Intervention de Amélie de Montchalin

Réunion du 18 décembre 2019 à 21h30
Débat à la suite de la réunion du conseil européen des 12 et 13 décembre 2019

Amélie de Montchalin :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Conseil européen des 12 et 13 décembre a constitué le premier rendez-vous européen en présence de Charles Michel, d’Ursula von der Leyen et de Christine Lagarde, chacun dans son nouveau rôle. Ce Conseil européen a marqué le lancement d’un nouveau cycle institutionnel.

Les discussions ont été dominées par la question de la lutte contre le changement climatique. Comme ils en étaient convenus au mois de juin dernier, les chefs d’État et de gouvernement ont endossé l’objectif de la neutralité carbone d’ici à 2050. Il s’agit là d’un succès, il faut le dire, de la coalition de pays ambitieux menée par la France. Composée de trois pays au départ, cette coalition, qui comptait huit pays à Sibiu en mai, puis un peu plus d’une vingtaine à l’été, a obtenu que l’unanimité se fasse autour de cet objectif. En s’engageant à devenir le premier continent neutre en carbone en 2050, l’Union européenne donne un signal clair sur son ambition. Le Pacte vert présenté par la Commission le 11 décembre fixe non seulement un objectif, mais également une feuille de route en vue de l’atteindre. Une loi climat sera présentée en mars 2020.

Le Premier ministre polonais a sollicité un délai avant de s’engager non pas sur l’objectif lui-même, mais sur les modalités de sa mise en œuvre à l’échelon national, au regard de la situation de départ de son pays, de la place qu’occupe le charbon au sein de son mix énergétique et du coût élevé de la transition pour la Pologne. Cette exemption temporaire n’a pas conduit à repousser l’adoption de l’objectif collectif ; elle n’empêche en rien l’engagement de l’Union européenne, la loi climat devant être votée par le Conseil à la majorité qualifiée. De ce fait, nous ne devrions pas connaître de nouvelle situation de blocage en raison de l’opposition d’un seul pays. En outre, le Conseil européen est convenu de revenir en juin 2020 sur le cas de la Pologne, qui devra alors préciser sa position. La Pologne pourrait bénéficier d’un accompagnement financier de la part de l’Europe, en fonction des engagements qu’elle prendra.

Les conclusions adoptées par le Conseil européen montrent que nous sommes lucides sur l’ampleur de la tâche et sur les efforts que nous devrons consentir pour atteindre cet objectif. Elles soulignent la nécessité de mettre en place un cadre afin de faciliter la transition des États membres : celui-ci devra comprendre des instruments, des mesures incitatives, un réel soutien financier et des investissements adaptés, afin que la transition puisse se faire et qu’elle soit juste et socialement équilibrée. Un certain nombre de propositions ont été faites en ce sens par la Commission dans son Pacte vert. J’insisterai sur le mécanisme d’inclusion carbone aux frontières, essentiel pour protéger l’emploi industriel en Europe. Cela est nécessaire si nous voulons atteindre notre objectif sans remettre en cause la source d’une partie de notre croissance.

Les conclusions rappellent également que les États membres peuvent décider souverainement des types d’énergie qu’ils utiliseront à l’échelon national pour atteindre les objectifs climatiques de l’Union, conformément à ce que prévoient les traités, notamment l’article 194 du traité de Lisbonne. Certains États pourront ainsi, s’ils le souhaitent, utiliser l’énergie nucléaire pour décarboner leur mix énergétique. C’est une clarification utile. J’y reviendrai si vous le souhaitez.

Enfin, le Conseil européen a invité la Commission à préparer en temps utile, avant la COP26 de Glasgow, au terme d’une analyse d’impact approfondie, la proposition relative à la mise à jour de la contribution déterminée au niveau national (CDN) de l’Union européenne pour 2030. Si nous avons un objectif pour 2050, il nous faut aussi tracer un chemin en vue de l’atteindre. À cet égard, le rendez-vous de 2030 est important. Cette COP sera en effet décisive pour la mise en œuvre effective de l’accord de Paris. Nous souhaitons donc que la prochaine CDN soit rehaussée de manière substantielle, afin d’inciter les autres grands pays émetteurs de la planète à faire de même.

La conférence sur l’avenir de l’Europe a également été évoquée lors de ce Conseil. Le président du Parlement européen, David Sassoli, a rappelé devant les chefs d’État et de gouvernement que cette conférence était une priorité de la nouvelle législature et que le Parlement européen entendait jouer un rôle moteur dans son organisation et son déroulement, aux côtés du Conseil et de la Commission, bien sûr : un tel exercice n’aurait pas de sens s’il était mené par un seul élément du triangle organisationnel européen.

Alors que les institutions se préparent à l’organisation de cette conférence – nous attendons une communication de la Commission en janvier 2020, ainsi qu’une résolution du Parlement européen –, le Conseil européen a demandé à la future présidence croate d’établir une position du Conseil sur le contenu, la portée, la composition et le fonctionnement d’une telle conférence. Il a notamment insisté, mesdames, messieurs les sénateurs, sur le rôle des parlements nationaux dans cet exercice. Une mobilisation citoyenne doit bien entendu être encouragée, mais dans le respect plein et entier de la démocratie représentative.

Nos trois priorités, définies notamment avec les Allemands, sont les suivantes.

Nous voulons tout d’abord recréer une relation plus approfondie avec les citoyens, afin de sortir d’un pur exercice de communication et de réellement prendre en compte leurs apports et leurs idées.

Il s’agit ensuite de répondre à l’urgence démocratique, en renforçant la transparence, en prévenant les conflits d’intérêts, en nous protégeant mieux contre l’ingérence de puissances étrangères, en contrôlant le financement des partis européens. Il faudra se pencher sur la question des listes transnationales, qui posent question.

Enfin, dans un souci d’efficacité, il importe de conduire une revue des différentes politiques européennes, afin d’évaluer si nous sommes assez souverains, assez solidaires et assez réactifs dans nos prises de décisions.

Ce Conseil a également été l’occasion de discuter du cadre financier pluriannuel (CFP) pour la période 2021-2027. La Première ministre finlandaise a présenté la boîte de négociation chiffrée soumise par la présidence le 2 décembre, portant à la fois sur le volume global et sur les principaux programmes composant le budget pour l’Union européenne.

La présidence a présenté un projet de budget s’établissant à hauteur de 1, 07 % du revenu national brut, soit une proposition intermédiaire entre celle de la Commission et celle des États dits « frugaux », qui voudraient s’en tenir à 1, 00 %.

La proposition finlandaise permet une hausse de 10 milliards d’euros du budget de la politique agricole commune (PAC) et le maintien de la notion de régions en transition au titre de la politique de cohésion. Elle prévoit la fin des rabais. Tous ces points sont positifs, mais il convient de rester très vigilants. Nous devons en particulier nous assurer que l’augmentation de la PAC repose non seulement sur le second pilier, comme c’est le cas aujourd’hui, mais également sur le premier. Je le redis devant vous : il ne peut y avoir de développement rural sans agriculteurs. Si nous voulons accroître le développement rural, nous devons faire en sorte que les agriculteurs puissent bénéficier d’aides directes et à l’investissement.

Si la catégorie élargie des régions en transition est bien conforme à nos demandes, nous serons vigilants sur les allocations réservées aux régions françaises, notamment aux régions ultrapériphériques et aux pays et territoires d’outre-mer (PTOM).

Nous continuons également à réclamer plus d’ambition et de cohérence en ce qui concerne le climat, ainsi que des conditionnalités sociales et fiscales pour accélérer la convergence sociale en Europe. À cet égard, nous avons créé une coalition d’États, avec l’Espagne, l’Italie, la Grèce, la Belgique et l’Espagne, notamment, afin de lutter contre le dumping social.

De même, nos priorités en matière de défense, de migration ou d’action extérieure ne sont pas encore suffisamment prises en compte.

Faute de temps, ce débat difficile, complexe ne s’est pas tenu dans la nuit du 12 décembre, mais Charles Michel a toutefois repris le dossier. Les conclusions adoptées par le Conseil européen sur ce sujet sont procédurales. Des consultations bilatérales techniques et politiques vont maintenant avoir lieu au début de l’année 2020 afin de définir un calendrier pour la poursuite de la discussion collective, que nous espérons voir se tenir avant le printemps 2020.

Au cours du dîner du 12 décembre, les chefs d’État, réunis autour de Josep Borrell, ont abordé différents sujets de politique étrangère. Ils ont notamment évoqué l’Afrique, en particulier le Sahel, mais aussi la Russie, la Turquie, l’Albanie ou encore la situation à l’OMC (Organisation mondiale du commerce), dont l’organe de règlement des différends a cessé de fonctionner la nuit même du 12 décembre.

Un sommet de la zone euro a ensuite eu lieu le vendredi matin, en présence de la nouvelle présidente de la Banque centrale européenne et du président de l’Eurogroupe, Mario Centeno. Les débats ont porté sur l’approfondissement de l’Union économique et monétaire, la poursuite des travaux sur le mécanisme européen de stabilité, le renforcement de l’union bancaire et le budget de la zone euro.

Le Président de la République a souligné que si les progrès sur ces différents sujets étaient certains, ils restent largement insuffisants, en particulier parce que nous voudrions que ces outils, au service notamment de la zone euro, soient non seulement des instruments de convergence, mais aussi de stabilisation.

Enfin, nous avons terminé cette longue réunion par une session en format « article 50 », puisque nous étions au lendemain des élections britanniques. La nette victoire de Boris Johnson nous permet d’entrevoir une sortie ordonnée du Royaume-Uni après plus de trois ans de débats complexes. Nous avons surtout, pendant cette réunion, posé les principes qui guideront la négociation de la relation future avec le Royaume-Uni.

Il est extrêmement important, cela a été souligné à l’unanimité, que l’accord de retrait agréé en octobre dernier entre l’Union et le gouvernement de Boris Johnson puisse être ratifié très rapidement et de manière ordonnée à Westminster puis au Parlement européen. Nous pourrons alors nous consacrer au mandat de négociation. Il importe que les relations futures entre l’Union et le Royaume-Uni soient intenses, mais équilibrées et loyales. Nous devrons en particulier pouvoir avancer sur les points où la prise en compte de nos normes environnementales, fiscales, sociales est déterminante pour la qualité de nos relations avec nos partenaires commerciaux.

Michel Barnier a été chargé de rédiger ce mandat. La pêche, la sécurité ou la défense sont pour nous des sujets essentiels des négociations à venir. Boris Johnson souhaite qu’elles soient terminées au 31 décembre 2020. Nous avons donc de quoi travailler avec ardeur, selon une ligne directrice très forte : une relation équilibrée, c’est aussi une relation qui protège les citoyens européens au Royaume-Uni.

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