Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen qui s’est tenu la semaine dernière était un rendez-vous important. Son ordre du jour était dominé par deux sujets déterminants pour l’action de l’Union européenne : l’ambition climatique à l’horizon 2050 et les marges de manœuvre budgétaires jusqu’en 2027.
Cette réunion importante marque en outre le coup d’envoi du nouveau cycle institutionnel ouvert avec les élections européennes et la mise en place de la Commission von der Leyen.
Avant la tenue de ce sommet, la présidence finlandaise avait formulé le vœu que la nouvelle donne fasse « souffler un vent de fraîcheur » sur le Conseil, lui permettant ainsi de surmonter ses divergences, sur le plan tant climatique que budgétaire.
Mais l’événement le plus significatif du 12 décembre se déroulait davantage au Royaume-Uni qu’à Bruxelles. En effet, sauf énième rebondissement, la large victoire électorale des conservateurs ouvre enfin la voie à l’adoption de l’accord de retrait. Il ne s’agit en aucune manière d’un point final apporté au Brexit, eu égard à la nécessité de retisser les liens rompus avec le Royaume-Uni et de préserver autant que possible une relation stratégique, commerciale, sécuritaire et géopolitique vitale tant pour les Britanniques que pour les Européens. C’est finalement sur cet enjeu que portera la véritable négociation du Brexit, et ne nous y trompons pas : elle sera aussi exigeante que longue, certainement beaucoup plus longue que la période de transition définie par l’accord de retrait. Nous sommes donc loin d’en avoir fini avec le Brexit. Durant la nouvelle phase qui va s’ouvrir, les Européens devront veiller à demeurer aussi unis qu’ils l’ont été jusqu’à maintenant sous la conduite de Michel Barnier.
Les résultats du Conseil européen sont plutôt en demi-teinte.
Les conclusions concernant le cadre financier pluriannuel sont particulièrement laconiques : le Conseil européen « a débattu des principaux éléments du nouveau CFP » et « invite son président à faire avancer les négociations en vue de parvenir à un accord final ». Voilà tout ce qui ressort des discussions. Cela illustre à quel point les positions des uns et des autres restent figées.
Comme on pouvait le supposer, la boîte de négociation chiffrée proposée par la présidence finlandaise, en baisse de 50 milliards d’euros par rapport à la proposition de la Commission, n’a pas permis de rapprocher les points de vue. Les divers groupes d’États membres qui se sont constitués, et qui parfois s’entrecroisent, autour des grands enjeux de ce CFP ne semblent pas encore décidés à bouger. Dans ces conditions, on peut craindre que l’issue de la négociation ne permette pas à l’Union de disposer, à partir de 2021, d’un budget réellement à la hauteur de tous les objectifs.
Deux points me paraissent particulièrement inquiétants : d’une part, le niveau toujours insuffisant, malgré la revalorisation proposée pour le deuxième pilier, du budget de la PAC ; d’autre part, la baisse drastique envisagée de la dotation pour le Fonds européen de la défense.
Madame la secrétaire d’État, malgré une ambition vraisemblablement bridée, sur ces deux sujets, par une enveloppe globale contrainte, pensez-vous, au vu de vos discussions avec vos homologues, qu’une évolution favorable puisse être espérée d’ici à la fin du mois de février, échéance désormais envisagée pour un accord ?
Les conclusions du Conseil sont un peu plus loquaces concernant la question climatique. Néanmoins, la situation n’est pas si différente de celle du mois de juin, quand l’objectif de la neutralité carbone d’ici à 2050 n’avait pas pu être endossé en raison de l’opposition de quatre États membres particulièrement dépendants du charbon. Aujourd’hui, il n’en reste plus qu’un : la Pologne. Il est toutefois raisonnable d’espérer que des discussions plus approfondies sur le green deal présenté la semaine dernière, mais aussi sur le CFP, s’agissant notamment du fonds pour une transition juste, seront de nature à convaincre Varsovie de se joindre au reste de l’Union européenne.
Notre continent s’apprête donc à passer à la vitesse supérieure en matière climatique et à accélérer sa transition écologique. Après la définition des objectifs globaux, il convient désormais d’établir la stratégie.
Le changement climatique est clairement visible dans les Alpes et dans nos territoires de montagne. Les évolutions de paramètres climatiques ont de fortes incidences sur l’environnement physique, mais également sur le monde vivant et sur l’activité économique dans nos massifs.
Mais, en montagne comme ailleurs, si la transition écologique exige des efforts colossaux pour transformer en profondeur notre économie et l’ensemble de nos activités, elle doit constituer un véritable levier de développement. Dans le cas contraire, elle sera vouée à l’échec. Si elle est conçue ou même perçue comme punitive et simplement destinée à produire de nouvelles taxes, elle ne pourra que s’enliser. En revanche, si l’on parvient à mobiliser le génie européen pour concevoir et pour exploiter les technologies bas carbone de demain, la transition écologique réussira. Elle réussira si nous sommes en mesure d’en faire aussi un levier de création d’emplois et de valeur ajoutée.
Toute politique climatique ambitieuse devra donc nécessairement aller de pair avec une politique industrielle intelligente et ambitieuse qui prenne pleinement en compte toutes les réalités de l’économie du XXIe siècle.
Je le souligne une nouvelle fois, dans le cadre de la grande transformation de nos politiques publiques, nous aurons un impérieux besoin de conditions de concurrence équitables à l’échelle mondiale pour préserver notre compétitivité. Faire de l’Europe une île décarbonée au milieu d’un monde qui, lui, n’évoluerait pas ne serait cohérent ni économiquement ni écologiquement. L’introduction d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Europe qui rééquilibrerait les conditions de l’échange international et découragerait les fuites de carbone, notamment via des délocalisations vers les pays moins exigeants en matière climatique, me paraît dès lors indispensable. Il faut mettre en place rapidement cet outil.
Si un certain consensus semble se dessiner en Europe sur la direction à prendre, le travail sur la manière d’atteindre les objectifs ne fait que commencer. Pour relever cet immense défi, gardons à l’esprit que si l’ambition est non plus une option, mais une nécessité, elle ne pourra se concrétiser qu’en combinant deux qualités aussi fondamentales que complémentaires des Européens : la créativité et le pragmatisme.