Intervention de Bernard Rougier

Commission d'enquête Combattre la radicalisation islamiste — Réunion du 17 décembre 2019 à 14h30
Audition de M. Bernard Rougier professeur à l'université sorbonne nouvelle — Paris 3

Bernard Rougier, professeur à l'université Sorbonne Nouvelle - Paris 3 :

L'islamisme représente un problème dans les sociétés du Sud. Les gouvernements autoritaires et les groupes islamistes y ont longtemps partagé un objectif commun : le refus de l'intégration - souvenez-vous de l'affaire Rushdie - des populations immigrées en Europe, afin qu'elles ne deviennent pas un levier de démocratisation dans leurs pays d'origine. Tant que le discours des pays du Sud sur l'islam ne changera pas, il restera très difficile de lutter efficacement, en France, contre l'islamisme.

Par une étudiante, j'ai pu connaître la petite amie de Radouane Lakdim. Il existait indéniablement à Trèbes un milieu favorable à la diffusion de la doctrine islamiste. De fait, quelques années avant l'attentat, des croix avaient été brisées, signe de la présence d'un salafisme agressif s'affirmant par des actions démonstratives. Certains éducateurs appartiennent d'ailleurs à cette mouvance. L'évolution de Radouane Lakdim n'apparaît donc pas si étonnante.

Mes travaux ont également porté sur d'autres quartiers, notamment de Roubaix, de Toulouse ou, en Belgique, de Molenbeek. Je préfère, pour ma part, mener des études qualitatives, qui seules permettent de fournir des explications et de dresser des hypothèses. À cet égard, la destruction des Renseignements généraux a considérablement nui à la connaissance des tissus sur le territoire. La reconstruction est lente et pas encore accomplie.

Le déni des pouvoirs publics n'a rien à envier à celui de l'université. Je m'en suis trouvé physiquement malade ! Après avoir vécu quinze ans au Moyen-Orient et côtoyé l'islamisme en Égypte, en Jordanie et dans les camps palestiniens, j'ai été nommé, en 2015, professeur à l'Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3. J'y ai constaté qu'une partie de mes étudiantes portait un djelbab et que garçons et filles se séparaient spontanément en salle de cours. Je me suis senti rattrapé par mon objet d'étude ! La France est influencée par un phénomène régional plus large. Le film Le ciel attendra constitue, à ce titre, un véritable scandale ! Après que de jeunes Françaises se sont converties à l'islam sur leur ordinateur, la câlinothérapie est représentée comme l'unique solution pour mettre fin à leur violence. Nous avons perdu du temps et des ressources, faute d'avoir osé nommer le phénomène pour ne pas désespérer les banlieues et par crainte d'alimenter le discours de l'extrême droite. Finalement, ce sont les intellectuels et les fonctionnaires algériens, qui ont connu la décennie noire des années 1990, qui tiennent les propos les plus lucides sur des Français effrayés par le risque de stigmatisation.

Marwan Muhammad, ancien conseiller au sein de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), a été formé par les Turcs. Il m'apparaît que le contrôle de la population d'origine arabe de Turquie constitue un objectif du président Erdogan. Hormis les Kurdes, il contrôle déjà ses concitoyens via le ministère des affaires religieuses. À l'université Ibn Haldun, créée par son fils Bilal, l'apprentissage des langues turque et arabe est obligatoire. Deux millions de Syriens vivent en Turquie et ne rentreront probablement jamais dans leur pays mais iront notamment en Allemagne. Erdogan va essayer de les contrôler, afin d'asseoir sa dimension de leader musulman. Émerge ainsi une nouvelle sensibilité frériste, plus moderne que celle de l'UOIF, mêlant nationalisme et islamisme et s'appuyant sur des élites bien formées, à l'instar de Marwan Muhammad. Au cours des dix prochaines années, la Turquie investira les populations d'origine maghrébine, notamment via l'université précitée. Erdogan dispose d'un prestige certain dans nos cités, qu'il va tenter de capitaliser.

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