Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la mise en place du droit au logement opposable est destinée, pour l'essentiel, à mettre tout le monde sous pression. Le présent projet de loi ne prétend pas détailler l'ensemble du processus opérationnel, mais, comme quelqu'un l'a souligné cet après-midi, c'est un pacte d'honneur, un engagement sur l'honneur, qui est demandé par le Parlement à tous les acteurs du logement de notre pays et pas seulement à l'État, qui sera responsable de son exécution. C'est bien ainsi qu'il faut considérer ce texte.
Ce texte a bien pour but de placer les services de l'État, quels qu'ils soient, qui auront la responsabilité de la mise en oeuvre du droit au logement, sous une pression constante. Il ne s'agit pas d'un texte de programmation ou d'un texte de financement. Il vise à faire en sorte que plus jamais on ne puisse, pendant une décennie entière, être très en dessous des capacités locatives de notre pays, lequel a une densité de population très faible par rapport à sa capacité foncière. Nous ne sommes ni à Hong Kong ni aux Pays-Bas. En outre, nous disposons des entreprises de construction parmi les meilleures au monde ainsi que des capacités d'ingénierie et d'architecture à la hauteur. Nos maçons et nos artisans savent travailler. Bref, le dispositif est opérationnel. Or force est de constater que, même en dehors des situations de crise, pour chaque euro qui est consacré en France au logement l'offre est inférieure à ce qu'elle est en Allemagne ou en Belgique. Les crises du logement ont ceci de terrible qu'on ne se rend pas compte de leur apparition. Il faut en effet sept à huit ans, quand la pression et la tension deviennent réelles, pour s'apercevoir qu'il manque 200 000 logements par an par rapport aux besoins.
Dans ce secteur, il n'est pas possible de réagir en vingt-quatre ou en quarante-huit heures, ni même en un ou en deux ans. Il n'est pas possible de doubler, en quelques semaines, la production de logements. C'est un long processus. Les décisionnaires sont multiples : les mises en chantier sont engagées au terme d'une longue chaîne de décisions. C'est pour cette raison qu'est nécessaire le vote d'un texte puissant, tout comme doit l'être le comité chargé du suivi annuel de la loi qui, dès le mois de juillet, en proposera les mesures d'adaptation nécessaires.
En matière de logement, toute erreur d'appréciation est payée par les individus les plus fragiles de la société durant les dix ou quinze ans qui suivent. Il y a quinze ans, on avait estimé que la construction annuelle de 220 000 logements suffisait. On paie aujourd'hui cette erreur, dont les conséquences se font sentir non seulement sur l'éducation, mais encore sur la famille, la personnalité de chacun, la mobilité professionnelle et même l'environnement. En effet, en l'absence de fluidité dans le parc locatif ou dans l'accession à la propriété, le commuting devient alors une nécessité. C'est pour cette raison qu'il faut un texte fondateur.
Je souscris à l'essentiel des remarques que j'ai entendues, sur quelque travée qu'elles aient été prononcées.
Mme Demessine nous a expliqué que la situation était grave et dramatique. Je partage votre appréciation, madame la sénatrice, d'autant plus que nous venons tous deux de la même région. Pendant dix ans, on a insuffisamment construit de logements très sociaux, sociaux ou intermédiaires et tout aussi insuffisamment promu l'accession à la propriété. Telles sont les raisons de la crise du logement. Comme en matière de démographie, ses conséquences apparaissent tardivement. Les décisions en la matière n'ont d'effets qu'au bout de dix, de quinze ou de vingt ans.
Madame la sénatrice, le gouvernement de Lionel Jospin a certes failli dans le domaine du logement, mais en réalité la crise avait démarré auparavant.