Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen qui s’est tenu la semaine dernière était le premier depuis le renouvellement des principales institutions de l’Union européenne. Pour Charles Michel, le nouveau président du Conseil européen, cette première réunion, essentiellement consacrée aux enjeux climatiques et au prochain cadre financier pluriannuel, ne sera à coup sûr pas la dernière, tant les points de désaccord entre États membres sont encore nombreux et délicats à arbitrer.
On peut bien sûr se féliciter de ce que les dirigeants européens aient approuvé l’objectif de rendre l’Union européenne neutre pour le climat d’ici à 2050, même si la Pologne estime, à ce stade, qu’elle ne peut s’engager à mettre en œuvre cet objectif.
Le Pacte vert présenté par la nouvelle Commission, qui porte sur un investissement de 1 000 milliards d’euros, devrait être le principal levier de cet ambitieux projet qui ferait de l’Union européenne le seul grand acteur mondial à se conformer strictement aux accords de Paris sur le climat.
Après la piètre COP25 qui se déroulait en parallèle à Madrid, il est bon que l’Union ait, lors de ce Conseil européen, affirmé ses ambitions climatiques et esquissé les moyens envisagés pour leur donner une portée concrète. Mais, là encore, des objectifs proclamés à leur atteinte, la route risque d’être longue et parsemée d’embûches.
La première d’entre elles concerne l’adoption du prochain cadre financier pluriannuel de l’Union. La Commission souhaite qu’à terme 25 % de ce budget soit consacré à la transition écologique. Elle a raison d’affirmer que l’objectif climatique est transversal à tous les secteurs d’activité et que toutes les politiques de l’Union devront contribuer à l’effort.
Pour autant, même échelonnée sur plusieurs années, la mutation risque d’être rude et se heurtera à coup sûr à nombre de réticences, d’autant que le cadre financier présenté par la présidence finlandaise quelques jours avant la tenue du Conseil européen est très loin d’avoir fait l’unanimité. C’était bien évidemment prévisible. C’est en effet le sort attendu de tout « texte martyr » que de subir le martyre. Or la proposition finlandaise était bel et bien un texte martyr, et il eût été étonnant que ses arbitrages assez abrupts entre les différentes politiques de l’Union obtinssent l’assentiment des États membres. En la matière, le président Charles Michel aura, il le sait, encore beaucoup à faire dans les mois à venir pour accorder les violons avant d’entendre retentir une triomphale Ode à la joie au dernier étage du Berlaymont…
Mais, au-delà des détails, il ne faut pas manquer de lire dans cette proposition de la présidence finlandaise plusieurs messages forts à l’endroit des États membres et des autres institutions de l’Union européenne.
Le premier message, c’est que le Conseil n’est pas prêt à procéder à une augmentation très substantielle du budget de l’Union. Avec 1 087 milliards d’euros proposés pour le cadre financier pluriannuel 2021-2027, l’Union à vingt-sept entend rester au même niveau budgétaire que l’Union à vingt-huit au cours du CFP précédent, soit bien en deçà des propositions de la Commission européenne, et plus encore de celles du Parlement européen. On peut le regretter, mais, en matière d’élargissement du budget européen, il en va, à notre sens, probablement de même qu’en matière d’élargissement tout court de l’Union : il convient de s’assurer du bon fonctionnement et de l’équité des procédures aujourd’hui à l’œuvre avant de se lancer tête baissée dans l’aventure.
Pour pallier le départ du Royaume-Uni, les pays contributeurs nets vont devoir mettre encore un peu plus la main à la poche, et cette solidarité budgétaire entre États membres doit s’accompagner d’une solidarité politique de la part des États bénéficiaires, en matière de respect tant des engagements pris dans les domaines de la lutte contre la corruption et de l’indépendance de la justice que des normes sociales et environnementales de l’Union.
C’est là le deuxième message adressé par la présidence finlandaise en cette fin de mandat : celui de la conditionnalité de l’attribution de certains fonds européens, en particulier dans le domaine de la politique de cohésion, au respect effectif de certains principes fondamentaux de l’État de droit et de la lutte contre le détournement des aides allouées.
Certains pays bénéficiaires nets, qui réclament une augmentation importante du budget européen, sont ici très directement visés. La solidarité des régions riches de l’Union envers celles qui le sont moins fait partie des principes fondamentaux de l’Union. Mais, il faut le dire très clairement, il ne s’agit en rien d’un droit de tirage automatique, sans exigence quant au respect des engagements pris en contrepartie par les pays bénéficiaires. Il est bon de le rappeler, l’Union européenne n’a pas qu’un objet économique ; elle est également une communauté de valeurs et de pratiques entre des pays aux règles démocratiques qui s’engagent à respecter et à faire vivre l’État de droit. Ce principe de conditionnalité et de vérification systématique du respect effectif des conditions fixées commence enfin à entrer dans les mœurs des instances de l’Union ; c’est là une très bonne chose.
Le troisième message fort du Conseil s’adresse à une partie des États les plus prospères de l’Union : il annonce sa volonté d’en finir avec l’incongruité que constituent les « rabais sur le rabais », qui font que certains pays compensent moins qu’ils ne le devraient le fameux rabais accordé dans les années quatre-vingt au Royaume-Uni sur sa contribution nationale au budget de l’Union.
Avec la mise en œuvre du Brexit, entérinée par les élections du 12 décembre dernier, ce système complexe de compensation n’a plus de raison d’être. Parce que ces États devront mécaniquement contribuer davantage au budget de l’Union, cela les rend évidemment peu enclins à accepter de dépasser le niveau de 1, 07 % du RNB proposé par la Finlande pour le prochain cadre financier pluriannuel.
C’est là précisément que la question du futur cadre budgétaire européen croise celle de la conférence sur l’avenir de l’Europe qui s’ouvrira au printemps prochain. Ce n’est pas seulement le financement effectif du Pacte vert qui est en cause ; c’est aussi celui des nouvelles politiques voulues par la nouvelle Commission, en matière tant de sécurité et de défense que de politique spatiale ou d’investissements dans les nouvelles technologies. Force est de reconnaître qu’aujourd’hui le compte n’y est pas.
Le Président de la République, mais aussi Paolo Gentiloni, le nouveau commissaire à l’économie, et quelques autres ont récemment suggéré d’assouplir les règles de Maastricht en matière de déficit autorisé des États s’agissant d’investissements stratégiques en matière de transition énergétique. Compte tenu du fait que l’Union semble ne pas être en mesure d’augmenter substantiellement son budget, s’agit-il là, madame la secrétaire d’État, d’une alternative envisagée, qui consisterait à s’appuyer sur une action coordonnée de plusieurs États européens à travers leurs budgets et sur une politique de la concurrence moins dogmatique pour donner à notre continent les moyens de relever les défis du futur qui semblent désormais avoir été clairement identifiés par la nouvelle Commission ?