliquer les dispositions spécifiques aux recherches cliniques ? Ne pourriez-vous pas justement renforcer les moyens de l'Agence de la biomédecine pour examiner ces projets de recherche clinique ? Vous souhaitiez supprimer sa mission en matière de nanotechnologies au motif qu'elle ne disposait pas d'expertise dans ce domaine, mais n'est-ce pas de votre responsabilité de lui donner les moyens humains et matériels de cette expertise ? Si je voulais être un peu taquine, je dirais que, si nous devions supprimer aux agences toutes les missions que l'État ne finance pas, il ne restera peut-être plus grand- chose...
Le droit était muet sur la possibilité d'utiliser des cellules humaines dans un embryon animal. Vous donnez cette possibilité dans le projet de loi, et affirmez que c'est soumis à un contrôle, mais de quel contrôle parlez-vous ? Vous supprimez l'interdiction générale de création d'embryons chimériques et transgéniques, et vous ne maintenez qu'une interdiction d'insérer dans un embryon humain des cellules animales. Vous autorisez donc l'adjonction de cellules souches humaines à des embryons animaux en vue de leur transfert chez la femelle : ne pensez-vous pas qu'il y a là un vrai risque de franchissement de la barrière des espèces ?
Actuellement, il n'y a aucune interdiction générale de créer des embryons chimériques. Seule une partie du projet de loi, concernant l'embryon humain, mentionne l'interdiction d'insérer des cellules animales dans des embryons humains. Nous introduisons à un autre endroit du texte la possibilité, après une demande de déclaration d'usage des cellules souches embryonnaires, de les insérer dans des embryons animaux. On va donc vers un contrôle plus efficace que le flou préexistant. Honnêtement, c'est déjà très largement pratiqué en laboratoire, sans que l'on n'ait jamais observé de franchissement de barrière d'espèces. Il s'agit de regarder comment se développent des pathologies humaines dans le contexte d'un embryon animal.
On entre dans le cadre de la recherche interventionnelle sur la personne humaine lorsqu'on touche à des embryons qui ont vocation à être réimplantés. Cela ne relève pas de l'Agence de la biomédecine. Les questionnements de l'ANSM ne sont pas les mêmes que ceux de l'Agence de la biomédecine. Il ne s'agit pas de modifier génétiquement l'embryon qui sera réimplanté - c'est interdit, je le rappelle -, mais, par exemple, de l'enrober, au moment de la fécondation in vitro ou sur un embryon obtenu après fécondation in vitro, d'un certain nombre de molécules qui faciliteront la réimplantation de l'embryon chez la mère.
Je suis consciente des questions qui se posent sur les délais. L'Agence de la biomédecine s'est engagée à les tenir. Elle n'aura finalement à traiter que des questions sur lesquelles elle s'estime totalement légitime. Sur le sujet que vous évoquez, elle est obligée d'aller chercher de l'expertise ailleurs ; cela crée une forme d'embouteillage.
Madame la ministre, vous avez évoqué la tension entre ce que sait faire la recherche et les limites que nous voulons lui fixer.
L'article 17 supprime l'interdiction générale de création des embryons chimériques. Même s'il s'agit de recherches sur des embryons non destinés à des fins de gestation, se pose la question de savoir jusqu'où l'on peut aller dans le franchissement de la barrière des espèces. Comment l'Agence de la biomédecine appréciera-t-elle si ces chimères présentent une proportion acceptable entre animal et humain ? Ne va-t-on pas plus loin que d'autres pays ?
Vous supprimez également l'interdiction de création d'embryons transgéniques. S'agit-il d'expérimenter sur des embryons surnuméraires la technique d'édition génomique CRISPR-Cas9 ? Est-ce dans le but de déterminer si nous pourrions, à terme, modifier le génome d'embryons destinés à être transférés à des fins de gestation. N'ouvririons-nous pas la porte à une remise en cause, dans le futur, de l'interdiction de modifier les caractéristiques transmissibles à la descendance ? J'ai le sentiment que l'article 17 implique un bouleversement de l'éthique « à la française ».
Je tiens à vous rassurer sur ces deux points.
L'article 17 supprime en effet l'interdiction générale de création des embryons chimériques, mais la modification d'un embryon humain par adjonction de cellules provenant d'autres espèces demeure interdite.
L'adjonction de cellules d'origine humaine dans des embryons d'origine animale se pratique dans tous les laboratoires du monde, y compris français, et ce n'était absolument pas interdit par la loi de bioéthique. Le présent projet de loi précise qu'il n'est pas possible de modifier un embryon humain, et qu'il faut une autorisation pour modifier un embryon animal par adjonction de cellules embryonnaires humaines, comme c'est d'ailleurs le cas actuellement. Il s'agit de simples précisions, dans la mesure où il n'est jamais question, dans la loi de bioéthique, d'embryons animaux, mais seulement d'embryons humains. Nous avons levé un flou juridique sur lequel notre attention a été attirée.
On entend souvent parler de la possibilité de faire des greffes à partir d'organes animaux. Nous en sommes très loin, et encore plus éloignés du franchissement de la barrière d'espèce.
Pour ce qui concerne l'édition du génome, nous souhaitons en effet permettre l'utilisation de la technique d'édition génomique CRISPR-Cas9. Je rappelle que la convention d'Oviedo prévoit, et le présent projet de loi le réaffirme, qu'il est formellement interdit de réimplanter un embryon génétiquement modifié. Nous avons eu ce débat à l'Assemblée nationale. Des députés demandaient pourquoi nous nous priverions de la possibilité d'ôter un gène défectueux dominant et de laisser s'exprimer la copie de ce gène non défectueux, et donc, potentiellement, de guérir une maladie, dans la mesure où l'on sait le faire. Notre réponse a été négative, car nous ne souhaitons pas réimplanter d'embryons modifiés génétiquement via l'édition du génome.
Nous souhaitons, en revanche, autoriser l'édition du génome dans des embryons en vue d'étudier l'impact de ces modifications du génome. Pour ce faire, les embryons sont observés en culture pendant 14 jours, mais pas au-delà. Cette question a été longuement débattue, d'aucuns souhaitant prolonger ce délai jusqu'à 21 jours, d'autres préférant le raccourcir. Nous avons souhaité poser cette limite de 14 jours, car elle correspond à la limite de l'organogenèse : à partir du 15e jour, en effet, on peut faire la différence dans un embryon entre les cellules qui seront à l'origine du système nerveux et les autres ; auparavant, ce n'est pas possible.
Jusqu'à quel stade de développement peut-on étudier des embryons d'origine animale auxquels on a ajouté des cellules humaines ?
C'est extrêmement variable, et cela dépend du type de cellules qui sont ajoutées dans l'embryon. Parfois, une observation de quelques jours suffit. Encore une fois, c'est une pratique très courante - je pense aux recherches portant sur les caractéristiques des cellules immunitaires chez les souris. Il n'y aurait donc pas de raisons de faire un bond en arrière.
Comment avez-vous estimé la durée de conservation des embryons, que vous avez fixée à cinq ans ? S'agit-il de préserver un stock nécessaire afin de ne pas induire de rupture dans les activités de recherche sur l'embryon ?
Il ne me semble pas que cette durée de conservation ait été modifiée. Elle était déjà de 5 ans auparavant. Nous ne sommes pas en pénurie d'embryons confiés par des parents à la recherche. Par ailleurs, il n'y a presque plus de stocks d'embryons à une seule cellule.
Vous disiez, monsieur le secrétaire d'État, que les lois de bioéthique servaient à accompagner sur le plan éthique les progrès de la science médicale, notamment biologiques, technologiques, thérapeutiques. Or la PMA n'est pas liée à une telle idée de progrès, même s'il y a des avancées en matière de recherche sur l'implantation de l'embryon. N'aurait-il pas été préférable de dissocier le débat sur la bioéthique - le sujet, évoqué par Mme Vidal, des cellules souches embryonnaires, par exemple - de celui sur la PMA.
Nous le verrons lors du débat en séance publique et dans le commentaire médiatique qui l'accompagnera, la discussion relative à la PMA risque en effet de confisquer l'espace consacré à la bioéthique proprement dite. Or je ne suis pas seul à penser que ce sujet relève non pas de la bioéthique, mais de l'éthique ou de la morale sociétale.
Monsieur le secrétaire d'État, on a parlé du droit à l'enfant et du droit de l'enfant tout à l'heure. On a dit que les enfants devaient avoir les mêmes droits, quelle que soit leur origine. Or un enfant né par PMA n'a pas les mêmes droits qu'un autre, né enfant dans un couple hétérosexuel, dans la mesure où il n'a pas de père, ou ne pourra le connaître qu'à l'âge de 18 ans. Dispose-t-on d'études montrant que les enfants nés par PMA connaissent le même développement que les autres ? Les seules études connues en la matière proviennent de pays étrangers.
On compare trop souvent les enfants qui n'ont pas eu de père à ceux dont les parents ont divorcé, ou qui vivent dans une famille monoparentale ou qui ont été adoptés. Sur quels éléments vous êtes-vous fondés pour dire que les enfants nés de PMA n'ont pas davantage de problèmes que les autres ? À égard, les résultats des études faites par les pédopsychiatres seront intéressants.
Madame la ministre, dans un avis récent, le CCNE s'est dit favorable à deux possibilités de dépistage en population générale : le dépistage préconceptionnel et les mutations actionnables. Le jury citoyen qu'il avait consulté y était également favorable. Or ce n'est pas proposé dans le présent projet de loi, alors même que c'était envisagé dans le rapport de M. Jean-Louis Touraine. Pour quel motif le Gouvernement ne l'a-t-il pas souhaité, alors même que ces dépistages existent dans d'autres pays ?
Quel est votre avis sur les recherches en cours au sein de la station biologique de Roscoff sur la phagothérapie, un domaine de recherches que l'on pourrait intégrer dans l'article du projet de loi relatif au microbiote fécal. On a recours à la phagothérapie, qui a obtenu de l'ANSM une autorisation temporaire d'utilisation (ATU) lorsque le patient se trouve dans une impasse thérapeutique, et risque l'amputation ou la mort. Nous pourrions encadrer cette pratique, peu coûteuse et naturelle, en prévoyant des procédures de culture des bactériophages. Nous pourrions également favoriser la recherche sur les anomalies du développement génital.
Les tenants de certains courants de pensée, auxquels je ne souscris pas, considèrent que l'embryon est un être humain à part entière. Comment répondre aux défenseurs de cette idée ?
Pour ce qui concerne la recherche sur l'embryon et les cellules souches, vous avez évoqué, madame la ministre, les espoirs qu'inspire la médecine régénérative. On sait aujourd'hui fabriquer de nouvelles cellules, mais pas l'architecture générale de l'organe. Ce domaine de la recherche doit-il avoir une vocation médicale affirmée, sachant qu'un chercheur ne sait pas, lorsqu'il commence sa recherche, ce qu'il va trouver ?
Je suis d'accord avec vos propos, monsieur le secrétaire d'État, sur la recherche de l'histoire, plutôt que de l'identité et sur le nécessaire accompagnement. En la matière, le Conseil national d'accès aux origines personnelles (Cnaop) joue un rôle important, dont l'évolution est envisagée dans le cadre d'un regroupement de gouvernances. Aura-t-il toujours les moyens d'assurer ses missions ?
Vous l'avez dit, madame la ministre, ce que la science sait rendre possible n'est pas forcément souhaitable. Je suis d'accord avec cette position. On a l'impression aujourd'hui d'un progressisme permanent : il faut réviser en permanence les textes sur la bioéthique. Vous proposez même dans le présent texte une révision tous les cinq ans, contre sept ans auparavant.
Il est prévu d'allonger la durée de culture des embryons de 7 à 14 jours, le quatorzième jour étant celui où s'opère la différenciation des tissus. Si l'on accepte cette recherche in vitro jusqu'à 14 jours et si, demain, on réussit à maintenir en vie l'embryon in vitro au-delà, à quel titre refuserait-on de faire des recherches au-delà de ce délai sur cet être humain en devenir, ce qui est, selon moi, la définition de l'embryon ? Cet allongement confortera l'instrumentalisation de l'embryon humain. Décidera-t-on, dans cinq ans, d'aller au-delà des 14 jours ?...
L'article 11 prévoit que le patient est informé de l'utilisation des traitements algorithmiques au moment des résultats. Pourquoi ne pas l'en informer en amont ?
Je rappelle à Michel Amiel que la première loi de bioéthique a été provoquée par le débat sur la PMA.
Une loi de bioéthique s'appréhende sous le prisme de nos principes éthiques, de l'évolution des différentes techniques et des transformations de la société. À cet égard, on peut considérer que la question de la PMA doit faire partie intégrante de la bioéthique. Vous craignez, monsieur Amiel, qu'elle ne phagocyte bon nombre d'autres sujets. Lors du débat à l'Assemblée nationale, elle a en effet pris une place importante, mais, progressivement, les parlementaires et la presse se sont intéressés aussi fortement aux autres points du texte.
Monsieur Bonne, depuis une cinquantaine d'années, environ 700 études ont été menées, surtout aux États-Unis et au Royaume-Uni, sur des enfants nés par PMA, mais aussi sur des enfants élevés par des couples homoparentaux ou des femmes seules. Certaines sont mentionnées dans l'étude d'impact. Aucune ne démontre quoi que ce soit d'atypique dans leur développement. À l'inverse, aucune étude, à notre connaissance, ne tend à démontrer le contraire.
Comme le disait Françoise Dolto - un propos repris par Boris Cyrulnik -, c'est probablement autant l'enfant qui choisit et qui construit les parents que l'inverse.
Madame Meunier, vous avez vu juste en faisant le lien entre nos différentes réformes. Dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de protection de l'enfance, que je mène et dont j'ai dévoilé les principales mesures en octobre dernier, est prévue une réflexion sur l'évolution de la gouvernance de la protection de l'enfance dans notre pays, celle-ci n'étant pas aussi efficace qu'elle devrait l'être. J'ai missionné l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) pour appréhender les implications techniques et juridiques de ce projet de rapprochement des différents organismes qui travaillent sur ces sujets.
Le Cnaop conservera les moyens d'exercer ses missions, et la nouvelle instance de gouvernance de la protection de l'enfance sera dotée de moyens supplémentaires. Chargé de l'accès aux origines des personnes nées sous le secret, pourra-t-il s'occuper de l'accès aux origines des personnes nées de dons ? Ses responsables ne sont pas favorables à une telle extension de leurs compétences. Nous avons fait le choix de confier à une commission ad hoc, adossée à l'Agence de la biomédecine et placée sous la responsabilité du ministère, la question du recueil des données concernant les enfants nés par tiers donneur, lesquels pourront solliciter l'accès à ces données à leur majorité.
S'agissant du dépistage préconceptionnel, celui-ci est d'ores et déjà autorisé en France dans le cadre d'une prise en charge médicale spécialisée et d'un conseil génétique. L'élargir à toute personne ou à tout couple fragiliserait nos principes et nos valeurs. La question se pose, notamment, de la définition de la liste de pathologies. Faut-il la définir par rapport à la gravité d'une maladie, alors même que les thérapies évoluent ? Par ailleurs, certaines pathologies ne sont pas causées par un seul gène défectueux. Partant, la revendication du droit à un enfant sain impliquerait de demander un séquençage complet du génome. Il faut également veiller à ne pas stigmatiser des couples qui souhaiteraient ne pas savoir, ou encore les personnes atteintes de ces maladies.
Pour toutes ces questions, qui heurtent nos valeurs éthiques, nous ne disposons pas de réponses précises, rassurantes et rationnelles. Voilà pourquoi nous n'avons pas souhaité étendre le dépistage préconceptionnel à des cas non prévus actuellement.
Pour ce qui concerne la révision des lois de bioéthique, tout d'abord, il est toujours possible de les modifier sans pour autant opérer une révision globale. Le Gouvernement souhaitait initialement une révision tous les 7 ans, mais l'Assemblée nationale a préféré retenir un délai de 5 ans, et nous l'avons suivie.
Madame Blondin, la phagothérapie n'a pas sa place dans une loi de bioéthique, les phages, les virus et les bactériophages n'étant pas des produits du corps humain. Je donnerai un exemple extrême : de même qu'il n'est pas besoin de prendre une loi de bioéthique pour procéder à une amputation, on peut recourir à la phagothérapie à la seule condition que ces actes soient contrôlés ; les autorisations sont d'ailleurs données au coup par coup et non de façon générale. Ces protocoles seront inclus dans le programme prioritaire de recherche sur la résistance aux antibiotiques.
Les recherches sur les anomalies du développement génital et sur les maladies rares ne relèvent pas davantage de la loi de bioéthique.
Monsieur Daudigny, le statut particulier de l'embryon est toujours reconnu dans ce projet de loi, comme il l'est dans les conventions signées par la France, dont la plus importante est la convention d'Oviedo. Pour être autorisée, la recherche sur un embryon doit respecter quatre critères : la pertinence scientifique ; l'inscription dans une finalité médicale ; l'utilisation exclusive de matériel humain, qu'il s'agisse d'embryons ou de cellules souches embryonnaires ; le respect de règles d'éthique, lesquelles sont de niveau international.
Le respect de ces critères conditionne également la publication des études afférentes à ces recherches dans les revues internationales, puisqu'il faut produire le numéro d'agrément pour pouvoir publier.
Pour ce qui concerne la durée d'observation, il est d'ores et déjà possible d'observer des embryons au-delà de 14 jours, mais nous proposons d'inscrire dans la loi une durée maximale. Ce faisant, nous nous référons non pas à ce que la science sait faire, mais à ce qui nous paraît souhaitable en termes de délai.
Monsieur Henno, pour ce qui concerne l'utilisation des traitements algorithmiques, la temporalité de l'information délivrée au patient par le professionnel de santé dépend des catégories d'actes visés et des dispositions qui leur sont applicables. Dans le cas de l'implantation d'un dispositif médical, par exemple un pancréas artificiel, l'information préalable est absolument nécessaire. En revanche, si un dispositif d'intelligence artificielle a été utilisé dans le cadre d'un diagnostic, l'information sera donnée postérieurement.
En effet, il est très difficile de savoir à l'avance si l'on aura besoin d'utiliser un dispositif d'intelligence artificielle pour poser un diagnostic.
Je vais outrepasser mon devoir de réserve de président.
Lors de l'examen de la dernière loi de bioéthique, le Gouvernement et l'Assemblée nationale s'étaient prononcés contre l'obligation de révision tous les 5 ans. C'est le Sénat qui l'a imposée. On constate que les précédentes lois de bioéthique ont été révisées tous les 7 ans, car il fallait ensuite prendre les décrets d'application.
La dernière loi de bioéthique, adoptée voilà 7 ans, est finalement révisée au bout de 9 ans. Revenir à un délai de 5 ans n'est donc pas une mauvaise idée puisque cela permet de tenir compte de connaissances ou de pratiques qui avancent plus vite que prévu.
Par ailleurs, on peut toujours réviser une loi de bioéthique pour des domaines précis. Ainsi, 2 ans après la loi de bioéthique de 2011, le Sénat avait présenté une proposition de loi relative à la recherche sur l'embryon, adoptée ici et à l'Assemblée nationale.
On reproche à la loi de bioéthique de courir un peu après les scientifiques. Peu de pays dans le monde ont une telle législation, et nombreux sont ceux qui souhaiteraient en avoir une. J'ai rencontré des représentants du Sénat jordanien, qui nous disent vouloir suivre notre exemple.
Comme l'a expliqué M. le secrétaire d'État, la loi de bioéthique sert à constater les avancées scientifiques et à les borner pour éviter les initiatives de chercheurs « fous ». En outre, à chaque fois que la science avance, nous avons le devoir de regarder si ces progrès sont utiles et d'éviter ceux qui sont dangereux. Ces lois de bioéthique sont donc plus que nécessaires, tout en étant révisables.
Je vais être provocateur. Dans ma vie professionnelle, je n'ai jamais rencontré de personnes qui, exerçant leur droit à l'enfant, n'aient pas respecté le droit de l'enfant. Si l'on veut supprimer le droit à l'enfant, il faut revenir sur l'adoption, l'IVG et la pilule !
Monsieur le secrétaire d'État, la commission ad hoc pour l'accès aux origines serait chargée de récolter auprès de l'Agence de la biomédecine des données identifiantes et non identifiantes pour les transmettre, ce qui est d'ordre purement administratif. Elle sera aussi chargée d'accompagner les enfants issus du don et les donneurs : comment se fera cet accompagnement ?
Que faire en cas de pénurie de gamètes liée, en cas d'extension de la PMA, à l'accroissement de la demande et, en cas de levée de l'anonymat, à la baisse du stock de gamètes, les deux phénomènes produisant un effet ciseau ? Peut-on songer à apporter des gamètes et comment s'assurer alors de l'accès aux origines ?
La PMA post mortem n'a pas été évoquée à l'Assemblée nationale. En cas de décès du conjoint, la dynamique du projet de PMA du couple est rompue. Au vu de ces situations difficiles, il faudrait donner un cadre à la PMA post mortem. Une loi de bioéthique doit aussi servir à cela.
S'agissant de la commission ad hoc chargée de l'accès aux origines, un décret en Conseil d'État précisera quels professionnels pourront être sollicités pour accompagner les enfants dans cette démarche. Intuitivement, on pense à des psychologues, des pédopsychiatres ou des assistants sociaux.
Vous dites qu'il y aurait une appréciation de l'opportunité d'accéder à ses origines ?
Non, vous avez raison, c'est un droit.
Sauf erreur, nous sommes le seul pays à proposer de façon concomitante l'ouverture de la PMA à toutes les femmes et la possibilité d'accéder à ses origines. Nous n'avons donc pas d'éléments de comparaison avec d'autres pays. Or nous sommes déjà en flux tendus sur les spermatozoïdes, et en pénurie d'ovocytes. Nous prenons donc très au sérieux le risque de pénurie de gamètes. Pour autant, nous n'allons pas en importer. Nous voulons renforcer les campagnes de communication pour recruter de nouveaux donneurs. L'Agence de la biomédecine s'y prépare. Ces campagnes sont assez confidentielles, mais incitent à faire preuve de solidarité et à donner. La nature des donneurs évoluera peut-être, avec la possibilité d'accéder aux origines après dix-huit ans. On l'a constaté dans les pays qui ont levé l'accès aux origines, après une baisse dans un premier temps, le nombre de donneurs y remonte, puis se stabilise, mais les motivations ont légèrement évolué.
Le moment où seront pris les décrets garantit qu'il n'y aura pas de destruction de gamètes. Quand on voit le très faible pourcentage de donneurs de gamètes, et le faible pourcentage de personnes sensibilisées à la possibilité pour elles de faire un don de gamètes, on comprend qu'il y a beaucoup à faire.
La PMA post mortem a suscité beaucoup de discussions, car elle soulève des questions abyssales. Nous ne l'avons finalement pas autorisée. D'abord, il y a la question du temps du deuil. Aussitôt après le décès, on se dit que c'est le rêve le plus cher que de faire naître un enfant. Mais, après un ou deux ans, le temps passant, la vie reprenant ses droits, est-on toujours dans la même envie ? Nous pourrions autoriser la PMA post mortem après une période de deuil. Mais comment estimer la durée d'un deuil ?
Puis, le projet parental était porté par le couple. Il ne reste que la femme. Peut-elle continuer à porter seule un projet parental conçu à deux ? Il faudrait aussi demander à l'autre parent s'il serait d'accord, au cas où il décède, pour qu'un enfant naisse après sa mort... Et il y a les pressions potentielles des familles, au moment du deuil, notamment de la famille du défunt. Comment, enfin, gérer les successions ?
En réalité, le nombre de demandes formulées auprès de la justice est extrêmement faible. Ce n'est donc pas la peine d'ouvrir la possibilité de généraliser la PMA post mortem, surtout au regard de la lourdeur du processus, pas seulement techniquement. On prononce rapidement les trois lettres P-M-A, mais c'est un projet sur le temps long !
Nous en rediscuterons en séance.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 55.