Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'article 1er de la loi que nous discutons aujourd'hui est sans aucun doute un article clef, puisqu'il concerne le droit opposable au logement.
Ce droit est celui pour lequel, depuis plusieurs années, mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen et moi-même, ainsi que nos collègues d'autres éléments de la gauche, en parallèle avec l'action du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, appelons de nos voeux.
Nous avions d'ailleurs déposé, lors du débat sur le projet de loi portant engagement national pour le logement, un amendement en ce sens. La proposition reçut à l'époque l'accueil que l'on sait, je n'y reviendrai pas.
J'appelle de mes voeux l'inscription dans la loi du droit opposable au logement. Je le fais en tant que sénateur, bien sûr, en tant que citoyen, également, mais aussi en tant qu'ancien maire d'une ville populaire, Aubervilliers. Je donnerai un seul chiffre : 60 % des habitants des HLM ne gagnent pas le SMIC. Cela en dit long sur ce que d'aucuns considèrent comme une « fixation ». Mais quand on ne gagne pas le SMIC, en dehors des HLM, on n'a aucune solution ! Je le fais enfin en tant que membre du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées.
Ces diverses expériences m'ont permis de comprendre, m'ont permis de voir, très concrètement, combien le mal-logement est une maladie grave dont souffrent un nombre important de nos concitoyens, une maladie qui frappe de manière brutale les plus modestes, les plus vulnérables, les familles populaires, les jeunes à la recherche de leur premier logement indépendant, les salariés victimes de la précarité de l'emploi ; une maladie qui se nourrit de diverses déréglementations réduisant le logement à un produit fiscal et leurs occupants - ou non-occupants - à des variables d'ajustement. Il est le produit de l'insécurité sociale. Quand il y a un malade, on le soigne, et cela n'attend pas 2014 !
La rue entend depuis des décennies des cris, des silences aussi, de ceux qui vivent dans cette situation ; et l'appel des Enfants de Don Quichotte résonne avec celui de l'abbé Pierre voilà cinquante-trois ans, tandis qu'en 1995 se fondait rue du Dragon - j'y étais ! - l'association Droit au logement. Est-il nécessaire aujourd'hui encore, en écho à ces interpellations, d'argumenter l'absolue nécessité de ce droit ? Doit-on encore déplisser ici les chiffres de la misère et de la précarité ?
Aux 7 millions de travailleurs pauvres, aux 3 millions de mal logés, aux 1, 4 million de foyers en attente de logement social, il n'a pas été répondu adéquatement. Si la législation française affirme et reconnaît un droit au logement, les moyens des politiques publiques sont loin d'être à la hauteur : article 55 de la loi SRU non appliqué ; dispositions relatives à la réquisition ignorées ; surtout, construction de logements, sociaux notamment, insuffisante et inadaptée. Ainsi, sur les 80 000 logements que le Gouvernement revendique avoir construits, seuls 50 000 sont de véritables logements sociaux, dont seulement 7 000 sont financés en prêt locatif aidé d'intégration, ou PLAI. Encore faut-il en soustraire les 25 000 qui sont détruits chaque année !
Légitime, ce droit opposable est nécessaire, et ce pour trois raisons essentielles.
D'abord, inscrire l'opposabilité du droit au logement dans les tables de la loi française, c'est entendre l'appel qui nous est fait, et c'est reconnaître la légitimité du combat et la force du travail de ceux qui, depuis bientôt cinquante-cinq ans, se battent contre le mal-logement.
Un grand historien bourgeois, Augustin Thierry, à qui l'on demandait d'où viennent les lois, conseillait de chercher ceux qui y ont intérêt : là sont les véritables auteurs. Eh bien, nous devons, avec cette loi - qu'il faut améliorer -, respecter ces attentes populaires, ces auteurs populaires, ces experts du quotidien avec lesquels le Haut Comité travaille depuis 2002 sur le droit opposable.
Ensuite, cette inscription met la France en conformité avec ses engagements nationaux et internationaux ; plusieurs collègues l'ont rappelé, je n'allongerai donc pas. Je veux simplement mentionner le Conseil constitutionnel, plus haute institution juridique française, qui a reconnu que le droit au logement était « un objectif de valeur constitutionnelle ».
Il s'agit donc bien d'un droit fondamental, d'un droit universel, et non d'un droit particulier. S'il s'agissait d'un droit seulement pour les pauvres, ce serait un pauvre droit ! Les pauvres ont droit au même droit que les autres. Il faut donc construire un droit général, un droit au sommet de la hiérarchie des droits, un droit du même type, cela a été évoqué, que le droit à l'école ou que le droit à la santé.
Mais, savez-vous, quand la loi sur l'école a été votée, Jules Ferry, qui n'était pas particulièrement de gauche - on l'appelait « Ferry-Tonkin », et aussi, par référence à la Commune de Paris, « Ferry-assassin » -, mais qui avait compris la nécessité du droit à l'école, répétait quand on l'accusait de dépenser : « Pour les écoles primaires, en quatre ans, nous avons construit 20 000 écoles ou approprié, 14 000 mobiliers ont été renouvelés, 264 millions pour 20 000 communes, cela fait en moyenne par école 13 200 francs. » Les moyens existaient donc. Le droit en lui-même était mobilisateur et a imposé les moyens.
Quant au droit à la santé - je le rappelle pour ceux qui, tout à l'heure, objectaient que nous n'avions pas les moyens -, à la Libération, au sortir de la guerre, quand la France était pleine de destructions, ceux qui dirigeaient le pays - et que caractérisait le pluralisme que vous savez - ont décidé du droit à la santé et ils ont réussi à le financer par une mutualisation. Quand on veut, on peut ! C'est une revendication politique, et qui mérite une réponse politique volontaire.
Enfin, troisièmement, inscrire l'opposabilité dans la loi, c'est passer du droit déclaratif au droit effectif. Cette effectivité du droit au logement est fondamentale ! Elle se mesure à la hauteur des obligations qui l'accompagnent ; c'est là le sens de l'opposabilité.
J'aurais pu aller plus loin, mais j'aurai l'occasion d'y revenir ; aussi, je ne prolongerai pas. Cependant, je le dis : c'est un lever de rideau. Il va maintenant nous falloir écrire la pièce et la mettre en scène, ce qui implique un comité de suivi. Car le droit au logement opposable a besoin d'un comité de suivi.
Michaux disait : « La pensée, avant d'être oeuvre, est trajet. » Nous sommes en trajet, et pour aboutir il faut des moyens.
Le temps me manque de dire comment le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées s'est manifesté auprès du Gouvernement. Il a énormément consulté et il a transmis, le ministre l'a rappelé, un avis unanime sur un premier texte - dont l'article 1er et l'article 5 avaient d'ailleurs été rédigés par deux membres du Haut Comité dans le bureau même de M. Borloo, qui les avait acceptés. Puis il y a eu des débats, et ces articles ont été modifiés. L'un a été retiré parce que le Conseil d'État voulait que l'on décide du comité de suivi non pas dans la loi, mais dans l'exposé des motifs, ou par lettre ou décret d'accompagnement. L'autre a été modifié et il me semble que cela a été un tort. Il reste que le droit opposable est envisagé et inscrit dans la loi.
Il me semble maintenant que tout le monde doit écouter les amendements qui ont été proposés, singulièrement ceux qui émanent de la partie gauche de l'hémicycle, et freiner, et même repousser certains des amendements venant de l'autre côté, ceux qui montrent que l'on veut bien le droit opposable, mais plus comme proclamation que comme réalité.