Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure – chère Marie Mercier –, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, on le sait, semaine après semaine, parfois jour après jour, le nombre des femmes tombées sous le coup de leur conjoint ne cesse d’augmenter. Cette réalité, nous l’avons dit à plusieurs reprises à cette tribune, constitue une exhortation à agir qui nous est collectivement adressée, quelle que soit notre appartenance politique. C’est dans cet esprit que le Premier ministre a ouvert, le 3 septembre dernier, le Grenelle contre les violences conjugales et que le Parlement a adopté, en commission mixte paritaire, la proposition de loi qui vous est aujourd’hui soumise.
Dans la lutte contre les violences conjugales, la justice occupe évidemment une place centrale. Je mène à ce titre, depuis plusieurs mois, une action volontariste, fondée sur un plan très structuré. La circulaire du 9 mai dernier, que j’ai adressée aux procureurs généraux et aux procureurs de la République, érige en priorité de politique pénale la lutte contre les violences faites aux femmes et incite les parquets à utiliser pleinement l’arsenal législatif dont ils disposent, comme les téléphones grave danger ou l’ordonnance de protection.
Je souhaite bien entendu que le recours à cette ordonnance de protection soit facilité et devienne une pratique régulière, presque un réflexe. Mes services ont d’ailleurs récemment analysé toutes les décisions prononçant une ordonnance de protection qui ont été rendues en 2016. Cet important travail, mené pendant plus de six mois et dont les résultats ont été publiés sur le site du ministère de la justice au mois de septembre dernier, a révélé que le recours à ce dispositif est en constante progression depuis sa création. Lorsque le juge est saisi, une ordonnance de protection est prononcée dans près des deux tiers des dossiers. Pour autant, les juges ne sont pas encore suffisamment saisis de ce type de demande : il faut faire des progrès sur ce point.
La proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui vise, d’une part, à renforcer l’ordonnance de protection et, d’autre part, à généraliser l’utilisation du bracelet anti-rapprochement (BAR). Je partage cette double volonté, puisqu’elle correspond aux deux axes majeurs sur lesquels travaille le ministère de la justice depuis plusieurs mois.
Concernant l’ordonnance de protection, afin d’accroître le recours à ce dispositif très protecteur qui permet au juge aux affaires familiales d’organiser la séparation du couple dans un contexte de violences, il est prévu que la victime puisse obtenir, par une même décision de justice, des mesures à la fois civiles et pénales : mesures civiles concernant l’organisation de la vie familiale, notamment les droits de visite et d’hébergement, la pension alimentaire ou encore l’attribution du logement du couple ; mesures pénales, telles que l’interdiction d’entrer en contact et l’interdiction de port d’arme.
Le texte qui vous est soumis prévoit que le juge aux affaires familiales devra désormais statuer dans un délai de six jours à compter de la date de fixation de l’audience. Afin que ce délai soit effectif, les dispositions du code de procédure civile relatives à l’ordonnance de protection devront être adaptées. Mes services y travaillent déjà.
La proposition de loi apporte également des précisions indispensables. J’en cite quelques-unes à titre d’exemple : une plainte pénale n’est pas nécessaire pour demander une ordonnance de protection ; les auditions peuvent se tenir séparément si la partie demanderesse le souhaite ; l’ordonnance de protection peut être délivrée aux couples qui ne cohabitent pas et n’ont jamais cohabité.
Ces précisions et d’autres encore ont une vertu pédagogique et nous permettent de répondre aux recommandations formulées par le Grevio, le groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, dans son rapport d’évaluation sur la France, publié le 19 novembre dernier. Notons que le Grevio « salue la grande détermination dont les autorités françaises font preuve pour inscrire la prévention et la lutte contre les violences faites aux femmes parmi leurs priorités politiques. » Il souligne également que l’adhésion des autorités à cette cause a été renforcée d’initiatives récentes, telles que le premier Grenelle contre les violences conjugales lancé par le Gouvernement le 3 septembre 2019.
S’agissant du bracelet anti-rapprochement, il pourra être imposé aux auteurs de violences conjugales à titre de peine, mais aussi avant tout jugement pénal dans le cadre d’un contrôle judiciaire ou, en dehors de toute plainte, dans le cadre civil d’une procédure d’ordonnance de protection, ainsi que l’avait annoncé le Premier ministre le 3 septembre dernier.
Le bracelet anti-rapprochement est une avancée majeure et sans doute le point saillant du texte. Je crois profondément que ce nouveau dispositif, dédié à la seule protection des victimes, pourra éviter un nombre important de féminicides, comme cela a été le cas en Espagne.
La proposition de loi initiale a été enrichie par de nouvelles dispositions concernant l’autorité parentale. Au moment du passage de la présente proposition de loi dans cet hémicycle, ces dispositions faisaient encore l’objet de concertations. La commission mixte paritaire a, par la suite, fait le choix de les inclure dans le texte que nous examinons aujourd’hui, sans attendre un nouveau véhicule législatif. Figurent ainsi deux mesures nouvelles.
La première – Mme la rapporteure l’a précisé – ouvre au juge pénal la possibilité de statuer sur le retrait de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement. Cette disposition, qui offre plus de souplesse au juge, est de nature à lui permettre de mettre en œuvre une solution plus adaptée à la situation familiale lorsque le retrait de l’autorité parentale paraît trop radical.
La seconde mesure crée une suspension provisoire de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale en cas de poursuite ou de condamnation pour un crime commis par un parent sur la personne de l’autre parent, et ce dans l’attente de la décision du juge aux affaires familiales.
Mme la rapporteure vous proposera tout à l’heure un amendement visant à préciser la rédaction de cet article. Le Gouvernement y sera favorable.
La lutte contre les violences au sein du couple va se poursuivre. Il est désormais temps de tirer les enseignements des travaux menés dans le cadre du Grenelle contre les violences conjugales, ainsi que de ceux menés par les députés du groupe La République En Marche à l’issue de leurs journées de travail en région.
Ces réflexions ont conduit à formuler de nombreuses propositions. Plusieurs d’entre elles sont convergentes avec les réflexions et travaux menés dans le cadre du groupe de travail « Justice » que j’ai installé à la Chancellerie à la suite du lancement du Grenelle. Ce groupe de travail continuera d’ailleurs ses travaux afin de suivre l’avancée des actions qui ont été annoncées. Il s’agit en effet d’inscrire notre action dans la durée, au-delà même de la séquence du Grenelle.
Parmi les nombreuses propositions formulées par les députés, certaines exigeaient des modifications de nature législative. Elles trouvent leur expression dans la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales, déposée le 3 décembre dernier par les députés de La République En Marche. Cette proposition de loi sera discutée dans les semaines à venir et connaîtra également – j’en suis certaine – une adoption consensuelle. Elle vise à modifier le code civil, le code pénal et le code de procédure pénale ainsi qu’à assurer l’organisation de la vie de famille et la protection effective des victimes de violences familiales, qu’il s’agisse des parents ou des enfants.
À ce titre, cette proposition de loi tend à inscrire dans la loi que les enfants ne seront plus tenus d’aucune obligation alimentaire à l’égard du parent qui aura tué l’autre parent, à proscrire toute médiation, tant civile que pénale, en cas de violence et en cas d’emprise, ce qui répond à une demande très forte des associations, et à permettre aux médecins de révéler plus facilement les faits de violences conjugales à la justice, même en l’absence d’accord de la victime, dans certaines circonstances particulières rigoureusement encadrées. Elle prévoit par ailleurs d’étendre l’incrimination de certains comportements et de favoriser leur répression, notamment en sanctionnant plus sévèrement le harcèlement au sein du couple qui aura conduit la victime à se suicider ou à tenter de le faire et en pénalisant plus largement les comportements d’espionnage.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je tiens, comme l’a fait Mme la rapporteure, dont je salue le travail, à vous assurer de l’engagement absolu du ministère de la justice sur ce sujet, et du mien en particulier. Nous continuerons, avec l’aide de tous, non seulement des magistrats et des forces de l’ordre, mais aussi des avocats, des réseaux associatifs et de l’ensemble de la société civile, à lutter contre des actes qui, en meurtrissant chaque jour des femmes, heurtent la société tout entière. J’en suis absolument certaine, nous partageons tous cet engagement.