Intervention de Amélie de Montchalin

Réunion du 18 décembre 2019 à 21h30
Débat à la suite de la réunion du conseil européen des 12 et 13 décembre 2019

Amélie de Montchalin :

En tout cas, c’est bien Charles Michel qui chantera l’Ode à la joie si un accord sur le cadre financier pluriannuel est trouvé, car cela lui demandera beaucoup de travail…

Une réflexion est ouverte pour qu’au sein de l’Union européenne nous puissions retrouver une capacité d’investissement. Les taux sont négatifs, nous devons faire face au défi climatique et l’épargne est chez nous surabondante : nous sommes une des seules zones au monde à exporter de l’épargne, pour acheter des bons du Trésor américains ou financer des entreprises asiatiques… Dans le même temps, de nombreux projets ne se concrétisent pas en Europe.

Une partie de la solution dépend peut-être – je n’en suis pas si sûre – du pacte de stabilité, une partie de notre tuyauterie financière – à ce titre, les travaux de Fabrice Demarigny sur l’union des marchés de capitaux sont essentiels. Vous connaissez l’investissement du Président de la République et de Bruno Le Maire sur ces sujets. Ce qui est certain, c’est que la règle des 3 % de déficit public ne saurait constituer notre seul horizon de pensée et de politique économiques, sauf à nous diriger vers un avenir très sombre…

Monsieur le sénateur Laurent, il est vrai que la COP25 n’a pas été à la hauteur des attentes. C’est pourquoi l’Union européenne unanime a tenu à envoyer un signal très fort et très clair via l’engagement d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Cela nous permettra de nous présenter unis et forts lors de la prochaine COP, qui sera un rendez-vous stratégiquement plus important que celui de Madrid. En effet, il y sera débattu de la révision des contributions nationales. Je rappelle que l’Union européenne entend réduire, d’ici à 2030, de 50 % à 55 % ses émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990.

Vous m’interrogez sur la différence entre les bénéficiaires de la BEI et ceux du fonds de transition juste : la BEI accorde des prêts sur la base de projets, tandis que le fonds de transition juste s’attachera davantage à accompagner des territoires, notamment sur le plan des politiques sociales, de formation et de reconversion. Les approches sont donc un peu différentes.

Concernant le fret, il importe de favoriser son transfert sur le rail. Il se trouve que l’une des priorités du « pacte vert » présenté par Mme von der Leyen le 11 décembre dernier est le report d’une part substantielle des 75 % du fret intérieur actuellement transporté par la route sur le ferroviaire et les voies navigables. La Commission européenne proposera des mesures en ce sens dès 2021. Le Gouvernement s’en félicite. D’ici là, un travail important doit être mené en vue d’établir un diagnostic, car il existe aujourd’hui beaucoup d’incohérences entre cet objectif et la politique de concurrence, la politique industrielle ou des règles qui s’appliquent aux acteurs dits publics. Il est aujourd’hui difficile de trouver un modèle économique satisfaisant pour le fret ferroviaire, alors même que nombre de secteurs de la société souhaitent un transfert du fret de la route vers le rail.

Le port de Hambourg est très en pointe pour viser la neutralité carbone : les dispositifs de manutention font largement appel à l’électricité et un système de transfert des conteneurs sur le rail a été développé. Le ferroutage a aussi été mis en œuvre à Calais, grâce à un mécanisme d’interconnexion européen. Il faut que nous regardions attentivement ce type d’expériences, mais je suis d’accord avec vous, monsieur Laurent, pour dire que c’est un sujet essentiel.

Je suis également tout à fait d’accord avec vous pour que les mécanismes de transparence nationaux s’appliquent à l’utilisation des aides du fonds de transition juste, comme pour les projets financés au titre du plan Juncker.

Concernant l’OTAN, le Président de la République demande d’abord de la cohérence ; c’est pour cette raison qu’il a proposé le lancement d’une réflexion stratégique au sein de l’OTAN sur le rôle des Européens après la chute du mur de Berlin et la fin du pacte de Varsovie. Cette proposition a été acceptée, et nous essayons de reconstruire une cohérence stratégique. La Russie pouvait être définie avant tout comme un pays ennemi dans les années soixante, mais, le Président de la République l’a dit très clairement, l’ennemi, aujourd’hui, c’est le terrorisme. La Russie peut être une menace – nous le voyons bien en Crimée, dans le Donbass ou ailleurs –, mais elle est aussi un voisin et un partenaire. Nous ne devons être, à son égard, ni naïfs ni belliqueux sans raison, mais fermes et exigeants.

La France réfléchit, en collaboration avec de nombreux autres États – je pense notamment à la Pologne –, sur les conséquences à tirer pour l’architecture européenne de sécurité collective de la suspension de fait du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI). Les suites du sommet de l’OTAN de Londres ont bien évidemment fait l’objet de discussions au Conseil européen, quand les chefs d’État et de gouvernement ont évoqué les questions de politique extérieure et de défense.

En ce qui concerne le Fonds européen de la défense, il est évident que proclamer notre souveraineté tout en continuant à acheter des matériels américains pose un problème de cohérence. Nous souhaitons que ce fonds monte en puissance et qu’une véritable industrie européenne partagée émerge dans ce secteur. Les États européens doivent avoir la possibilité de choisir des équipements européens pour leurs armées ; ce sera bénéfique à la fois pour leurs économies, leurs emplois et leur souveraineté collective.

Dans tout cela, je ne vois pas d’incohérence, mais une grande exigence. Nous devons avancer rapidement sur ces sujets, parce que créer un pilier européen efficace et crédible au sein de l’OTAN va demander des investissements.

Pendant le sommet de l’OTAN, beaucoup de demandes de clarification ont été adressées à la Turquie à propos de l’accord passé avec la Libye. Nous devons mettre en cohérence les travaux du Conseil européen et ceux menés au sein d’autres instances internationales.

En ce qui concerne la conférence sur l’avenir de l’Europe, j’ai souri quand vous nous avez dit d’agir plutôt que de nous « pencher » sur la question, monsieur Laurent. Le Président de la République a lui-même parlé de « forces castratrices autour de la table du Conseil européen »… Il a pour sa part une grande ambition en la matière, comme en témoigne la lettre qu’il a adressée à tous les citoyens européens au printemps. La France et l’Allemagne ont fait des propositions fortes. La Commission européenne remettra les siennes en janvier ; j’ai eu des échanges avec la commissaire chargée du sujet et je pense qu’elle est tout à fait bien disposée à cet égard. Les parlementaires européens ont quant à eux déjà commencé leurs travaux. La France sera un aiguillon en termes d’ambition et d’action. Si l’on contraint la réflexion dès le départ, nous perdrons la confiance des citoyens.

Madame la sénatrice Mélot, concernant la réforme de la PAC, la clé est de réorienter une partie du deuxième pilier vers le premier. La PAC n’est pas en diminution, comme a pu le dire M. Longeot. Les 10 milliards d’euros supplémentaires nous permettent d’envisager de manière assez sereine l’évolution des aides aux agriculteurs français par rapport à la période 2014-2020. Il y avait un risque, mais les propositions sur la table pour la période 2021-2027 sont beaucoup plus rassurantes aujourd’hui.

C’est justement parce que nous constatons des inégalités et des tensions entre les territoires que nous avons très activement défendu le concept des régions en transition. Il recouvre des territoires ne figurant ni parmi les moins favorisés ni parmi les métropoles.

Nous voulons réformer la politique de la concurrence parce que nous voulons développer une souveraineté européenne. Au-delà de la défense, elle doit notamment concerner l’innovation. Ainsi, dans le secteur des batteries électriques, sept pays et dix-sept entreprises ont uni leurs forces, en mobilisant notamment 3, 2 milliards d’euros d’argent public. De telles initiatives peuvent se développer plus largement avec une politique de la concurrence révisée.

Madame Morhet-Richaud, notre méthode de travail repose précisément sur la créativité et le pragmatisme. Nous entendons dégager des majorités en étant souples dans les moyens, mais fermes et cohérents sur les objectifs.

Monsieur le sénateur Leconte, l’Irlande et les droits des citoyens européens sont bien des sujets prioritaires dans la perspective du Brexit. Je ne crois pas qu’il faille lier le Brexit et le budget européen. En tout cas, nous partons du principe qu’il n’y aura pas de contribution britannique et nous construisons un budget à vingt-sept. Si les Britanniques veulent contribuer à certaines politiques dans le cadre de leur relation future avec l’Union européenne, ils le feront de façon marginale, mais ce n’est pas une hypothèse de travail : nous entendons être crédibles et sérieux.

Concernant le climat, nous cherchons, avec la Commission européenne, à réduire la déforestation importée. C’est un sujet que le Sénat connaît bien, pour avoir notamment travaillé sur le dossier de l’huile de palme.

L’une des priorités de la présidence française du Conseil de l’Europe, qui s’est exercée du mois de mai dernier à la fin de novembre, était d’œuvrer pour que la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme mettent en commun leurs jurisprudences dans un esprit de respect mutuel. Il y a encore du travail à accomplir, mais nous avons engagé la démarche.

Quant à la coordination des systèmes de sécurité sociale, elle est organisée par le règlement européen n° 883/2004, dont la révision est en cours de discussion dans le cadre du trilogue entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission. Il est effectivement essentiel d’améliorer l’interopérabilité des systèmes de retraite, d’assurance chômage et de protection sociale en général.

J’espère avoir répondu de manière synthétique à l’ensemble de vos questions, mesdames, messieurs les sénateurs. Je vous remercie pour ces échanges tout à fait intéressants. J’ai proposé au président Bizet de réfléchir ensemble à rendre ce dialogue un peu plus interactif, peut-être en adoptant un format de questions-réponses plus dynamiques.

En tout cas, il est important de rendre compte à la représentation nationale et aux citoyens de ce qui se passe dans les couloirs de Bruxelles. Certains imaginent des choses bien plus complexes qu’elles ne sont en réalité. Nous travaillons avec toute notre énergie à accroître la solidarité et la souveraineté européennes ! Je vous donne rendez-vous après les fêtes pour reprendre nos échanges, avec toujours la même ambition pour l’Europe.

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