Intervention de Jean-Yves Leconte

Réunion du 18 décembre 2019 à 21h30
Débat à la suite de la réunion du conseil européen des 12 et 13 décembre 2019

Photo de Jean-Yves LeconteJean-Yves Leconte :

… mais il a gagné selon la tradition électorale britannique. À présent, le Brexit est malheureusement irréversible. Je tire trois enseignements de cet état de fait.

Premièrement, les liens d’interdépendance que nous avons tissés selon la méthode Schuman – « l’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait » – ne suffisent pas si les Européens n’ont plus envie d’être solidaires.

Deuxièmement, mettre les affaires européennes au service de considérations de politique intérieure peut avoir de graves conséquences. Attention aux apprentis sorciers !

Troisièmement, le Brexit nous a obligés pendant des années à travailler à rebours de ce que nous aurions dû faire. Nous avons déconstruit au lieu de construire, alors que le monde changeait. Il faut donc tourner la page et rattraper le temps perdu.

Dans le cadre de la future relation avec le Royaume-Uni, nous devrons être très attentifs à la situation de l’Irlande, le compromis actuel étant particulièrement fragile. Ensuite, il faudra veiller à ne pas faire dépendre le cadre financier pluriannuel d’une éventuelle contribution britannique. Enfin, nous devrons placer au cœur des négociations sur la future relation avec le Royaume-Uni les droits des citoyens européens affectés par le Brexit : qu’il s’agisse de leur droit au séjour, de leur droit à l’activité ou de leurs droits sociaux, ils expriment de réelles inquiétudes, qui doivent absolument être prises en compte.

Je donnerai à ce Conseil européen un très bon point pour le Pacte vert, et un très mauvais pour le cadre financier pluriannuel.

Il faut saluer l’engagement sur la neutralité carbone pour l’Union européenne à l’échéance de 2050. Quelques jours plus tôt, la Commission avait réaffirmé l’ambition d’une diminution dès 2030 de 50 % à 55 % des émissions de CO2 de l’Union européenne par rapport à leur niveau de 1990. Cet engagement devrait être concrétisé bien avant la COP26 de Glasgow, de manière que l’Union européenne soit exemplaire et puisse entraîner l’ensemble de ses partenaires en utilisant sa puissance économique et commerciale.

Nous devons veiller à ce que cette neutralité carbone intègre les importations, qui représentent aujourd’hui 50 % de nos émissions de gaz à effet de serre. La compensation carbone de nos importations est essentielle. Madame la secrétaire d’État, vous nous expliquerez probablement comment cela peut fonctionner, en particulier dans le cadre d’accords commerciaux du type du CETA. Ceux-ci sont nécessaires, mais ils doivent prendre en compte cette exigence.

Le green deal doit mobiliser la finance privée aux côtés des moyens publics. Les règlements Disclosure, Benchmark et Taxonomie sont en cours de finalisation pour mieux caractériser les investissements durables et éviter le greenwashing. Il n’y a pas d’économie durable sans finances durables. Ces éléments, qui devront être progressivement améliorés, sont essentiels. Il faudra aussi que l’Union européenne pèse pour que les critères de Bâle III évoluent afin de tendre vers un « Bâle vert ». Les actifs des banques doivent être pondérés en fonction de leur caractère durable ou non.

Enfin, le Pacte vert représente plusieurs milliers de milliards d’euros. Que financer ? Nous avons besoin de compétences techniques et industrielles pour faire les bons choix. Pour l’instant, nous constatons plutôt un affaiblissement. Par exemple, nous avons bataillé pour intégrer le nucléaire, tout en renonçant au projet Astrid. Nous travaillons sur une génération d’ores et déjà plus faible que celle de nos concurrents, en utilisant de surcroît une technologie américaine, au détriment de notre souveraineté. Les décisions prises sur ce sujet par le Gouvernement au cours des derniers mois sont particulièrement inquiétantes. Voilà où en est l’Europe aujourd’hui : il faut que cela change !

Enfin, nous devrons aussi revoir notre politique de concurrence, en introduisant s’il le faut des éléments extraterritoriaux.

Concernant le cadre financier pluriannuel, je ne vois pas de bons points à décerner à ce Conseil européen. Les deux principales déceptions relatives aux propositions de la présidence finlandaise demeurent. D’une part, nous n’avons pas de nouvelles du Fonds européen de la défense. D’autre part, l’Italie et le Portugal ont critiqué les propositions finlandaises sur la ligne de crédit devant tenir lieu de budget de la zone euro. Que faire ?

Un problème encore plus essentiel tient à la faiblesse des ressources propres. La zone euro doit travailler à davantage d’intégration budgétaire et fiscale, afin d’être en mesure d’apporter au budget européen une contribution en ressources propres lors du prochain cadre budgétaire, qui démarrera en 2027.

L’Europe n’est pas simplement une juxtaposition de politiques. Si nous n’arrivons pas à transformer notre communauté de destin en communauté de dessein, pour reprendre la formule d’Edgar Morin, le Brexit ne sera que le commencement de l’histoire.

L’euro exige des politiques budgétaires et fiscales plus intégrées qu’elles ne le sont aujourd’hui. L’espace Schengen suppose une meilleure coordination des politiques migratoires et davantage d’intégration en matière de droit au séjour. Comment aller plus loin sans mettre en place un contrôle démocratique ? La belle idée d’une armée européenne restera une fiction en l’absence d’un exécutif démocratique en mesure de décider rapidement de l’envoi des troupes.

Dans cette perspective, la démocratisation de l’Union européenne doit être notre priorité. L’Europe doit être plus lisible pour les citoyens et ces derniers doivent pouvoir contrôler les politiques de l’Union européenne.

Il convient que les parlements nationaux soient directement associés à la réflexion. Ils disposent en effet, dans chaque État, de la compétence budgétaire qui peut permettre d’avancer. Nous devrons à mon sens travailler dès la rentrée, monsieur le président de la commission, à une résolution européenne pour préciser la manière dont nous souhaitons que les parlements nationaux puissent intégrer la conférence sur l’avenir de l’Union européenne.

Les listes transnationales sont certes difficiles à mettre en œuvre, mais cela peut au moins s’envisager pour les Européens qui vivent hors du territoire de l’Union européenne, sans trop bousculer les traditions des différents États membres. Je vous soumets cette idée, madame la secrétaire d’État.

Au-delà des conclusions du Conseil européen, je veux saluer le travail de la présidence finlandaise pour satisfaire aux exigences du traité de Lisbonne s’agissant de l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme. Permettre, comme pour nos droits nationaux, un contrôle externe de la conformité du droit de l’Union européenne aux exigences de la CEDH est indispensable. Je pense en particulier aux négociations sur l’accueil des migrants et l’asile.

Le sujet des migrations n’a guère été débattu lors de ce Conseil européen. Appliquer intelligemment le règlement de Dublin oblige à travailler, entre les États qui le peuvent, à une reconnaissance mutuelle des décisions en matière d’asile. Nous devons aussi nous pencher sur le système européen d’information et d’autorisation concernant les voyages (Etias) et les assurances demandées aux personnes entrant dans l’Union européenne avec un visa de court séjour.

Concernant les relations avec la Russie, malgré toute la bonne volonté du Président de la République, le sommet en « format Normandie » fut très décevant. Il est nécessaire de construire une relation entre l’Union européenne et la Russie excluant toute rivalité géopolitique, mais cela ne saurait nous conduire à renoncer à la fermeté. Pour l’instant, les résultats obtenus sont assez faibles.

En conclusion, je voudrais appeler à travailler sur la mobilité européenne, madame la secrétaire d’État. Elle a déjà permis à beaucoup d’Européens de trouver un emploi après la crise de 2008, mais son développement exige une coordination plus forte des différents régimes de protection sociale. On parle en France d’un régime unique, universel, mais les Français n’auront jamais un régime universel dès lors qu’ils bougent au sein de l’Europe. Plutôt que de chercher à bâtir un tel régime, nous devrions travailler à l’interopérabilité des systèmes, en France comme en Europe. Je pense en particulier aux régimes de retraite complémentaires. En tant que sénateur représentant les Français établis hors de France, j’ai écrit à l’ancien haut-commissaire aux retraites sur ce sujet, mais je n’ai obtenu aucune réponse de sa part. J’espère que nous pourrons avancer sur ce dossier.

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