Intervention de Laurence Rossignol

Réunion du 18 décembre 2019 à 15h00
Violences au sein de la famille — Adoption définitive des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire

Photo de Laurence RossignolLaurence Rossignol :

Que veut dire « le juge doit » ? Prenons un exemple.

Nous avons déposé un amendement pour que l’autorité parentale soit systématiquement suspendue dans le cadre de l’ordonnance de protection. Il nous a été répondu que cela était déjà possible. Oui, c’est possible, mais il n’y a aucune raison pour que cela ne soit pas systématique. En effet, on ne peut, dans aucune circonstance, faire valoir l’intérêt de l’enfant à rester sous l’autorité parentale d’un père violent. Un père violent qui attaque la mère, qui s’en prend à elle, qui la brutalise, ne peut pas se voir confier l’autorité parentale sous prétexte qu’il serait de l’intérêt de l’enfant de maintenir un lien avec son père.

Cette philosophie de base – le maintien du lien, au travers de l’autorité parentale – est présente dans la tête de nombreux magistrats, mais le retrait de l’autorité parentale n’est pas une sanction, une punition, contre le père. On m’a souvent rétorqué que nous étions contre les peines systématiques. Bien sûr, mais la suspension de l’autorité parentale n’est pas une peine ; c’est une mesure de protection de l’enfant.

Je regrette donc que vous n’ayez pas été favorable, madame la garde des sceaux, au principe de la suspension systématique de l’autorité parentale lorsque l’ordonnance de protection est délivrée, ni même à notre amendement de repli. Celui-ci tendait à prévoir que, dans les cas où le juge maintiendrait l’autorité parentale, l’adresse de l’école de l’enfant soit masquée.

Je crains que l’on découvre, au moment du bilan, d’ici un ou deux ans, du contenu des ordonnances de protection, que les juges auront maintenu l’autorité parentale des auteurs de violences, même lorsque la mère est en danger et a déjà été victime de violences. D’ailleurs, vous n’avez pas non plus voulu que l’on remplace « et » par « ou » dans la définition de l’ordonnance de protection : danger et violence, ce sont les deux conditions cumulatives, alors que les violences suffisent à constituer le danger.

L’amendement de repli que nous proposions, qui visait donc, je le répète, à masquer l’adresse de l’école de l’enfant, a lui aussi été rejeté. Ainsi, une femme faisant l’objet d’une ordonnance de protection, mais à laquelle le juge n’aura pas attribué l’autorité parentale exclusive, sera exposée au risque que son conjoint violent la retrouve, grâce à l’adresse de l’école des enfants. En effet, l’autorité parentale suppose de connaître le lieu de scolarisation de ses enfants.

Par conséquent, prisonniers de cette philosophie du principe « le juge peut », nous en arrivons à exposer davantage les femmes aux violences et à ne pas atteindre les objectifs que vous poursuivez certainement au travers de cette loi.

Par ailleurs, quant à la méthode choisie pour légiférer – la proposition de loi –, je ne sais pas ce que la constitutionnaliste que vous êtes, madame la garde des sceaux, en pense…

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion