Intervention de Laurence Cohen

Réunion du 18 décembre 2019 à 15h00
Violences au sein de la famille — Adoption définitive des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire

Photo de Laurence CohenLaurence Cohen :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous arrivons au terme de cette navette parlementaire, et, je dois le dire, nous ressentons quelque frustration liée à la façon dont se sont déroulés les débats.

En effet, en première lecture, vous n’avez pas manifesté de réelle volonté d’améliorer cette proposition de loi, madame la garde des sceaux, puisque nos amendements, comme ceux de nos collègues socialistes, ont été quasi systématiquement rejetés, sous des prétextes peu convaincants. C’est la raison pour laquelle nous avons quitté l’hémicycle, événement suffisamment rare pour être souligné.

Le sujet est pourtant grave. Alors que l’année 2019 n’est pas encore achevée, ma collègue l’a indiqué, 145 femmes ont été assassinées par leur conjoint ou par leur ex-conjoint depuis le 1er janvier dernier, dans de très nombreux cas sous les yeux de leurs enfants.

Si la question du féminicide, des violences contre les femmes et des agressions sexistes, notamment au sein de la famille, a pu devenir un véritable enjeu de société cette année, c’est grâce aux nombreuses mobilisations des femmes et des associations féministes. Cette loi en est aussi la conséquence, et c’est une bonne chose.

Je veux revenir sur les principaux articles du texte.

Nous saluons le fait que, en CMP, la discussion sur l’autorité parentale ait évolué et que nous passions ainsi d’un simple rapport sur le sujet à une suspension en cas de crime commis sur l’autre parent. C’est un début, mais nous regrettons que cela n’aille pas plus loin. D’une part, au travers de la rédaction proposée, cette suspension, qui ne concerne que l’exercice de l’autorité parentale, ne sera, en réalité, pas du tout automatique ; elle sera en outre provisoire et limitée à une durée de six mois. D’autre part, le renvoi à l’article 377 du code civil, qui traite de la délégation de l’autorité parentale, nous paraissait totalement inapproprié. Nous nous réjouissons vraiment de l’apport de l’amendement de notre rapporteure, Marie Mercier, qui vise à corriger cet état de fait.

J’en viens aux ordonnances de protection. Si nous nous félicitons de la réduction à six jours du délai de délivrance de ces ordonnances, nous aurions souhaité que ce délai soit fixé à partir de la requête, et non de la date de fixation de l’audience. Il faudra passer à la vitesse supérieure, car comment croire que l’ordonnance de protection, en vigueur depuis bientôt dix ans, deviendra un véritable outil de protection des victimes, alors que seulement un petit millier de ces ordonnances sont délivrées chaque année ?

Sur le logement, nous n’avons eu de cesse de vous interpeller, madame la garde des sceaux, notamment depuis le début du Grenelle contre les violences conjugales et des débats parlementaires, sur le déficit criant de logements à disposition des personnes qui doivent être mises à l’abri, déficit dénoncé par toutes les structures d’hébergement d’urgence. Nous l’avons dit et nous le répétons, l’hébergement d’urgence pour les personnes victimes de violences doit être la priorité, cela doit concentrer tous nos efforts.

Au-delà de l’hébergement d’urgence, nous saluons l’effort accompli pour permettre aux femmes victimes d’accéder à un logement pérenne, avec un accompagnement financier. Reste à savoir ce qui sera prévu derrière l’expression « les premiers mois de loyer ». Par ailleurs, en ce qui concerne la mise en place de partenariats avec des bailleurs, un tel dispositif était déjà prévu, je vous le rappelle, dans la loi de 2010, grâce à un amendement de Marie-George Buffet, mais les décrets d’application ne sont jamais parus…

Enfin, il faudra que nous avancions collectivement, mes chers collègues, sur la désolidarisation des dettes de loyer, car nombre de femmes ne peuvent accéder à un logement à cause de cela.

Quant au bracelet anti-rapprochement, c’est un dispositif qui doit être utilisé avec prudence et discernement. S’il constitue un véritable outil dissuasif, reste en suspens la question de la distance requise pour tenir le conjoint violent éloigné, distance laissée à la discrétion du juge. Ce n’est pas une question anecdotique ; être éloigné de deux ou de vingt kilomètres n’aura clairement pas le même effet anxiogène sur la victime, qui a bel et bien besoin d’un environnement sécurisant.

De plus, lors du colloque que j’ai organisé salle Médicis le 22 novembre dernier, intitulé « Du sexisme ordinaire aux féminicides », plusieurs intervenants, dont le magistrat Édouard Durand, nous ont alertés sur la difficulté pour les personnes victimes de violences – femmes et enfants – à rompre le lien avec leur agresseur. Cette emprise les place dans une grande dépendance, dont elles ont du mal à se défaire. Le bracelet électronique serait alors un obstacle supplémentaire au fait, pour la victime, de se défaire du lien. Ne serait-il pas plus efficace de développer le nombre de téléphones grave danger, qui ont fait la preuve de leur utilité ?

Enfin – c’est le plus inquiétant, madame la garde des sceaux –, depuis la fin du Grenelle, nous avons discuté du projet de loi de finances pour 2020 ; ces véritables travaux pratiques ont été marqués par l’absence de garantie budgétaire pour le financement des places d’hébergement d’urgence, du logement temporaire et des bracelets anti-rapprochement, dont il est question dans cette proposition de loi. Je vous le demande donc : pouvez-vous nous rassurer sur les moyens qui seront effectivement débloqués, ou doit-on au contraire conclure à l’échec de la grande cause du quinquennat, que l’on n’a cessé de nous présenter comme un argument magique, à défaut d’argent magique ?

Malgré toutes ces réserves, nous allons voter cette proposition de loi, qui contient effectivement des avancées, mais j’espère que vous répondrez, madame la garde des sceaux, à nos inquiétudes quant au déblocage de moyens.

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